L’oreille de son maître
DE NOTRE CORRESPONDANT EN GRANDE-BRETAGNE
“ JE NE sais pas ce que je ferais sans ma petite chienne ! ” dit Dorothy en regardant tendrement Twinkie, sa jeune terrière étendue paresseusement sous son siège. “ Je ne l’ai que depuis quelques mois, mais je retrouve déjà une nouvelle jeunesse. ”
En la regardant de plus près, je m’aperçois que Twinkie, un Jack Russell croisé au pelage blanc et caramel, porte un harnais jaune très ajusté sur lequel est écrit en grosses lettres noires “ CHIEN DE SOURD ”. Pour sûr, cet animal n’est pas comme les autres. Mais quelles sont exactement ses compétences ?
Nous sommes en juillet 1998, à Londres, à l’assemblée internationale des Témoins de Jéhovah “ La voie de Dieu mène à la vie ”. Au milieu d’une foule de 44 000 personnes, j’ai rencontré Dorothy, tout à fait par hasard. En s’asseyant près d’un haut-parleur, Dorothy arrive à entendre les orateurs ; alors, à quoi peut bien lui servir un chien de sourd ? Un midi, pendant la pause, Dorothy me raconte son histoire.
Le rôle de Twinkie
À la suite d’une crise de rhumatisme articulaire aigu survenue quand elle avait trois ans, Dorothy est devenue sourde profonde. Depuis la mort de son mari, il y a 23 ans, elle vit seule. Or, en vieillissant, elle ressentait plus qu’un simple besoin de compagnie. “ Les sourds de mon âge peuvent éprouver un très grand sentiment d’insécurité, m’explique-t-elle. J’ai 74 ans, je vis dans une résidence gardée, mais quand le concierge vient me voir, je ne l’entends pas sonner. Il lui est arrivé plusieurs fois d’ouvrir la porte, parce qu’il craignait que quelque chose me soit arrivé. Je ne vous dis pas la peur que j’ai eue chaque fois ! Maintenant, j’ai Twinkie : quand elle entend la sonnette, elle me donne un petit coup sur la jambe et me conduit jusqu’à la porte d’entrée. C’est pareil avec la sonnerie du four : quand elle l’entend, elle court vers moi, et je la suis. Et si l’alarme incendie ou le détecteur de fumée devaient se déclencher, Twinkie attirerait mon attention et se coucherait pour me signaler un danger. Chaque fois qu’elle me rend service, je la récompense par une friandise.
Un dressage tout en habileté
La curiosité me pousse à demander à Dorothy comment elle a eu sa chienne et qui l’a dressée. Elle me parle alors de Hearing Dogs for Deaf People, une œuvre de bienfaisance dont la vocation est d’aider les sourds de Grande-Bretagne à jouir d’une plus grande autonomie, donc d’une meilleure qualité de vie. Depuis 1982, cette fondation a placé plusieurs centaines de chiens chez des particuliers. Une fois leur dressage terminé, ces chiens sont confiés pour adoption à leur nouveau propriétaire, tout cela gratuitement.
Bien qu’ils puissent avoir été donnés par des éleveurs, les chiens sélectionnés sont en général des animaux errants, souvent issus des refuges du pays. Le dressage réclame jusqu’à 12 mois. Il est souvent financé par un sponsor (une société ou un groupe de donateurs). Par exemple, c’est un club minceur qui a parrainé celui de Twinkie.
Une fois choisie, chaque bête pressentie pour la fonction de chien de sourd (son âge peut varier de sept semaines à trois ans) est dressée de façon à réagir à certains sons. Au départ, toutefois, on la confie à un volontaire qui la prend chez lui pendant deux à huit mois, selon son âge et son expérience. Cet éducateur lui apprendra peut-être les règles élémentaires du savoir-vivre en appartement, mais son souci principal sera de l’habituer aux lieux et aux transports publics, ainsi qu’à toutes sortes de situations avec des personnes de tous âges, y compris des enfants et des bébés. Le but est de dresser l’animal à bien se conduire quel que soit l’endroit où il sera placé.
Dorothy me précise que d’autres organismes d’aide aux handicapés emploient des chiens : on leur apprend à obéir à différents ordres, mais aussi à réagir à certaines scènes ou odeurs. Un chien d’arrêt attaché au service d’une femme en fauteuil roulant a appris à décrocher le téléphone, à ramasser le courrier et à lécher les timbres-poste. Un autre obéit à 120 ordres et prend, sur les rayons du supermarché, les boîtes et les paquets que son maître lui signale par un pointeur laser.
Un beau tandem
À ma question : “ Tout le monde a-t-il conscience de la valeur de Twinkie ? ” Dorothy me répond : “ Un jour, un commerçant n’a pas voulu la laisser entrer dans son magasin ; je pense que c’est parce qu’il avait de la nourriture en présentation. Mais ce n’est arrivé qu’une fois. Il n’avait pas compris le rôle de Twinkie. ”
Je saisis maintenant toute la valeur d’un chien de sourd dans une maison. Il me reste cependant une question. Pourquoi Dorothy a-t-elle besoin de Twinkie alors qu’elle semble tout à fait à l’aise dans ce grand rassemblement chrétien ? “ Je lis très bien sur les lèvres, me dit-elle, et ma prothèse m’aide à tenir une conversation. Mais quand les gens voient le harnais jaune de Twinkie, ils savent immédiatement que je suis sourde. Alors ils me parlent bien en face, généralement le plus distinctement possible. Je n’ai donc pas à expliquer mon handicap, et cela me simplifie énormément la vie. ”
Le programme va bientôt reprendre, et Twinkie a besoin de se dégourdir les pattes avant de s’installer pour l’après-midi. Avant de partir, je me penche pour la caresser. La chienne ouvre les yeux et pose son regard vif sur Dorothy en remuant la queue. Quelle docilité, quelle serviabilité chez cet animal ! Et quel beau tandem il forme avec sa maîtresse !
[Illustration, page 20]
Lors des assemblées, l’aide de Twinkie est très précieuse.