Les témoins de Jéhovah sont “connus” de nouveau en Grèce
De notre correspondant en Grèce
LES témoins de Jéhovah de Grèce se souviendront longtemps du mois de juillet 1975. Le huitième jour de ce mois, les manchettes des journaux d’Athènes annonçaient : “LES MARIAGES ENTRE TÉMOINS DE JÉHOVAH SONT DÉCLARÉS LÉGITIMES.” Ce fut une grande joie pour des milliers de familles grecques.
L’ordonnance était le résultat d’un jugement rendu par la Cour suprême le 3 juillet. Elle déclarait :
“La doctrine religieuse des témoins de Jéhovah ou millénaristes remplit les conditions d’une ‘religion connue’ selon la Constitution et elle est de ce fait une doctrine ‘approuvée’ (...). Par conséquent, tout mariage entre les adhérents de ladite doctrine et célébré selon les rites prévus n’est pas inexistant, et tout enfant conçu dans les liens d’un tel mariage est légitime.”
Mais pourquoi était-il nécessaire que la Cour suprême rende un pareil jugement ?
Quatre ans plus tôt, le gouvernement de Grèce avait considéré les mariages des témoins de Jéhovah comme “inexistants” et les enfants issus de ces mariages comme “illégitimes”. Une circulaire publiée le 13 novembre 1970 par le vice-président et ministre de l’Intérieur de l’époque, Stylianos Pattacos, déclarait que “la religion des témoins de Jéhovah est inconnue”.
Cela vous semble sans doute étonnant. Peut-être savez-vous que les témoins de Jéhovah sont actifs et reconnus légalement dans quantité de pays. En fait, les témoins poursuivent leur œuvre d’enseignement biblique en Grèce depuis le début du vingtième siècle. Pourquoi, après quelque soixante-dix ans, le gouvernement grec a-t-il déclaré “inconnue” la religion des témoins de Jéhovah ?
Pressions incessantes
La raison en est la pression incessante exercée sur le gouvernement par un groupement influent qui hait le message biblique proclamé par les témoins de Jéhovah. C’est en 1927 que ce groupement commença à exprimer sa haine de façon particulière. En cette année-là, pour la première fois, des membres du clergé orthodoxe, s’adressant au procureur près la Cour suprême, mirent en doute la légitimité des mariages entre “Étudiants de la Bible” (comme on appelait alors les témoins de Jéhovah) et la légalité de leur inscription au registre de l’état civil. Le procureur répondit :
“Un des principes fondamentaux de la loi publique moderne concernant la tolérance religieuse — qui a son origine dans les vertus grecques traditionnelles — consiste sans aucun doute à accepter (...) n’importe quel service religieux. Par conséquent, un mariage célébré par n’importe quelle secte religieuse, entre personnes de la même croyance, est en principe absolument respectable et peut donc être inscrit au registre de l’état civil.”
Vingt ans plus tard, le clergé grec essaya de nouveau de faire pression sur le gouvernement pour que soit supprimée la reconnaissance légale des témoins de Jéhovah. En 1947 donc, il mit en doute la validité des mariages entre témoins. Cette fois encore, il en fut pour ses frais, car le procureur près la Cour suprême déclara :
“Leur secte étant ‘connue’ en Grèce, c’est-à-dire ouverte, sans aucune doctrine ou rite secret, et ne s’opposant pas à la moralité courante et à l’ordre public (...) elle a droit à la tolérance religieuse garantie par la constitution (...). Par conséquent, un mariage entre millénaristes [témoins de Jéhovah], célébré conformément à leurs croyances, est légalement valide (...) et peut être inscrit au registre de l’état civil.”
Le clergé grec n’accepta pas sa défaite. Il guetta une autre occasion de soulever la question. Elle se produisit en 1959. Mais une fois de plus, un juriste équitable refusa de céder à la pression. Monsieur Andrew Tussis, procureur adjoint près la Cour suprême, assura, documents à l’appui, que les témoins de Jéhovah constituaient une religion “connue” et que leurs mariages étaient légaux.
Elle devient “inconnue”
Plus tard, cependant, la situation politique se détériora en Grèce. Soudain, pendant la nuit du 21 avril 1967, un groupe de militaires s’empara du pouvoir. Ils établirent comme archevêque un ecclésiastique en vue nommé Ieronymous.
Le clergé estima le moment tout à fait opportun pour s’attaquer de nouveau aux témoins de Jéhovah. Mais cette fois, au lieu de faire appel au procureur de la Cour suprême, l’archevêché d’Athènes demanda à Monsieur C. Muratidis, professeur de droit canon à l’université d’Athènes, de faire une déclaration concernant les témoins de Jéhovah.
Le professeur Muratidis donna son opinion le 5 septembre 1967. Faisant fi des précédentes décisions des procureurs près la Cour suprême, il déclara que les témoins de Jéhovah ne constituaient pas une religion “connue” et que leurs mariages devaient être considérés comme inexistants.
L’archevêque Ieronymous porta l’affaire devant le vice-président Pattacos. Ensuite, le cas fut traité, non par la Cour suprême, mais par le Conseil légal de l’État formé de juristes dévoués aux ministres. Quel fut le résultat ?
Forts de l’avis du professeur Muratidis, le 13 novembre 1970 les membres de cet organisme déclarèrent que les témoins de Jéhovah ne constituaient pas une religion “connue”. Le ministre de l’Intérieur a donc envoyé une circulaire à tous les bureaux de l’état civil du pays, leur ordonnant de n’enregistrer aucun mariage de témoins de Jéhovah puisque “ces mariages sont inexistants”. La circulaire déclarait en outre que les enfants des témoins devaient être enregistrés sous le nom de leurs mères, ce qui revenait à dire qu’ils étaient illégitimes.
Tristes conséquences
Pouvez-vous imaginer les tragiques conséquences d’une telle législation ? Du jour au lendemain, des milliers de couples ont été considérés comme vivant en concubinage. Les veuves de témoins de Jéhovah ne pouvaient plus toucher de pension puisque, selon la loi, elles n’avaient pas été réellement mariées. La Sécurité sociale refusait de rembourser les frais d’accouchement ou d’enterrement.
Les fonctionnaires firent disparaître les familles de témoins des registres de l’état civil. Des données concernant des épouses, inscrites sous le nom de leur mari, ont été reportées sous le nom de leur père. Les enfants de ces femmes ont été enregistrés comme nés hors du mariage. Plusieurs fonctionnaires ont été jusqu’à saisir des terrains appartenant à des couples ; ceux-ci, n’étant plus considérés comme mariés, perdaient leurs droits de propriété.
Tous les fonctionnaires n’ont pas agi de façon aussi radicale ; certains ont même reconnu que la circulaire de Pattacos était “absurde”. Néanmoins, se lamentaient-ils, “nous ne pouvons malheureusement pas l’ignorer”. Quelques-uns ont pressé les témoins de faire appel aux tribunaux.
Beaucoup l’ont fait et des tribunaux inférieurs ont même rendu des jugements favorables. Toutefois, les officiers de l’état civil refusaient de s’y conformer, craignant manifestement de désobéir au vice-président Pattacos. Or, celui-ci était inflexible dans son hostilité envers les témoins de Jéhovah. À une protestation qui attirait l’attention sur les déplorables résultats de sa circulaire, il répondit :
“(a) Les millénaristes ne sont pas une religion ‘connue’, selon le sens constitutionnel.
“(b) Les mariages célébrés par cette religion sont inexistants et ne doivent pas être enregistrés. Étant donné ce qui précède, je vous prie de ne plus invoquer des raisons sentimentales ou philanthropiques dans des questions gouvernées par la logique et la loi.”
On a pu constater les conséquences désastreuses de ‘la logique et de la loi’ dans une affaire concernant la mort d’un bébé. Le père, Demetrius Kazanis, se vit refuser le permis d’inhumer, l’officier de l’état civil se déclarant incapable d’enregistrer une “sortie” alors qu’il n’y avait pas eu d’“entrée” correspondante. Pour lui, le bébé n’avait jamais vu le jour.
Tandis que le père cherchait un moyen d’arranger les choses, il fallut mettre le petit corps au réfrigérateur. Les journalistes furent vite au courant. On pouvait lire la manchette suivante dans une revue : “AU NOM DU FANATISME UN CADAVRE DE BÉBÉ EST DANS UN RÉFRIGÉRATEUR !” — Épikaira, 26 janvier 1973, page 20.
Finalement, un procureur de la République intervint et ordonna que l’enfant soit enregistré sous le nom de son père et enterré. Toutefois, cela n’arrangea pas les choses pour les autres témoins de Jéhovah de Grèce. Ni les jugements de tribunaux inférieurs, dont on ne tenait pas compte, ni l’aide d’une partie de la presse ne pouvait faire annuler la circulaire du ministre de l’Intérieur. Que faire ?
Un changement inattendu
Après de longues discussions avec des conseillers juridiques, on décida de soumettre deux cas au Conseil d’État. L’un était celui de Prokopius Delis, dont le mariage avait été légalement enregistré en 1957. Malgré cela, l’officier de l’état civil de Vuniatades, dans l’île de Corfou, refusait d’enregistrer dans cette localité la femme et l’enfant de Delis.
Le second cas concernait Stamatius Kallinderis, huissier pour une municipalité d’Athènes. Les fonctionnaires avaient cessé de lui payer les primes mensuelles pour sa famille sous prétexte que “le mariage entre lui et Mary Hormova, tous deux appartenant à la religion des témoins de Jéhovah, laquelle n’est pas ‘connue’ et ‘approuvée’, et qui a été célébré selon les rites de ladite religion, est inexistant”.
Étant donné l’importance de ces cas, la Cour suprême décida de les entendre tous deux le même jour, le 22 avril 1975. En attendant l’audience, les témoins de Jéhovah se sont posé bien des questions. La Cour suprême allait-elle juger l’affaire sans parti pris religieux ? Comment le clergé allait-il réagir ? L’archevêque Ieronymous allait-il intervenir ?
Mais, quelques mois avant l’audience d’avril, il se produisit quelque chose d’inattendu. Les militaires révoquèrent le gouvernement en fonction et en nommèrent un nouveau. Bien qu’il fût plus oppresseur encore que le précédent, il s’effondra sans gloire, quelques semaines après la prise du pouvoir. Ensuite, les militaires firent appel à des hommes politiques. Ils donnèrent la présidence à l’ancien premier ministre, Constantin Karamanlis, qui était en exil à Paris depuis dix ans. La situation des témoins de Jéhovah allait-elle s’améliorer ?
Le gouvernement de Karamanlis organisa des élections et un référendum ; il en résulta un régime démocratique. Le nouveau Parlement grec vota en faveur d’une constitution libérale qui garantissait la liberté personnelle et des droits égaux pour tous les citoyens, sans tenir compte des croyances religieuses. Curieusement, ces événements eurent lieu juste avant la date fixée pour le procès concernant les témoins de Jéhovah.
On interrogea le nouveau ministre de l’Intérieur, Monsieur Stefanopoulos, sur la possibilité de publier une nouvelle circulaire qui remplacerait l’ancienne. Dans sa réponse, M. Stefanopoulos suggéra de laisser les deux affaires suivre leur cours. Il exprima l’espoir que la loi “donnera une solution juste”, et ajouta : “Dans le cas contraire, nous verrons ce que nous pouvons faire. Vous comprenez, il ne s’agit pas simplement de révoquer une circulaire, c’est une question juridique en suspens devant la Cour suprême.”
De nouveau “connue” légalement
L’audience se passa très bien. Monsieur M. Muzurakis, rapporteur près la cour, présenta très clairement toute l’affaire. Il suggéra alors l’annulation de l’ordre administratif. Paradoxalement, même un des avocats du gouvernement accepta, tandis qu’un autre essaya mollement de défendre l’ancienne circulaire qui refusait aux témoins de Jéhovah la reconnaissance légale. Quel a été le résultat ?
Le 3 juillet 1975, le premier président de la Cour suprême prononça un jugement favorable dans les deux cas. Le ministre de l’Intérieur, marquant son accord, envoya une nouvelle circulaire à toutes les municipalités et aux consulats grecs à l’étranger. Il ordonna l’enregistrement des mariages entre témoins de Jéhovah et celui des enfants qui en naîtraient.
Combien les témoins de Jéhovah de Grèce étaient heureux ! Ces graves obstacles juridiques ayant été ôtés, ils peuvent de nouveau concentrer toute leur énergie sur la proclamation du message le plus important qui soit : la bonne nouvelle du Royaume de Dieu établi. — Mat. 24:14.
[Illustration, page 20]
L’ancien palais royal où la Cour suprême a pris une décision importante le 3 juillet 1975.