Inondations à Auch — vues par un témoin oculaire
De notre correspondant en France
AUCH est la préfecture du département du Gers, dans le Sud-Ouest de la France. Cette région se consacre particulièrement à la culture, à l’élevage et à la viticulture. Les terrains des environs sont constitués de matériaux imperméables, marnes et argiles. Ces quelques indications nous permettront de mieux comprendre la catastrophe qui a frappé cette ville de 25 000 habitants l’été dernier.
Nous sommes dans la nuit du jeudi 7 au vendredi 8 juillet 1977. Une pluie d’une rare violence ne cesse de s’abattre sur la ville d’Auch et sa région. Peut-être n’est-ce là qu’un orage habituel en cette saison! Il est minuit, et cette pluie torrentielle va persister jusqu’à 13 heures le vendredi.
Certains des habitants de la ville, notamment ceux de la ville basse, située sur la rive droite du Gers, affluent de la Garonne, s’attendent à voir certains quartiers inondés. La réalité est autrement plus grave, car en l’espace de quelques minutes toute la ville basse est submergée par un flot d’eaux boueuses qui arrivent de toutes parts, certaines rues étant devenues de véritables rivières. Rien d’étonnant, puisqu’en l’espace de vingt-quatre heures, il est tombé, en moyenne, entre 50 et 100 litres d’eau par mètre carré sur un territoire de 100 kilomètres de côté.
La ville d’Auch compte une congrégation de Témoins de Jéhovah réunissant une soixantaine de personnes. Dès le vendredi 8 juillet à 10 heures, les Témoins correspondent téléphoniquement pour s’informer du sort des uns et des autres. Dans l’heure qui suit toutes les relations deviennent impossibles. Il n’y a plus ni téléphone, ni électricité, ni eau, ni gaz. Une par une cependant, de bouche en bouche, les informations nous parviennent.
La situation devient critique
La situation ne cesse de se dégrader jusqu’au plus fort de la crue à 15 heures de l’après-midi. Au lieu-dit “Patte d’Oie”, situé à l’entrée d’Auch, le Gers, dont le niveau est normalement situé à 4 mètres au-dessous de la route, monte jusqu’à 7,48 mètres au-dessus, ce qui donne une dénivellation de 11,48 mètres. Les habitations en bordure du Gers sont inondées par 6 mètres d’eau. Certaines maisons anciennes, construites en pisé, se sont effondrées par la suite, les fondations ayant été minées par l’eau.
Nous apprenons qu’un magasin à “grande surface” où travaillent plusieurs de nos sœurs chrétiennes est complètement détruit. Son personnel doit être évacué au moyen d’un hélicoptère. Le fils aîné d’une famille qui fréquente notre congrégation a juste le temps de quitter le garage dans lequel il travaille et de franchir le Gers avec sa voiture, avant que ne s’écroulent deux ponts importants qui enjambent la rivière. Il réussit ainsi à prendre avec lui ses deux jeunes sœurs immobilisées sur la rive droite et par le dernier pont disponible, à rejoindre la ville haute sur la rive gauche.
Un ancien de la congrégation connaît, lui aussi, une situation critique. La rue dans laquelle se trouve son bureau est subitement envahie par plus de 3 mètres d’eau. Il décide de trouver refuge sur le toit de la maison de son employeur. Il n’est d’ailleurs libéré de cette inconfortable situation que par un hélicoptère, quatre heures plus tard, sans pouvoir toutefois regagner son domicile. Il ne sera réuni à sa famille que le lendemain. Sous ses yeux, sa voiture a été la proie des eaux tumultueuses. Tel un jouet, elle a disparu dans le flot dévastateur.
Dans le même temps, un autre Témoin dont la femme est infirme tente de rejoindre son domicile situé à Auterive, localité distante de 7 kilomètres. Il est lui aussi surpris par la montée inquiétante des eaux. Dans l’incapacité de franchir l’obstacle, il doit sa survie à un arbre auquel il reste accroché jusqu’à ce que les soldats du contingent le dégagent au moyen d’une corde.
Une famille de Témoins de Jéhovah, elle aussi surprise par l’inéluctable montée des eaux, se voit contrainte de chercher protection au premier étage de sa maison. Ce sera d’ailleurs le seul moyen de salut offert à beaucoup d’habitants de ce quartier nommé “Garros”. D’autres ont pu échapper aux flots meurtriers en gagnant les hauts quartiers de la ville.
Les secours s’organisent
Aux premières heures du samedi 9 juillet, le désastre apparaît dans toute son ampleur. La ville devient une véritable ruche, toute bourdonnante des activités déployées par les divers organismes de secours (protection civile, compagnie de CRS, détachement de l’armée, pompiers, sauveteurs bénévoles, etc.). Le ciel, encore menaçant n’empêche pas les hélicoptères d’évoluer à basse altitude en un véritable ballet, à la recherche d’isolés en détresse. Ce spectacle rassurant nous rappelle, après toutes ces émotions, que la solidarité en faveur des sinistrés est déjà à l’œuvre.
Le bilan des violents orages qui se sont abattus sur la Haute-Garonne, le Gers et le Lot-et-Garonne est lourd en vies humaines et catastrophique du point de vue matériel. Rien que dans le département du Gers, où les dégâts ont été les plus importants, on déplore la mort de sept victimes, dont un sapeur-pompier. À Auch, un quart de la population, plus de la moitié des trois cents artisans et du millier de commerçants sont sinistrés.
Malgré ce sombre inventaire, aucune famille de la congrégation des Témoins de Jéhovah n’est comptée parmi les disparus. Dans chaque maison, nous nous efforçons d’arracher à la boue tout ce qui est susceptible d’être sauvé (meubles, papiers personnels, etc.). Dès le samedi midi les cinq familles de notre congrégation les plus touchées par le fléau étaient prises en charge par celles qui avaient échappé à l’inondation.
Rapidement des équipes de Témoins des congrégations voisines, dans un rayon de soixante à quatre-vingts kilomètres, se sont formées et sont allées sur place pour nettoyer les maisons et le matériel qui était récupérable, et participer à la remise en ordre. Les voisins étaient très impressionnés par l’élan de solidarité chrétienne qui s’est manifesté chez les Témoins. Certains de ces derniers proposèrent leurs bras, d’autres firent des dons en nature. Des dons en espèces, centralisés par les anciens des congrégations de Toulouse, parvinrent de Témoins de Jéhovah de toutes les régions, y compris Paris.
Une anecdote mérite d’être citée. Une boîte à contributions provenant du domicile d’une famille de Témoins sinistrés où se tient une réunion hebdomadaire, a été retrouvée le lendemain de la catastrophe. Semblable à l’arche de Noé, elle avait flotté durant la montée des eaux, laissant son contenu intact. Une autre chose nous a frappés. À la réunion du mardi 12 juillet, qui se tenait à notre Salle du Royaume, aucune famille durement éprouvée n’était absente, montrant par là l’attachement des Témoins auscitains aux valeurs spirituelles. Signalons également que certains des Témoins sinistrés étaient présents à Toulouse dès le 23 juillet pour participer comme volontaires bénévoles aux préparatifs de l’assemblée chrétienne qui devait se tenir quelques jours plus tard. Quel bon exemple!
Causes éventuelles
Sous le déluge, la région d’Auch a réagi exactement à la manière du bassin montagneux d’un oued saharien. Ces trombes d’eau n’ont pas été retenues par la végétation. En effet, le Gers est l’un des départements français qui possède le moins de forêts, puisque ces dernières occupent à peine quinze pour cent de la surface des terres.
Bien sûr, les avis ne manquent pas pour expliquer les causes de la catastrophe. Quoi qu’il en soit, les Témoins de Jéhovah de la congrégation d’Auch sont déterminés à persévérer dans la prédication de “la bonne nouvelle du royaume”, permettant ainsi à de nombreuses personnes d’espérer vivre dans un monde qui sera à l’abri de telles calamités, sous la direction bienveillante du gouvernement du Christ.