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AllemagneAnnuaire 1999 des Témoins de Jéhovah
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Soudain... La chute du mur de Berlin !
L’événement a été si soudain qu’il en a sidéré le monde ! Sur toute la surface du globe on l’a suivi à la télévision. À Berlin, des milliers l’ont célébré bruyamment. La barrière séparant l’Est de l’Ouest était tombée. C’était le 9 novembre 1989.
Plus de 25 ans auparavant, au petit matin du 13 août 1961, les Berlinois avaient découvert, stupéfaits, les autorités de Berlin-Est en train de construire un mur séparant le secteur sous contrôle communiste du reste de la ville. Berlin était physiquement partagée entre l’est et l’ouest, reflet de la situation existant entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest. Le mur de Berlin était peut-être le symbole le plus spectaculaire de la lutte opposant deux superpuissances pendant la guerre froide.
Puis, le 12 juin 1987, deux ans avant les événements stupéfiants de 1989, le président américain Ronald Reagan avait demandé, au cours d’une allocution, alors qu’il faisait face à la porte de Brandebourg et qu’il tournait le dos au mur de Berlin : “ Monsieur Gorbatchev, ouvrez cette porte. Monsieur Gorbatchev, faites tomber ce mur. ” Mais y avait-il le plus petit indice que sa requête serait exaucée ? Fallait-il y voir autre chose qu’un effet oratoire digne de la guerre froide ? Difficile à imaginer. Début 1989, Erich Honecker, dirigeant de l’Allemagne de l’Est, déclarait, peut-être en guise de réponse, que le mur ‘ serait toujours debout dans 50 ans et aussi dans 100 ans ’.
Pourtant, d’une manière aussi soudaine qu’inattendue, la porte de Brandebourg fut ouverte et le mur de Berlin réduit en poussière. Un membre de la famille du Béthel de Selters se souvient qu’en rentrant d’une réunion de la congrégation, le soir du jeudi 9 novembre, il a regardé le dernier journal télévisé. Incrédule, il a suivi tous les reportages sur l’ouverture de la frontière qui coupait Berlin en deux. Les Berlinois de l’Est entraient librement à l’Ouest pour la première fois depuis 27 ans ! Il n’en croyait pas ses yeux : des voitures franchissaient la frontière dans un concert de klaxons, tandis que les Berlinois de l’Ouest, de plus en plus nombreux — certains avaient quitté leur lit — arrivaient à la frontière et formaient une haie pour pouvoir serrer dans leurs bras ces visiteurs imprévus. On pleurait de joie. Le mur était tombé ! Il allait tomber au sens propre durant la nuit.
Les 24 heures suivantes, dans le monde entier, les gens étaient incapables de s’arracher de leur téléviseur. L’Histoire était en train de s’écrire. Quelles en seraient les conséquences pour les Témoins de Jéhovah d’Allemagne ? Et qu’est-ce que cela impliquerait pour les Témoins du monde entier ?
La visite d’une trabi
Le samedi matin suivant, un peu avant 8 heures, alors qu’il se rendait sur son lieu d’activité, un frère du Béthel a rencontré un de ses compagnons, Karlheinz Hartkopf, à présent en Hongrie. Tout excité, ce frère lui a dit : “ Je suis sûr que les premiers frères de l’Est ne vont pas tarder à arriver à Selters ! ” Frère Hartkopf, sans se départir de son calme habituel et l’air de rien, lui a répondu : “ Ils sont déjà là. ” Effectivement, aux premières lueurs de l’aube, deux frères étaient arrivés dans leur trabi, cette petite voiture à deux temps typique de l’Allemagne de l’Est, et attendaient l’ouverture des portes, garés à l’extérieur du Béthel.
La nouvelle a rapidement fait le tour du Béthel. Mais, avant même que chacun ait eu l’occasion de les voir ou de les saluer, ces visiteurs inattendus, mais néanmoins les bienvenus, étaient déjà repartis pour l’Est, la voiture bourrée de publications. Celles-ci étaient encore officiellement interdites, de même que l’œuvre des Témoins de Jéhovah ; toutefois l’enthousiasme provoqué par l’événement avait renouvelé le courage des frères. “ Il faut que nous soyons de retour pour la réunion de demain matin ”, avaient-ils expliqué. Imaginez la joie des membres de la congrégation lorsque ces frères sont arrivés avec des cartons remplis de toutes les publications dont ils avaient manqué pendant si longtemps !
Les quelques semaines qui ont suivi ont vu des milliers d’Est-Allemands passer la frontière. C’était une première pour nombre de ceux qui affluaient à l’Ouest. Ils goûtaient manifestement une liberté de mouvement depuis longtemps oubliée. De l’autre côté de la frontière, on les saluait de la main. Les Témoins de Jéhovah ouest-allemands étaient également présents pour les accueillir, mais avec quelque chose de plus conséquent que des signes visibles d’émotion. Ils offraient des publications bibliques à ces visiteurs venus de l’Est.
Les congrégations de certaines villes frontière ont fait des efforts particuliers pour contacter les visiteurs est-allemands. Comme les publications des Témoins de Jéhovah étaient interdites depuis des dizaines d’années, elles étaient à peine connues, voire pas du tout. Au lieu du porte-à-porte traditionnel, les proclamateurs ont fait du “ trabi-à-trabi ”. Les gens étaient avides de nouveauté, y compris en matière de religion. Parfois les proclamateurs disaient simplement : “ Vous n’avez probablement jamais lu ces deux revues, car elles sont interdites dans votre pays depuis près de 40 ans. ” La réponse courante était : “ Puisqu’elles ont été interdites, c’est qu’elles doivent être bien. Donnez-les moi. ” Deux proclamateurs de la ville frontière de Hof ont distribué chacun plus de 1 000 périodiques par mois. Inutile de dire que cette congrégation, ainsi que ses voisines, ont écoulé leur excédent de périodiques en moins de rien.
Pendant ce temps, les frères est-allemands savouraient leur liberté nouvelle avec, toutefois, une certaine prudence au début. Wilfried Schröter, qui a connu la vérité sous l’interdiction en 1972, raconte : “ Les premiers jours qui ont suivi la chute du mur, il restait bien entendu une certaine crainte ; la situation pouvait de nouveau être renversée. ” Moins de deux mois plus tard, il assistait à une assemblée dans la Salle d’assemblées de Berlin. Il confiera plus tard au sujet de cette assemblée : “ J’étais bouleversé de me trouver au milieu de tant de frères. Je chantais les cantiques les larmes aux yeux, et je n’étais pas le seul. Je découvrais avec une joie extraordinaire ce qu’était une ‘ assemblée en direct ’. ”
Manfred Tamme a exprimé des sentiments similaires. Durant l’interdiction, les réunions avaient lieu en cercle restreint et toute sonorisation était superflue. Mais les choses avaient changé. “ J’étais pionnier spécial depuis plus de 30 ans, dit-il, pourtant c’était la première fois de ma vie que je parlais dans un micro. Je me souviens encore à quel point j’ai eu peur quand j’ai entendu ma voix renvoyée par les haut-parleurs. ” Mais, ajoute-t-il, “ c’était merveilleux d’être tout à coup assis avec la congrégation au complet dans une salle que nous avions louée ”.
Et quelle satisfaction d’entendre d’autres voix, comme celle que Manfred a entendue quelques mois plus tard. “ En janvier 1990, raconte-t-il, j’étais dans un sauna pour traitement médical. J’y ai rencontré l’ancien agent officiel de la police nationale. Au cours d’une discussion amicale, il m’a dit : ‘ Manfred, je me rends compte aujourd’hui que nous ne combattions pas ceux qu’il aurait fallu combattre. ’ ”
De la nourriture spirituelle en abondance !
“ L’homme doit vivre, non pas de pain seul, mais de toute parole qui sort par la bouche de Jéhovah. ” Les Témoins de Jéhovah connaissent bien cette vérité fondamentale que Jésus a énoncée en citant les Écritures hébraïques inspirées (Mat. 4:4 ; Deut. 8:3). Grâce à l’aide pleine d’amour de la communauté internationale des frères, même durant les années d’interdiction, les Témoins est-allemands ont reçu de la nourriture spirituelle, malheureusement en quantité limitée. Comme ils avaient langui après l’abondance spirituelle dont jouissaient leurs frères dans d’autres pays !
Dès que le mur de Berlin est tombé, des Témoins ont personnellement apporté des publications à l’Est. Environ quatre mois plus tard, le 14 mars 1990, l’œuvre des Témoins de Jéhovah a obtenu la reconnaissance légale en République démocratique allemande. La Société Watch Tower a pu alors procéder à des envois directs. Le 30 mars, un camion de 25 tonnes de nourriture spirituelle partait du Béthel de Selters pour l’Est. Le Livre de l’année 1991 de la Britannica a fait ce commentaire : “ En l’espace de deux mois seulement, la filiale ouest-allemande de la Société Watchtower a fait parvenir 275 tonnes de publications bibliques, dont 115 000 bibles, rien qu’à l’Allemagne de l’Est. ”
À peu près à cette époque, un frère de Leipzig écrivait à un compagnon de l’Ouest : “ Il y a une semaine, nous faisions encore venir notre nourriture clandestinement et par petites quantités ; sous peu, nous en déchargerons quatre tonnes d’un camion ! ”
“ Le premier envoi de publications est parvenu si rapidement, se souvient Heinz Görlach, un frère de Chemnitz, que nous étions à peine prêts. Après la première livraison, je n’atteignais plus mon lit sans difficultés. Ma chambre était remplie de cartons. J’avais l’impression de dormir dans la caverne d’Ali-Baba. ”
Les frères de Selters commençaient à mesurer ce que représentait cette nouvelle situation pour ceux qui avaient été privés pendant si longtemps de choses que les Témoins libres considèrent comme normales. Un surveillant de l’imprimerie fait ce récit : “ Un frère âgé, vêtu modestement, regardait fonctionner une de nos presses. Le groupe avec lequel il effectuait la visite était déjà parti, mais lui, l’air absorbé, continuait de regarder les périodiques sortir à toute vitesse de la rotative. Ensuite, les larmes aux yeux, il s’est dirigé vers un des frères ; il était extrêmement ému. Il a essayé de dire quelque chose en mauvais allemand, mais sa voix s’est brisée à cause de l’émotion. Nous avons toutefois compris son sourire. Puis il a sorti quelques feuilles de la poche intérieure de sa veste, et nous les a données avant de s’enfuir. Que nous avait-il donné ? Une Tour de Garde en russe, presque illisible, qui avait été recopiée sur les pages d’un cahier d’exercices. Nous ne savons pas combien de temps il avait fallu pour la recopier, mais sûrement des centaines de fois plus que la petite seconde mise par la rotative pour produire un périodique. ”
Fini le temps où les Témoins de chaque groupe d’étude devaient se contenter de quelques périodiques de petit format, imprimés ou recopiés à la main, et qu’ils ne pouvaient garder que quelques jours ! À présent, chacun possède son propre exemplaire — illustré en quatre couleurs — et des exemplaires supplémentaires pour la prédication.
Adaptation à la liberté de culte
Un accroissement de liberté comporte ses propres difficultés. La prédication sous l’interdiction exigeait du courage. Ceux qui y prenaient part ont appris à se reposer entièrement sur Jéhovah. Voici toutefois ce qu’a déclaré Ralf Schwarz, un ancien de Limbach-Oberfrohna, après la levée de l’interdiction : “ Il faut être plus prudent encore afin de ne pas se laisser détourner par le matérialisme et les inquiétudes de la vie. ” Après le rattachement de l’Allemagne de l’Est à la République fédérale en octobre 1990, certaines familles de l’Est ont déménagé dans des quartiers plus modestes quand les loyers ont augmenté, afin de pouvoir payer ces derniers sans faire d’heures supplémentaires et sans manquer les réunions. — Mat. 6:22, 24.
Même durant les années difficiles sous le régime communiste, les frères ont continué de prêcher, y compris de porte en porte, mais avec prudence. Ils frappaient par exemple à une porte dans un immeuble, puis ils se rendaient dans un autre immeuble, à une autre porte. C’est ce que certains ont fait, même quand les risques d’emprisonnement étaient considérables. Martin Jahn, qui avait seulement 11 ans quand l’interdiction a été décrétée, explique certains changements que les Témoins ont dû opérer : “ Il a fallu redessiner tous les territoires, de manière que les proclamateurs puissent prêcher des quartiers entiers. Nous étions habitués à ne faire que certains numéros ou certains étages. Nous avons suivi cette méthode pendant si longtemps qu’il a fallu se montrer patient envers ceux qui avaient du mal à en changer. En outre, on ne prêtait plus les publications, on les laissait aux gens : c’était nouveau, tant pour les proclamateurs que pour les personnes qui les lisaient. Nous avions tellement l’habitude de l’ancienne méthode qu’en rentrant, notre sacoche contenait parfois plus de publications qu’en partant. ”
Les gens ont également changé de comportement. Pendant l’interdiction, beaucoup considéraient les Témoins de Jéhovah comme des héros parce qu’ils avaient le courage de leurs opinions. Cela leur valait le respect. La liberté aidant, nombre de gens ont accueilli les Témoins avec un enthousiasme plus mesuré. En quelques années les choses ont changé. Les gens se sont laissé absorber par le mode de vie inhérent à une économie de marché. Certains ont commencé à trouver que la visite des Témoins troublait leur paix et leur tranquillité, qu’elle était même agaçante.
La prédication sous l’interdiction avait exigé du courage. S’adapter à la nouvelle situation n’a pas demandé moins de détermination. En fait, de nombreux Témoins souscrivent à cette déclaration faite par un surveillant originaire d’un pays d’Europe occidentale où l’œuvre a longtemps été interdite : “ Il est plus facile de prêcher sous l’interdiction que librement. ”
L’opposition ne parvient pas à ralentir l’œuvre
Bien que la prédication de la bonne nouvelle en Allemagne de l’Est ait repris avec une nouvelle vigueur, le clergé de la chrétienté s’en est tout d’abord peu préoccupé. En revanche, quand il est apparu clairement que les gens écoutaient les Témoins de Jéhovah, le malaise s’est accentué. Selon le Deutsches Allgemeines Sonntagsblatt, un ministre religieux de Dresde, qui se prétendait expert en religion, a affirmé que “ les Témoins de Jéhovah sont comparables au parti communiste ”. Ainsi, les Témoins de Jéhovah n’étaient plus des espions américains opposés au communisme, selon les accusations du clergé des années 50 ; maintenant, on les assimilait aux communistes ! Évidemment, les gens qui savaient que les Témoins avaient été interdits par les communistes pendant 40 ans ont compris qu’il s’agissait d’un mensonge flagrant.
Quel était l’objectif du clergé ? Il espérait que l’œuvre des Témoins de Jéhovah serait de nouveau interdite, tout comme elle l’avait été pendant l’époque nazie, puis sous le régime communiste. Bien que des éléments religieux, soutenus par des apostats, aient conjugué leurs efforts pour que les Témoins ne bénéficient pas de la liberté garantie par la constitution, ceux-ci ont saisi toutes les occasions de donner le témoignage, comme Jésus l’avait ordonné. — Marc 13:10.
Certains de ceux qui ont embrassé la vérité
Au nombre de ceux qui ont accepté le message du Royaume figurent des personnes qui étaient très impliquées dans l’ancien système. Egon avait été policier pendant 38 ans en Allemagne de l’Est. Il n’a pas du tout été heureux que sa femme étudie la Bible avec les Témoins de Jéhovah. Cependant, il a été impressionné par leur conduite amicale, pleine d’amour et disciplinée, et aussi par les articles d’actualité de Réveillez-vous ! que les Témoins apportaient régulièrement. Alors qu’il accompagnait sa femme à une assemblée spéciale d’un jour, il s’est trouvé nez à nez avec un frère qu’il avait arrêté autrefois. Quel choc ! On imagine sans peine qu’il se sentait mal à l’aise, et même coupable. Mais, malgré le passé, une amitié s’est nouée entre les deux hommes. Aujourd’hui, Egon et sa femme sont des Témoins baptisés.
Günter avait été membre de la Sécurité pendant 19 ans et avait atteint le grade de commandant. Amer et déçu après l’effondrement du système pour lequel il s’était tant investi, il a rencontré les Témoins pour la première fois en 1991. Il a été impressionné par leur conduite et par la compréhension qu’ils lui ont manifestée eu égard à ses problèmes. Bien qu’athée, il s’est mis à étudier la Bible et a finalement acquis la certitude que Dieu existe. En 1993, il était prêt pour le baptême. Aujourd’hui, il soutient avec joie le Royaume de Dieu.
Un autre homme, qui n’avait pas foi en Dieu et qui était pleinement convaincu que le communisme était le seul espoir pour l’humanité, n’a eu aucun scrupule à s’infiltrer dans l’organisation de Jéhovah afin d’informer la Sécurité sur ses activités. Après avoir été “ baptisé ” en 1978, il a vécu une double vie pendant dix ans. Mais il reconnaît ceci aujourd’hui : “ La conduite des Témoins de Jéhovah, que j’avais constatée personnellement, et l’étude des livres Création et Révélation : dénouement m’ont convaincu que la plupart de ce que les ennemis des Témoins affirment est faux. Les preuves de l’existence de Dieu sont indéniables. ” Peu avant la chute du mur de Berlin, il a dû prendre une décision difficile : ou il trouvait une excuse pour se retirer du peuple de Jéhovah et continuer d’apporter son soutien à une cause en laquelle il ne croyait plus depuis longtemps, ou il confessait sa traîtrise et s’efforçait alors de devenir un authentique serviteur de Jéhovah. Il a choisi la deuxième solution. Son repentir sincère l’a amené à étudier la Bible et à se faire baptiser de nouveau, cette fois sur la base d’une connaissance exacte et après s’être véritablement voué à Jéhovah.
Maintenant, ils pouvaient en parler !
Une fois l’interdiction levée, les Témoins de l’Est pouvaient parler plus librement de leur vie sous le régime communiste. Au cours de l’inauguration d’un bâtiment administratif le 7 décembre 1996 à Berlin, plusieurs anciens, qui avaient grandement contribué à la vigueur spirituelle du troupeau d’Allemagne de l’Est, ont évoqué leurs souvenirs.
Wolfgang Meise, Témoin de Jéhovah depuis 50 ans, rapporte un fait survenu en juin 1951 — il avait alors 20 ans. Lors d’un grand procès public, il a été condamné à quatre ans de prison. Quand lui et plusieurs autres frères reconnus coupables ont quitté le tribunal, quelque 150 Témoins présents à l’audience se sont massés autour d’eux, leur ont serré la main et ont entonné un cantique. Des têtes ont surgi de toutes les fenêtres du tribunal pour tenter de voir ce qui se passait. Ce n’était pas vraiment le genre d’image que les autorités souhaitaient graver dans le souvenir du public. Cet épisode mit un terme aux grands procès publics des Témoins.
Egon Ringk raconte qu’aux premiers jours de l’interdiction, des articles de La Tour de Garde étaient dactylographiés au moyen de carbones, de façon à produire six à neuf exemplaires. “ Afin de procurer la nourriture spirituelle aux congrégations, explique frère Ringk, un frère routier de Berlin-Ouest, qui faisait des allers et retours entre Berlin-Ouest et l’Allemagne de l’Est, s’est mis à notre disposition. Le transfert de la ‘ nourriture ’ s’effectuait en trois à quatre petites secondes ; c’était le temps qu’il fallait pour échanger deux gros ours en peluche de taille identique de nos véhicules. À l’arrivée, leurs ventres étaient ‘ soulagés ’ de leur contenu : des messages importants et des renseignements sur les prochains rendez-vous. ” — Voir Ézékiel 3:3.
On a également cité le courage manifesté par les messagers qui allaient chercher des publications à Berlin-Ouest avant que le mur ne soit construit et qui les faisaient entrer clandestinement à l’Est. Bien sûr, cette voie vers Berlin-Ouest pouvait être coupée un jour ou l’autre. C’est pour évoquer cette éventualité précisément qu’un certain nombre de frères d’Allemagne de l’Est ont été invités à une réunion le 25 décembre 1960. “ Il ne fait aucun doute que nous avons été guidés par Jéhovah, a déclaré frère Meise, car le 13 août 1961, quand le mur a soudainement été construit, nous étions prêts. ”
Hermann Laube a entendu parler de la vérité pour la première fois en Écosse où il était prisonnier de guerre. Rentré en Allemagne de l’Est il a compris la nécessité de procurer aux frères autant de nourriture spirituelle que possible, quand l’interdiction a été décrétée. Les Témoins ont donc mis sur pied leur propre imprimerie avec, pour tout matériel, une presse de fortune. “ Mais sans papier, la plus performante des presses ne vaut rien ”, a fait remarquer dans son récit frère Laube, faisant allusion au jour où on lui a annoncé qu’il ne restait plus que de quoi imprimer trois numéros. Qu’allait-il se passer ?
“ Quelques jours plus tard, a poursuivi frère Laube, nous avons entendu quelqu’un frapper discrètement à la gouttière de la maison. C’était un frère de Bautzen. ‘ Tu es imprimeur, a-t-il dit. Il y a quelques bobines de papier journal à la décharge de Bautzen, des chutes que l’imprimerie du journal a l’intention d’enterrer. Est-ce qu’elles vous seraient utiles ? ’ ”
Les frères n’ont pas perdu de temps. “ La nuit même nous avons rassemblé un groupe et nous avons foncé à Bautzen. Mais... il ne s’agissait pas seulement de quelques bobines ! Il y avait là près de deux tonnes de papier ! Ce qui est presque incroyable, c’est que nos vieilles guimbardes aient pu les transporter ; pourtant, en un rien de temps, tout était parti. Nous avons eu ainsi suffisamment de papier pour imprimer jusqu’à ce que la Société nous fournisse les publications de petit format imprimées sur papier fin. ”
Étant donné les circonstances, il fallait être extrêmement prudent pour que l’identité des frères reste secrète. Rolf Hintermeyer raconte : “ Un jour, alors que je venais de quitter des frères, j’ai été emmené dans un immeuble pour y être interrogé. J’avais en ma possession plusieurs bouts de papier sur lesquels figuraient des adresses et d’autres renseignements. En arrivant, nous devions grimper un escalier en colimaçon. J’en ai profité pour avaler les bouts de papier. Mais il y en avait tellement que j’ai mis du temps. En haut de l’escalier, les hommes qui m’avaient arrêté se sont aperçus de ce que je faisais et m’ont saisi à la gorge. Moi aussi, j’ai porté les mains à la gorge en bredouillant ‘ Ça y est, enfin avalés ’. En entendant cela ils m’ont relâché, ce qui m’a donné la possibilité d’avaler les papiers pour de bon, maintenant qu’ils étaient plus petits et humectés de salive. ”
Horst Schleussner est venu à la vérité dans le milieu des années 50, au plus fort de la persécution. Aussi savait-il de quoi il parlait quand il a dit : “ Il ne fait aucun doute que, dans son amour, Jéhovah Dieu a protégé ses serviteurs durant ces près de 40 ans d’interdiction. ”
Une victoire célébrée à Berlin
Maintenant que l’oppression du régime communiste était derrière eux, les frères se devaient de fêter l’événement. Par-dessus tout, il leur tardait d’exprimer, lors d’un rassemblement public, leurs remerciements à Jéhovah, puisqu’ils avaient dorénavant la possibilité de le servir librement.
Dès la chute du mur de Berlin en novembre 1989, le Collège central a donné des directives pour qu’une assemblée internationale se tienne à Berlin. Un comité d’organisation a rapidement été formé. Le 14 mars 1990 au soir, ses membres devaient se rencontrer pour mettre au point les détails de l’assemblée. Helmut Martin n’a pas oublié le moment où le surveillant de l’assemblée, Dietrich Förster, l’a chargé d’annoncer aux frères rassemblés que la reconnaissance légale venait d’être accordée quelques heures plus tôt aux Témoins de Jéhovah d’Allemagne de l’Est. Oui, l’interdiction était officiellement levée !
L’assemblée ayant été prévue relativement tard, le stade olympique n’était plus libre le week-end. Elle a donc été fixée du mardi 24 au vendredi 27 juillet. Le moment venu, les frères n’ont eu qu’une seule journée pour préparer les lieux et que quelques heures pour les débarrasser.
C’est ainsi que le lundi 23 juillet, des centaines de volontaires étaient déjà dans le stade à 5 heures du matin. Gregor Reichart, membre de la famille du Béthel de Selters, se rappelle que “ les frères d’Allemagne de l’Est se sont mis au travail avec enthousiasme, comme s’ils avaient des années d’expérience ”. Plus tard, un responsable du stade s’est dit satisfait que “ le stade ait été nettoyé de fond en comble pour la première fois ”.
Treize trains spéciaux ont emmené 9 500 Est-Allemands à l’assemblée. En outre, 200 autocars avaient été affrétés. Un ancien raconte que, alors qu’il faisait la demande d’un train spécial, il a dit à l’employé de la gare que trois trains spéciaux étaient prévus rien que pour la ville de Dresde et ses environs. Les yeux écarquillés, l’homme a demandé : “ Les Témoins de Jéhovah sont-ils donc si nombreux en Allemagne de l’Est ? ”
Pour ceux qui ont effectué le voyage en train spécial, l’assemblée a commencé avant même qu’ils n’arrivent à Berlin. Un ancien de Limbach-Oberfrohna, Harald Pässler, en évoque le souvenir : “ Nous nous sommes retrouvés à la gare de Chemnitz pour prendre le train. Nous n’oublierons jamais ce trajet jusqu’à Berlin. Après de longues années d’interdiction durant lesquelles notre activité clandestine s’effectuait par petits groupes, il était tout à coup possible de voir en une fois un nombre incalculable de frères. Tout au long du voyage, nous nous sommes mêlés les uns aux autres dans les compartiments du train, pour converser avec des frères que nous n’avions pas vus depuis des années, des dizaines d’années même. La joie des retrouvailles est indescriptible. Tous avaient pris quelques années, mais tous avaient persévéré fidèlement. À la gare de Berlin-Lichtenberg, on nous a souhaité la bienvenue par les haut-parleurs, puis nous avons été dirigés vers différents points de rencontre où nos frères de Berlin nous attendaient avec de grandes pancartes. C’était si nouveau pour nous de sortir de l’anonymat ! Nous avons personnellement observé ce que jusqu’ici nous avions seulement lu ou entendu : nous sommes bel et bien une communauté internationale de frères ! ”
En effet, il s’agissait pour de nombreux Témoins de la toute première assemblée. “ Nous étions tous surexcités quand nous avons été invités ”, se souvient Wilfried Schröter. Sa réaction se comprend, car il s’est voué à Jéhovah en 1972, sous l’interdiction. “ La fièvre nous avait déjà gagnés des semaines auparavant. Je ne m’étais jamais trouvé dans un tel état, et c’était aussi le cas de beaucoup d’autres frères. Voir une communauté internationale de frères rassemblés dans un immense stade... c’était tout bonnement inconcevable. ”
Combien de fois les frères de Berlin-Est avaient désiré parcourir les quelques kilomètres qui les séparaient de l’endroit où leurs frères étaient réunis en assemblée ! C’était enfin possible.
Près de 45 000 personnes venues de 64 pays étaient présentes, parmi lesquelles sept membres du Collège central. Tous s’étaient déplacés pour s’associer à la joie de leurs frères chrétiens est-allemands, à l’occasion de cet événement marquant. Et dans le stade même où le IIIe Reich avait tenté de se servir des Jeux olympiques de 1936 pour éblouir le monde de ses prouesses ! Le stade retentissait à nouveau d’applaudissements. Mais, cette fois, les assistants n’ovationnaient pas des athlètes, pas plus qu’ils n’étaient animés de ferveur nationale. Ils appartenaient à une famille internationale véritablement heureuse, celle du peuple de Jéhovah, et ils exprimaient leur gratitude envers Jéhovah et leur reconnaissance pour les précieuses vérités révélées dans sa Parole. À cette occasion, 1 018 candidats au baptême se sont présentés pour l’immersion. La majorité d’entre eux avaient découvert la vérité en Allemagne de l’Est, sous l’interdiction.
Les 4 500 délégués enthousiastes de Pologne étaient sans doute les mieux à même de comprendre ce que ressentaient leurs voisins est-allemands. Eux aussi avaient connu de nombreuses années d’interdiction et ils n’avaient assisté que récemment à leur première grande assemblée. D’ailleurs, un Témoin polonais a écrit par la suite : “ Les frères de Pologne apprécient grandement l’esprit de sacrifice qu’ont manifesté leurs voisins occidentaux en leur offrant le logement, la nourriture, ainsi que le transport sur les lieux de l’assemblée. Sans cette générosité, beaucoup d’entre nous n’auraient pas pu venir. ”
Les frères d’Allemagne de l’Ouest, pour qui se réunir librement au cours de grandes assemblées est chose commune, ont eux aussi été profondément touchés. “ Il était encourageant de voir ces nombreux frères âgés et fidèles — certains avaient été persécutés pendant les 40 années du régime communiste, mais aussi sous le IIIe Reich —, et ils étaient assis dans les tribunes mêmes où Adolphe Hitler et les chefs nazis s’étaient assis autrefois ”, a fait remarquer Klaus Feige, membre du Béthel de Selters. Par égard pour les frères et sœurs âgés et handicapés, les tribunes d’honneur leur avaient été réservées. Quel symbole frappant pour le Royaume de Dieu, qui triomphait maintenant des pouvoirs politiques qui avaient autrefois comploté de stopper sa marche vers la victoire finale !
On pourvoit aux lieux de rassemblement
Très vite après la levée de l’interdiction, des mesures ont été prises pour que les frères puissent bénéficier des assemblées habituelles qui se tiennent dans le monde entier. Avant même que les circonscriptions soient entièrement réorganisées, les congrégations ont été invitées à assister à des assemblées spéciales d’un jour et à des assemblées de circonscription en Allemagne de l’Ouest. Au début, l’assistance était composée pour moitié d’Ouest-Allemands et pour moitié d’Est-Allemands. Ainsi, les liens fraternels se sont resserrés et les frères de l’Est ont pu apprendre le fonctionnement des assemblées au contact de leurs frères de l’Ouest.
À mesure que les circonscriptions se formaient, les Témoins de l’Est ont été invités à se réunir dans les Salles d’assemblées situées à l’Ouest. En raison de leur proximité de l’ancienne frontière, cinq salles ont pu être utilisées : celles de Berlin, de Munich, de Büchenbach, de Möllbergen et de Trappenkamp. Toutefois, dès que cela a été possible, on a commencé à construire une Salle d’assemblées à l’Est. Située à Glauchau, près de Dresde, elle a été inaugurée le 13 août 1994 et, avec sa capacité d’accueil de 4 000 places, c’est actuellement la plus grande Salle d’assemblées des Témoins de Jéhovah d’Allemagne.
On a également construit des Salles du Royaume. Ces salles n’étaient pas autorisées en République démocratique allemande, mais elles étaient maintenant indispensables aux plus de 20 000 Témoins de l’Est. Les travaux de construction en ont plongé plus d’un dans la stupéfaction.
Au sujet de la construction de l’une d’elles à Stavenhagen, on a pu lire ceci dans un journal : “ L’ossature s’est dressée si vite et d’une manière telle que de nombreux curieux en sont restés confondus. [...] Le bâtiment a été réalisé par quelque 240 ouvriers de 35 corps de métiers, tous bénévoles et tous Témoins de Jéhovah. Tout cela en un week-end et sans salaire. ”
Un autre journal a commenté en ces termes la construction d’une salle à Sagard, dans l’île de Rügen, en mer Baltique : “ Une cinquantaine d’hommes et de femmes, affairés telles des abeilles, travaillent aux fondations. Mais pas de bousculade. L’atmosphère est extraordinairement calme et amicale. En dépit de la rapidité de leur travail, aucun ne semble nerveux et aucun n’aboie après un autre, comme c’est souvent le cas sur les chantiers. ”
Fin 1992, sept Salles du Royaume étaient construites et accueillaient 16 congrégations. Une trentaine d’autres étaient à l’étude. En 1998, plus de 70 % des congrégations de l’ex-Allemagne de l’Est se réunissaient déjà dans leurs propres salles.
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AllemagneAnnuaire 1999 des Témoins de Jéhovah
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[Illustrations, page 118]
L’assemblée de Berlin, en 1990.
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