Après l’ouragan — “Heureux d’être en vie !”
IL A suffit de quelques secondes d’ouragan pour qu’un homme de Cincinnati se retrouve en train de déblayer les décombres de ce qui avait été sa maison. Il n’était pas le seul. Près de 20 000 autres propriétaires de cette région située au Centre est des États-Unis étaient dans la même situation. Certains pouvaient se contenter d’effectuer des réparations. D’autres devaient tout reconstruire à partir des fondations. Jamais ils n’oublieront la puissance d’une tornade.
Ceux qui n’avaient à se soucier que de leur maison pouvaient s’estimer heureux. Environ 3 700 personnes devaient d’abord attendre la guérison de leurs blessures souvent graves. Mais tous les autres survivants de cette terrible tourmente répétaient sans cesse : “Je suis heureux d’être en vie.”
Ils avaient bien raison. Le chagrin des parents et amis des quelque 320 morts était plus éloquent que des paroles. Ici, une mère en sanglots avait vu son bébé d’un mois arraché de ses bras ; il fut retrouvé plus tard à la morgue. Là, un petit garçon poussait des cris perçants en tournant autour des décombres recouvrant les corps de ses parents et de ses deux sœurs.
Environ une centaine de ces tempêtes ont opéré des ravages depuis le golfe du Mexique jusqu’au sud du Canada. Il y a eu des victimes dans onze États et une province. Telle une main géante, l’une d’elles a écrasé pratiquement la moitié de Xenia, une ville de 27 000 habitants. En moins de cinq minutes, elle a rasé une zone large de huit cents mètres et longue de plus de 4,5 km, détruisant plus de 1 200 habitations, 150 entreprises et 6 des 12 écoles, et endommageant sérieusement des centaines d’autres bâtiments. Il y eut au moins 34 morts et un millier de blessés.
‘La tempête la plus violente’
Le printemps dans le centre des États-Unis est, dit-on, la saison propice à la formation des tornades. L’air chaud s’élève normalement au-dessus de l’air plus frais. Quand l’air chaud et humide venant du golfe du Mexique et se dirigeant vers le nord passe en dessous de l’air froid et sec venant des montagnes Rocheuses et se dirigeant vers l’est, la tempête se prépare. Souvent, il se forme une turbulence extrême. L’air chaud chargé d’humidité monte rapidement et produit des nuages menaçants, tandis que l’air froid se précipite vers le bas pour prendre sa place. Il peut se former des grêlons aussi gros que des balles de golf. Avant que ne se déchaînent les tornades d’avril, beaucoup de gens stupéfaits étaient sortis de chez eux pour en ramasser.
L’air se déplace rapidement en spirale, telle de l’eau qui s’écoule. S’il atteint la vitesse critique, des nuages tourbillonnants se forment en entonnoir et descendent, se détachant irrégulièrement des nuées sombres au-dessus. La tornade est née quand ces nuages atteignent la terre. Ils dansent ou bondissent de façon imprévisible au-dessus du sol, ou s’immobilisent un moment.
L’Encyclopédie britannique de 1974 décrit un ouragan comme “la perturbation atmosphérique la plus violente”. Le vent produit par une violente tornade peut souffler à plus de 160 kilomètres à l’heure. Mais des vents de tornade très concentrés atteignent souvent 450 kilomètres à l’heure et “peuvent occasionnellement dépasser 800 kilomètres à l’heure”. Le déplacement d’air tourbillonne autour d’une forte dépression centrale.
Les tornades exercent donc leurs ravages de trois façons différentes : 1) Par l’action directe du vent soufflant tout sur son passage ; 2) en provoquant une baisse de pression à l’extérieur des bâtiments au-dessus desquels passe la dépression centrale ; la pression exercée à l’intérieur de ces bâtiments les fait alors “exploser” ; 3) par leur terrible puissance qui peut déraciner les arbres, arracher des immeubles à leurs fondations, soulever des objets lourds et en déplacer de plus légers à des kilomètres de distance.
Un homme de l’Ohio raconte qu’il sentit “une force puissante comme un aimant l’arracher” de l’escalier du sous-sol où il descendait pour se mettre en sûreté. “Mes oreilles bourdonnaient”, dit-il, sans doute à cause de la basse pression de l’air.
Un habitant de Huntsville se rendait en voiture à son travail quand les grêlons devinrent si gros qu’ils risquaient de casser le pare-brise. Aussi se cacha-t-il sous le tableau de bord. “La voiture fut alors soulevée, renversée, puis fit plusieurs tonneaux. Finalement, elle fut enlevée dans les airs et atterrit sur le toit, à 40 mètres de l’endroit où elle s’était arrêtée.” Cet homme était sûrement heureux d’en être sorti vivant.
On a retrouvé des documents et des décombres, provenant de Xenia, à plus de 300 kilomètres de là. Une femme de Cincinnati perdit son chat dans la tornade ; il revint deux jours plus tard, complètement épuisé. Manifestement, il avait effectué un long voyage.
Une tornade moyenne a une largeur de quelques centaines de mètres et se déplace à la vitesse de 45 à 60 kilomètres à l’heure sur environ 24 kilomètres. Mais ces chiffres varient beaucoup. La plus meurtrière que l’on connaisse faisait un kilomètre et demi de large et elle balaya trois États, une distance de 350 kilomètres, à la vitesse de 90 kilomètres à l’heure. Elle tua 689 personnes. Cela se passait il y a environ 50 ans, le 18 mars 1925. Celle du 3 avril de cette année occupe le deuxième rang parmi les tornades meurtrières.
Les tornades frappent beaucoup d’autres pays. Mais les États-Unis ont le triste privilège d’en subir le plus grand nombre et les plus violentes, en moyenne 681 par an durant les années 60. On a constaté un accroissement inquiétant des ouragans : ils sont six fois plus fréquents depuis les trente dernières années. L’année passée on en a enregistré 1 107. Le Service national de la météorologie déclara que “pratiquement personne aux États-Unis ne devrait se dire : ‘Cela ne peut se produire ici.’”
La valeur des avertissements
Nul doute que l’ouragan d’avril aurait fait plus de victimes encore sans les avertissements répétés de la radio, de la télévision et de la défense civile. Néanmoins, on dit que les tornades sont les phénomènes atmosphériques les plus déconcertants. Des spécialistes du Service national de météorologie reconnaissent, avec un sentiment de frustration, leur incapacité à prévoir les ouragans.
L’un d’eux s’expliqua en ces termes : “D’abord, nous ne savons pas exactement ce qui cause un ouragan. Nous ne pouvons pas dire où il frappera ni exactement quand. Nous ne pouvons que désigner une région étendue et prévenir les gens qu’un cyclone risque de sévir dans quelque temps.” Tout d’abord, le Service météorologique diffuse une “mise en garde”, et conseille aux gens de rester à l’écoute et de se préparer en vue d’un cyclone. Quand les nuages en forme d’entonnoir sont réellement visibles, une “alerte” officielle engage les gens à se mettre à l’abri et ils sont tenus au courant de la direction prise par le cyclone.
Malheureusement, quand les alertes sont répétées et qu’aucune tornade ne se produit, “beaucoup de gens deviennent insouciants”, fait observer un survivant de Cincinnati. Une femme se rappelle avoir entendu un bulletin d’information annonçant que l’“alerte” était passée, puis le speaker a ajouté : ‘Ne croyez pas que je me moque de toutes ces alertes, mais que faut-il en penser quand on ne voit rien arriver ?’ Juste à ce moment, cette femme jeta un coup d’œil par la fenêtre de derrière ; apercevant une masse de décombres tourbillonnants, elle fut ramenée brusquement à la réalité. ‘La tornade était là, devant mes yeux’, dit-elle. En moins de deux minutes, la maison avait disparu. Néanmoins, quand les membres de la famille sortirent du sous-sol où ils avaient couru se réfugier, ils étaient heureux d’être encore en vie.
Les répercussions
“La plupart des gens se conduisent vraiment bien en pareilles circonstances, mais d’autres se comportent de façon inqualifiable”, observa un officier de police de Cincinnati. Tandis que la famille citée plus haut ne pouvait détacher ses yeux des restes de sa maison, les pilleurs avaient fait leur apparition en quelques minutes. Certains avaient même apporté des remorques pour transporter leur butin. Il a fallu appeler la Garde nationale pour protéger de nombreuses régions. Un garde du Kentucky a même dû être emmené, menottes aux poings, parce qu’il avait pillé. Certaines personnes montaient la garde autour de leur maison en ruine, armées de fusils.
Il y a également eu une invasion de curieux. D’après le Courier-Journal, de Louisville, “ils gênaient considérablement les efforts de la police, des équipes de secours, des déménageurs, des ouvriers et des habitants”. Il fallut limiter l’accès de la région sinistrée aux habitants et aux personnes munies d’une autorisation. À Cincinnati, après avoir renvoyé une vingtaine de voitures, un policier s’adressa en ces termes à deux ministres chrétiens qui venaient aider leurs compagnons : ‘Si vous n’étiez pas témoins de Jéhovah, je ne vous laisserais pas passer.’ Ils ont encore subi quatre autres contrôles de police.
Cependant, l’extraordinaire bienveillance de la majorité surpassa l’égoïsme de quelques-uns. Immédiatement après le passage du cyclone, les volontaires étaient partout. Ils recherchaient d’abord les survivants, conduisaient les blessés à l’hôpital, réconfortaient les affligés et emmenaient chez eux les sans-abri. Le personnel hospitalier a travaillé avec désintéressement. À Xenia, les médecins ont opéré à la lueur des bougies quand l’énergie électrique a fait défaut. Une compagnie d’ambulances de Huntsville a mis gratuitement ses véhicules au service des secouristes durant toute la nuit.
Le grincement des scies mécaniques remplissait l’air tandis que les volontaires découpaient les décombres afin d’en faciliter le déblaiement. Des groupes de jeunes gens allaient de maison en maison pour aider des sinistrés qu’ils ne connaissaient pas du tout. Des ouvriers travaillaient douze heures par jour afin de consolider les lignes électriques et les conduites de gaz, et pour remettre rapidement en état les différents services. Des gens parcouraient les rues en distribuant de la nourriture dans des sacs en plastique.
La mentalité du monde est telle aujourd’hui que les gens sont souvent désorientés et touchés par une pareille bonté. Au bout de deux jours, on parvint à faire sortir de sa cave une petite femme âgée qui était effrayée. Elle dit : “C’est la première fois que quelqu’un se soucie de moi et je ne sais vraiment que faire.”
Nul doute que la plupart de ceux qui ont été témoins de ces nombreux actes de désintéressement ont été émus et encouragés. Mais il faut affronter une autre réalité, comme l’a souligné une survivante, hébergée au centre de la Croix-Rouge de Xenia : “Quand tout cela sera fini, chacun recommencera à haïr son prochain.” Nombreux sont ceux qui ont dû penser : Pourquoi faut-il une crise pour que les gens se témoignent de la considération ?
Certaines personnes ont également été amenées à voir quelle est la chose la plus importante. Une famille de l’Alabama dont la maison avait “explosé” déclara : “Nous pensions que nous avions subi une catastrophe jusqu’au moment où nous avons appris que d’autres avaient perdu leur famille. Nous sommes riches comparés à eux.” Leur joie d’être en vie montre la véracité des paroles de Jésus : “La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement” ou que n’importe quelle autre possession matérielle ? — Mat. 6:25, Segond.