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Menaces sur la forêt amazonienneRéveillez-vous ! 1997 | 22 mars
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Menaces sur la forêt amazonienne
VUE d’avion, la forêt amazonienne, tapis-continent, semble aussi verte et vierge qu’au temps d’Orellana. Pour qui en affronte à pied le terrain difficile, la chaleur, l’humidité et les insectes gros comme de petits mammifères, la frontière entre réalité et fiction est malaisée à établir. Les feuilles sont parfois des papillons, les lianes des serpents, les morceaux de bois secs des rongeurs effarouchés qui s’enfuient à toute vitesse. La sylve amazonienne continue de brouiller les cartes.
“ Comble de l’ironie, relève un observateur, la réalité est aussi invraisemblable que les mythes qui entourent l’Amazonie. ” Invraisemblable est le terme. Imaginez une forêt vaste comme l’Europe occidentale. Mettez-y plus de 4 000 espèces d’arbres ; parez-la de plus de 60 000 espèces de plantes à fleurs ; colorez-la des teintes éclatantes de 1 000 espèces d’oiseaux ; enrichissez-la de 300 espèces de mammifères ; emplissez-la du vrombissement de peut-être deux millions d’espèces d’insectes. Vous comprenez maintenant pourquoi la forêt amazonienne ne se décline qu’au superlatif. Seuls les superlatifs conviennent pour rendre compte de l’incroyable diversité biologique qu’abrite la plus vaste des forêts tropicales humides du globe.
L’isolement des “ morts vivants ”
Il y a 90 ans, l’écrivain et humoriste américain Mark Twain a décrit cette forêt fascinante comme “ un pays enchanté, une terre prodigue de merveilles tropicales, une contrée magique dont tous les oiseaux, fleurs et mammifères auraient fait belle figure dans un musée et où l’alligator, le crocodile et le singe paraissaient aussi à l’aise qu’au zoo ”. Aujourd’hui, les mots d’esprit de Twain ont pris une résonance plus grave. Musées et zoos pourraient bien devenir sous peu les seuls et uniques refuges d’un nombre croissant de merveilles amazoniennes. Pourquoi cela ?
Principalement, bien sûr, parce que l’homme, en abattant la forêt, supprime l’habitat de la flore et de la faune. Toutefois, en marge de cette destruction systématique, il est d’autres facteurs, plus subtils, qui font des plantes et des animaux des “ morts vivants ”. Autrement dit, les biologistes croient l’extinction des espèces inéluctable.
L’isolement est un de ces facteurs. Pris d’une pulsion écologique, des responsables politiques interdiront peut-être l’abattage des arbres dans un îlot de forêt pour assurer la survie des espèces qu’il abrite. Mais un îlot de forêt n’a que la mort à offrir à ses hôtes. Pour illustrer cette vérité, La protection des forêts tropicales : une tâche internationale prioritaire (angl.) prend un exemple.
Les arbres tropicaux sont souvent soit mâles, soit femelles. Pour se reproduire, ils bénéficient de l’aide des chauves-souris, qui transportent le pollen des fleurs mâles aux fleurs femelles. Bien entendu, ce service de pollinisation n’est possible que si les arbres mâles et femelles poussent dans le rayon de vol de la chauve-souris. Que la distance qui les sépare soit trop grande, ce qui arrive souvent lorsqu’un bout de forêt se retrouve isolé au milieu d’une mer de brûlis, et l’animal ne peut plus faire son œuvre. Les arbres deviennent alors des “ ‘ morts vivants ’, car leur reproduction à long terme n’est plus possible ”.
Ce lien entre les arbres et les chauves-souris n’est qu’une des interactions qui forment l’écosystème amazonien. En résumé, la forêt amazonienne est une immense maison qui offre le gîte et le couvert à des espèces diverses mais interdépendantes. Pour éviter la promiscuité, ses hôtes vivent sur plusieurs étages, les uns près du sol, les autres dans la canopée. Tous travaillent, qui de jour, qui de nuit. Lorsque chaque espèce peut accomplir sa tâche, le système tourne comme une horloge.
L’écosystème amazonien (“ éco ”, du grec oïkos, “ maison ”) est cependant fragile. Même quand elle se limite à l’exploitation de quelques espèces, l’intervention de l’homme affecte tous les “ étages ”. Ainsi, selon le défenseur de l’environnement Norman Myers, l’extinction d’une seule espèce de plante peut mener à terme à la disparition de 30 espèces animales. Et, puisque ce sont les animaux qui assurent la dissémination des graines de la majorité des arbres tropicaux, en détruisant les premiers l’homme détruit les seconds (voir l’encadré “ La symbiose arbres-poissons ”). Comme l’isolement, la perturbation des mécanismes de l’écosystème envoie de plus en plus d’espèces à la mort.
Mini-déforestation, mini-effets ?
Certains justifient le déboisement de petites parcelles parce que, pensent-ils, la forêt repousse, comme un doigt guérit d’une coupure. Est-ce exact ? Pas vraiment.
Certes, la forêt repousse si on lui en laisse le temps et l’occasion. Mais la forêt secondaire ressemble autant à la forêt primaire qu’une mauvaise photocopie à un original irréprochable. En étudiant une zone de forêt secondaire datant d’un siècle, la botaniste brésilienne Ima Vieira a constaté qu’elle n’abritait plus que 65 des 268 espèces d’arbres dont elle s’enorgueillissait à l’état primaire. Et le déclin était identique chez les animaux. On le voit, si la déforestation ne transforme pas, comme le prétendent certains, l’enfer vert en désert rouge, elle en transforme néanmoins certaines parties en une pâle imitation de l’original.
En outre, les coupes blanches, même limitées, détruisent souvent de nombreuses espèces de plantes et d’animaux qui ne poussent, ne rampent ou ne grimpent que dans cette aire. Ainsi, en Équateur, des chercheurs ont recensé 1 025 espèces de plantes dans un espace de 1,7 kilomètre carré. Plus de 250 ne poussaient nulle part ailleurs dans le monde. L’écologiste brésilien Rogério Gribel cite l’exemple du sauim-de-coleira (tamarin bicolore), charmant petit singe qu’on dirait vêtu d’un tee-shirt blanc. “ Les rares survivants ne vivent que dans une zone restreinte du centre de l’Amazonie, près de Manaus, mais la destruction de leur environnement va faire disparaître l’espèce à jamais. ” Mini-déforestation, maxi-effets.
Où l’on enroule le “ tapis ”
C’est toutefois le déboisement à tout-va qui constitue la plus grave menace pour la forêt amazonienne. En rasant des écosystèmes entiers en un clin d’œil, les sociétés routières, les bûcherons, les mineurs et bien d’autres font disparaître la forêt comme on enroulerait un tapis.
Bien que les chiffres exacts du massacre pour le Brésil soient loin de faire l’unanimité (les estimations les plus prudentes parlent de 36 000 kilomètres carrés par an), plus de 10 % de la forêt amazonienne pourraient s’être déjà volatilisés, soit une superficie supérieure à celle de l’Allemagne. Veja, le plus grand hebdomadaire brésilien d’actualités, signalait qu’en 1995 les agriculteurs avaient allumé quelque 40 000 feux de forêt — cinq fois plus que l’année précédente. L’homme met une telle énergie à incendier la forêt, ajoutait la revue, que certaines parties de l’enfer vert ressemblent à l’enfer tout court.
Des espèces disparaissent — et alors ?
‘ Avons-nous vraiment besoin de ces millions d’espèces ? ’ demanderont certains. Oui, affirme le défenseur de l’environnement Edward Wilson, de Harvard. “ Nous dépendons d’écosystèmes en bonne santé pour purifier l’eau, enrichir le sol et créer l’air que nous respirons, explique-t-il. Il est donc manifeste que nous ne pouvons dilapider la biodiversité. ” On lit par ailleurs dans Des hommes, des plantes et des brevets (angl.) : “ C’est par l’accès à une ample diversité génétique que les humains survivront. Si cette diversité disparaissait, nous disparaîtrions peu après. ”
De fait, la destruction des espèces signifie beaucoup plus que des arbres abattus, des animaux menacés ou des indigènes persécutés (voir l’encadré “ Le facteur humain ”). Le recul des forêts tropicales nous affecte tous. Voyez plutôt : un Mozambicain qui coupe des tiges de manioc, une Ouzbek qui prend un contraceptif oral, un petit blessé de Sarajevo à qui on administre de la morphine ou une New-Yorkaise qui essaie un parfum exotique dans un magasin — tous ces gens, fait observer l’Institut Panos, ont une dette envers les forêts tropicales. Ces forêts rendent service à l’humanité tout entière, vous y compris.
Une arme contre la famine
Si la forêt amazonienne ne peut nourrir l’humanité à satiété, elle peut cependant contribuer à conjurer une famine mondiale (voir l’encadré “ Le mythe de la fertilité ”). Comment cela ? Dans les années 70, l’homme a commencé à semer sur une grande échelle certaines variétés de plantes qui produisaient des récoltes miracles. Ces variétés à haut rendement ont aidé à nourrir 500 millions de bouches supplémentaires, mais la médaille a son revers : en raison de leur uniformité génétique, ces plantes sont vulnérables. Un virus peut décimer la récolte de tout un pays et provoquer ainsi des famines.
Visant la production de variétés plus résistantes qui limiteraient les risques de famine, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) encourage aujourd’hui “ l’utilisation d’une gamme plus étendue de matériel génétique ”. C’est là que les forêts tropicales et leurs peuples indigènes entrent en jeu.
Étant donné que les forêts tropicales abritent plus de la moitié des espèces de plantes du monde (dont quelque 1 650 propres à l’alimentation), la pépinière amazonienne est l’endroit idéal où chercher des espèces sauvages. De plus, les indigènes savent utiliser ces plantes. Un exemple : les Cayapos, Indiens du Brésil, produisent de nouvelles variétés de plantes alimentaires et en conservent des échantillons dans des banques de gènes à flanc de colline. Le croisement des variétés sauvages avec les variétés domestiques, vulnérables, rendra les cultures vivrières plus résistantes. L’entreprise est urgente, dit la FAO, car “ la production alimentaire doit absolument augmenter de 60 % dans les 25 années à venir ”. Dire que la forêt amazonienne continue d’être dévastée par les bulldozers conquérants !
Les conséquences ? En détruisant les forêts tropicales, l’homme ressemble à un agriculteur qui mangerait ses semences de maïs : rassasié aujourd’hui, il aurait faim demain. Un groupe de spécialistes de la biodiversité a présenté “ la protection et le développement de la diversité mise à mal des plantes alimentaires [comme] une question qui doit impérativement retenir l’attention du monde entier ”.
Des plantes prometteuses
Pénétrez maintenant dans la pharmacie qu’est la forêt tropicale, et vous verrez que le sort de l’homme est inextricablement lié aux hôtes végétaux de ces bois. Par exemple, les alcaloïdes extraits des plantes grimpantes ou rampantes d’Amazonie sont utilisés comme relaxants musculaires en thérapie préchirurgicale ; et, grâce aux substances chimiques présentes dans la pervenche de Madagascar, une plante forestière, on prolonge la vie de 4 enfants leucémiques sur 5. Les forêts tropicales fournissent également de la quinine, un antipaludéen, de la digitaline, utilisée dans le traitement des insuffisances cardiaques, et de la diosgénine, qui entre dans la composition des contraceptifs oraux. D’autres plantes donnent des espérances dans la lutte contre le sida et le cancer. “ Rien qu’en Amazonie, lit-on dans un rapport de l’ONU, on a recensé 2 000 espèces de plantes utilisées comme médicaments par la population indigène et susceptibles d’intéresser l’industrie pharmaceutique. ” Dans le monde, révèle une autre étude, 8 personnes sur 10 se soignent avec des plantes.
Pour le professeur Philip Fearnside, il est donc logique de sauver ces plantes qui nous sauvent. “ De l’aveu général, la disparition de la forêt amazonienne compromettrait grandement la recherche contre le cancer chez l’homme. [...] Penser que les succès remarquables de la médecine moderne rendent superflue une grande partie de ces stocks relève d’un orgueil démesuré qui pourrait nous coûter la vie. ”
Néanmoins, l’homme continue à détruire les animaux et les plantes avant même qu’on n’ait eu le temps de les découvrir et d’établir leur classification. D’où ces questions : pourquoi la déforestation continue-t-elle ? Peut-on inverser la tendance ? La forêt amazonienne a-t-elle un avenir ?
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En quête de solutionsRéveillez-vous ! 1997 | 22 mars
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En quête de solutions
IL CONVIENT de se souvenir que les menaces qui pèsent sur les forêts tropicales sont le reflet de problèmes plus profonds et que la déforestation continuera si l’on ne s’attaque pas à ses causes véritables. Quelles sont ces causes ? Selon une enquête patronnée par l’ONU, les “ principales forces s’opposant à la préservation de l’Amazonie ” sont “ la pauvreté et les injustices humaines ”.
Vous avez dit verte ?
La destruction de la forêt, affirment des chercheurs, est en partie une retombée de la révolution “ verte ” née il y a quelques dizaines d’années dans le sud et le centre du Brésil. Avant cela, des milliers de familles vivaient de leur riz, de leurs haricots, de leurs pommes de terre et de quelques têtes de bétail. La culture intensive et mécanisée du soja, ainsi que les aménagements hydroélectriques, les a dépossédées de leurs terres et a remplacé vaches et cultures locales par une production agricole exclusivement destinée aux pays industrialisés. Entre 1966 et 1979, la superficie des terres mises à part pour les cultures d’exportation a augmenté de 182 %. En conséquence de quoi 11 petits agriculteurs sur 12 ont perdu leurs terres et leur gagne-pain. Pour eux, la révolution verte s’est avérée plutôt sombre.
Où iraient ces paysans sans terre ? Des hommes politiques, nullement disposés à combattre la répartition injuste des terres dans leur région, ont trouvé la solution : l’Amazonie, “ terre sans hommes pour les hommes sans terres ”. Dans les dix ans qui ont suivi l’ouverture de la première transamazonienne, plus de deux millions de fermiers du sud du Brésil et de la zone nord-est du pays, éprouvée par la sécheresse et la pauvreté, se sont installés dans des milliers de cabanes le long de cet axe. Quand de nouvelles routes ont été construites, d’autres candidats ont mis le cap sur l’Amazonie, prêts à transformer la forêt en terres agricoles. Pour les spécialistes, “ le bilan de presque 50 ans de colonisation est négatif ”. “ On a exporté [la pauvreté et l’injustice] en Amazonie ” et “ créé dans cette région de nouveaux problèmes ”.
Un plan en trois points
Soucieux d’une prise en compte des causes de la déforestation et de l’amélioration des conditions de vie dans la forêt amazonienne, la Commission pour le développement et l’environnement en Amazonie a publié un document dans lequel il suggère aux États du bassin amazonien trois mesures préliminaires : 1) S’attaquer aux problèmes socioéconomiques dans les régions déshéritées. 2) Exploiter les zones de forêt épargnées et réutiliser celles qui ont été déboisées. 3) Remédier aux graves injustices, causes réelles de la pauvreté et de la déforestation. Examinons de plus près ce triple programme.
Investissements
S’attaquer aux problèmes socioéconomiques. “ L’un des moyens les plus efficaces pour freiner la déforestation, fait observer la commission, est d’investir dans certaines des régions les plus pauvres, celles dont la population est contrainte d’émigrer en Amazonie pour y chercher un avenir meilleur. ” Cependant, “ cette option retient rarement l’attention des planificateurs du développement régional ou national et de ceux qui, dans les pays industriels, se font les champions d’une forte réduction du déboisement en Amazonie ”. Pourtant, dit encore la commission, si les hauts responsables et les pays étrangers usaient de leur savoir et de leurs fonds pour résoudre des problèmes tels qu’une distribution insuffisante des terres ou la pauvreté urbaine dans les régions circonvoisines de l’Amazonie, ils ralentiraient l’exode et contribueraient ainsi au sauvetage de la forêt.
Mais que faire pour les petits paysans qui vivent déjà en Amazonie ? Leur survie dépend du produit de terres qui ne conviennent pas à la culture.
Préserver la forêt pour ses arbres
Exploiter la forêt et réutiliser les zones déboisées. “ Les forêts tropicales sont surexploitées, mais sous-utilisées. Leur salut est tout entier suspendu à ce paradoxe. ” (Forêts en voie de disparition [angl.], publié par l’ONU). Au lieu de les exploiter en en abattant les arbres, disent les experts, l’homme devrait les utiliser en en moissonnant les produits, tels que les fruits (à écales et autres), les huiles, le latex, les essences et les plantes médicinales, pour ne citer que ceux-là. Si l’on en croit les estimations, ces produits représentent “ 90 % de la valeur économique de la forêt ”.
Doug Daly, du Jardin botanique de New York, explique pourquoi, à son sens, le passage de la destruction à la “ moisson ” est judicieux : “ On calme l’État, qui ne voit pas disparaître du marché de grands pans d’Amazonie. [...] Les populations ont du travail, et on préserve la forêt. Il est assez difficile de trouver des inconvénients à cette orientation. ” — Wildlife Conservation.
En épargnant la forêt pour profiter de ses arbres, on améliore bel et bien les conditions de vie de ses habitants. Par exemple, des chercheurs de Belém (nord du Brésil) ont calculé qu’en transformant un hectare de forêt en pâturages on réalise un profit de seulement 125 francs français par an. Autrement dit, pour gagner le salaire minimal en vigueur au Brésil, il faut 48 hectares de pâturages et 16 têtes de bétail. Or, signale Veja, renoncer à ses idées d’élevage pour moissonner les produits de la forêt est beaucoup plus rentable. La gamme des produits qui n’attendent que d’être récoltés est stupéfiante, dit le biologiste Charles Clement. “ On peut produire ou récolter des dizaines de sortes de légumes et des centaines d’espèces de fruits, de résines et d’huiles, ajoute-t-il. Mais l’homme doit apprendre à voir en la forêt une source de profit et non un obstacle à la richesse. ”
Une seconde vie pour les terres à l’abandon
De l’avis du chercheur brésilien João Ferraz, on peut allier développement économique et préservation de l’environnement. “ Regardez la superficie des forêts détruites. Nul besoin d’abattre davantage de forêt primaire. Pourquoi ne pas plutôt réhabiliter et réutiliser les zones déboisées et dégradées ? ” En Amazonie, les terres dégradées ne manquent pas.
À la fin des années 60, l’État a commencé à verser d’énormes subventions pour encourager les gros investisseurs à transformer la forêt en pâturages. C’est ce qu’ils ont fait, mais, explique le professeur Ferraz, “ les pâturages étaient épuisés au bout de six ans. Puis, quand tout le monde a compris qu’il s’agissait là d’une grossière erreur, les grands propriétaires fonciers, après avoir bien profité de l’argent de l’État, sont partis ”. Le résultat ? “ Deux cent mille kilomètres carrés de pâturages abandonnés sont en train de mourir. ”
Aujourd’hui, cependant, des chercheurs comme João Ferraz trouvent de nouvelles utilisations à ces terres dégradées. C’est ainsi qu’on a planté il y a quelques années 320 000 jeunes châtaigniers du Brésil sur les terres abandonnées par un éleveur. Maintenant, ces arbres produisent. Étant donné que le châtaignier du Brésil pousse vite et donne un bois de valeur, on en plante actuellement sur les terres déboisées dans différentes parties du bassin amazonien. Exploiter les produits de la forêt, enseigner aux agriculteurs la culture de plantes alimentaires vivaces, adopter des méthodes de bûcheronnage respectueuses de la forêt et faire revivre les terres dégradées — toutes ces approches, disent les experts, sont valables pour la préservation des forêts. — Voir l’encadré “ Agents de conservation ”.
Toutefois, disent les spécialistes, on ne sauvera pas les forêts par la seule revalorisation des terres. Il faut aussi transformer la nature humaine.
Comment redresser ce qui est tortueux
Remédier aux injustices. Les comportements inéquitables qui violent les droits d’autrui naissent souvent de l’avidité. Or, comme l’a fait remarquer Sénèque, philosophe de l’Antiquité, “ aux gens avides la nature tout entière ne suffirait pas ” ; donc pas non plus l’immense forêt amazonienne.
Tandis que les petits fermiers amazoniens ont peine à vivre, des industriels et de grands propriétaires fonciers abattent la forêt pour grossir leur portefeuille. Les spécialistes soulignent que les pays occidentaux sont eux aussi à blâmer pour leur lourde responsabilité dans la déforestation en Amazonie. Un groupe de chercheurs allemands est arrivé à la conclusion que “ les pays riches sont largement responsables des dégâts déjà causés à l’environnement ”. De l’avis de la Commission pour le développement et l’environnement en Amazonie, la préservation de l’Amazonie réclame rien de moins qu’“ une nouvelle éthique mondiale, une éthique qui produira un schéma de développement meilleur, basé sur la solidarité et la justice ”.
Malheureusement, les nuages de fumée qui ne cessent de monter de l’Amazonie rappellent que, malgré les efforts d’hommes et de femmes du monde entier, les bonnes idées sont plus que difficiles à concrétiser. Pourquoi cela ?
Les vices tels que l’avidité sont fermement ancrés, bien plus enracinés dans la société que les arbres dans le sol amazonien. Si nous devons individuellement faire ce que nous pouvons pour préserver la forêt, il est irréaliste d’espérer que les hommes, aussi sincères soient-ils, réussiront à déraciner les causes, profondes et complexes, de la déforestation. Les paroles du roi Salomon, observateur perspicace de la nature humaine, restent vraies quelque trois mille ans plus tard : “ Ce qui devient tortueux ne peut se redresser ” par les seuls efforts de l’homme (Ecclésiaste 1:15). “ O pau que nasce torto, morre torto ”, dit un proverbe brésilien (l’arbre né tordu meurt tordu). Et pourtant, les forêts tropicales du globe ont un avenir. Comment cela ?
La fin des menaces
Il y a environ un siècle, subjugué par la profusion des formes de vie en Amazonie, l’auteur brésilien Euclides da Cunha a parlé de cette forêt comme d’“ une page inédite de la Genèse ”. Si l’homme s’emploie à salir et à écorner cette “ page ”, ce qu’il en reste demeure, selon les termes d’un rapport spécialisé (Amazonia Without Myths [Le vrai visage de l’Amazonie]), “ une image émouvante de ce que la terre était à l’époque de la Création ”. Pour combien de temps encore ?
Réfléchissez : la forêt amazonienne, comme toutes les forêts tropicales de la planète, fournit la preuve de ce que Da Cunha appelle “ une intelligence sans égal ”. Tout dans les arbres, de leurs racines à leurs feuilles, atteste qu’ils sont l’œuvre d’un maître architecte. Dès lors, ce Grand Architecte laissera-t-il l’homme, dans son avidité, anéantir les forêts tropicales et ruiner la terre ? La Bible répond par un non catégorique : “ Les nations se sont mises en colère, et [la] colère [de Dieu] est venue, ainsi que le temps fixé [...] de causer la ruine de ceux qui ruinent la terre. ” — Révélation 11:18.
Notez qu’il n’est pas dit seulement que Dieu soignera la racine du mal en éliminant les gens avides, mais aussi qu’il le fera à notre époque. Comment peut-on l’affirmer ? Selon cette prophétie, Dieu agit en un temps où l’homme ‘ ruine ’ la terre. Quand ces mots ont été rédigés, il y a près de deux mille ans, l’homme n’avait pas le pouvoir, ni numériquement, ni techniquement, de ruiner la terre. Mais la situation a changé. “ Pour la première fois dans l’Histoire, fait remarquer La protection des forêts tropicales : une tâche internationale prioritaire, l’humanité est en mesure de détruire les bases de sa survie non seulement à l’échelle d’une région ou d’un secteur, mais à l’échelle mondiale. ”
“ Le temps fixé ” où le Créateur agira contre “ ceux qui ruinent la terre ” est proche. La forêt amazonienne vivra, ainsi que les autres écosystèmes menacés de la planète. Dieu y veillera. Ce n’est pas là un mythe, mais une réalité.
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En quête de solutionsRéveillez-vous ! 1997 | 22 mars
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Agents de conservation
Les bureaux de l’I.N.P.A., l’Institut brésilien de recherche sur l’Amazonie, sont situés près de Manaus dans une forêt secondaire d’environ 400 000 mètres carrés. Fondé il y a 42 ans, cet organisme — 13 services s’intéressant à toutes sortes de domaines, de l’écologie à la sylviculture en passant par la santé — est le plus grand centre de recherche de la région. Il abrite également l’une des plus riches collections du monde de plantes, de poissons, de reptiles, d’amphibiens, de mammifères, d’oiseaux et d’insectes d’Amazonie. Les travaux des 280 chercheurs font progresser les connaissances sur les interactions complexes des écosystèmes amazoniens. Les visiteurs quittent les lieux avec un certain optimisme. En dépit des freins bureaucratiques et politiques, les scientifiques brésiliens et étrangers ont retroussé leurs manches pour travailler à la préservation de la forêt amazonienne, le joyau des forêts tropicales.
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