Un édifice lézardé
De notre correspondant en France
CE JOUR-LÀ, à Paris, les deux tours massives de la cathédrale Notre-Dame semblaient symboliser la solidité de l’Église catholique romaine. Sur le vaste parvis de l’édifice commencé au XIIe siècle se déroulait une procession organisée à l’occasion de l’Assomption.
Curieusement, en cette même journée du 15 août 1986, à quelques centaines de mètres de là, sur l’autre rive de la Seine, une procession rivale s’était formée devant l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Elle s’est engagée dans les rues du Quartier latin, soutenue par plusieurs milliers de catholiques. Cette procession aurait rassemblé une foule bien plus importante que la cérémonie officielle tenue devant Notre-Dame. Les deux processions avaient pourtant été organisées par des prêtres de la même Église, et toutes deux en l’honneur de Marie. Pourquoi deux processions rivales pour célébrer une même fête?
Cet incident illustre bien les clivages qui divisent aujourd’hui l’Église catholique. Des lézardes sillonnent les murs de l’édifice en tous sens, de droite à gauche et du sommet à la base.
Progressistes contre traditionalistes
L’aile gauche est occupée par les catholiques progressistes ou libéraux. Bon nombre d’entre eux sont séduits par ce qu’on appelle la théologie de la libération, concept né en Amérique latine. Ils ne sont pas effrayés par l’œcuménisme, le socialisme et même le communisme. Cependant, même en Amérique latine, tous les catholiques ne sont pas partisans de la théologie de la libération. Au Brésil, par exemple, le clergé est lui aussi divisé en deux groupes: les progressistes et les traditionalistes.
À l’opposé, les catholiques traditionalistes (ou intégristes) sont pour la plupart des conservateurs pour qui le concile Vatican II a ouvert la porte à des réformes qui trahissent le catholicisme traditionnel. Ils tiennent à la messe en latin et refusent le rapprochement avec les protestants ou les mouvements politiques de gauche.
Entre ces deux courants se trouve la fraction principale des catholiques, indubitablement la plus nombreuse, mais pas nécessairement la plus fervente. Tant les traditionalistes que les progressistes sont d’avis que ce catholicisme conciliaire est en train de perdre sa vitalité par un excès ou par une absence de réformes. Pour nombre de progressistes, ces réformes ne vont pas assez loin et l’Église se montre trop timorée dans son engagement politique en faveur des pauvres. Les traditionalistes, quant à eux, sont convaincus qu’à force de réformes le catholicisme postérieur à Vatican II est en train de perdre son identité.
À l’intérieur de ces trois courants se dessinent d’autres failles à tous les niveaux de l’édifice. Les catholiques sont divisés sur des questions de foi et de morale. En ce qui concerne la foi, ou les croyances, des dogmes officiels tels que l’enfer, le purgatoire, le péché originel et même la Trinité ne sont plus acceptés sans discussion. Un récent sondage effectué en France, la “fille aînée de l’Église”, a révélé que 71 % des catholiques doutent qu’il y ait une vie après la mort, 58 % nient l’existence de l’enfer, 54 % ne croient pas au purgatoire et 34 % n’acceptent pas la Trinité.
Certes, il y a dans le monde beaucoup de membres de l’Église qui restent fermement attachés à ces doctrines. Cela confirme seulement que les catholiques sont divisés sur des questions de foi.
“Le nœud caché du problème, c’est l’obéissance à Rome”
En matière de morale, les catholiques sont profondément désunis sur des sujets comme les relations sexuelles préconjugales, l’adultère et l’homosexualité. De nombreux catholiques sincères sont extrêmement choqués par l’attitude permissive qu’adoptent des membres de leur Église, y compris certains membres du clergé et même des théologiens. Les catholiques attachés aux principes moraux ont pu être encouragés par la vigoureuse réprobation de l’immoralité sexuelle exprimée par le pape. Mais cela ne souligne-t-il pas simplement une réalité inquiétante: un nombre croissant de catholiques défient l’autorité du pape sur ces questions.
Voici ce qu’on pouvait lire récemment dans l’Observer, un journal londonien: “Les tensions qui existent entre le pape et bon nombre des brebis de son troupeau sont manifestes à travers les désaccords étalés au grand jour à propos de l’avortement, de la contraception, de l’admission des femmes à la prêtrise et de la participation de catholiques divorcés à la communion. Le nœud caché du problème, c’est l’obéissance à Rome.”
L’archevêque James Malone, ancien président de la Conférence épiscopale américaine, a exprimé son inquiétude face au “mécontentement dangereux et grandissant que des membres de l’Église des États-Unis expriment envers le Saint-Siège”. Il a fait état de “dissidence”, de “division” et de “désunion grandissante”.
D’un autre côté, les traditionalistes se rebellent ouvertement contre le pape, l’accusant de ne pas être suffisamment rigoureux. Le chef de file de cette révolte est un archevêque catholique français. Il a créé un mouvement qui a encore accentué la division au sein de l’Église catholique. C’est ce que se propose d’expliquer l’article qui suit.