Quand la nourriture est votre ennemie
Françoise a un vif souvenir des taquineries et des railleries qu’elle a subies à l’adolescence. On se moquait d’elle parce qu’elle était la plus grande et la plus forte de sa classe. Mais ce n’était pas tout. “ Le pire, c’est que j’étais timide et mal à l’aise en public, dit-elle. Je me sentais souvent seule, j’aurais voulu être acceptée par les autres, mais la plupart du temps j’avais l’impression d’être rejetée. ”
Françoise était convaincue que tous ses problèmes venaient de son physique et que la sveltesse arrangerait tout. Avec 66 kilos pour 1,83 mètre, elle n’était pourtant pas obèse, au contraire. Il n’empêche qu’elle se trouvait grosse. À 23 ans, elle a donc décidé de maigrir. ‘ Quand je serai mince, se disait-elle, on appréciera ma compagnie. Je me sentirai enfin acceptée et intéressante. ’
“ À cause de ces raisonnements stupides, je suis devenue anorexique et boulimique, soupire Françoise. Ça a duré 12 ans. Pour être mince, j’étais mince ! Au point que j’ai failli en mourir. Loin de trouver le bonheur, je me suis ruiné la santé et infligé dix années de dépression et de souffrances affectives. ”
FRANÇOISE n’est pas un cas unique. Selon une estimation, 1 % des Américaines deviennent anorexiques dans leur adolescence ou leur postadolescence. Les boulimiques, elles, seraient trois fois plus nombreuses. “ Moi qui travaille depuis des années dans les écoles et les universités, dit Mary Pipher, médecin, je suis bien placée pour savoir que les troubles du comportement alimentaire n’ont pas diminué en fréquence. ”
Fréquents, ces troubles sont également divers. Autrefois tenus pour un problème de riches, ils sont aujourd’hui considérés comme un fléau touchant chaque catégorie raciale, sociale ou économique. Les hommes eux-mêmes sont de plus en plus atteints, ce qui amène Newsweek à qualifier ces désordres de “ pillards qui ne font pas de discrimination ”.
Plus inquiétante encore est la diminution de l’âge moyen des malades. “ Des fillettes de moins de dix ans, parfois même de six ans, sont hospitalisées ”, fait observer Margaret Beck, directrice suppléante d’un centre spécialisé de Toronto. “ Elles sont encore rares, mais leur nombre augmente. ”
Des millions de personnes souffrent d’un trouble du comportement alimentaire, principalement des adolescentes et des jeunes femmesa. “ Elles ne voient pas et n’utilisent pas la nourriture comme la majorité des gens, explique Nancy Kolodny, une travailleuse sociale. Au lieu de manger par faim, pour se nourrir et rester en bonne santé, par plaisir ou pour partager un bon moment avec d’autres, elles établissent des relations étranges avec la nourriture et font des choses ‘ anormales ’. Par exemple, elles se livrent à des rituels étranges avant de s’autoriser à manger, ou éprouvent le besoin de purger leur corps des aliments qu’elles viennent d’absorber. ”
Arrêtons-nous sur deux troubles courants du comportement alimentaire : l’anorexie mentale et la boulimie nerveuse.
[Note]
a Puisque ces troubles touchent davantage les femmes que les hommes, nous parlerons généralement des malades au féminin.