Coup d’œil sur le monde
Du racisme scientifique
Selon un numéro spécial de la revue Science et Vie, “le racisme qui, pendant des siècles, s’était justifié d’arguments culturels ou religieux, allait chercher au XXe siècle une façade plus scientifique. Dans les années vingt, des biologistes comme Grant, Osborne, Yerkes ou Brigham développèrent aux USA l’idée selon laquelle les migrants d’origine méditerranéenne ou balkanique étaient intellectuellement inférieurs et que cette infériorité héréditaire faisait planer, pour l’Amérique, une menace de détérioration de la ‘race’. (...) Vers la même époque, l’idée que l’hybridation entre races donnait une descendance difforme ou dégénérée et que, dans le mariage mixte, ‘la race blanche y perdait et la race noire y gagnait en aptitudes intellectuelles’ jouissait d’un large consensus même parmi les généticiens. Les études sur lesquelles se fondaient de telles affirmations n’avaient pourtant, comme devait le montrer le grand statisticien Pearson, aucune valeur scientifique. Des hommes de science n’avaient fait que reproduire des préjugés communs, habillés de quelques-unes des connaissances scientifiques de l’époque. Ainsi que l’affirme le texte de l’UNESCO contre le racisme de 1950, il n’existe aucune preuve que les groupes humains diffèrent dans leurs capacités intellectuelles innées, s’il est même possible de parler de capacités innées. La question des aptitudes biologiques propres des races constitue ainsi un faux problème”.
Quotients intellectuels falsifiés
La même revue explique que la situation était fort confuse en 1956, quand Sir Cyril Burt, éminent psychologue et père du système scolaire anglais d’après-guerre, publia un long article dans lequel, se basant sur des mesures de quotient intellectuel, il estimait l’héritabilité de l’intelligence à 87 pour cent. Selon lui, les variations du milieu n’expliquaient que 13 pour cent des différences observées entre les aptitudes des individus de l’échantillon. Ses travaux connurent un grand retentissement et furent largement repris par Jensen qui, étudiant la différence de quotient intellectuel moyen entre Noirs et Blancs américains (15 points), déclara en 1969: “L’hypothèse que des facteurs génétiques soient fortement impliqués dans la différence d’intelligence moyenne entre Blancs et Noirs n’est pas déraisonnable.” La querelle engendrée par de tels propos amena les chercheurs à reprendre les données de référence, celles de Burt, et, tout dernièrement, on en vint à prouver (Le Monde, 21.1.77) que beaucoup d’entre elles avaient été falsifiées ou créées par Burt lui-même.
Races humaines ou espèce humaine?
Un autre article du même numéro spécial de la revue Science et Vie sur la génétique et l’anthropologie expliquait que “l’existence de populations humaines de capacités intellectuelles inférieures à celles des autres (...) est beaucoup plus démentie par l’expérience quotidienne des transplantations d’individus ou de populations (lorsqu’elles se font dans de bonnes conditions) qu’elle n’est testée par les virtuoses du quotient intellectuel et autres psychotests qui, en général, savent plus ce qu’ils doivent trouver que ce qu’ils mesurent. L’analyse sommaire des données biologiques humaines est donc décevante pour ceux qui espèrent en tirer une classification définitive où chaque individu serait rangé dans le tiroir d’une population, lui-même bien installé dans l’armoire d’une race. Un tel ordre n’existe pas dans la Nature, et il serait vain de l’y chercher”. “Finalement, la seule population humaine qui soit clairement définie sur le plan biologique, c’est l’espèce humaine tout entière.”
Le trafic du bois d’ébène
“Ça commençait souvent la nuit: le village congolais, angolais ou soudanais était soudain encerclé et incendié, et toute sa population — sauf les bébés et les trop vieux éliminés sur place — passait sans transition du sommeil à l’esclavage.” Un article de Télérama rappelait ainsi le rôle joué par les Européens dans le trafic d’esclaves aux siècles passés. Ces esclaves étaient ensuite entassés dans un bateau “armé le plus régulièrement du monde à Nantes ou ailleurs pour le transport de ce qu’on appelait les ‘pièces d’Inde’ ou le ‘bois d’ébène’. (...) Dans les colonies françaises (...) les esclaves les plus chanceux deviennent domestiques ou acquièrent une spécialité (...). D’autres échouent dans les ateliers des plantations et travaillent le sucre, l’indigo, quinze heures par jour. Les contremaîtres Noirs souvent les font chanter pour les empêcher de s’endormir: car il n’est pas rare que les hommes tombent dans les chaudières à sucre, ou que les femmes soient broyées par les moulins. D’autres défrichent la terre en plein soleil, plantent, récoltent sous le fouet. (...) Jusqu’au 18e siècle les gens ‘éclairés’ pensent en toute bonne conscience que c’est plutôt une chance, pour les esclaves, d’être esclaves ailleurs qu’en Afrique. Les religieux eux-mêmes ont des esclaves, mais ils les marient religieusement, c’est la seule différence... Toute réflexion morale ou moralisante sur la traite passe à côté du vrai problème, à savoir qu’elle existe parce qu’elle rapporte beaucoup, à beaucoup de monde (y compris aux rois de France, aux ports bretons, à la région nantaise où l’on fabrique tissus et verroterie...)”.
Les Européens et l’esclavage
Beaucoup d’Européens se donnent bonne conscience sur la question de l’esclavage et du racisme antinoir en pensant qu’il s’agit d’un problème spécifiquement américain. Toutefois, à l’occasion de la diffusion en France du feuilleton télévisé tiré de Racines, quelques mises au point ont été faites, notamment dans la presse écrite. Ainsi, L’Express écrivait: “Certes, beaucoup de téléspectateurs français peuvent avoir l’impression que cette histoire révolue ne les concerne pas (...). C’est oublier le rôle joué par l’Europe dans l’organisation du trafic: les compagnies royales ou privées (Voltaire en fut actionnaire) armant des vaisseaux et passant des accords ‘commerciaux’ avec les royaumes africains étaient pour la plupart européennes. Dix millions de Noirs africains furent, en partie par leur soin, exportés en quelques siècles. Hélas! si, nous sommes bien concernés.” Quant aux Africains, ils n’étaient pas tous les victimes passives de ce trafic odieux. Selon le journal précité, il n’y avait “ni chasse ni capture illicite, le trafic faisait appel, en effet, à une vaste organisation, à laquelle collaboraient souverains européens et chefs africains. Ces derniers puisant parmi leurs propres classes d’esclaves, vastes réserves alimentées par les guerres et les razzias”.