Une naissance vécue à deux
De notre correspondant en Allemagne
AU DÉPART, mon attention avait été attirée par un article de la revue Stern où il était question d’un hôpital dans lequel pour la première fois en Allemagne, les mères étaient autorisées à garder leur bébé auprès d’elles immédiatement après la naissance. Si certains médecins ne tarissaient pas d’éloges là-dessus, d’autres en contestaient l’intérêt tout aussi énergiquement.
L’article disait aussi: “Les pères sont invités à assister à l’accouchement. L’un des gynécologues de l’hôpital, le docteur Hassauer, affirme que ‘plus de la moitié des hommes sont d’accord et que leur présence s’avère en général utile. Ils encouragent leur femme durant la délivrance, lui tiennent les mains et la réconfortent. Jusqu’à présent, aucun n’a tourné de l’œil’.”
Sur ce, je partis voir un couple de mes amis qui venait d’avoir une fille, Jenny. L’heureux papa avait justement assisté à l’accouchement de sa femme.
“Qui de vous deux a eu cette idée?”, demandai-je.
“Au départ, me répondit mon ami, l’idée est venue de ma femme, et nous nous sommes tout de suite préparés pour que je puisse assister à l’accouchement. Nous avons également lu quantité de livres qui traitaient de l’accouchement naturel.”
“Je tenais beaucoup à accoucher selon la méthode naturelle, ajoute sa femme, et il était bien normal que j’aie mon mari auprès de moi en un pareil moment.”
“Mais, demandai-je, n’est-ce pas un peu exceptionnel ici, en Allemagne?”
“À en juger d’après ce que nous avons pu lire, répondit-elle, cette tendance se développe de plus en plus dans certains pays; mais, effectivement, elle n’a pas rencontré beaucoup de succès en Allemagne. Il faut dire que certains hôpitaux ne font rien pour cela. Nous nous sommes d’ailleurs renseignés à l’avance avant de choisir le nôtre.”
“Pendant que tu étais à l’hôpital, combien de fois as-tu entendu dire que le père était présent à la naissance de son enfant?”
“Pendant mon séjour, il a dû naître au moins une centaine de bébés. À ma connaissance, mon mari est le seul père à avoir assisté à la naissance de son enfant. Une infirmière m’a d’ailleurs confirmé par la suite que le fait était plutôt exceptionnel.”
“À mon avis, dit le mari, cela provient de ce que ni le mari ni la femme ne savent exactement ce qui va se passer et qu’ils ont peur. Mais quand on s’est bien préparé, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.”
“Qu’est-ce que tu entends par ‘se préparer’?”
La préparation
C’est sa femme qui répond: “Les livres que nous avons lus comportaient plusieurs chapitres conçus spécialement pour les maris. Ils leur expliquaient comment aider leur femme et soulignaient l’intérêt des techniques de respiration contrôlée pour éviter les contractures douloureuses et faciliter la délivrance.”
Le mari poursuit: “Ce qui nous a également aidés, c’est d’avoir pu visiter ensemble la salle de travail quelque temps auparavant. Une telle visite est autorisée lorsqu’elle intéresse le mari, ce qui était évidemment mon cas. L’infirmière m’a expliqué tout ce qui allait se passer et répondu à toutes mes questions.”
“Pendant la préparation à l’accouchement, reprend sa femme, je faisais mes exercices de relaxation et de respiration en présence de mon mari, afin qu’il sache à l’avance tout ce que j’aurais à faire au début des contractions. Par exemple, il savait déjà qu’il serait à ma droite pendant la naissance et qu’on lui donnerait une éponge humide pour humecter mes lèvres après les contractions. Je dois dire que, le moment venu, cela m’a procuré un soulagement considérable. Je me sentais détendue. Les lèvres humectées, je trouvais la force de supporter la contraction suivante et de respirer correctement. Par contre, si j’avais eu soif ou si mes lèvres ou ma langue avaient été sèches, j’aurais eu beaucoup plus de mal à me concentrer sur ce que j’avais appris à faire.”
Le mari ajoute cette précision: “On nous a également dit que lorsque les contractions commenceraient, je ne devrais plus parler à ma femme. Il ne fallait pas non plus que ce soit elle qui me tienne la main, car, en s’y cramponnant, elle se serait contractée, alors qu’elle devait se détendre. C’était donc moi qui devais au contraire lui tenir la main fermement, afin de l’empêcher de s’agripper à la sage-femme, à la couverture, à l’oreiller ou à tout ce qui était à sa portée, ce qui lui a permis de rester détendue et de coopérer avec son organisme au lieu de lutter contre lui.”
Je glisse cette question: “Est-ce que les médecins et les infirmières n’ont pas essayé de te faire comprendre que tu les dérangeais?”
“Absolument pas. Je crois au contraire qu’ils étaient impressionnés et qu’ils appréciaient que je m’intéresse à ce qui se passait. J’avais le sentiment d’être considéré comme un membre de l’équipe. D’ailleurs, c’est un vrai travail d’équipe: moi, j’étais à droite de ma femme, lui tenant la main, il y avait une infirmière près de chacune de ses jambes, et le médecin se trouvait au milieu. ‘Poussez maintenant allez-y!’, ordonnait-il quand les douleurs devenaient intenses. L’une des aides maintenait alors les jambes de ma femme tandis que l’autre se penchait pour aider la tête de l’enfant à sortir. Quant à moi, ma tâche consistait à passer derrière ma femme pour l’aider à s’asseoir, position qui rend l’expulsion plus facile. Une fois la contraction passée, tout s’arrêtait, et nous échangions quelques mots jusqu’à la suivante.”
“Après la naissance, me raconte sa femme, j’ai eu l’occasion de parler avec une infirmière formosane venue travailler en Allemagne. Elle m’a dit qu’autrefois, la naissance d’un enfant dans son pays ne prenait pas du tout le mari au dépourvu. Il était chez lui, à l’aise, en parfait homme d’intérieur si je puis dire. La sage-femme lui confiait diverses tâches, telles que faire bouillir de l’eau, préparer des serviettes propres, etc. Ainsi, il se sentait utile. Mais c’était il y a dix ans. À présent, beaucoup de Formosanes accouchent en clinique, et les pères sont considérés comme indésirables. On le leur fait bien sentir. Il n’empêche que les mères reconnaissent qu’elles se sentaient plus détendues quand leur mari était là.”
“Je suppose, dis-je, que la majorité des femmes aimeraient avoir ainsi leur mari auprès d’elles.”
“Moi aussi je le croyais, reprend la jeune mère, mais je me suis aperçue que toutes les femmes ne sont pas de cet avis. Dans ma clinique, par exemple, la plupart des futures mamans n’étaient pas préparées à l’accouchement. Ne sachant ni ce qui allait se passer ni quelles seraient leurs réactions, elles étaient nerveuses. Beaucoup avaient été mal informées des difficultés qui peuvent surgir au cours d’un accouchement, et elles ne voulaient pas que leur mari les voie souffrir, pleurer ou même crier. En outre, un mari qui n’est pas préparé ne sait pas comment aider sa femme, surtout si le travail se prolonge plusieurs heures. Voilà pourquoi beaucoup de pères préfèrent s’abstenir. Ils ont l’impression que leur présence serait déplacée, inutile, sinon carrément gênante.”
“Et toi, penses-tu qu’avec une bonne préparation, ils pourraient changer d’opinion?”
“J’en suis convaincue. D’ailleurs, certaines mères semblaient regretter de ne pas s’être mieux préparées et de ne pas avoir eu leur mari auprès d’elles. Quand il venait leur rendre visite, elles essayaient bien de lui expliquer ce qui s’était passé, mais une naissance ne se raconte pas. C’est une expérience qui est trop chargée de sentiment et d’émotion, il faut la vivre ensemble. Mets-toi à la place de la femme: elle attend son enfant pendant neuf mois, se demande si ce sera une fille ou un garçon, s’il sera en bonne santé, puis elle fournit un effort intense, de tout son être, pendant les dernières contractions, et, tout à coup ce n’est pas la voix du médecin ou de l’infirmière qu’elle entend, mais celle de son mari bien-aimé qui lui dit: ‘Chérie, nous avons une petite fille!’ Eh bien, il y a de quoi avoir les larmes aux yeux.”
“Je te crois sans peine. Et le père, que ressent-il?”
Et celui-ci de répondre: “C’est merveilleux! J’ai vu naître notre fille; ensuite, les infirmières l’ont nettoyée et séchée, puis elles l’ont déposée dans les bras de sa mère. À ma sortie de l’hôpital, quand j’ai pris la voiture pour rentrer chez moi, j’étais ému au-delà de toute expression. Il venait de se produire un événement extraordinaire et dont j’avais été témoin. J’avais envie d’arrêter tous les passants pour leur dire que ma femme venait d’avoir un bébé. Non seulement cela, mais j’y avais moi-même participé. Cette naissance, je l’avais vécue; nous avions eu notre bébé À DEUX!”
Des effets durables
Dans l’article de Stern, une chose m’avait particulièrement frappé. Il était dit qu’après sept années d’enquête sur les conséquences de cette méthode d’accouchement, on avait constaté que les pères et les mères qui s’étaient tous deux préparés à la naissance de leurs enfants éprouvaient ensuite des sentiments plus profonds envers eux que les autres couples. J’ai donc demandé à mes amis ce qu’ils en pensaient.
“Pour moi, expliqua le mari, le fait que l’homme soit auprès de sa femme pour l’assister au moment critique de l’accouchement renforce les liens du couple. Il ne fait aucun doute que l’harmonie conjugale favorise à son tour les relations entre les parents et les enfants. Je ne vois que des avantages à cette méthode.”
“Et toi, en tant que maman, qu’en dis-tu?”
“C’est aussi mon avis. Je vais te citer un exemple: J’étais tellement absorbée par ce que je faisais que je n’ai pas pu observer certaines choses que mon mari, lui, a vues. Lorsque nous avons échangé nos impressions, cela nous a permis de partager encore mieux ce qui s’était passé.”
“Cependant, note le mari, il va de soi qu’un homme peut très bien se comporter en bon père de famille et en bon chrétien sans assister à la naissance de ses enfants.”
Cette conversation avec un couple ami m’avait donné à réfléchir. De toute évidence, on les sentait affectueux. J’en vins à me demander si la préparation des deux parents à la naissance de leur enfant et leur présence conjointe au moment de cet heureux événement ne contribuaient pas notablement au bonheur de leur foyer. C’est là un aspect de la question que les futurs parents voudront peut-être envisager.
Je me rappelle encore les dernières paroles prononcées par mon ami lorsque je l’ai quitté en jetant un dernier regard à Jenny qui gazouillait dans son berceau: “C’est merveilleux de vivre ensemble la naissance d’un enfant. Jamais je n’oublierai ce jour où nous étions DEUX pour voir arriver le nôtre.”