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Les ennuis du dollar à l’étrangerRéveillez-vous ! 1971 | 22 décembre
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Les ennuis du dollar à l’étranger
“DE PLUS en plus, on se rend compte, semble-t-il, que les nations capitalistes sont à la veille d’un désastre économique.” Telle fut la conclusion de quelques-uns des plus éminents économistes du monde occidental réunis en Italie. Le compte rendu de cette réunion, publié par le New York Times, ajouta que “le système monétaire international est gravement malade”.
Si l’avenir des finances du monde occidental est aussi sombre, c’est à cause des ennuis du dollar américain à l’étranger. Selon U.S.News & World Report, “contrairement à ce que l’on croit généralement, le dollar américain est plus malade que jamais”.
Il fut un temps où le dollar américain était fort prisé. Les gouvernements et les particuliers des autres pays étaient heureux d’en posséder beaucoup. Aujourd’hui, il n’en va plus ainsi.
Des dépenses plus élevées que les revenus
Pourquoi ce changement ? Un exemple nous aidera à le comprendre. Supposons que vos revenus s’élèvent à 5 000 francs par mois ; diriez-vous que vous êtes dans l’aisance ? La plupart des gens seraient enclins à le penser.
Supposons encore que vous dépensiez 5 500 francs par mois cette année et 6 000 francs par mois l’année prochaine, et que vos dépenses continuent d’être plus élevées que vos revenus année après année. Le résultat est inévitable : une fois vos économies épuisées, vous vous endetterez de plus en plus.
Au bout d’un certain temps, les banques et les établissements de prêt se rendront compte que vous vivez au-dessus de vos moyens, et que vous faire crédit serait un grand risque. Comprenant que vous courez à la faillite, ils cesseront de vous accorder des prêts.
Par conséquent, aussi élevés que soient ses revenus, un homme n’est pas riche s’il continue de dépenser plus qu’il ne gagne. Cette façon d’agir ne conduit pas à la prospérité, mais à la faillite. Pour éviter celle-ci, cet homme devrait réduire ses dépenses et vivre selon ses moyens.
Peu importe donc que l’on gagne 500, 5 000 ou 5 000 000 de francs par mois. L’important c’est la somme que l’on dépense. Celui qui dépense sans cesse plus que ses revenus finira par s’attirer des ennuis.
Évidemment, la question des finances internationales est bien plus complexe, mais le principe fondamental est pareil. C’est pourquoi les États-Unis vont tout droit à la faillite, car ils dépensent à l’étranger plus qu’ils n’y gagnent.
Pour comprendre cette situation, il est nécessaire de connaître le système monétaire international, c’est-à-dire celui de toutes les nations ne faisant pas parties du bloc communiste.
Le système monétaire occidental
À l’intérieur de n’importe quel pays, on se sert de la monnaie nationale pour les opérations commerciales. Un Français, par exemple, règle ses factures et paie ses marchandises avec des francs français. Il connaît toujours le pouvoir d’achat de son argent à un moment donné.
Qu’arrive-t-il cependant quand un Français désire acheter une voiture américaine ? Quel est l’équivalent en francs du prix de l’automobile en dollars ? Il faut un système international grâce auquel les gouvernements, les entreprises et les particuliers peuvent connaître la valeur de leur monnaie par rapport à celle des autres pays.
Évidemment, les nations pourraient laisser monter et descendre la valeur de leur monnaie lors des opérations internationales, suivant le jeu de l’offre et de la demande, autrement dit la laisser “flotter”. Il en résulterait cependant des fluctuations constantes dans les valeurs relatives des monnaies, et ces fluctuations seraient parfois importantes.
Un système de change flottant entraverait le commerce international. Les hommes d’affaires désirent savoir ce que les marchandises achetées à l’étranger vont leur coûter au cours d’une période donnée et combien leurs propres marchandises vendues à l’étranger leur rapporteront. Ils doivent connaître la valeur de la monnaie des autres pays, afin de fixer le prix de leurs marchandises.
Un taux de change stable facilite donc le commerce international. C’est pourquoi les membres du Fonds monétaire international acceptèrent un tel système. L’accord conclu à ce sujet fut signé en 1944 à Bretton Woods (États-Unis), et aujourd’hui cent nations non communistes y adhèrent. Il prévoit une coopération entre les nations pour ce qui est des questions monétaires internationales. Les membres consentirent à ne pas dépasser une marge de fluctuation de leur monnaie de plus de un pour cent au-dessus ou au-dessous de la valeur établie.
Le dollar valait de l’or
Les membres du Fonds monétaire international acceptèrent également de fixer la valeur de la monnaie de chaque nation par rapport au dollar américain. Étant donné la puissance financière et industrielle des États-Unis, le dollar était la monnaie la plus forte à l’époque.
Ces nations convinrent aussi que le dollar serait chez elles une monnaie de réserve de base, puisqu’il était couvert par de l’or. Ainsi, toute nation détenant des dollars pourrait les remettre aux États-Unis et obtenir de l’or à la place (au prix convenu de 35 dollars l’once).
L’or a toujours eu une valeur intrinsèque. À l’encontre des billets de banque, l’or est toujours demandé dans l’industrie, la bijouterie et d’autres domaines. Par conséquent, si une nation membre du Fonds monétaire international accumulait trop de dollars, il lui était toujours loisible de les remettre aux États-Unis et d’obtenir de l’or à leur place.
Grâce à ce système monétaire, lorsqu’un industriel américain achetait une machine en Allemagne, il connaissait d’avance la valeur du dollar en deutsche marks. De son côté, l’Allemand savait qu’il pouvait conserver le dollar, le dépenser pour acheter un article américain, l’échanger contre une autre monnaie ou contre de l’or. Ce système facilitait donc le commerce international.
Si un tel système est nécessaire, c’est parce que la plupart des nations produisent plus de certaines marchandises que d’autres. Le commerce international leur permet de se servir de ces marchandises pour s’en procurer d’autres qu’elles ne produisent pas chez elles ou ne peuvent produire de façon rentable.
Le Japon, par exemple, vend à l’étranger de nombreux articles, entre autres des voitures et des postes de télévision et de radio. Il utilise une partie de l’argent ainsi gagné pour acheter du pétrole au Moyen-Orient. En effet, sans le pétrole l’industrie japonaise serait paralysée, et le Japon n’en produit pour ainsi dire pas lui-même. Il vend donc les articles dans lesquels il se spécialise et emploie l’argent pour se procurer des produits qui font défaut chez lui.
Des problèmes grandissants
Le système monétaire élaboré en 1944 donne de bons résultats aussi longtemps que les nations dépensent à peu près autant d’argent qu’elles en gagnent. L’homme qui gagne 5 000 francs par mois dépense peut-être un peu plus cette semaine mais un peu moins la semaine suivante. Il n’a aucun problème aussi longtemps que ses comptes s’équilibrent au cours d’une certaine période, autrement dit s’il ne dépense pas plus qu’il ne gagne.
Cependant si cet homme vit sans cesse au-dessus de ses moyens, il ne manquera pas d’avoir des ennuis. La nation qui agit de même finit également par avoir des ennuis.
En 1950, grâce aux dépenses américaines dans d’autres pays, les étrangers détenaient environ 8,6 milliards de dollars. Les États-Unis possédaient toutefois une réserve d’or d’environ 22,8 milliards de dollars. Leur excédent d’or était donc énorme. À n’importe quel moment, les pays étrangers pouvaient convertir leurs dollars en or.
En 1960 toutefois, dix années plus tard, cet excédent d’or avait disparu. Les pays étrangers détenaient plus de dollars que les États-Unis ne possédaient d’or, et en 1970 la situation avait encore empiré. Selon une estimation, les étrangers détenaient plus de 43 milliards de dollars, mais les États-Unis ne possédaient de l’or que pour une valeur de 11 milliards de dollars. Ils devaient aux étrangers environ quatre fois plus qu’ils ne pouvaient payer.
La situation ne s’améliora pas. L’année 1970 apporta aux États-Unis le plus grand déséquilibre monétaire qu’ils aient jamais connu jusqu’alors. Rien que cette année-là, le déficit américain dans toutes les opérations à l’étranger était de 10 milliards de dollars. Au cours des trois premiers mois seulement de 1971, il atteignit 5,5 milliards de dollars !
Qu’arriverait-il maintenant si les autres nations demandaient de l’or en échange de tous leurs dollars ? La revue Newsweek répondit à cette question en ces termes : “Les États-Unis fermeraient sans doute le guichet, jetant ainsi la confusion (...) dans le système monétaire international. C’est alors que la vie quotidienne s’en ressentirait, car le résultat de ce chaos serait probablement une dépression mondiale semblable à la crise des années 30.”
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Les causes des problèmes du dollarRéveillez-vous ! 1971 | 22 décembre
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Les causes des problèmes du dollar
POURQUOI la balance des paiements des États-Unis est-elle en si piteux état ? Pourquoi le déficit a-t-il pris de telles proportions en l’espace de 20 ans ?
Comme nous l’avons déjà vu, la réponse à ces questions c’est que les États-Unis ont sorti plus de capitaux que ne leur procuraient leurs recettes d’exportation.
Cela veut-il dire que les États-Unis vendaient moins de marchandises qu’ils n’en achetaient ? Nullement, car jusqu’à une date récente leurs exportations étaient plus importantes que leurs importations.
Pourquoi donc ce déficit énorme ? Parce que les États-Unis dépensent ou donnent leurs dollars à d’autres fins, c’est-à-dire pas uniquement pour l’achat de marchandises étrangères.
L’aide économique notamment représente une dépense importante. Depuis la Seconde Guerre mondiale les États-Unis ont donné à d’autres pays des milliards de dollars dans le cadre de leur programme d’aide. De plus, quand les Américains passent leurs vacances à l’étranger ils y dépensent des dollars ; ils en dépensent beaucoup plus que les étrangers qui passent leurs vacances en Amérique. Le bilan est donc déficitaire pour les États-Unis dans ce domaine aussi.
En outre, les nombreux Américains retraités qui vivent à l’étranger dépensent leurs rentes dans le pays qu’ils habitent. Des entreprises américaines construisent des usines à l’étranger et les équipent sur place du matériel nécessaire à leur fonctionnement. Et encore, beaucoup d’Américains achètent des valeurs étrangères plutôt que de placer leur argent en Amérique.
Le plus grand coupable
Cependant, la plus grande hémorragie de dollars américains a une autre cause encore. Dans son numéro du 3 mai 1971, Industry Week déclara à ce propos : “La cause la plus importante du déficit commercial (...) est la sortie de capitaux à des fins militaires.”
Les dépenses militaires comprennent l’argent destiné à l’achat de matériel de guerre dans d’autres pays et les salaires des membres des forces armées qui dépensent leurs dollars à l’étranger. Les États-Unis doivent également entretenir certaines forces armées de leurs alliés.
Parlant de ces dépenses, le New York Times déclara : “Pendant les années 60, le déficit net de la balance des paiements dû aux dépenses militaires s’éleva à 32 milliards de dollars. Comme l’a souligné M. Henry Fowler, ancien ministre des Finances, le pays ne pourra tolérer une telle dépense au cours de la prochaine décennie.”
Un autre désavantage de ces dépenses militaires, c’est qu’elles ne produisent rien d’utile. Les guerres et les préparatifs de guerre gaspillent les ressources de la nation (et du contribuable). Les avions militaires et les chars d’assaut construits par deux pays adversaires, n’apportent pas des bienfaits économiques durables. Quand on utilise ces armements pour détruire des habitations, des usines, des villes et des terres, favorise-t-on la prospérité ? Produire et utiliser des armements n’enrichit certes pas une nation.
Les guerres nécessitent, il est vrai, la fabrication d’armements, créant ainsi des emplois. Cependant, ces emplois ne contribuent pas à la prospérité du pays et ne produisent rien d’une valeur réelle pour l’humanité. Ils n’améliorent pas les habitations, les campagnes, les parcs, les écoles ou les hôpitaux. Si l’argent employé pour des buts militaires était utilisé à de telles fins, il en résulterait des avantages économiques durables.
Par conséquent, les dépenses militaires n’augmentent pas en fin de compte les richesses d’une nation, au contraire. Dans le cas des États-Unis, les énormes dépenses militaires à l’étranger constituent la raison principale des ennuis du dollar.
Un nouveau fait inquiétant
Dernièrement, un nouveau fait sinistre — du point de vue américain — est intervenu : l’excédent des exportations sur les importations diminue.
Depuis quelque temps, les importations augmentent à une cadence plus rapide que les exportations. Aujourd’hui, d’autres pays sont en mesure de produire de nombreuses marchandises que seuls les États-Unis fabriquaient avec efficacité il y a quelques dizaines d’années. De plus, certains de ces autres pays les produisent à un prix beaucoup moins élevé.
En raison de l’inflation, le prix des produits américains augmente rapidement. Il est donc normal que les nations qui ont besoin de ces marchandises préfèrent les acheter aux pays qui produisent des articles d’une qualité tout aussi bonne mais à un prix plus bas.
Les consommateurs américains aggravent le problème. À cause du prix élevé des marchandises américaines, ils achètent de plus en plus de produits étrangers. Cette année, 40 pour cent des chaussures vendues aux États-Unis sont importées. Six postes de télévision et neuf postes de radio sur dix sont également importés. Des automobiles étrangères comme la Volkswagen allemande, la Toyota et la Datsun japonaises, entrent en grand nombre dans le pays, faisant concurrence aux voitures américaines.
Les marchés sont donc inondés de marchandises étrangères qui font beaucoup de tort au commerce intérieur et extérieur des États-Unis. Si cette tendance se poursuit, ce pays aura très vite un déficit commercial, même s’il supprime toutes ses dépenses militaires à l’étranger.
Le déséquilibre conduit à la crise
Les déficits de la balance des paiements des États-Unis n’ont pas cessé de croître au cours des années. Cependant, par divers moyens et notamment la pression politique, le gouvernement américain a pu dissuader les autres nations de convertir leurs dollars en or. Une “ruée vers l’or”, affirma-t-il, plongerait toutes les nations membres du Fonds monétaire international dans une crise, car elles sont interdépendantes.
Et pourtant, il arrive un jour où même un banquier bienveillant n’a plus le choix. Il est obligé de refuser d’autres prêts à son débiteur. C’est ce qui arriva au printemps de 1971. Cette mesure énergique fut motivée par une situation qui se développa au cours de 1970 et au début de 1971.
En 1970 les États-Unis connurent une récession. Parmi les mesures prises pour essayer de remédier à la situation il y avait l’abaissement du taux d’intérêt. En général, une telle mesure stimule le commerce, car le crédit devient meilleur marché. Ceux qui veulent acheter une voiture, construire une maison ou agrandir leur entreprise, sont plus enclins à emprunter de l’argent et à s’en servir quand le taux d’intérêt est plus bas.
Cependant, il y a le revers de la médaille, car ceux qui ont des capitaux à investir reçoivent un intérêt plus bas. C’est pourquoi beaucoup d’Américains se mirent à investir leurs capitaux en Europe où le taux d’intérêt était plus élevé.
Au printemps de 1971 les dollars affluèrent donc en Europe. Non seulement les capitalistes recherchaient un taux d’intérêt plus élevé, mais à cause de la faiblesse du dollar les spéculateurs voulaient se débarrasser de leurs dollars et acheter des devises européennes, le deutsche mark notamment. Ils espéraient que la valeur de ces monnaies plus fortes augmenterait, leur permettant de réaliser ainsi des bénéfices.
Cependant, lorsque des devises affluent dans un pays, celui-ci dispose de plus d’argent ; il peut dépenser et prêter davantage, ce qui favorise l’inflation. L’accroissement des déficits américains au cours des années était déjà grave, mais cet afflux de dollars en Europe, et surtout en Allemagne, fut la goutte qui fit déborder la coupe. Brusquement, les banques centrales de plusieurs pays européens refusèrent d’accepter des dollars. Ces pays décidèrent alors de laisser flotter leur monnaie.
Cela signifiait qu’ils ne respectaient plus l’accord du Fonds monétaire international stipulant que la marge de fluctuation de leur monnaie ne devait pas dépasser un pour cent. Ils laissaient leur monnaie trouver son propre niveau suivant le jeu de l’offre et de la demande. Puisque la demande de dollars était faible et celle des devises européennes forte, la valeur de ces dernières monta.
Dans la pratique, il s’ensuivit une dévaluation du dollar. Puisque les États-Unis refusaient de le dévaluer, les autres nations le firent pour eux en revalorisant leurs monnaies. Le résultat est le même, car il faut aux Américains plus de dollars pour acheter les mêmes produits et les mêmes services étrangers.
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Pourra-t-on résoudre le problème ?Réveillez-vous ! 1971 | 22 décembre
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Pourra-t-on résoudre le problème ?
SERA-T-IL possible de rétablir la balance des paiements des États-Unis ? Que réserve l’avenir aux systèmes monétaires du monde ?
Pour combler les déficits, l’Amérique devra opérer des changements dans son mode de vie et surtout restreindre considérablement ses dépenses militaires. Cela signifie réduire ses concentrations de troupes dans diverses régions du monde ou du moins faire entretenir ces forces armées par d’autres nations, deux choses difficiles à réaliser.
En effet, lorsqu’on suggéra en mai 1971 que les États-Unis réduisent le nombre de leurs troupes en Europe (300 000 militaires et 200 000 membres de leurs familles), par mesure d’économie, l’administration protesta énergiquement. Finalement, les considérations politiques l’emportèrent. Malgré l’hémorragie importante de dollars que représente l’entretien de ces militaires et de leurs familles, on n’envisage donc pas leur retrait pour le moment.
Néanmoins, on a effectué quelques réductions des forces armées en Asie et dans la région du Pacifique. L’Amérique retire des troupes de certains pays, y compris le Viêt Nam.
Un dilemme
En outre, les États-Unis devront combattre l’inflation et la hausse des prix. Des prix moins élevés permettraient aux produits américains d’affronter la concurrence sur le marché mondial.
Cependant, une telle mesure provoque souvent un ralentissement des affaires et augmente le chômage. C’est ce qui se produisit en 1970 en Amérique lorsqu’on tenta de combattre l’inflation en
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