Les sans-abri — Un phénomène mondial
LA CRISE du logement et le drame des sans-abri n’ont pas de frontière; ils ne sont pas l’exclusivité des pays pauvres en développement. On trouve des quartiers pauvres et des bidonvilles dans presque toutes les capitales et les grandes métropoles des pays industrialisés. Les tours modernes étincelantes côtoient les ghettos et les vieux quartiers délabrés. Comment vit-on dans ces endroits?
Commentant une étude effectuée à Chicago, la revue Science (angl.) déclare que les sans-abri se “distinguent par leur extrême pauvreté et leur isolement; beaucoup souffrent d’un handicap. Quatre-vingts pour cent d’entre eux sont déjà allés en prison, à l’hôpital psychiatrique ou dans un centre de désintoxication pour drogués”.
La plupart des villes américaines disposent de centres d’accueil pour les sans-abri. À New York, par exemple, les personnes seules et à la rue sont placées dans des refuges municipaux, et les familles dans des foyers d’hébergement. On estimait que 12 200 individus isolés et 20 500 personnes qui ont une famille chercheraient un abri cet hiver; les autorités espéraient pouvoir tous les accueillir tant bien que mal.
Les conditions d’hébergement sont une tout autre affaire. À New York, les centres d’accueil pour la nuit sont en général d’anciens gymnases ou dépôts d’armes reconvertis. Des centaines de gens sont rassemblés dans un vaste dortoir. Certains refusent de passer la nuit dans ces refuges. “Les centres ne sont pas sûrs, affirme l’un d’eux; souvent il y a aussi des punaises et des poux. On ne ferme pas l’œil de la nuit.” Le sort des enfants est particulièrement pénible. “Dans les baraquements ou dans les foyers exigus où la municipalité finit par les placer, les enfants se trouvent confrontés à une foule de difficultés: maladie, infirmité, toxicomanie, délinquance et désespoir, affirme le Daily News de New York. Ces enfants risquent fort de n’avoir aucun avenir.”
En raison du caractère transitoire de la situation de sans-abri, il est souvent difficile d’obtenir des chiffres exacts. Aux États-Unis, l’Association nationale pour les sans-abri affirme que le pays compte entre deux et trois millions de sans-abri. Le ministère du Logement et de l’Urbanisme prétend, quant à lui, que “si l’on tient compte de toutes les données disponibles, la fourchette la plus sûre se situe entre 250 000 et 350 000 personnes”. Quoi qu’il en soit réellement, tout le monde s’accorde pour reconnaître que le nombre des sans-abri augmente.
“Un fléau de notre temps”
Les pays de la Communauté européenne affrontent aussi une grave crise du logement. Selon le Times de Londres, au Royaume-Uni “le nombre de personnes ayant pris pension chez des particuliers est passé de 49 000 à 160 000 entre 1979 et 1984; elles sont 1 250 000 qui attendent de bénéficier d’un logement social, alors qu’un million de logements ont été officiellement déclarés impropres à l’habitation”.
Selon un article du New York Times intitulé “Le problème des sans-abri en Europe: un fléau de notre temps”, “des organismes privés disent qu’à Paris au moins 10 000 personnes sont à la rue”. Le gouvernement italien estime que 20 % des jeunes mariés “ne peuvent faire autrement que d’habiter chez des parents, même après la naissance de leur premier enfant”. Parmi les 20 000 sans-abri que compterait le Danemark, on assiste à “une poussée spectaculaire de la tranche des moins de 30 ans depuis 1980”.
Selon Peter Sutherland, membre de la Commission des communautés européennes, l’ironie veut que cette situation survienne au moment même où ces nations “commençaient à croire qu’[elles] étaient sur le point d’en finir pour de bon avec les fléaux que sont la pauvreté et la pénurie de logement”.
Une tendance inquiétante
Au cours des dernières années, ceux qui s’occupent des sans-abri ont noté une nouvelle tendance. Dans le New York Times, on a relevé ces propos d’un membre de la Coalition pour les sans-abri de Chicago: “Nous assistons à un bouleversement radical chez les nécessiteux: aux ‘pauvres’ proprement dits s’ajoutent ‘des personnes de classe moyenne qui sombrent brutalement dans la pauvreté’. Elles perdent leur emploi, leurs moyens de paiement et ne bénéficient plus de crédit. Cela n’a absolument rien à voir avec le stéréotype du clochard alcoolique.”
Dans le même ordre d’idées, voici ce que le directeur d’une agence d’aide sociale dans le Connecticut (États-Unis) a fait remarquer: “Malheureusement, on se méprend sur l’identité des sans-abri. Ce ne sont pas des clochards qui traînent de ville en ville, mais bel et bien des familles qui n’ont pas les moyens de louer quoi que ce soit à cause des loyers élevés, du chômage, ou d’un divorce.” En mai 1987, le Congrès des maires des États-Unis a rendu publique une enquête portant sur 29 grandes villes, qui révèle que les familles avec enfants représentent plus d’un tiers des sans-abri, soit une augmentation de 31 % sur la proportion de l’année précédente.
Des questions embarrassantes
Même si l’ampleur de la crise du logement et du problème des sans-abri varie d’un pays à l’autre et d’une ville à l’autre, on peut affirmer sans se tromper que rares sont aujourd’hui ceux qui sont totalement inconscients du phénomène ou qui ne sont pas du tout concernés. Le plus embarrassant est qu’en dépit des efforts déployés et des fonds engagés par les gouvernements, rien n’indique que la situation s’améliore. Pourquoi cela? D’où viennent ces sans-abri? Et, par-dessus tout, peut-on espérer voir se résoudre la crise du logement?