“Ta parole est vérité”
Est-ce une question de grammaire ou d’interprétation ?
QUAND on traduit le “Nouveau Testament” de la langue grecque originale en une autre langue moderne, on rencontre des mots qui peuvent être rendus de plusieurs façons. Comment peut-on déterminer la bonne traduction ? Dans de tels cas, c’est évidemment autre chose que la grammaire grecque qui va amener le traducteur moderne à utiliser tel ou tel mot pour rendre le terme original.
Par exemple, il y a eu de nombreuses controverses à propos du texte de Jean 1:1. Dans la Bible Segond, il se lit ainsi : “Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.” Mais la Traduction du monde nouveau rend ainsi la dernière partie de ce verset : “La Parole était dieu.” Cette façon de traduire le texte a été très critiquée par certains, car elle indique que la Parole (Jésus durant son existence préhumaine) est un dieu inférieur et non pas le Dieu tout-puissant. Ces critiques font appel à la grammaire grecque pour essayer de condamner cette traduction.
Ainsi, à propos de la façon dont la Traduction du monde nouveau rend ce verset, un théologien déclara : “Elle ignore complètement une règle absolue de grammaire grecque qui rend nécessaire la traduction : ‘Et la Parole était Dieu.’” Un autre théologien affirme que la traduction “dieu” est “erronée et n’est soutenue par aucun helléniste de valeur (...), [mais] rejetée par tous les érudits reconnus en matière de grec”. Un autre encore déclare qu’elle reflète une “ignorance de la grammaire grecque”. — C’est nous qui soulignons.
Pour soutenir ces affirmations catégoriques, ces hommes font parfois allusion à une règle de grammaire grecque formulée par E. C. Colwell. Cette règle confirme-t-elle vraiment leur point de vue ? Voyons ce que Colwell lui-même a déclaré.
En 1933, il publia dans le Journal of Biblical Literature un article intitulé “Une règle définie sur l’emploi de l’article dans le Nouveau Testament grec”. Vers la fin de son article, il commenta le texte de Jean 1:1. La dernière partie de ce verset, traduite littéralement du grec, se lit ainsi : “ET DIEU ÉTAIT LA PAROLE.” Remarquez que l’article défini “LA” précède le mot “PAROLE”, alors qu’il n’y a pas d’article défini “LE” devant “DIEU”. Concernant la traduction du grec, Colwell énonça cette règle : “Un substantif attribut défini [par exemple ‘DIEU’ dans Jean 1:1] est précédé de l’article [‘LE’] quand il suit le verbe ; il ne prend pas l’article quand il précède le verbe.” En d’autres termes, si cette règle est toujours vraie, elle indique que dans le texte original de Jean 1:1 l’article “LE” est sous-entendu devant “DIEU” et doit donc apparaître dans les traductions modernes.
La règle de Colwell paraît être vraie dans plusieurs passages des Écritures grecques. Cependant, il reconnut lui-même qu’il y avait des exceptions et que sa règle n’était pas absolue [voir, par exemple, une traduction interlinéaire de Luc 20:33 ; I Corinthiens 9:1, 2). En réalité, il semble y avoir tant d’exceptions que trente ans après l’énoncé de la règle de Colwell, une grammaire grecque déclarait que cette règle pouvait ne refléter qu’une “tendance générale”. Dans ce cas, qu’en est-il de Jean 1:1 ? La règle s’applique-t-elle à ce texte ?
Colwell lui-même répond : “L’attribut [‘DIEU’] (...) est indéfini dans cette position uniquement quand le contexte le demande.” Vous remarquerez donc que le facteur essentiel n’est pas une “règle” immuable, mais le contexte.
En dépit des affirmations catégoriques de certains, la “règle” de Colwell ne rend donc pas ‘nécessaire’ à elle seule une traduction de Jean 1:1 plus qu’une autre. C’est plutôt la façon dont le traducteur interprète le contexte, voire le reste de la Bible, qui déterminera sa façon de traduire ce verset.
C’est la raison pour laquelle les théologiens cités plus haut sont si catégoriques dans leurs déclarations. Pour eux, Jésus est Dieu. L’un d’entre eux parle de “Jésus-Christ, qui est vrai Dieu et vrai homme”. Un autre fait remarquer que “le Christ affirma son égalité avec Jéhovah”. N’est-il donc pas évident qu’entre plusieurs traductions de Jean 1:1, ils choisiront celle qui semble justifier leur point de vue ?
En revanche, celui qui accepte les paroles de Jésus, qui déclara : “Le Père est plus grand que moi”, comprendra que Jésus n’est pas l’égal de Jéhovah, le Tout-puissant (Jean 14:28). Toutefois, cela ne signifie pas qu’on ne peut pas parler de Jésus comme d’un “dieu” dans un certain sens du terme. Rappelez-vous le texte d’Exode 4:16 ; Jéhovah ne dit-il pas à Moïse qu’il ‘tiendra pour [Aaron] la place de Dieu’ ? Cependant, cela ne fit pas de Moïse le Dieu tout-puissant. Le terme “dieu” est même appliqué au Diable, car il est une créature puissante dominant le présent système de choses (II Cor. 4:4). Jésus, qui a été glorifié au-dessus de toute création et qui a reçu un grand pouvoir dans les cieux et sur la terre des mains de son Père, peut donc être considéré comme un “dieu”. Cette traduction indique qu’il faut accorder à Jésus la dignité et le respect, mais en même temps elle évite de donner au lecteur l’impression que Jésus est le Dieu tout-puissant.
La prétendue “règle” grammaticale relative à Jean 1:1 n’est qu’une des nombreuses règles que les hommes invoquent pour fournir une justification apparente à leurs idées religieuses. Cependant, elle sert à illustrer la pensée suivante : le problème ne se limite pas à une question de grammaire.
Les règles grammaticales sont nécessaires pour comprendre une langue, mais elles ont des limites. C’est ce que montre l’Encyclopédie américaine en ces termes : “Partout nous trouvons une grammaire définissant une langue déjà formée (...). Le rôle de la grammaire a été non pas de déterminer ce que doit être une langue, mais d’expliquer une langue qui existe déjà. La grammaire est explicative et non pas créatrice.”
Même pour les langues vivantes, il faut se rappeler qu’en dernier ressort leur “grammaire” ne résulte pas des livres. C’est ce qu’a fait remarquer un professeur d’anglais à l’université de Chicago en disant : “Pour les indigènes utilisant leur langue, tout ce qui est, est correct.” Ce sont ceux qui utilisent une langue, et particulièrement les gens les “mieux instruits”, qui déterminent finalement ce qui est “correct” ou “incorrect” — et non pas les faiseurs de règles.
Le même principe est valable pour ce qui est de la grammaire du grec biblique. Son but est d’expliquer comment les choses sont dites et non pas de faire dire à la langue originale ce qu’elle devrait dire selon les grammairiens modernes. Une telle “grammaire” doit découler de ce que le grec biblique dit en réalité. Même les autres écrits grecs, d’une période ou d’une partie du monde différentes, n’ont qu’une valeur limitée pour ce qui est d’aider à comprendre les Écritures. A. T. Robertson, éminent helléniste, déclara : “Ce que nous désirons connaître, ce n’est pas le bon grec d’Athènes au siècle de Périclès, mais le bon grec utilisé, en Syrie et en Palestine au premier siècle de notre ère.” Effectivement, c’est le texte biblique en particulier qui doit indiquer ce qui est acceptable en matière de grammaire.
Les personnes qui n’ont pas étudié les langues bibliques originales ne doivent pas se laisser impressionner par les hommes qui citent des règles grammaticales. Aucune règle de ce genre ne contredira jamais le message global de la Bible. De même, celui qui enseigne honnêtement la Bible sait que c’est le texte biblique qui est inspiré. Les règles grammaticales ne le sont pas, bien qu’elles puissent être utiles.