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Le sang: un marché colossalRéveillez-vous ! 1990 | 22 octobre
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Le sang: un marché colossal
L’OR ROUGE! Comme le laisse entendre ce surnom, c’est d’une substance de grand prix qu’il s’agit. Liquide précieux, ce produit naturel n’a pas été comparé seulement à l’or, mais aussi au pétrole et au charbon. Ce n’est toutefois pas de veines souterraines qu’on l’extrait à coups de trépans et de dynamite, mais de veines humaines, et par des méthodes beaucoup plus douces.
“S’il vous plaît, mon enfant a besoin de sang”, implore une affiche dominant une avenue passante de New York. Le même ton pressant se retrouve dans d’autres publicités: “Donneurs, le monde ne peut se passer de vous!” “Votre sang est précieux. Offrez votre bras!”
Les personnes qu’animent des sentiments altruistes sont sensibles à ces messages. Dans le monde entier, on les voit faire la queue devant les centres de transfusion. À n’en pas douter, la plupart d’entre elles, ainsi que la majeure partie du personnel chargé de recueillir ou de transfuser le sang, sont à la fois sincères et persuadées de rendre service.
Toutefois, entre le moment où il est prélevé et celui où il est transfusé, le sang passe par plus d’intermédiaires et subit plus de traitements qu’on ne le pense généralement. À l’instar de l’or, le sang excite la convoitise. Dans de nombreux pays, il est vendu une première fois avec profit et parfois même revendu avec un bénéfice encore plus confortable. On s’affronte pour obtenir l’autorisation de le collecter, on lui fait atteindre des prix exorbitants, on bâtit des fortunes sur lui et on en fait même la contrebande. Le commerce du sang est un marché colossal.
À une époque, aux États-Unis, les donneurs étaient rémunérés. Mais en 1971, l’auteur britannique Richard Titmuss dénonça cette pratique, arguant du danger que représentait le système américain si l’on incitait les pauvres et les mal portants à venir donner leur sang contre quelques dollars. Il jugeait par ailleurs immoral qu’on puisse faire du profit sur un don destiné à aider autrui. Son action amena le gouvernement américain à interdire les dons rémunérés de sang total (ce qui n’empêche pas cette pratique d’être toujours florissante dans d’autres pays). Toutefois, cette mesure ne fit en rien perdre son caractère lucratif au commerce du sang. Voyons pourquoi.
Un commerce toujours lucratif — Pourquoi?
Dans les années 40, on apprit à dissocier les différents éléments du sang. C’est ce procédé, connu aujourd’hui sous le nom de fractionnement, qui en augmente la valeur marchande. Comment? En vertu du principe selon lequel le prix d’une voiture neuve démontée et vendue en pièces détachées peut atteindre cinq fois celui de la voiture assemblée. Pareillement, le sang est beaucoup plus rentable lorsqu’il est fractionné et que ses composants sont vendus isolément.
Le plasma, qui représente environ la moitié de la masse sanguine, est un élément particulièrement intéressant sous ce rapport. Ne contenant aucun corps cellulaire (globules rouges, globules blancs et plaquettes), il peut être lyophilisé et stocké. De plus, alors qu’un donneur n’est pas autorisé à subir plus de cinq prélèvements de sang total par an, il peut donner de son plasma jusqu’à deux fois par semaine. On recourt alors à la plasmaphérèse, technique qui consiste à extraire du sang total, à en séparer le plasma, puis à réinjecter les composants cellulaires dans les veines du donneur.
Aux États-Unis, la législation autorise toujours les donneurs à se faire rémunérer pour leur plasma. Par ailleurs, le volume de plasma qu’un individu est autorisé à donner par an est environ quatre fois supérieur à la norme recommandée par l’Organisation mondiale de la santé. Il n’est donc pas étonnant que les États-Unis recueillent plus de 60 % de la réserve mondiale du plasma. Tout ce plasma a une valeur intrinsèque de quelque 450 millions de dollars, mais il rapporte en réalité beaucoup plus dans la mesure où lui aussi peut être fractionné. Sur le plan mondial, il est à la base d’un marché de deux milliards de dollars!
Selon le quotidien Mainichi Shimbun, le Japon consomme environ un tiers du plasma prélevé autour du globe. Il importe 96 % de sa consommation, principalement des États-Unis, ce qui lui a valu d’être surnommé “le vampire du monde” par les Japonais qui réprouvent ce procédé. Du reste, le ministère japonais de la Santé et des Affaires sociales s’efforce de mettre un frein à ce commerce, jugeant anormal qu’on réalise des profits avec le sang. De fait, ces bénéfices s’élèvent à quelque 200 millions de dollars par an, et ce pour un seul composant plasmatique: l’albumine.
La République fédérale d’Allemagne utilise plus de produits sanguins à elle seule que le reste de l’Europe réuni, et sa consommation par habitant est la première au monde. Voici ce qu’on lit dans Zum Beispiel Blut (Un cas typique — Le sang) à propos des produits sanguins: “Plus de la moitié sont importés, surtout des États-Unis, mais également du tiers monde. À l’origine, on trouve de toute façon des pauvres qui vendent leur plasma pour augmenter leurs revenus.” Certains vont trop loin et y laissent leur vie.
Quantité de centres de prélèvement de plasma à caractère commercial sont installés à des endroits stratégiques: dans les zones économiquement défavorisées ou le long des frontières de pays pauvres. Ils drainent ainsi les miséreux et les pauvres hères de la région, qui ne sont que trop heureux de pouvoir monnayer leur plasma et ont tous les motifs pour en donner plus qu’ils ne devraient ou pour cacher toute maladie dont ils pourraient être porteurs. Ce trafic a cours dans 25 pays. Dès qu’il est jugulé dans l’un, il repart de plus belle dans un autre. La contrebande et la corruption de fonctionnaires ne sont pas rares.
Profit au royaume du bénévolat
Même les banques du sang à but non lucratif ont essuyé de vives critiques ces dernières années. En 1986, par exemple, dans la revue Money, la journaliste Andrea Rock signalait qu’aux États-Unis le prélèvement d’une unité de sang coûtait 57,50 dollars à la banque du sang, que cette unité était vendue 88 dollars à l’hôpital, et que le patient à qui elle était transfusée la payait entre 375 et 600 dollars.
Où en est-on aujourd’hui? En septembre 1989, le journaliste Gilbert Gaul rédigea pour le Philadelphia Inquirer une série d’articles consacrés aux banques du sang américainesa. Au terme d’une année d’enquête, il révéla que certaines demandaient aux donneurs de leur faire cadeau de leur sang puis, changeant leur fusil d’épaule, vendaient à d’autres centres, avec un bénéfice considérable, jusqu’à la moitié de la quantité collectée. D’après les estimations de M. Gaul, environ 500 000 litres de sang par an sont ainsi vendus en sous-main, alimentant un marché parallèle de 50 millions de dollars dont le fonctionnement s’apparente à celui d’une Bourse.
À une différence près, mais de taille: cette Bourse du sang échappe à l’influence du gouvernement américain. Nul n’est en mesure de déterminer le volume exact des affaires qui y sont traitées et encore moins d’en réguler les cours. Qui plus est, nombreux sont les donneurs qui ignorent même son existence. “On trompe les gens”, a reconnu un ancien directeur de banque du sang, dans le Philadelphia Inquirer. “Personne ne leur dit que leur sang arrive chez nous. Ils seraient furieux s’ils le savaient.” Un responsable de la Croix-Rouge américaine a ainsi résumé les faits: “Les directeurs de centres de transfusions sanguines trompent le public américain depuis des années.”
Rien qu’aux États-Unis, les banques du sang collectent quelque 6,5 millions de litres de sang par an et vendent plus de 30 millions d’unités de dérivés sanguins pour un montant fabuleux d’un milliard de dollars environ. Dans ce contexte, on n’emploie pas le terme “profit”; on préfère parler d’“excédent sur dépenses”. À titre d’exemple, entre 1980 et 1987, la Croix-Rouge américaine a enregistré 300 millions de dollars d’“excédent sur dépenses”.
Les banques du sang protestent, invoquant leur statut d’association à but non lucratif et clamant qu’à la différence des grandes sociétés cotées en Bourse elles ne versent pas d’argent à des actionnaires. N’empêche que si la Croix-Rouge américaine était une société commerciale, elle serait classée parmi les plus grosses firmes américaines, au même titre que la General Motors. De plus, le personnel des banques du sang est grassement payé. Sur les employés de 62 établissements interrogés par le Philadelphia Inquirer, 25 % percevaient plus de 100 000 dollars de salaire par an, certains dépassant même les 200 000 dollars.
Les directeurs de centres de transfusions se défendent aussi de “vendre” le sang qu’ils collectent, affirmant ne faire payer que le traitement. À cet argument, l’un d’eux répond: “Cela me fait dresser les cheveux sur la tête d’entendre la Croix-Rouge [américaine] dire qu’elle ne vend pas le sang. C’est comme si un supermarché disait qu’il fait payer seulement l’emballage, mais pas le lait.”
Le marché mondial
Comme le plasma, le sang total fait l’objet d’un commerce international. Aussi international d’ailleurs que la réprobation qu’il soulève. Par exemple, en octobre 1989, la Croix-Rouge japonaise a provoqué une levée de boucliers lorsqu’elle a tenté de se faire une place sur le marché nippon en concédant d’importantes remises sur le prix de dérivés sanguins provenant de donneurs bénévoles. Les hôpitaux firent d’énormes bénéfices en déclarant sur les formulaires d’assurance avoir acheté le sang au prix du marché.
Selon un journal thaïlandais (The Nation), certains pays d’Asie ont été obligés de prendre des mesures énergiques contre le commerce de l’or rouge en interdisant les dons rémunérés. En Inde, ce ne sont pas moins de 500 000 personnes qui vivent de la vente de leur sang. Certaines, hagardes et en loques, se déguisent de façon à pouvoir donner plus souvent que ne les y autorise la loi. D’autres sont délibérément saignées à blanc par les banques du sang.
Dans son livre Le sang: don ou produit commercial (angl.), Piet Hagen affirme que c’est au Brésil que les banques du sang se livrent aux opérations les plus louches. Les centaines de centres à caractère commercial y dominent un marché de 70 millions de dollars propre à attirer les individus sans scrupules. Le livre Bluternte (La moisson de sang) parle aussi des cohortes de pauvres et de chômeurs qui se bousculent aux portes des innombrables centres de transfusion de Bogotá (Colombie). On leur donne entre 350 et 500 misérables pesos pour un demi-litre de sang, qui sera facturé de 4 000 à 6 000 pesos au patient à qui il sera transfusé.
De tout ce qui précède émerge au moins ce constat: le sang constitue un marché colossal. ‘Et alors? diront certains. En quoi est-ce gênant?’
Réfléchissez: Pourquoi beaucoup de gens sont-ils mal à l’aise face au grand commerce en général? N’est-ce pas à cause de la cupidité qui le caractérise? Cupidité qui transparaît, par exemple, dans l’insistance avec laquelle on pousse le consommateur à acheter des choses dont il n’a pas réellement besoin; ou, plus grave, dans l’entêtement à vouloir vendre à tout prix certains produits connus pour être dangereux, ou encore dans le refus d’investir pour rendre ces produits plus sûrs.
Si une telle cupidité est présente dans le commerce du sang, alors des millions de personnes dans le monde courent un très grave danger. Est-ce le cas?
[Note]
a Pour ce reportage, Gilbert Gaul a reçu, en avril 1990, un prix Pulitzer dans la catégorie “Services rendus à la cause publique”. À la fin de 1989, ces révélations avaient également amené le Congrès américain à ordonner une enquête approfondie sur l’industrie du sang.
[Encadré/Illustration, page 6]
Le commerce du placenta
Probablement très peu d’accouchées se préoccupent de ce que devient leur placenta, cette masse de tissu qui a nourri leur enfant dans l’utérus. D’après le Philadelphia Inquirer, de nombreux hôpitaux américains le récupèrent et le congèlent afin de le vendre. Pour la seule année 1987, les États-Unis ont exporté quelque 800 tonnes de placentas. Une entreprise de la région parisienne en achète 15 tonnes par jour! Les placentas constituent en effet une source pratique de plasma maternel, à partir duquel l’entreprise fabrique divers médicaments qu’elle vend ensuite dans une centaine de pays.
[Schéma, page 4]
(Voir la publication)
Les principaux composants du sang
Plasma: environ 55 % du sang. Composé de 92 % d’eau, le reste est constitué de protéines complexes, telles que les globulines, le fibrinogène et l’albumine
Plaquettes: environ 0,17 % du sang
Globules blancs: environ 0,1 %
Globules rouges: environ 45 %
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Don de vie ou baiser de mort?Réveillez-vous ! 1990 | 22 octobre
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Don de vie ou baiser de mort?
“Combien de personnes doivent mourir? Combien vous faut-il de morts? Fixez-nous donc le seuil de victimes à partir duquel vous croirez les faits.”
EN PROFÉRANT ces paroles, Don Francis abattit son poing sur la table. Membre du CDC (Centre américain de dépistage des maladies), il s’efforçait de convaincre les principaux représentants de l’industrie du sang que les réserves du pays étaient un facteur de propagation du SIDA.
Il n’y parvint pas. Ayant jugé les preuves trop minces — une poignée de cas, selon eux —, ses interlocuteurs estimèrent inutile d’intensifier les tests de dépistage. Cela se passait le 4 janvier 1983. Six mois plus tard, le président de l’Association américaine des banques du sang affirmait: “Pour le public, le danger est infime, voire inexistant.”
Aux yeux de nombreux spécialistes, il y avait déjà à l’époque suffisamment de preuves pour justifier la mise en œuvre de certaines mesures. Or, depuis 1983, la “poignée de cas” a pris une ampleur alarmante. De fait, avant 1985, ce sont peut-être 24 000 personnes qui ont reçu du sang contaminé par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine), l’agent du SIDA.
Le sang contaminé est un vecteur terriblement efficace du virus du SIDA. Selon le New England Journal of Medicine (14 décembre 1989), une seule unité de sang peut contenir assez de germes pour provoquer 1 750 000 infections. Le CDC a révélé à Réveillez-vous! que jusqu’en juin 1990, rien qu’aux États-Unis, 3 506 personnes avaient contracté le SIDA à la suite soit de transfusions de sang ou de composants du sang, soit de greffes de tissus.
Mais ce ne sont là que des chiffres, et les chiffres ne peuvent traduire la détresse des drames en question. Considérez, par exemple, le cas pathétique de Frances Borchelt, une vieille dame de 71 ans. Bien qu’elle se soit opposée catégoriquement à ce qu’on lui administre une transfusion sanguine, les médecins ont passé outre à sa volonté. Ayant contracté le SIDA, elle devait décéder dans de grandes souffrances, sous le regard impuissant des membres de sa famille.
Voyez également ce qui est arrivé à cette adolescente de 17 ans à qui on a transfusé deux unités de sang uniquement pour corriger une anémie consécutive à des règles anormalement abondantes. À 19 ans, alors qu’elle était enceinte, elle a découvert qu’elle avait contracté le virus du SIDA à la suite de la transfusion. À 22 ans, son SIDA s’est déclaré. En plus d’apprendre que sa mort était imminente, elle était hantée par la crainte d’avoir transmis la maladie à son enfant. Nombreux sont ceux que le malheur a ainsi frappés, sans distinction d’âge et dans le monde entier.
En 1987, le livre Autologous and Directed Blood Programs déplorait la situation en ces termes: “Au moment même où nous venions de déterminer les premiers groupes à risque survint l’impensable: la preuve que cette maladie mortelle [le SIDA] pouvait se transmettre — et se transmettait effectivement — par le sang de donneurs volontaires. Il ne pouvait y avoir ironie plus cruelle: voilà que ce précieux don du sang, ce don de vie, pouvait se transformer en instrument de mort.”
Même les médicaments fabriqués à partir du plasma contribuent à la propagation de la terrible maladie sur toute la terre. Les hémophiles, qui pour la plupart sont soignés avec un agent coagulant extrait du plasma, ont payé un très lourd tribut au SIDA. Aux États-Unis, 60 à 90 % d’entre eux l’ont contracté avant que l’on commence à purifier systématiquement le produit du VIH en le chauffant.
Aujourd’hui encore, le sang reste un vecteur du SIDA. Par ailleurs, le SIDA n’est pas le seul danger inhérent aux transfusions. Tant s’en faut.
Des risques qui éclipsent le SIDA
“C’est la substance la plus dangereuse que nous utilisions en médecine”, dit du sang le docteur Charles Huggins. Chef du service de transfusion sanguine d’un hôpital du Massachusetts, il sait de quoi il parle. Une grande partie du public croit que toute la difficulté d’une transfusion se résume à trouver un sang compatible avec celui du patient. C’est oublier qu’en dehors des systèmes ABO et Rhésus, pour lesquels on fait systématiquement des études de compatibilité, il existe dans le sang environ 400 autres groupes qui ne font, eux, l’objet d’aucune recherche. “Une transfusion sanguine est une transplantation d’organe, explique le docteur Denton Cooley, spécialiste en chirurgie cardio-vasculaire. Il y a, à mon avis, certaines incompatibilités dans presque toutes les transfusions de sang.”
Il n’est donc pas surprenant que la transfusion d’une substance aussi complexe puisse, pour reprendre l’expression d’un chirurgien, “semer le désordre” dans le système immunitaire. De fait, une transfusion sanguine peut déprimer le système immunitaire pour une année entière. Certains voient dans ce phénomène l’aspect le plus dangereux des transfusions.
N’oublions pas les maladies infectieuses. Elles portent des noms exotiques, tels que maladie de Chagas ou infection à cytomégalovirus, et leurs effets vont de la fièvre et des frissons à la mort pure et simple. Le docteur Joseph Feldschuh, de la Faculté de médecine Cornell, estime qu’on a une chance sur dix de contracter une maladie infectieuse à la suite d’une transfusion. Autant jouer à la roulette russe avec un revolver dont le barillet aurait dix alvéoles. De récentes études ont également révélé que l’administration de sang lors de l’opération d’un cancer accroît le risque de récurrence du cancer.
Dès lors, on ne s’étonne plus qu’il ait été dit au cours d’une émission télévisée d’information qu’une transfusion sanguine est peut-être l’entrave la plus importante à un bon rétablissement postopératoire. On en parle peu, mais l’hépatite frappe des centaines de milliers de transfusés et en tue beaucoup plus que le SIDA. Personne ne peut dire à combien se monte exactement le nombre des victimes, mais, selon l’économiste Ross Eckert, il pourrait équivaloir à l’écrasement au sol chaque mois d’un avion DC-10 rempli de passagers.
Les banques du sang et les risques
Comment les banques du sang ont-elles réagi à la révélation de tous les risques de leur produit? Pas très bien, si l’on en croit leurs détracteurs. En 1988, aux États-Unis, le Rapport de la commission présidentielle sur l’épidémie due au virus de l’immunodéficience humaine (angl.) les a accusées de montrer une “lenteur injustifiée” face à la menace du SIDA. On les a pressées de décourager les membres des groupes à haut risque de donner leur sang. On les a fortement incitées à analyser le sang lui-même, à y rechercher les éléments témoignant d’une origine suspecte. Elles se sont contentées de tergiverser et de minimiser les risques, les mettant avec dédain sur le compte de la psychose. Comment expliquer un tel comportement?
Dans son livre And the Band Played On, Randy Shilts accuse certains directeurs de banques du sang de s’être opposés à l’adoption de tests de dépistage supplémentaires, et ce “presque uniquement pour des raisons fiscales. En effet, bien qu’elle soit constituée en grande partie d’associations à but non lucratif comme la Croix-Rouge, l’industrie du sang brasse des sommes considérables, son chiffre d’affaires annuel s’élevant à un milliard de dollars. Elle qui fournissait chaque année de quoi réaliser 3,5 millions de transfusions voyait son commerce menacé”.
Par ailleurs, comme les banques du sang à caractère non lucratif dépendent étroitement des donneurs volontaires, elles hésitaient à froisser le moindre d’entre eux en excluant certains groupes à haut risque, les homosexuels notamment. Les défenseurs des droits des homosexuels montèrent d’ailleurs au créneau, clamant qu’une telle ségrégation constituerait une violation de leurs droits civils et aurait des relents concentrationnaires d’un autre temps.
La perte de donneurs et l’adoption de nouveaux tests coûteraient beaucoup d’argent. Au printemps 1983, le centre de transfusion sanguine de l’université de Stanford fut le premier à utiliser un test permettant de vérifier que le sang ne provenait pas d’un donneur à haut risque. Cette action provoqua le mécontentement d’autres banques du sang qui y virent une manœuvre commerciale destinée à attirer les clients. Il est vrai que les tests augmentent les coûts. Mais comme l’ont dit des parents dont le bébé a reçu une transfusion à leur insu, “nous n’aurions pas hésité à payer 5 dollars [30 francs français] de plus l’unité” pour ces tests. Peut-être leur enfant ne serait-il pas mort du SIDA.
Question de survie
Pour certains spécialistes, si les banques du sang se font tirer l’oreille pour réagir, c’est parce qu’elles n’ont pas à assumer les conséquences de leur légèreté. L’enquête du Philadelphia Inquirer signalait à ce propos que, tout en étant chargée de vérifier que les banques du sang se conforment à la réglementation, la FDA (Office des produits alimentaires et médicamenteux aux États-Unis) se repose essentiellement sur ces mêmes banques pour élaborer cette réglementation. Comme, en outre, certains membres de la FDA sont d’anciens responsables de l’industrie du sang, on comprend pourquoi les banques du sang ont été de moins en moins contrôlées, alors même que le SIDA était en pleine expansion.
Les centres de transfusion américains ont également fait pression pour que soient adoptées des lois les mettant à l’abri de poursuites judiciaires. Dans presque tous les États, la loi assimile désormais le sang à un service, non plus à un produit. De ce fait, quiconque attaque une banque du sang devant les tribunaux doit prouver qu’il y a eu négligence de sa part — plus facile à dire qu’à faire! La loi renforce donc l’immunité des banques du sang, mais elle n’immunise pas mieux les patients contre les dangers du sang.
De l’avis de l’économiste Ross Eckert, si les centres de transfusion étaient tenus pour responsables du sang sur lequel ils spéculent, ils feraient plus d’efforts pour en assurer la qualité. C’est également l’opinion d’Aaron Kellner, directeur retraité d’une banque du sang. “Quelques opérations juridiques relevant de l’alchimie ont permis de métamorphoser le sang en un service, dit-il. Tout le monde s’en est sorti; tout le monde, sauf la victime innocente, le patient.” Il ajoute: “Nous aurions pu, au moins, relever l’injustice de la situation, mais nous ne l’avons pas fait. Nous ne pensions qu’au danger qui nous menaçait, nous. Où était alors notre souci de la santé du patient?”
La conclusion de ce qui précède est incontournable: les banques du sang se préoccupent infiniment plus de préserver leurs intérêts financiers que de protéger les patients contre les risques inhérents à leur produit. ‘Mais faut-il vraiment s’inquiéter des risques si une vie est en jeu et que le sang soit le seul traitement possible? demandera-t-on. Ne vaut-il pas alors la peine de prendre le risque?’ Voilà des questions qui méritent considération. Mais dans quelle mesure toutes ces transfusions sont-elles nécessaires?
[Entrefilet, page 9]
Les médecins prennent toutes les précautions pour se protéger du sang de leurs patients. Mais les patients sont-ils suffisamment protégés contre le sang qui leur est transfusé?
[Encadré/Illustration, pages 8, 9]
Sang et SIDA — Quelle sécurité aujourd’hui?
“EXCELLENTE nouvelle!” titrait l’édition du 5 octobre 1989 du Daily News. Le quotidien new-yorkais signalait que les risques de contracter le SIDA à la suite d’une transfusion sanguine étaient de 1 sur 28 000. On y lisait également que les méthodes protégeant les réserves de sang de la contamination du virus seraient désormais efficaces à 99,9 %.
On constate le même optimisme du côté des professionnels. ‘Les réserves de sang n’ont jamais été aussi sûres’, affirment-ils. D’après le président de l’Association américaine des banques du sang, le risque de contracter le SIDA par voie sanguine a été “pour ainsi dire éliminé”. Mais si le sang est aussi sûr qu’on le dit, pourquoi tribunaux et médecins l’ont-ils qualifié de “toxique” et d’“inévitablement dangereux”? Pourquoi, lorsqu’ils opèrent, certains chirurgiens revêtent-ils de véritables tenues de cosmonautes, avec masque facial et bottes, pour éviter tout contact avec le sang? Pourquoi tant d’hôpitaux demandent-ils aux patients de signer une décharge par laquelle ils dégagent l’établissement de la responsabilité des conséquences dommageables qui pourraient résulter d’une transfusion sanguine? Le sang est-il vraiment exempt de germes pathogènes comme celui du SIDA?
La fiabilité d’un sang dépend de deux mesures de protection: le filtrage des donneurs et les tests réalisés sur le sang lui-même. De récentes études ont révélé qu’en dépit de tous les efforts mis en œuvre pour écarter les donneurs qui, par leur mode de vie, entrent dans les catégories à haut risque, certains passent au travers des mailles du filet. Ils mentent en remplissant le questionnaire et parviennent à donner leur sang. Pour quelques-uns, c’est un moyen discret de savoir s’ils sont ou non séropositifs.
En 1985, les centres de transfusion sanguine ont commencé à utiliser un test qui révèle la présence dans le sang des anticorps que l’organisme produit pour se défendre contre le virus du SIDA. Là où le bât blesse, c’est qu’il s’écoule un certain temps entre le moment où le sujet est contaminé par le virus et celui où il se met à fabriquer des anticorps détectables par le test. Cette période critique est appelée temps de latence.
La proportion de 1 séropositif pour 28 000 transfusés est tirée d’une étude qui a paru dans le New England Journal of Medicine. On y indiquait que le temps de latence est le plus souvent de l’ordre de huit semaines. Toutefois, quelques mois auparavant, en juin 1989, la même revue avait publié une étude qui montrait que cette période peut être beaucoup plus longue: trois années, voire davantage. Ces précédents travaux laissaient entendre non seulement que ces longues périodes étaient peut-être plus courantes qu’on ne le pensait jusqu’alors, mais aussi, et c’est le plus inquiétant, que certaines personnes contaminées pouvaient ne jamais développer d’anticorps contre le virus. L’équipe qui a réalisé la seconde étude, plus optimiste, n’a cependant pas jugé bon de retenir ces données, les qualifiant de “mal comprises”.
On ne s’étonnera donc pas du constat suivant fait par le docteur Cory SerVass, membre de la Commission présidentielle américaine sur le SIDA: “Les banques du sang peuvent continuer à dire que les réserves de sang sont aussi sûres que possible, les gens ne marchent plus parce qu’ils sentent que ce n’est pas vrai.”
[Crédit photographique]
CDC, Atlanta, Géorgie
[Encadré, page 11]
Sang transfusé et cancer
Les scientifiques s’aperçoivent qu’un sang transfusé peut détruire le système immunitaire et ainsi compromettre les chances de survie des personnes opérées d’un cancer. Dans son numéro du 15 février 1987, la revue Cancer (angl.) donnait les résultats d’une étude menée aux Pays-Bas: “Chez les malades atteints du cancer du côlon, on a observé d’importants effets négatifs sur la durée de vie à long terme des transfusés. Dans ce groupe, 48 % des transfusés et 74 % des non-transfusés ont atteint le seuil de survie des 5 ans.”
Des médecins de l’université de Californie du Sud ont également constaté que chez des opérés d’un cancer le taux de réapparition de la maladie était beaucoup plus élevé chez les transfusés. Les conclusions du suivi que ces médecins ont effectué sur cent patients étaient présentées dans le numéro de mars 1989 de la revue Annals of Otology, Rhinology & Laryngology: “Le taux de récurrence des cancers du larynx s’est élevé à 14 % chez ceux qui n’avaient pas reçu de sang et à 65 % chez ceux qui en avaient reçu. En ce qui concerne le cancer de la cavité buccale, du pharynx, du nez ou des sinus, le taux de récurrence était de 31 % chez les non-transfusés contre 71 % chez les transfusés.”
Dans un article intitulé “Les transfusions sanguines et la chirurgie carcinologique”, le docteur John Spratt déclare: “Le chirurgien cancérologue devra peut-être se passer de sang.” — The American Journal of Surgery, septembre 1986.
[Illustration, page 10]
On peut discuter la valeur thérapeutique du sang, mais pas le fait qu’il peut causer la mort.
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Les transfusions sont-elles irremplaçables?Réveillez-vous ! 1990 | 22 octobre
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Les transfusions sont-elles irremplaçables?
EN 1941, le docteur John Lundy établit un principe en matière de transfusions sanguines. Apparemment sans la moindre preuve clinique à l’appui, il décréta que tout patient dont la concentration d’hémoglobine (l’élément du sang qui transporte l’oxygène) descendait au-dessous de dix grammes par décilitre de sang avait besoin d’une transfusion. Par la suite, ce chiffre devint la règle pour la profession.
Cette règle est contestée depuis près de 30 ans. En 1988, le Journal de l’Association des médecins américains disait tout net qu’elle ne repose sur aucune preuve. Pour le professeur Howard Zauder, anesthésiste, son origine “se perd dans une tradition obscure et ne s’appuie sur aucune preuve clinique ou expérimentale”. D’autres spécialistes la qualifient ni plus ni moins de mythe.
Malgré ces vigoureuses mises au point, le mythe a la vie dure. Bon nombre d’anesthésistes et de médecins considèrent toujours la concentration de 10 g/dl comme le seuil au-dessous duquel une transfusion s’impose pour corriger l’anémie. C’est pour ainsi dire automatique.
Nul doute que ce réflexe n’est pas étranger à l’utilisation outrancière qui est faite du sang et de ses dérivés aujourd’hui. Le docteur Theresa Crenshaw, membre de la Commission présidentielle sur l’épidémie due au virus de l’immunodéficience humaine, estime que, rien qu’aux États-Unis, environ deux millions de transfusions sanguines par an n’ont pas lieu d’être faites et que la moitié environ des transfusions faisant appel à un sang conservé pourraient être évitées. Pour sa part, le ministère japonais de la Santé et des Affaires sociales a dénoncé “l’utilisation inconsidérée qui est faite des transfusions” au Japon, ainsi que la “confiance aveugle en leur efficacité”.
L’ironie dans le traitement d’une anémie par la transfusion est que cette dernière peut se révéler plus dangereuse que l’anémie elle-même. Les Témoins de Jéhovah, qui refusent les transfusions sanguines avant tout pour des motifs religieux, ont contribué à en apporter la preuve.
Peut-être vous est-il déjà arrivé de lire dans la presse qu’un Témoin de Jéhovah était mort pour avoir refusé une transfusion sanguine. Malheureusement, ces articles disent rarement tout de l’affaire. Souvent, c’est parce que le médecin a refusé d’opérer, ou ne l’a pas fait à temps, que le Témoin a perdu la vie. Certains chirurgiens refusent d’opérer s’ils ne sont pas libres de transfuser dans le cas où la concentration d’hémoglobine descendrait au-dessous de 10 g/dl. Pourtant, nombre de leurs confrères ont déjà opéré avec succès des Témoins qui présentaient des concentrations d’hémoglobine de l’ordre de cinq grammes, de deux grammes et même inférieures. L’un d’eux, le docteur Richard Spence, a dit: “Ce que j’ai appris avec les Témoins, c’est qu’une faible concentration d’hémoglobine n’a aucune incidence sur la mortalité.”
Les solutions ne manquent pas
‘Le sang ou la mort.’ C’est ainsi que certains médecins résument l’alternative devant laquelle se trouve le Témoin. Or, il y a en réalité bien d’autres solutions que la transfusion sanguine. Les Témoins de Jéhovah ne souhaitent pas mourir. Ils souhaitent par contre des traitements de remplacement. Simplement, étant donné que la Bible interdit de consommer du sang, ils ne considèrent pas les transfusions sanguines comme une thérapeutique acceptable.
En juin 1988, aux États-Unis, le Rapport de la Commission présidentielle sur l’épidémie due au virus de l’immunodéficience humaine suggérait que l’on accorde aux patients ce que les Témoins demandent précisément depuis des années. “Le consentement éclairé à une transfusion sanguine ou de dérivés sanguins, y lisait-on, devrait reposer sur un exposé des risques encourus (...) et d’une présentation des thérapeutiques appropriées autres que la transfusion sanguine homologue.”
En d’autres termes, les patients devraient pouvoir choisir. Une des possibilités qui s’offrent à eux est une forme de transfusion autologue. Le sang du patient est récupéré au cours de l’opération et réinjecté dans ses veines. Lorsqu’il constitue une simple extension du système circulatoire de l’opéré, ce procédé est jugé tout à fait acceptable par la plupart des Témoins. Des chirurgiens soulignent également l’utilité d’augmenter le volume sanguin du patient par la perfusion de substituts non sanguins et de laisser l’organisme reconstituer les globules rouges. Ces techniques remplacent les transfusions sans pour autant élever le taux de mortalité. En réalité, le patient y gagne même en sécurité.
Depuis peu, on dispose d’une substance pleine de promesses, l’érythropoïétine (obtenue par recombinaison), que les médecins sont autorisés à utiliser dans certains cas. Cette hormone stimule la formation des globules rouges, permettant au malade de tirer un meilleur parti de son propre sang.
Les laboratoires sont toujours à la recherche d’un substitut qui transporterait l’oxygène aussi efficacement que le sang. Aux États-Unis, les fabricants de tels substituts ont beaucoup de mal à obtenir l’autorisation de commercialiser leurs produits. Pourtant, comme l’a fait observer l’un d’eux, “si vous envisagiez de soumettre du sang à l’approbation de la FDA [Office des produits alimentaires et médicamenteux], on ne vous demanderait jamais de l’apporter, preuve ayant déjà été faite qu’il est extrêmement toxique”. Reste qu’on a de grands espoirs de découvrir et de voir un jour autorisée une substance chimique ayant les mêmes pouvoirs oxyphoriques que le sang.
Ce ne sont donc pas les possibilités qui manquent, et encore n’en avons-nous mentionné que quelques-unes. Le docteur Horace Herbsman, professeur de chirurgie clinique, en a tiré la conclusion suivante dans le journal Emergency Medicine: “Il est (...) parfaitement clair que nous disposons de substituts pour remplacer le sang. Peut-être en effet devrions-nous déduire de l’expérience acquise avec les Témoins de Jéhovah que nous n’avons pas autant besoin des transfusions sanguines, avec leur cortège de complications possibles, que nous l’avons pensé.” Bien sûr, rien de tout cela n’est vraiment nouveau. C’est ce que confirme l’American Surgeon: “Au cours des 25 années écoulées, il a été largement démontré qu’il est possible de mener à bien des opérations importantes sans recourir aux transfusions sanguines.”
Mais si le sang est dangereux et qu’il existe des substituts fiables, alors pourquoi des millions de personnes sont-elles transfusées inutilement — beaucoup à leur insu et d’autres contre leur volonté? Entre autres raisons, le rapport de la commission présidentielle américaine sur le SIDA mentionne l’absence de formation des médecins et des hôpitaux aux techniques de remplacement du sang. Un autre facteur est dénoncé en ces termes: “Parce qu’ils tirent leurs revenus de la vente du sang et de ses dérivés, certains centres régionaux de transfusion sanguine hésitent à promouvoir des procédés qui réduisent au minimum l’utilisation des thérapies de transfusion.”
Autrement dit, le sang fait l’objet d’un marché colossal.
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Un liquide d’une valeur inestimableRéveillez-vous ! 1990 | 22 octobre
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Un liquide d’une valeur inestimable
Même si l’on bannissait la transfusion sanguine pour ce qu’elle est: une thérapeutique dangereuse et superflue encouragée par une industrie souvent cupide, cela n’expliquerait toujours pas pourquoi les Témoins de Jéhovah la refusent. Leurs raisons, en effet, ne sont pas d’ordre médical, mais beaucoup plus profondes. Quelles sont-elles?
UNE goutte de sang, ce n’est rien du tout. Minuscule protubérance vermillon perlant d’une égratignure ou d’une piqûre d’épingle, il est si facile de l’essuyer machinalement.
Mais si nous, humains, pouvions rétrécir au point que cette protubérance nous apparaisse comme une montagne, nous découvririons dans ses profondeurs cramoisies un monde stupéfiant d’organisation et de complexité. À l’intérieur d’une seule goutte de sang s’active en effet une grande armée de cellules qui compte, entre autres, dans ses rangs 250 millions de globules rouges, 400 000 globules blancs et 15 millions de plaquettes. Dès qu’il s’agit d’intervenir dans le système circulatoire, chaque corps d’armée a une tâche qui lui est assignée.
Les globules rouges sillonnent à toute vitesse l’inextricable réseau qu’est le système vasculaire, transportant l’oxygène des poumons vers chaque cellule de l’organisme et assurant l’évacuation du gaz carbonique. Ils sont si microscopiques qu’il en faudrait 500 pour former une pile de seulement 1 millimètre. Pourtant, mis les uns sur les autres, tous les globules rouges de l’organisme composeraient une pile de 50 000 kilomètres! Après avoir fait le tour de l’organisme pendant 120 jours à raison de 1 440 fois par jour, le globule rouge est retiré de la circulation. Son cœur riche en fer est efficacement recyclé, et le reste éliminé. Chaque seconde, trois millions d’hématies terminent ainsi leur existence pendant qu’un nombre équivalent est fabriqué dans la moelle osseuse. Comment le corps sait-il qu’un globule rouge a l’âge de la retraite? Cette question laisse les scientifiques perplexes. Quoi qu’il en soit, sans ce système de renouvellement, “en quelques semaines, notre sang serait, au dire d’un chimiste, aussi épais que du béton”.
Pendant ce temps, les globules blancs patrouillent, traquant et détruisant tout envahisseur indésirable. Quant aux plaquettes, elles s’agglutinent instantanément là où se produisent des coupures, mettant en route le processus de coagulation et de cicatrisation de la blessure. Toutes ces cellules sont en suspension dans un liquide clair de couleur ivoire, le plasma, qui est lui-même composé de centaines de sortes d’éléments différents dont beaucoup sont indispensables au sang pour assumer ses nombreuses tâches.
Même en mettant leur intelligence en commun, les savants sont bien en peine de tout comprendre du sang. De là à le reproduire... Peut-on imaginer que ce liquide dont la complexité touche au miracle ne soit pas l’œuvre d’un grand Concepteur? Et si c’est le cas, ce Créateur suprahumain n’a-t-il pas le droit le plus absolu de fixer les modalités d’utilisation de ce dont il est l’Auteur?
C’est ce que les Témoins de Jéhovah ont toujours pensé. Ils voient en la Bible une lettre dans laquelle le Créateur indique aux hommes comment avoir une vie la plus heureuse possible. Or, cette lettre parle du sang. On lit en effet en Lévitique 17:14 que “l’âme de toute sorte de chair est son sang”. Cette expression n’est évidemment pas à prendre au sens littéral, car la Bible dit aussi que l’organisme vivant lui-même est une âme. Il faut plutôt comprendre que la vie de toutes les âmes est si étroitement liée au sang qui coule en elles, et dont elles dépendent, que ce sang est considéré logiquement comme un liquide sacré symbolisant la vie.
Certains ont du mal à le comprendre. Nous évoluons dans un monde où fort peu de choses sont tenues pour sacrées. La vie elle-même est rarement estimée à sa valeur. Dès lors, faut-il s’étonner que le sang soit traité comme une vulgaire marchandise? Toutefois, ceux qui respectent la volonté du Créateur n’agissent pas ainsi. ‘Tu ne devras pas manger de sang’, précisait l’ordre divin donné à Noé et à ses descendants — l’humanité entière (Genèse 9:4). Huit siècles plus tard, Dieu introduisit ce commandement dans la loi qu’il donna aux Israélites. Et au bout de quinze siècles, il le réaffirma une nouvelle fois à l’adresse de la congrégation chrétienne: ‘Abstenez-vous du sang.’ — Actes 15:20.
Les Témoins de Jéhovah font passer cette loi avant toute considération parce qu’ils veulent obéir au Créateur. Grâce à la mort sacrificielle de son Fils bien-aimé, Jéhovah a déjà fourni à l’humanité un sang salvateur, capable de prolonger la vie, non de quelques mois ou de quelques années seulement, mais éternellement. — Jean 3:16; Éphésiens 1:7.
Par ailleurs, leur refus des transfusions sanguines a protégé les Témoins de Jéhovah d’une foule de dangers. À présent, de plus en plus de patients qui ne sont pas Témoins refusent les transfusions. Peu à peu, le corps médical s’adapte et utilise moins de sang. “Manifestement, la transfusion la plus sûre est celle qui n’est pas administrée”, écrit le Surgery Annual. La revue Pathologist a fait remarquer, quant à elle, que les Témoins de Jéhovah ont toujours affirmé que la transfusion sanguine était une mauvaise idée, ajoutant: “Bien que les banques du sang protestent du contraire, de nombreuses preuves viennent appuyer leur thèse.”
À qui préférez-vous faire confiance? Au Créateur plein de sagesse qui a inventé le sang? Ou aux hommes qui en ont fait l’objet d’un fantastique commerce?
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