Le hasard ou la création?
L’athéisme se justifie-t-il?
UN SAGE penseur de l’Antiquité souligna combien il est périlleux de prendre ses désirs pour des réalités. Il mit en effet en garde ses lecteurs contre ceux qui ne comprennent “ni ce qu’ils disent ni ce sur quoi ils sont absolument affirmatifs”. (I Tim. 1:7.) Vingt siècles plus tard, cette réflexion n’a rien perdu de sa valeur, dans la mesure où le public se voit proposer dans les domaines les plus divers des “faits” qui, loin de refléter la réalité, ne sont que des “théories”.
La prudence est particulièrement de rigueur quand d’aucuns se montrent “absolument affirmatifs” sur des questions qui touchent à l’origine de l’univers et de l’homme, quand bien même de telles affirmations recevraient la caution d’une autorité religieuse, scientifique ou autre. C’est ainsi que les croyants se voient taxés de crédulité sous prétexte que “tout ce que l’on ne sait pas expliquer, ils l’appellent Dieu”, ce qui représenterait, pour l’athée, une solution de facilité.
Il est vrai que la “foi du charbonnier” fait plus appel à la crédulité qu’à la foi telle qu’elle est définie dans la Bible. Il est également vrai que les idées créationnistes ont prospéré pendant des siècles plus à cause de l’obscurantisme religieux qu’à la suite d’un raisonnement logique et reposant sur des faits. Ceci explique pourquoi, dès qu’une certaine liberté de réflexion a été rendue possible, tant d’intellectuels ont réagi en jugeant “simplistes” les ‘explications’ qui leur étaient proposées de l’origine de la vie.
Il n’empêche que de grands penseurs ne se sont sentis nullement déshonorés d’admettre que l’existence de l’univers s’expliquait par l’intervention d’un Dieu Créateur, en accord avec ces premières lignes de la Bible: “Au commencement Dieu créa les cieux et la terre.” N’est-ce pas Voltaire, par exemple, sceptique s’il en fut, qui affirma pourtant ainsi la réalité de sa foi:
“L’univers m’embarrasse et je ne puis songer
Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger ”
Le lecteur rétorquera peut-être que nous ne sommes plus au dix-huitième siècle et qu’en matière de citations, on peut toujours trouver quelqu’un qui a dit le contraire. En fait, bien des quiproquos à propos de la création proviennent de ce que l’on ne s’entend pas sur le sujet dont on parle. Certains confondent, par exemple, le problème de l’origine de l’univers et de l’existence de Dieu avec celui du mal et en déduisent par une réflexion hâtive que la présence du mal implique que Dieu n’existe pasa.
Attention au sens des mots!
Derrière le masque des mots savants se cache souvent une pétition de principe selon laquelle on considère comme démontrée la non-existence de Dieu à partir d’arguments qui présupposent justement cette non-existence. L’obscurité ou le défaut de précision des terminologies employées permettent de masquer quelque temps cette faute de raisonnement, mais pas indéfiniment, particulièrement si nous faisons nôtre cette mise en garde de Roger Caillois: “Celui qui emploie un mot pense rarement à en préciser le sens. À mesure qu’il parle ou qu’il écrit, il lui donne une signification, puis une autre et ne réfléchit pas qu’elles sont incompatibles. Plus le mot est vague, plus il lui est facile de l’accommoder à son discours.”
Aussi courant, mais moins noble, est cet écueil évoqué par André Lalande, professeur en Sorbonne: “[Certains] se dissimulent la vétusté ou l’insignifiance de ce qu’ils aperçoivent, sous une obscurité verbale qui leur donne l’illusion de la profondeur; et leurs lecteurs la partagent, s’ils ne sont pas prémunis contre cet effet d’optique.”
Qui a raison?
Les anciens écrits de la Chine, de Babylone, de l’Inde et de l’Égypte témoignaient déjà de la croyance au hasard et à la génération spontanée. Selon cette théorie, qui connut une grande faveur depuis l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge en ce qui concerne certains animaux, et jusqu’à Pasteur pour les microbes, la matière minérale ou les substances organiques en décomposition pouvaient déclencher la formation spontanée d’êtres vivants.
Au VIe siècle avant notre ère, Anaximandre de Milet décrivait déjà le processus que l’on a l’habitude de lire dans les ouvrages sur l’origine de la vie, sauf qu’il est aujourd’hui paré d’une terminologie plus moderne:
“Les premiers vivants se sont formés dans l’humidité primitive en conséquence de l’évaporation, donc dans un mélange de terre, d’air et d’eau. Au début, tous étaient semblables à des poissons et enveloppés d’une membrane écailleuse. En avançant en âge, ils s’élevaient jusqu’à la région déjà asséchée, où, débarrassés de leurs écailles, ils continuaient à vivre, mais pendant peu de temps. L’homme provient donc d’animaux spécifiquement différents.”
Deux siècles plus tard, Aristote écrivait:
“La nature progresse peu à peu des choses inanimées à la vie animale, de telle manière qu’il est impossible de déterminer exactement la ligne de démarcation. (...) Ainsi, après les choses sans vie, au degré supérieur vient le genre végétal (...). Il y a chez les plantes une continuelle série de degrés montant vers le genre animal. (...) Ainsi, à travers la série animale, il y a une graduelle différentiation.
Au XVIIe siècle, Van Helmont, célèbre médecin belge, proposait encore une recette pour fabriquer des souris en 21 jours.
Mais il fallut attendre le XIXe siècle pour voir se poser en termes scientifiques modernes le problème de l’origine de l’univers et de la vie. On assista à la multiplication d’ouvrages athées qui présentaient une même faute logique, celle de prétendre expliquer la cause de l’origine de la vie simplement parce qu’ils décrivaient des étapes d’organisation de la matière et détaillaient les conditions physicochimiques sans lesquelles la vie n’aurait pu apparaître.
En 1859, un pas en avant sembla être franchi avec la parution d’un savant ouvrage de 700 pages, dans lequel Félix Pouchet décrivait une masse d’analyses et de vérifications censées prouver la génération spontanée. Ce bel échafaudage s’effondra pourtant trois ans plus tard, lorsque Pasteur démontra que les germes pullulent dans l’air, sur les mains des manipulateurs et dans les ustensiles de laboratoire utilisés pour les expériences mentionnées dans ce genre d’ouvrages.
Les partisans de la “génération spontanée” n’allaient pas désarmer pour autant. On vit naître en effet la théorie de la panspermie, hypothèse selon laquelle la vie sur terre “s’expliquerait” par l’arrivée de germes apportés de l’espace par des météorites. Cette théorie n’explique évidemment pas d’où les germes qu’elle fait intervenir tiendraient eux-mêmes leur vie ni comment ils auraient pu survivre dans l’espace à l’action conjuguée des rayons ultraviolets, du rayonnement cosmique et des écarts de température.
Serait-ce le hasard, par hasard?
C’est alors qu’on attribua au hasard toutes les possibilités créatrices observées dans la nature. Pour reprendre la formule de G. Wald, “avec le temps, l’impossible devient possible, le possible probable, et le probable virtuellement certain”. Tout en admirant la formulation de cette ‘énergique affirmation’, il est permis de s’interroger sur sa valeur. Est-elle vraiment frappée au coin du bon sens? C’est en effet par un tel raisonnement que l’on prétend rendre compte de l’existence de la première molécule, en laissant “beaucoup de temps” aux forces aveugles de la nature pour la synthétiser.
Ce hasard paré de toutes les vertus reçut une formidable caution scientifique lorsque Jacques Monod, prix Nobel, affirma dans son livre Le hasard et la nécessité: “Il s’ensuit nécessairement que le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, est à la racine même du prodigieux édifice de l’évolution: cette notion centrale de la biologie moderne n’est plus aujourd’hui une hypothèse, parmi d’autres possibles ou du moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience.” À une ‘affirmation aussi absolue’, on peut opposer, pour citer le professeur Grassé, que “les partisans des hasards heureux et constamment renouvelés font surgir une autre finalité, celle d’une chance perpétuelle, qui tourne leur théorie en dérision”. Est-ce vraiment du hasard, au sens français du terme, que l’on parle quand on explique que le monde est le produit d’une série de “hasards”? Ne fait-on pas plutôt intervenir un hasard personnalisé, capable de filtrer et de sélectionner les événements, un hasard tel, que certains l’écrivent avec un grand H? Le mot français “hasard” vient en effet de l’arabe az-zahr, langue dans laquelle il désigne un dé. Les Espagnols donnèrent au mot azar le sens de coup favorable aux jeux de dés, sens qui fut repris en français et qui explique la signification moderne du mot: 1) “Événement heureux ou fâcheux, dû à un ensemble de circonstances imprévues.” Et 2) “Cours attribué aux événements considérés comme inexplicables logiquement et soumis seulement à la loi des probabilités.” (Larousse).
Est-ce là le sens que l’on donne au “Hasard” quand on l’invoque pour expliquer l’existence de l’univers et l’origine de la vie? Ou bien ne confère-t-on pas à ce “hasard” les qualités que les croyants attribuent d’ordinaire à Dieu? Cet artifice de langage n’a pas échappé à Émile Guyénot, membre de l’Institut, qui écrivit:
“Serait-ce par hasard que le cerveau, ayant produit une vésicule optique, la peau s’est transformée à son contact en engendrant un cristallin? Par hasard que des files de cellules musculaires se sont groupées, ont construit des muscles insérés aux points favorables et qui se trouvent être les muscles moteurs du globe oculaire? Par hasard que d’innombrables fibres nerveuses, cheminant à travers les tissus embryonnaires, sont venues innerver ces muscles et les organes de l’œil, que les cellules dont elles émanent ont contracté les multiples et complexes articulations rendant possibles des réflexes qui se trouvent être indispensables (...)? Par hasard qu’il s’est formé une cornée, une sclérotique, une orbite, des paupières, des cils, un canal naso-lacrymal? Un hasard prodigieux à la vérité et vraiment providentiel!”
Plusieurs articles ont déjà paru dans les colonnes de Réveillez-vous! pour évoquer l’impossibilité mathématique de faire intervenir le hasard dans l’explication de l’origine de la vieb. Sans même parler des millions d’années que l’on invoque pour expliquer l’apparition de l’homme, on a pu établir arithmétiquement que “si le monde avait seulement 25 000 ans, la progression naturelle et fatale des générations aurait produit assez d’êtres humains vivant actuellement pour en peupler toutes les planètes, tous les soleils, toutes les étoiles, toutes les comètes qui du haut du firmament se rient de nos billevesées enfantines”. — Paul Vibert.
On a également calculé que le hasard seul ne suffisait pas à rendre probable l’apparition d’une molécule de dissymétrie donnée, dissymétrie qui précisément caractérise la matière vivante, du fait que l’intervention du simple hasard exigerait un volume de matière supérieur à l’univers actuel. Dans L’origine de la vie, Oparin illustre pourquoi il faut renoncer à expliquer par le hasard l’apparition d’un seul être vivant. Il écrit: “Cela reviendrait à remuer pêle-mêle les caractères d’imprimerie, représentant 28 lettres, en espérant que par hasard ils vont s’assembler pour former telle ou telle poésie que nous connaissons. Ce n’est que par une science et un rangement des lettres et des mots dans le poème que nous pourrons faire naître celui-ci de celles-là.”
La crédulité est-elle le fait du croyant?
Devant les contradictions que fait naître l’explication par le “hasard”, une telle question est légitime. Loin de choisir une solution de facilité, celui qui reconnaît l’existence d’un Créateur à l’origine de l’univers admet que “ce qui est venu à l’existence est loin et infiniment profond. Qui peut le découvrir?” (Eccl. 7:24, 25.) Loin de se fermer à la connaissance intellectuelle, le croyant refuse simplement d’appeler “hasard” tout ce qu’il ne comprend pas. Aussi prodigieux qu’ils soient, les progrès de la science n’ont permis d’éclairer qu’une partie des œuvres divines. “Voici, ce sont là les bords de ses voies [celles de Dieu], et quel murmure de la chose a-t-on entendu à son sujet!” (Job 26:14). Une chose est sûre, ce n’est pas en dissimulant son ignorance derrière une terminologie obscure, dont le dernier avatar est le “Hasard”, que l’on modifiera pour autant la signification des faits observables et vérifiables par chacun. Si l’on veut bien appeler les choses par leur nom et s’incliner devant les faits, alors une seule explication s’impose pour rendre compte de l’origine de l’univers, de la vie et de l’homme: LA CRÉATION.
[Notes]
a Le problème du mal est traité dans la brochure Y a-t-il un Dieu qui se soucie de nous? ainsi que dans le livre L’homme est-il le produit de l’évolution ou de la création, aux chapitres 12 et 13.
b Voir par exemple Réveillez-vous! du 8 août 1971, p. 6, et du 22 juillet 1975, p. 22.