Narcolepsie — La maladie du sommeil
EBBA était une femme jeune et en bonne santé. Pourtant, il lui arrivait souvent de s’endormir brutalement au cours de la journée.
Avec les années, son état empira; elle s’endormait plusieurs fois par jour et se mit à entendre des voix et à avoir des hallucinations effrayantes. Sans raison apparente, elle s’effondrait, endormie, ou bien elle perdait toute force dans les mains et laissait tomber son sac à main. Elle commença à se demander si elle n’était pas malade mentalement ou victime d’attaques démoniaques.
Dans sa trente-troisième année, on dut l’hospitaliser à cause de graves problèmes psychologiques. La croyant schizophrène, on a commencé à lui administrer des neuroleptiques. Elle réagissait bien au traitement, mais les médecins ne parvenaient cependant pas à diagnostiquer son mal. De plus, les médicaments provoquaient chez Ebba un état de faiblesse et d’apathie.
Treize années ont passé, jusqu’au jour où Louis, son mari, a pris connaissance d’un article qui parlait de deux femmes frappées d’un mal dont les manifestations étaient identiques à celles dont souffrait Ebba. Le nom de la maladie? La narcolepsie.
Qu’est-ce que la narcolepsie?
Les malades atteints de narcolepsie sont victimes de fréquents accès de sommeil. Comme l’explique le spécialiste du sommeil Wilse Webb, “alors qu’ils sont en train de vaquer normalement à leurs activités quotidiennes, les narcoleptiques tombent brutalement et involontairement dans un sommeil qui peut durer de quelques minutes à un quart d’heure”. Ces attaques peuvent survenir pour ainsi dire à tout moment: pendant un discours, lors d’une conversation, ou au volant. Entre autres manifestations de la narcolepsie, le malade est fréquemment victime d’une chute soudaine du tonus musculaire, de paralysie au cours du sommeil et d’épouvantables hallucinations.
Il y aurait plusieurs dizaines de milliers de narcoleptiques rien qu’aux États-Unis. Et, si cette affection n’est pas mortelle en elle-même, les risques d’accident qu’elle génère représentent un grave danger.
Pendant des années, les médecins ont relégué la narcolepsie au rang de désordre purement psychologique. Les psychiatres y voyaient une sorte d’échappatoire, une forme d’hystérie, un repli de l’ego sur lui-même. Toutefois, les preuves se sont accumulées attestant que la narcolepsie relève de la maladie organique. On a appris par exemple qu’elle est très probablement héréditaire et qu’elle touche certaines races de chiens. D’où cette conclusion de l’American Journal of Psychiatry: “À l’heure actuelle, la narcolepsie est considérée comme étant essentiellement une affection neurologique organique plutôt qu’une maladie psychogène [d’origine psychique]a.”
Reste qu’être taxé de “paresseux”, voire de “malade mental”, par des amis et des proches peut très bien causer des troubles psychologiques. Une étude portant sur 24 narcoleptiques a révélé que pas moins des deux tiers présentaient des troubles psychiatriques (dépression, alcoolisme, etc.). La maladie perturbait gravement la vie de ces personnes d’autres façons encore puisque 18 de ces 24 sujets masculins n’étaient pas en état d’exercer un emploi.
La cause des symptômes
Si votre cycle de sommeil est normal, 60 à 90 minutes après vous être endormi vous entamez la phase de rêve appelée sommeil à MOR (à mouvements oculaires rapides). Bien que vous n’en soyez pas conscient, il y a alors inhibition totale du tonus musculaire. Ce qui servirait de protection à l’individu en l’empêchant de traduire ses rêves par des actions.
La narcolepsie perturbe le cycle normal du sommeil à MOR. En effet, lorsqu’il s’endort le malade sombre pour ainsi dire immédiatement dans ce sommeil accompagné de rêves. Durant la journée, il ressentira brusquement le besoin impérieux de dormir et sombrera à nouveau presque instantanément dans le sommeil à MOR. C’est pourquoi certains médecins qualifient la narcolepsie de “dysfonctionnement du sommeil à MOR”.
La narcolepsie peut également générer un déphasage du corps et de l’esprit. Le malade se réveille parfois alors que son corps est toujours plongé dans le sommeil à MOR, et il s’aperçoit avec horreur qu’il est incapable de bouger le moindre muscle. Il arrive aussi que son corps sombre subitement dans le sommeil à MOR alors qu’il est, lui, parfaitement éveillé et vaque à ses occupations; sans aucune raison apparente, son tonus musculaire faiblit à tel point qu’il s’écroule (on appelle cataplexie cette paralysie musculaire). Deux tiers à trois quarts des narcoleptiques souffrent de ces symptômes terrifiants.
Presque toute stimulation d’ordre émotionnel peut déclencher la cataplexie, qu’il s’agisse du rire, de la colère ou de la peur. Dans leur livre Le sommeil (angl.), Gay Luce et Julius Segal écrivent: “[Les narcoleptiques] ne peuvent ni rire d’une plaisanterie, ni donner la fessée à leurs enfants quand ils sont en colère, ni s’affliger, ni extérioriser certains sentiments forts sans que, sous le coup de l’émotion, leurs forces ne les abandonnent littéralement et qu’ils ne s’écroulent comme une masse.”
Certaines caractéristiques du sommeil à MOR peuvent même se greffer au réveil sur les pensées du malade et superposer à la réalité un rêve impressionnant, voire un terrible cauchemar; quand il se réveille, le malade est paralysé — son corps est plongé dans le sommeil à MOR —, il entend des voix et perçoit visuellement des choses effrayantes. Ces rêves en état d’éveil (ou hallucinations hypnagogiques) peuvent également survenir durant la journée. La moitié environ des narcoleptiques en sont victimes.
Il est donc compréhensible que certains narcoleptiques tendent à fuir les autres de peur d’être traités de “paresseux”, de “malades mentaux” ou de “possédés”.
Que faire?
Trop souvent, plutôt que de rechercher une aide médicale, les narcoleptiques mettent leur état sur le compte du surmenage ou de la fatigue chronique. Et, même s’ils se tournent vers la médecine, le diagnostic n’est pas toujours aisé, surtout aux premiers stades de la maladie. “Les narcoleptiques souffrent en moyenne 15 ans avant d’obtenir un diagnostic correct”, lit-on dans Le médecin de famille américain. Néanmoins, si vous êtes affligé de somnolence chronique dans la journée, vous agirez sagement en consultant un médecin plutôt que d’essayer d’établir vous-même l’origine de votre mal. Un examen complet révélera peut-être un problème médical nécessitant des soins.
Que faire si le médecin diagnostique une narcolepsieb? Bien que cette affection soit incurable, les spécialistes affirment qu’un certain nombre de médications existent qui peuvent permettre au patient de mener une existence relativement normale. On prescrit souvent des stimulants du système nerveux central pour aider le malade à rester éveillé au cours de la journée. Les antidépresseurs sont également utilisés pour combattre la cataplexie.
De nouvelles approches sont également tentées. Certains spécialistes affirment que la codéine, qui entraîne chez la plupart des personnes un état de somnolence, a l’effet inverse sur les narcoleptiques. Par ailleurs, les recherches menées sur ce qu’on appelle communément le GHB (gamma-hydroxybutyrate) sont porteuses d’espoir. Ce médicament pourrait se révéler une arme efficace contre la somnolence diurne et certains symptômes associés. Bien sûr, la prise de médicaments peut engendrer une dépendance ou une accoutumance, outre qu’elle s’accompagne parfois d’effets secondaires. Par conséquent, il convient d’être prudent et de bien s’informer lorsqu’il s’agit de prendre des médicaments (Proverbes 14:15). Toutefois, un médecin pourra réduire ces risques en surveillant soigneusement la réaction du patient au traitement, qu’il modifiera en conséquence. Quoi qu’il en soit, un chrétien ne doit pas penser qu’il viole les principes bibliques s’il prend des médicaments sous avis médical, non pour le plaisir, mais pour combattre un état potentiellement dangereux.
Vous pouvez également prendre certaines dispositions pratiques. Faites-vous à l’idée que vous avez une maladie grave, et acceptez les limites que votre état vous impose (Proverbes 11:2). Conduire, travailler sur une machine, ou même nager, peut être tout bonnement trop dangereux. Parfois, il vous faudra envisager de changer d’emploi ou de partir en retraite.
Si vous n’êtes atteint que d’une forme relativement bénigne de narcolepsie, vous trouverez peut-être utile de faire plusieurs siestes dans la journée. Vous limiterez ainsi les risques de vous endormir à des moments peu appropriés. Et si la cataplexie vous terrasse quand vous extériorisez de fortes émotions, vous devrez apprendre à maîtriser vos sentiments. Bien entendu, tout chrétien se doit de maîtriser son esprit (Proverbes 16:32). Mais ne manifester aucune de ses émotions réclame un effort extraordinaire. Ne perdez jamais de vue que votre santé et votre vie sont en jeu. De plus, ceux que vous aimez vous seront d’un grand secours si on les a aidés à comprendre votre état et les limites qu’il vous dicte.
Ebba, dont nous avons parlé en introduction, a finalement obtenu un diagnostic sûr avant de suivre un traitement qui lui réussit. Bien qu’elle ait souffert pendant de nombreuses années, elle est réconfortée de savoir qu’elle n’était ni folle ni victime d’attaques démoniaques. Elle sait aussi que, sous la domination du Royaume de Dieu, “aucun résident ne dira: ‘Je suis malade.’” (Ésaïe 33:24). Cette maladie du sommeil qu’est la narcolepsie aura disparu à jamais.
[Notes]
a Les chercheurs pensent même avoir découvert un “marqueur biologique” de la maladie: un antigène dénommé HLA-DR2, que l’on retrouve chez “près de 100 % des narcoleptiques”, alors qu’il ne se rencontre que dans seulement 25 % de la population en général. Cette découverte peu ordinaire tendrait également à prouver que le système immunitaire est impliqué d’une façon ou d’une autre dans l’apparition de la narcolepsie. — Le médecin de famille américain (angl.), juillet 1988.
b Certains médecins sont catégoriques: l’unique moyen de parvenir à un bon diagnostic est d’observer pendant une nuit entière le sommeil du patient dans un hôpital spécialisé dans les troubles du sommeil.
[Illustration, page 20]
Un narcoleptique peut s’endormir au beau milieu d’une conversation.