Y a-t-il prédestination génétique ?
“ APRÈS avoir cru son destin écrit dans les étoiles, l’homme sait maintenant qu’il est dans une large mesure inscrit dans ses gènes. ” Cette affirmation de James Watson figure en introduction du livre Le mythe génétique démasqué (de Ruth Hubbard et Elijah Wald). Mais juste au-dessous de cette première citation on peut en lire une autre, signée de MM. Lewontin, Rose et Kamin : “ Il nous paraît impossible qu’un comportement humain donné puisse être inscrit dans les gènes au point d’échapper à toute influence sociale. ”
Une question sur la jaquette pose d’emblée le problème : “ Notre comportement est-il inscrit dans nos gènes ? ” Pour dire les choses autrement, le comportement humain est-il exclusivement affaire d’hérédité biologique, de patrimoine génétique ? Certains comportements moralement contestables deviennent-ils acceptables dès lors qu’ils relèvent de la génétique ? Les criminels sont-ils victimes d’une prédisposition génétique et doit-on à ce titre leur trouver des circonstances atténuantes ?
Nul ne conteste que la science du XXe siècle a fait de nombreuses découvertes bénéfiques. Citons celle, fascinante entre toutes, de l’ADN, notre plan de construction génétique. Les renseignements renfermés dans le code génétique excitent la curiosité du scientifique comme celle du profane. Qu’a exactement révélé la recherche dans ce domaine ? Comment certaines découvertes sont-elles exploitées pour appuyer la théorie récente selon laquelle nous serions génétiquement préprogrammés ou “ prédestinés ” ?
Infidélité et homosexualité
Comme on peut le lire dans le journal l’Australian, certains chercheurs affirment que “ l’infidélité est probablement inscrite dans nos gènes, (...) que nos cœurs volages sont prédisposés à agir ainsi ”. On imagine sans peine les conséquences désastreuses d’une telle théorie sur les ménages et les familles. Elle ouvre en effet une brèche dans laquelle ne manquera pas de s’engouffrer quiconque cherche à justifier le vagabondage sexuel !
Pour ce qui est de l’homosexualité, un article de Newsweek avait pour titre “ Innée ou acquise ? ” On y lisait notamment : “ La science et la psychiatrie s’emparent d’études récentes selon lesquelles l’homosexualité serait non pas affaire d’éducation, mais de génétique. (...) Cette affirmation qui ferait naître l’homosexualité dans les chromosomes a été largement saluée dans la communauté gay. ”
Puis venait une déclaration du professeur Pillard : “ Affirmer que le comportement sexuel relève de la génétique revient à nier la notion de faute, à dire aux gens qu’ils n’y sont pour rien. ” Dans la même veine, Frederick Whitam, spécialiste du phénomène homosexuel, a souligné “ le soupir de soulagement avec lequel est en général accueillie cette notion d’homosexualité biologique. Les homosexuels et leurs familles s’en trouvent déculpabilisés. C’est affirmer également que la société n’a pas à s’inquiéter par exemple de l’existence d’enseignants homosexuels ”.
Les prétendues preuves de l’origine génétique des tendances homosexuelles sont parfois présentées dans les médias, non comme une éventualité encore à démontrer, mais comme un fait définitivement établi.
Une revue (New Statesman & Society) a tenu un raisonnement propre à refroidir un tel enthousiasme : “ Tout ce tapage autour des fameuses preuves scientifiques qui affirment le vagabondage sexuel ‘ inscrit dans les gènes masculins, imprimé dans les circuits du cerveau ’, risque d’étourdir le lecteur au point de lui faire oublier que tout ceci repose au fond sur bien peu de chose, pour ne pas dire sur rien. ” Dans Le décodeur génétique (de D. Suzuki et J. Levine [angl.]), les auteurs émettent des réserves au sujet de la recherche génétique actuelle : “ S’il est possible que les gènes influencent le comportement dans ses grandes lignes, c’est aller un peu vite en besogne que d’affirmer qu’un gène précis (ou deux gènes, ou même vingt) régit de façon précise les réactions d’un être vivant à son environnement. À ce stade, une question pertinente s’impose : quelqu’un a-t-il oui ou non trouvé — trouvé au sens strictement moléculaire du terme, c’est-à-dire localisé et manipulé — un brin d’ADN capable de déterminer de manière prévisible un comportement donné ? ”
Alcoolisme et criminalité
Depuis des années, les chercheurs se penchent sur la génétique de l’alcoolisme. À en croire certains, des études auraient établi que la présence ou au contraire l’absence de certains gènes favoriserait l’alcoolisme. En 1988, par exemple, le New England Journal of Medicine rapportait qu’au cours de la décennie précédente “ trois études menées indépendamment avaient apporté des preuves concluantes du caractère héréditaire de l’alcoolisme ”.
Cependant, certains alcoologues mettent à présent en doute la prédominance des facteurs biologiques dans l’éthylisme. Ainsi, un entrefilet du Boston Globe en date du 9 avril 1996 disait : “ Le gène de l’alcoolisme est encore loin d’être isolé, et certains chercheurs reconnaissent qu’ils ne trouveront tout au plus qu’une vulnérabilité génétique permettant à certains de tenir l’alcool, trait qui les prédisposerait à l’alcoolisme. ”
Le New York Times a publié un article sur le colloque “ Recherche génétique et comportement criminel ” tenu à l’université du Maryland. Qu’un gène soit responsable de la criminalité est une idée à la fois simple et séduisante. De nombreux commentateurs s’empressent de prendre le train en marche. Dans les colonnes du New York Times Magazine, un scientifique écrivait que le mal pourrait “ se lover dans les chromosomes que nos parents nous ont légués à notre conception ”. Un article du New York Times relevait que le débat ininterrompu autour du gène de la criminalité tend à imposer l’idée que les crimes auraient pour “ seule et même origine un dysfonctionnement cérébral ”.
Jerome Kagan, psychologue à Harvard, nous prédit l’époque où des tests génétiques viseront à identifier les enfants potentiellement violents. Certains voient poindre l’espoir d’une criminalité endiguée non par la rééducation de l’individu, mais par les manipulations génétiques.
Les spéculations sur la génétique du comportement baignent souvent dans un flou artistique. Dans Le mythe génétique démasqué, déjà cité, figure le compte rendu d’une étude réalisée par Lincoln Eaves sur un certain nombre de femmes sujettes à la dépression, et dans lequel ce spécialiste en épidémiologie génétique affirme avoir isolé la cause génétique de la dépression. Selon lui, “ le profil dépressif de [ces femmes] les prédisposait plus que d’autres à avoir des incidents de parcours ”. Des “ incidents de parcours ” ? Les femmes en question avaient été “ ou violées, ou agressées, ou licenciées ”. Comment prétendre que la dépression était à l’origine de ces événements traumatisants ? “ Jolie façon de penser ! poursuit le livre. Les femmes avaient été ou violées, ou agressées, ou licenciées, et elles étaient dépressives. Plus le traumatisme avait été grand, plus la dépression était chronique. (...) Ce n’est que si [Eaves] avait pu affirmer que rien dans le vécu des patientes n’expliquait la dépression que l’on aurait pu admettre qu’il recherche une justification génétique à leur état. ”
Le même livre juge ces témoignages “ représentatifs de la majorité des comptes rendus des médias et des revues scientifiques traitant de l’incidence des gènes [sur le comportement]. Ils présentent un cocktail de faits intéressants, d’hypothèses non vérifiées et de commentaires montant en épingle l’importance des gènes dans notre vie. Un point ressort particulièrement de ces enquêtes : leur imprécision ”. Et de poursuivre : “ Une chose est d’allier la génétique à un schéma d’hérédité mendélienne, autre chose d’interpréter les hypothèses en vogue pour expliquer des maladies aussi complexes que le cancer ou l’hypertension. Pour un scientifique, c’est prendre un drôle de raccourci que de présenter la recherche génétique comme la clé du comportement humain. ”
Tout ce qui précède nous amène à reposer les questions : Pourquoi adoptons-nous parfois certains types de comportements ? Comment acquérir et garder la pleine maîtrise de sa vie ? L’article suivant tentera d’y apporter des réponses.
[Encadré/Illustration, page 6]
La thérapie génique : des résultats conformes aux attentes ?
Que penser de la thérapie génique qui consiste à greffer certains gènes pour corriger une maladie héréditaire ? Il y a quelques années, les scientifiques se montraient très optimistes. “ Le temps de la thérapie génique est-il venu ? ” lançait l’Economist dans son numéro du 16 décembre 1995. On y lisait ceci : “ À entendre les praticiens et à en juger par le battage médiatique, on serait porté à le croire. Mais l’idée est loin de recueillir l’adhésion d’une commission scientifique américaine. Harold Varmus, directeur du National Institutes of Health, a en effet chargé quatorze éminents spécialistes de reconsidérer la question. Leur rapport, publié la semaine dernière au terme de sept mois de travaux, affirme que si la thérapie génique reste une science prometteuse on en a par contre exagéré les résultats. ” Des tests ont été pratiqués sur 597 patients présentant une carence en adénosine-désaminase ou atteints d’une dizaine d’autres dysfonctionnements pour lesquels la thérapie génique semblait indiquée. “ Selon la commission scientifique, dit l’Economist, aucun patient n’a tiré un avantage déterminant de l’expérience. ”
[Illustrations, page 7]
Quoi qu’en disent les tenants de la prédisposition génétique, les actes de chacun sont affaire de choix.