BIBLIOTHÈQUE EN LIGNE Watchtower
Watchtower
BIBLIOTHÈQUE EN LIGNE
Français
  • BIBLE
  • PUBLICATIONS
  • RÉUNIONS
  • Mozambique
    Annuaire 1996 des Témoins de Jéhovah
    • Il faut les arrêter

      Tandis que les préparatifs pour le jour de l’indépendance, le 25 juin 1975, allaient bon train, la position de neutralité des Témoins de Jéhovah était de plus en plus évidente. Des frères désignés par la Société ont sollicité une entrevue avec le nouveau gouvernement, mais sans succès. Le nouveau président a presque donné un ordre à la population en criant lors d’un discours radiodiffusé : “ Nous allons faire entièrement disparaître ces Témoins de Jéhovah. (...) Nous pensons que ce sont des agents issus de la colonisation portugaise ; ils faisaient partie de la PIDE. (...) Par conséquent, nous suggérons à la population de les arrêter sur-le-champ. ”

      L’orage avait éclaté. Des groupes ont été mobilisés avec pour but commun d’arrêter tous les Témoins de Jéhovah à travers le pays : sur leur lieu de travail, chez eux, dans la rue, à toute heure du jour et de la nuit. Chacun devait être présent aux réunions régionales qui avaient lieu au travail et dans les endroits publics, et quiconque ne s’associait pas à la foule pour proclamer “Viva Frelimo” était considéré comme un ennemi. Voilà l’esprit qui prédominait alors que la ferveur nationaliste était à son comble.

      Pourtant, il est notoire que les Témoins de Jéhovah obéissent aux lois, respectent les fonctionnaires, sont des citoyens honnêtes et paient consciencieusement leurs impôts, tout en étant neutres quant aux affaires politiques. C’est ce qu’allait constater le gouvernement du Mozambique avec les années. Mais pour le moment, la situation des Témoins de Jéhovah du Mozambique était semblable à celle des premiers chrétiens mis à mort dans les arènes romaines pour avoir refusé de brûler de l’encens à l’empereur, et à celle des frères incarcérés dans des camps de concentration en Allemagne pour avoir refusé de dire : “ Heil Hitler. ” Dans le monde entier ils sont connus pour leur refus de transiger avec leur obéissance à Jéhovah et à Jésus Christ, lequel a dit de ses disciples : “ Ils ne font pas partie du monde, comme moi je ne fais pas partie du monde. ” — Jean 17:16.

      Déportation massive vers une destination inconnue

      En un rien de temps, les prisons du Mozambique ont été surpeuplées de milliers de Témoins de Jéhovah. Beaucoup ont été séparés de leur famille. Toute la propagande qui a été faite a suscité une telle hostilité envers les Témoins que, bien que les anciens ne l’encourageaient pas, un grand nombre ont préféré se rendre. Ils se sentaient plus en sécurité avec leurs frères et les membres de leur famille déjà emprisonnés.

      À partir d’octobre 1975, les filiales du Zimbabwe (alors la Rhodésie) et d’Afrique du Sud ont reçu une montagne de rapports provenant de surveillants de circonscription, de divers comités et de frères en particulier qui dépeignaient un triste tableau. Ces rapports ont été transmis au Collège central des Témoins de Jéhovah. Dès que la famille internationale des frères a été informée de la situation critique des Témoins au Mozambique, des prières ferventes venant des quatre coins de la terre se sont élevées vers les cieux en faveur des frères persécutés, conformément au conseil donné en Hébreux 13:3. Seul Jéhovah était en mesure de les soutenir, ce qu’il a fait à sa façon.

      Il est fort probable que les autorités gouvernementales les plus élevées n’avaient pas l’intention d’infliger aux Témoins de Jéhovah les traitements violents qu’ils ont subis. Cependant, déterminées à faire changer les convictions profondément enracinées dans la conscience des gens, d’autres autorités d’un rang inférieur ont utilisé la violence pour les forcer à dire le “ Viva ”. Julião Cossa, de Vilanculos, est un exemple parmi tant d’autres. On l’a battu pendant trois heures afin de le faire renoncer à sa foi, mais sans succès. Quand bien même il arrivait que les bourreaux parviennent à extirper un “ Viva ” de la bouche de quelqu’un, ils n’étaient pas satisfaits. Ils demandaient au Témoin de crier en plus : “ À bas Jéhovah ” et : “ À bas Jésus Christ. ” Les atrocités qu’ont subies nos frères seraient trop nombreuses à raconter et trop horribles à décrire. (Voir Réveillez-vous! du 8 mai 1976, pages 16-25.) Quoi qu’il en soit, conformément à ce que l’apôtre Paul a écrit aux chrétiens philippiens du Ier siècle, ils savaient que leur attitude courageuse face à la tribulation et à la persécution attestait de la profondeur de leur amour pour Dieu et leur donnait l’assurance qu’il les récompenserait en leur accordant le salut. — Phil. 1:15-29.

      La surpopulation dans les prisons rendait les conditions de vie étouffantes, sans parler de la saleté et du manque de nourriture, ce qui a provoqué, en quatre mois, la mort de plus de 60 enfants dans les prisons de Maputo (anciennement Lourenço Marques). Les frères qui étaient libres s’efforçaient au mieux de soutenir ceux qui étaient emprisonnés. Fin 1975, des Témoins ont vendu leurs biens afin de continuer à procurer de la nourriture à leurs frères. Pourtant, ils mettaient leur propre liberté en jeu en montrant qu’ils étaient eux aussi Témoins de Jéhovah, et beaucoup ont ainsi été arrêtés. Jésus avait dit que ses véritables disciples auraient un amour semblable les uns pour les autres. — Jean 13:34, 35 ; 15:12, 13.

      Paradoxalement, des Témoins de la province de Sofala ont reçu un traitement bien différent pendant la même période. Après leur arrestation, ils ont été emmenés au luxueux hôtel Grande à Beira, où on les a nourris en attendant de les conduire à leur destination finale.

      Quelle destination ? Le mystère était total, même pour les chauffeurs des nombreux autocars et camions qui allaient les transporter.

      Destination : Carico, dans le district de Milange

      De septembre 1975 à février 1976, tous les Témoins de Jéhovah détenus, que ce soit en prison ou dans des camps, ont été transférés. La destination était inconnue : encore une arme utilisée par la police et les autorités locales pour tenter d’intimider les frères. “ Vous allez être dévorés par des animaux féroces, leur disait-​on. C’est un endroit inconnu dans le nord, d’où vous ne reviendrez jamais. ” Les membres de leur famille qui n’étaient pas Témoins les accompagnaient dans un concert de pleurs et de lamentations, les pressant de capituler. Cependant, très peu ont cédé. Même des personnes qui s’intéressaient depuis peu à la vérité ont partagé courageusement le sort des Témoins de Jéhovah. Ce fut le cas d’Eugênio Macitela, qui défendait avec zèle ses idéaux politiques. Son intérêt a été éveillé lorsqu’il a entendu dire que les prisons étaient remplies de Témoins de Jéhovah. Désirant savoir qui ils étaient, il avait demandé une étude biblique, ce qui lui a valu d’être arrêté et déporté au bout d’une semaine. Il a été parmi les premières personnes à se faire baptiser dans un camp de concentration et il est à présent surveillant de circonscription.

      Les Témoins n’ont manifesté aucune crainte ou appréhension quand on est venu les chercher dans les prisons pour les transporter en autocar, en camion, voire en avion. L’une des caravanes des plus impressionnante est partie de Maputo le 13 novembre 1975. Elle était composée de 14 autocars, ou machibombos comme on les appelle là-bas. La joie que manifestaient les frères semblait inexplicable ; elle amena donc les soldats à leur demander : “ Comment pouvez-​vous être aussi heureux alors que vous ne savez même pas où vous allez ? L’endroit où vous serez n’a rien de réjouissant. ” Mais cela n’a pas refroidi la joie des frères. Alors que leurs parents non Témoins pleuraient, inquiets pour l’avenir de ceux qu’ils aimaient, les Témoins chantaient des cantiques du Royaume, comme celui intitulé “ Courage, avançons ! ”

      Dans chaque ville qu’ils traversaient, les chauffeurs téléphonaient à leurs supérieurs pour connaître leur destination, et on leur disait d’avancer jusqu’à la prochaine étape. Il arrivait que certains se perdent. Mais ils ont fini par arriver à Milange, ville située dans la province de Zambézie, à 1 800 kilomètres de Maputo. Ils ont été accueillis par un “ discours de bienvenue ” plein de menaces de l’administrateur.

      Puis on les a emmenés à 30 kilomètres vers l’est, dans un endroit appelé Carico, situé sur les rives du Munduzi, toujours dans le district de Milange. Des milliers de Témoins de Jéhovah du Malawi, qui avaient fui la vague de persécutions dans leur pays, vivaient là depuis 1972. L’arrivée inattendue des frères mozambicains a surpris les Malawites. Et quelle surprise pour les frères du Mozambique d’être reçus par des frères parlant une autre langue ! Cependant, c’était une surprise très agréable, et les Malawites ont accueilli les Témoins mozambicains d’une façon tellement chaleureuse et hospitalière que les chauffeurs en ont été impressionnés. — Voir Hébreux 13:1, 2.

      L’administrateur du district avait été emprisonné avec des frères à Machava, quelques années auparavant. À chaque fois qu’un groupe arrivait, il demandait : “ Où sont Chilaule et Zunguza ? Je sais qu’ils vont arriver. ” Quand frère Chilaule est enfin arrivé, l’administrateur lui a dit : “ Chilaule, je ne sais pas trop comment vous recevoir. À présent, nous ne sommes plus dans le même camp. ” Il restait attaché à ses idéaux et n’a nullement rendu les choses plus faciles pour ses anciens compagnons de cellule. Il était, comme il le disait lui-​même, “ une chèvre qui dirigeait au milieu des brebis ”.

      Un soutien plein d’amour venant des frères du monde entier

      Les Témoins de Jéhovah du monde entier ont exprimé l’intérêt plein d’amour qu’ils portaient à leurs frères du Mozambique. Ils ont inondé les services postaux du pays de messages en appelant aux autorités. Augusto Novela, un Témoin qui travaillait aux télécommunications, était sans arrêt harcelé par ses collègues de travail qui disaient que les Témoins de Jéhovah n’étaient qu’une secte locale. Mais ils ont été réduits au silence quand leurs télex ont commencé à recevoir des messages provenant du monde entier. Cette réponse remarquable démontrait que les serviteurs de Jéhovah sont véritablement unis par l’amour.

      Environ dix mois plus tard, un ministre venu inspecter les camps a reconnu que les frères avaient été emprisonnés à la suite d’accusations mensongères. Cependant, il était encore trop tôt pour qu’ils espèrent être libérés.

      Les difficultés d’une vie nouvelle

      Un nouveau chapitre commençait dans l’histoire des serviteurs de Jéhovah du Mozambique. Les frères malawites qui se trouvaient là s’étaient répartis entre huit villages. Ils avaient appris à s’adapter à un style de vie nouveau dans la brousse et étaient devenus habiles dans la construction de maisons, de Salles du Royaume et même de Salles d’assemblées. Ceux qui n’avaient pas d’expérience en agriculture avaient également beaucoup appris dans ce domaine. Ne s’étant jamais occupés d’un machamba (champ en culture), la plupart des Mozambicains allaient être confrontés pour la première fois aux durs travaux des champs. Les premiers mois, les nouveaux arrivants ont bénéficié de l’hospitalité pleine d’amour de leurs frères malawites, qui les ont accueillis chez eux et ont partagé leur nourriture. Mais à présent, c’était au tour des frères du Mozambique de bâtir leurs propres villages.

      Ce n’était pas une tâche facile. La saison des pluies avait commencé, et la région était abondamment arrosée comme jamais auparavant. Cependant, quand le Munduzi, qui coupait le camp en deux, a débordé dans cette région où régnait habituellement la sécheresse, pour les frères ce fut un symbole de la façon dont Jéhovah allait prendre soin d’eux. En effet, au cours des 12 années qui ont suivi, la rivière ne s’est jamais asséchée comme par le passé. En revanche, frère Muthemba se souvient que “ le sol était naturellement boueux et glissant à cause du temps pluvieux, ce qui a présenté une difficulté supplémentaire pour les anciens citadins ”. Qui plus est, il n’était pas facile pour les femmes de traverser la rivière en équilibre sur des ponts improvisés qui n’étaient rien de plus que des troncs d’arbres. “ Pour nous qui étions habitués à un bureau, raconte Xavier Dengo, la difficulté consistait à nous rendre dans des forêts épaisses afin d’abattre des arbres pour construire nos maisons. ” Ces conditions de vie se sont révélées être une épreuve à laquelle certains n’étaient pas préparés.

      Aux jours de Moïse, “ la foule mêlée ” qui accompagnait les Israélites commença à se plaindre à la sortie d’Égypte ainsi que dans le désert, et cet esprit se répandit parmi les Israélites (Nomb. 11:4). De même, dès le début, un groupe de personnes qui n’étaient pas des Témoins baptisés a commencé à se plaindre, et des proclamateurs baptisés se sont joints à eux. Ils se sont adressés à l’administrateur et lui ont fait savoir qu’ils étaient disposés à payer n’importe quel prix pour être renvoyés chez eux le plus rapidement possible. Mais contrairement à ce qu’ils espéraient, ils ne sont pas rentrés chez eux pour autant. Ils sont restés à Milange et la plupart d’entre eux sont devenus comme une épine dans le pied de ceux qui étaient fidèles. On les appelait “ les rebelles ”. Ils vivaient parmi les autres frères mais étaient toujours prêts à les trahir. Leur amour pour Dieu n’avait pas résisté à l’épreuve.

      Les Salles d’assemblées s’effondrent

      Dans les camps, les frères malawites avaient bénéficié d’une grande liberté de culte. Lorsque les frères mozambicains sont arrivés, ils en ont profité également, dans un premier temps. Ils se réunissaient chaque jour dans l’une des grandes Salles d’assemblées pour examiner le texte du jour. C’était souvent un surveillant de circonscription malawite qui présidait. “ Après avoir passé des mois en prison et en transfert, nous étions fortifiés par ces encouragements spirituels en compagnie de tant de frères ”, raconte Filipe Matola. Hélas ! cette liberté relative n’a pas duré !

      Le 28 janvier 1976, des autorités gouvernementales ainsi que des soldats sont passés dans les villages et ont annoncé : “ Il vous est interdit d’exercer votre culte ou de prier dans ces salles, ou ailleurs dans les villages. Les salles vont être nationalisées, et le gouvernement les utilisera comme il l’entend. ” Ils ont ordonné aux frères de sortir tous leurs livres, qu’ils ont confisqués. Bien entendu, les frères ont caché tout ce qu’ils ont pu. Puis des drapeaux ont été installés devant chacune des salles et des soldats y ont été postés, afin de veiller à ce que le décret soit respecté.

      Les salles, bâties avec des pieux et d’apparence rustique, étaient assez solides. Pourtant, toutes ont commencé à se détériorer en un temps relativement court. Xavier Dengo se souvient d’un jour où, alors qu’il venait d’arriver dans un village avec l’administrateur, la salle a commencé à s’effondrer bien qu’il n’y ait eu ni vent ni pluie. L’administrateur s’est écrié : “ Que se passe-​t-​il ? Malheureux ! À présent que nous avons nationalisé les salles, elles s’effondrent toutes ! ” Dans une autre circonstance, l’administrateur a dit à un ancien : “ Vous avez dû prier pour que les salles s’écroulent, (...) et votre Dieu les fait s’écrouler. ”

      L’organisation des villages

      Neuf villages mozambicains ont poussé comme des champignons en face des huit villages malawites déjà existants. Ces deux communautés unies par la “ langue pure ” allaient cohabiter pendant les 12 années qui suivraient (Tseph. 3:9). Chaque village se composait de plusieurs quartiers, délimités par des rues bien entretenues ; chaque quartier était divisé en huit parcelles mesurant environ 35 mètres sur 25. La répartition des congrégations était faite par quartier. Par suite de l’interdiction, il n’a plus été possible de construire ouvertement des Salles du Royaume dans les camps. Pour les remplacer, les frères ont décidé de bâtir des maisons spéciales en forme de “ L ”. De telles maisons étaient occupées par une veuve ou par une autre personne seule, afin de leur donner l’apparence de résidences. Ainsi, durant la réunion, l’orateur se plaçait à l’angle du “ L ”, ce qui lui permettait de voir les assistants de chaque côté.

      Il y avait des machambas à la périphérie de chaque village. Chaque congrégation possédait aussi son propre “ machamba ” , qui était cultivé par l’ensemble des habitants du village en guise de contribution pour les besoins de la congrégation.

      La taille de chaque village dépendait du nombre d’habitants. Un recensement qui a été effectué en 1979 révèle que le village mozambicain no 7 était le plus petit, avec seulement 122 proclamateurs répartis dans 2 congrégations, tandis que le no 9, qui était le plus étendu et le plus éloigné, en comptait 1 228 répartis dans 34 congrégations. L’ensemble du camp regroupait 11 circonscriptions. Ce camp, composé de villages malawites et mozambicains et de leurs dépendances, en est venu à être appelé par les frères le Cercle de Carico. Le dernier recensement disponible date de 1981, donnant une population totale de 22 529 habitants, dont 9 000 proclamateurs actifs. Mais ces chiffres se sont accrus par la suite. (Selon la brochure Consolidemos Aquilo Que nos Une [Affermissons les liens qui nous unissent], pages 38-9, le président de l’époque, Samora Machel, a évalué la population à 40 000 habitants.)

      La période Chingo : une période difficile

      Il va de soi que les Témoins de Jéhovah n’avaient pas été déportés vers Milange dans le seul but de devenir une communauté agricole. Ce n’était pas pour rien que le gouvernement appelait le camp Centre de rééducation de Carico. D’ailleurs, des fonctionnaires travaillaient dans le centre administratif comportant des bureaux et des logements qui se trouvait au milieu du camp malawite no 4. Il y avait également un commandant, des soldats et une prison dans laquelle de nombreux frères ont été incarcérés pour des peines diverses, suivant ce que décidait le commandant.

      De tous les commandants, Chingo est celui qui s’est le plus distingué. On a appelé période Chingo les deux années durant lesquelles il a été commandant. Déterminé à briser la position inébranlable des Témoins de Jéhovah et à les “ rééduquer ”, il a recouru à toutes les méthodes psychologiques de sa connaissance, ainsi qu’à la violence pour arriver à ses fins. Bien que très peu instruit, c’était un orateur éloquent et persuasif qui avait un penchant pour les illustrations. Il a utilisé ses talents pour tenter d’endoctriner les frères avec sa philosophie politique et de miner leur amour pour Dieu. “ Le séminaire de cinq jours ” faisait partie de son programme.

      “ Le séminaire de cinq jours ”

      Le commandant a annoncé qu’un “ séminaire de cinq jours ” avait été programmé et que les Témoins de Jéhovah devaient choisir dans les villages les hommes les plus capables, qui pourraient communiquer aux autres des renseignements utiles. Ils allaient être envoyés à un séminaire qui aurait lieu dans un endroit éloigné. Se méfiant de ses intentions, les frères ont refusé. Cependant, “ les rebelles ” qui se trouvaient là ont désigné les frères assumant des responsabilités, y compris les surveillants de circonscription. Parmi eux figuraient Francisco Zunguza, Xavier Dengo et Luis Bila. Un camion a emmené 21 hommes et 5 femmes. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres en direction du nord pour arriver dans un endroit situé au nord de Lichinga, dans la province de Niassa. Puis les hommes ont été placés dans un “ camp de rééducation ” avec des criminels, tandis que les femmes ont été conduites dans un camp de prostituées.

      Ils ont été affreusement torturés, subissant entre autres ce que les bourreaux appelaient “ le supplice du Christ ”. La victime devait écarter les bras, comme si elle se trouvait sur une croix, et on plaçait une pièce de bois le long de ses bras. Du fil de nylon était solidement enroulé autour du bois et des bras sur toute leur longueur, de l’extrémité des doigts d’une main à l’extrémité des doigts de l’autre. La circulation sanguine ne se faisant plus dans les mains, les bras et les épaules, la victime était maintenue dans cette position pendant un temps considérable, dans l’espoir illusoire de lui extirper un “ Viva Frelimo ”. Luis Bila, un ancien fidèle, est mort d’une attaque cardiaque par suite de ce traitement cruel et inhumain.

      Les sœurs ont été soumises au supplice des “ exercices ”, durant lesquels on les obligeait à courir presque sans s’arrêter, parfois même dans l’eau ; elles devaient gravir et descendre des pentes raides en faisant sans arrêt des roulades ; sans parler des innombrables choses insensées qu’on leur ordonnait de faire. Quel séminaire ! Quelle “ rééducation ” !

      Malgré la cruauté de ce traitement, deux frères seulement ont cédé ; la majorité sont restés intègres. Un des frères a réussi à envoyer une lettre au ministre de l’Intérieur de Maputo afin de lui faire part de ce qu’ils subissaient, ce qui n’a pas été sans résultat. Le gouverneur de Niassa en personne est venu en hélicoptère. Il a aussitôt retiré tout pouvoir au commandant et à ses adjoints et a déclaré : “ Ces hommes peuvent se considérer en état d’arrestation pour avoir pratiqué des choses que le Frelimo n’a jamais autorisées. ” En entendant cela, les autres prisonniers qui avaient subi le même traitement que les frères ont poussé des cris de joie, disant : “ Merci à vous, nous avons été délivrés. ” Ce à quoi les frères ont répliqué : “ Remerciez plutôt Jéhovah. ”

      Au bout de quelque temps, les frères ont été transférés dans d’autres camps où ils ont simplement été contraints aux travaux forcés. Ils y sont restés presque deux ans en tout avant de retourner à Carico, et Chingo était là pour les accueillir. Il a poursuivi en vain ses efforts visant à briser leur fidélité pour Jéhovah en organisant d’autres “ séminaires ”. Puis, avant de quitter Carico, il a présenté un discours dans le style imagé qui était le sien. Reconnaissant son échec, il a dit : “ Un homme peut donner de nombreux coups dans un arbre et, alors que celui-ci est prêt à tomber, être remplacé par un autre qui, du premier coup, achèvera le travail. J’ai donné de nombreux coups, mais je n’ai pas pu terminer. D’autres me succéderont et utiliseront des méthodes différentes. Ne renoncez pas. (...) Demeurez fermes. (...) Sinon, c’est à eux qu’on attribuera toute la gloire. ” Cependant, en gardant un puissant amour pour Jéhovah, les frères se sont efforcés de démontrer que Jéhovah seul doit recevoir la gloire. — Rév. 4:11.

      Ceux qui sont restés en ville

      Tous les Témoins mozambicains vivant à cette époque ont-​ils été jetés en prison ou emmenés dans des camps de détention ? Bien que leurs ennemis les aient cherchés sur leurs lieux de travail et aient passé presque tous les quartiers au peigne fin, certains sont passés au travers. Tous ne souhaitaient pas qu’ils aillent en prison ou subissent un autre châtiment. Mais les Témoins risquaient à chaque instant d’être arrêtés. Les activités quotidiennes comportaient un risque, par exemple acheter des denrées alimentaires ou prendre de l’eau au robinet public.

      Lisete Maienda, qui était resté à Beira, se souvient : “ On a refusé de me délivrer une carte indispensable pour acheter à manger, parce que je n’assistais pas aux réunions politiques obligatoires. Par bonheur, un commerçant amical me permettait de venir en cachette dans son magasin et me vendait quelques kilos de farine. ” (Voir Révélation 13:16, 17). Frère Maienda a été renvoyé six fois du poste qu’il occupait au port de Beira, mais à chaque fois ses employeurs venaient le rechercher parce que ses qualifications professionnelles étaient très précieuses à l’entreprise.

      Bien qu’il fût très risqué de donner le témoignage et de se réunir, la lumière n’a cessé de briller dans toutes les villes principales du pays. Dans le quartier Esturro, à Beira, un groupe de jeunes, courageux et assoiffés de vérité, s’est associé à la famille Maienda. Ensemble, ils ont continué à faire briller la lumière dans la capitale de la province de Sofala. Le zèle de ce groupe était tel que, malgré le danger, il passait la frontière pour aller en Rhodésie (l’actuel Zimbabwe) afin de ramener de la nourriture spirituelle.

      Le bureau de la filiale de Salisbury (ancien nom de Harare) a courageusement travaillé d’arrache-pied pour prendre soin de tous les frères éparpillés dans le nord du pays. C’est pourquoi, quand elle a appris qu’il y avait toujours un groupe qui se réunissait à Tete, la filiale a envoyé deux frères pour veiller aux besoins de ce groupe, car, à l’exemple d’Épaphrodite, compagnon de travail de l’apôtre Paul, ils désiraient ardemment voir leurs compagnons (Phil. 2:25-30). L’un de ces frères, Redson Zulu, était très apprécié et connu dans tout le nord pour ses discours stimulants en chichewa. Lui et son compagnon ont traversé la brousse en bicyclette à leurs risques et périls, afin de venir voir leurs frères mozambicains qui étaient isolés.

      La lumière de la vérité a également continué de briller dans la province de Nampula. Là, un groupe de personnes non baptisées tenaient toujours les réunions à leur façon. De 8 assistants au départ, ils sont rapidement passés à 50. Quand un frère de Carico est arrivé à Nampula pour être hospitalisé, il est entré en contact avec un membre de ce groupe qui travaillait à l’hôpital. Ce frère en a parlé à la filiale de la Société, qui lui a demandé d’étudier avec le groupe afin de préparer au baptême ceux qui remplissaient les conditions requises. Cinq personnes se sont fait baptiser. Elles ont reçu une aide supplémentaire lorsqu’un frère des Pays-Bas se trouvant à Nampula pour son travail a proposé sa maison pour y tenir les réunions. Avec le temps, des membres de ce groupe se sont qualifiés en vue d’endosser des responsabilités et sont devenus des anciens.

      Libérés de la prison centrale

      En 1975, on faisait sortir un groupe de prisonniers après l’autre des prisons de Maputo pour les envoyer en direction du nord, tandis que d’autres prenaient leur place. Puis, vers la fin février 1976, le gouvernement a décidé d’en finir avec ces mouvements incessants de prisonniers Témoins.

      Quelques mois plus tard, le président Samora Machel s’est rendu à la prison centrale de Maputo. Sœur Celeste Muthemba, qui était prisonnière, en a profité pour lui donner le témoignage. Il a écouté amicalement, mais après son départ la sœur a été sévèrement réprimandée par les autorités pénitentiaires. Cependant, celles-ci ont reçu une semaine plus tard l’ordre de la libérer, ainsi qu’un document garantissant qu’elle ne serait plus ennuyée pour des raisons d’ordre politique et l’autorisant à reprendre son emploi à l’hôpital du centre. Qui plus est, on a donné l’ordre de libérer tous les Témoins de Jéhovah qui se trouvaient dans cette prison.

      Ceux qui étaient à Maputo ont été constitués en congrégations. Assez rapidement, 24 congrégations ont été formées dans une circonscription qui s’étendait au nord-est, de Maputo jusqu’à Inhambane. Fidelino Dengo a été désigné pour les visiter. De plus, la filiale d’Afrique du Sud a nommé un comité d’anciens qui avait pour rôle de veiller aux besoins spirituels de ces groupes. Ils ont mis en place des méthodes pour prêcher de façon informelle avec prudence, et ont pris des dispositions pour que les frères assistent aux assemblées se tenant dans le pays voisin, le Swaziland. Pour ce qui est du Mozambique, lorsque certains frères sont revenus de Carico, ils ont organisé des assemblées camouflées en réceptions.

      Et à Carico ? Quelles dispositions y étaient prises en rapport avec les activités spirituelles ?

      Le comité “ ON ” dirige l’œuvre dans les camps

      Les frères malawites, qui étaient sous la direction de la filiale du Zimbabwe, avaient formé un comité spécial pour veiller aux besoins spirituels dans les camps. Quand les frères du sud du Mozambique sont arrivés à Carico, ils ont eux aussi bénéficié des dispositions en place. Deux des frères du sud, Fernando Muthemba et Filipe Matola, ont rejoint ce comité.

      Le comité ON (Ofisi ya Ntchito: Bureau pour le service, en chichewa) correspondait avec la Société et organisait des assemblées. Il totalisait les rapports de tous les proclamateurs du camp et se réunissait régulièrement avec les anciens dans les villages. De plus, il dirigeait l’activité des 11 circonscriptions. Sa responsabilité n’était pas des moindres, notamment du fait de la précarité des relations des frères avec les autorités gouvernementales.

      Ils prêchent et font des disciples dans les camps

      Bon nombre de personnes bien disposées et d’étudiants de la Bible qui avaient accompagné les frères à Milange en 1975 se sont fait baptiser en novembre 1976.

      Beaucoup de ceux qui étaient pionniers permanents ont continué de prêcher malgré leur incarcération et leur transfert dans les camps. Mais à qui prêchaient-​ils ? Au départ, ils étudiaient avec ceux qui n’étaient pas encore baptisés, y compris les enfants des frères. Une famille qui comptait beaucoup d’enfants était considérée comme un “ bon territoire ”. Les parents étudiaient avec quelques-uns des enfants, et des proclamateurs célibataires se partageaient les autres. C’est ainsi que beaucoup ont pu rester actifs dans l’œuvre consistant à faire des disciples.

      Mais ce n’était pas suffisant pour ceux qui avaient l’esprit d’évangélisation. Un pionnier zélé s’est mis à explorer un territoire en dehors des camps. Nul doute que cela comportait des risques, étant donné les limites imposées par les autorités du camp. Il a compris qu’il lui faudrait trouver un prétexte pour quitter le camp. Lequel ? Après avoir prié pour recevoir la direction de Jéhovah, il a décidé d’aller vendre du sel et d’autres denrées alimentaires aux gens à l’extérieur du camp. Il réclamait un prix élevé afin d’éviter toute transaction, tout en suscitant l’occasion de donner le témoignage. C’était efficace. Rapidement, beaucoup de “ vendeurs ” de ce genre sont allés proposer leurs produits en dehors des camps. Il fallait couvrir de longues distances pour parcourir ce territoire dispersé, partir à l’aube et revenir avec la nuit. Il y avait si peu de “ végétation ” pour autant de “ sauterelles ”. Mais c’est grâce à cette méthode que de nombreuses personnes vivant dans la région ont connu la vérité.

      “ Le centre de production de Zambézie ”

      Grâce au travail assidu et consciencieux de ces “ étudiants en rééducation ” et à la pluie qui arrosait la région, la production agricole était florissante. Dans les camps, les Témoins en sont venus à avoir d’abondantes récoltes de maïs, de riz, de manioc, de millet, de patates douces, de canne à sucre, de haricots et de fruits tels que le mafura. Les greniers à grain du Cercle de Carico débordaient. L’élevage de volailles et de petit bétail (poulets, canards, pigeons, lapins et porcs) constituait un apport en protéines. L’époque des restrictions alimentaires appartenait au passé. Paradoxalement, le reste du pays faisait face à la famine la plus grande qu’il ait jamais connue. — Voir Amos 4:7.

      Reconnaissant le succès agricole des frères, le gouvernement s’est mis à parler de ces camps comme du “ Centre de production de Zambézie ”. Grâce aux revenus provenant de la vente de leurs excédents, les frères ont pu s’acheter des vêtements et même des postes de radio et des bicyclettes. Bien que prisonniers, ils étaient dans l’abondance grâce à leur bon travail. Ils payaient scrupuleusement les impôts fixés par le gouvernement ; qui plus est, ils étaient les principaux contribuables de la région. Conformément aux principes bibliques, payer consciencieusement ses impôts, même dans une telle situation, était une des conditions requises pour se voir confier des privilèges dans la congrégation. — Rom. 13:7 ; 1 Tim. 3:1, 8, 9.

      Échange de cultures

      À Carico, les frères ont partagé leurs aptitudes et leur culture. Beaucoup ont appris des choses nouvelles : la maçonnerie, la menuiserie et la sculpture sur bois, par exemple. Ensemble, ils ont appris à travailler la fonte, à fabriquer des outils, des meubles de qualité et d’autres choses encore. Non seulement ils ont tiré profit pour eux-​mêmes des aptitudes qu’ils ont acquises ou améliorées, mais en plus cette activité est devenue une source de revenu supplémentaire.

      Leur plus grande difficulté au niveau culturel a été la langue. Les Mozambicains ont appris le chichewa, parlé par les Malawites. Cette langue est devenue la principale dans les camps, et la plupart des publications disponibles étaient en chichewa. Lentement et de façon élégante, les Malawites ont également appris le tsonga et ses variantes parlées dans le sud du Mozambique. Beaucoup ont appris aussi l’anglais et le portugais, ce qui allait leur être très utile pour assumer par la suite des privilèges de service spéciaux. Un ancien se souvient : “ Il nous arrivait de rencontrer un frère ou une sœur qui parlait couramment notre langue sans pouvoir dire s’il était Mozambicain ou Malawite. ”

      Comment la nourriture spirituelle pénétrait-​elle dans les camps ?

      Elle arrivait de Zambie via le Malawi. Par quel moyen ? Un surveillant de circonscription répond : “ Jéhovah seul le sait. ” Dans les camps, le comité ON désignait de jeunes Malawites, souvent des pionniers, pour passer la frontière à bicyclette et rencontrer, en un endroit fixé à l’avance, ceux qui avaient été envoyés pour apporter le courrier et les publications. Ainsi, les congrégations disposaient d’une nourriture spirituelle à jour.

      Par ailleurs, les membres du comité ON allaient chaque année en Zambie ou au Zimbabwe pour bénéficier de la visite du surveillant de zone envoyé par le Collège central. Grâce à de telles dispositions, les frères de Carico sont restés étroitement attachés à l’organisation visible de Jéhovah et ont ainsi pu demeurer unis dans son culte.

      Il fallait apporter quelques modifications aux réunions de la congrégation. Les frères étant constamment surveillés, un bon nombre de réunions avaient lieu à l’aube ou plus tôt encore. Les assistants se rassemblaient à l’extérieur, comme s’ils mangeaient du porridge dans la cour, tandis que l’orateur était dans la maison. Certaines réunions avaient lieu dans le lit des rivières ou à l’intérieur de cratères naturels. Cependant, la préparation des assemblées demandait beaucoup plus de travail.

      L’organisation des assemblées

      Après avoir reçu de la Société toutes les matières de l’assemblée, le comité ON se retirait pendant quelques semaines dans le village no 9. Dans cet endroit relativement isolé, il travaillait des nuits entières à la lueur d’une lanterne pour traduire les plans des discours, enregistrer les drames et choisir les orateurs. Une machine à polycopier manuelle venant du Zimbabwe leur était particulièrement utile. Leur travail ne s’achevait que lorsque l’ensemble du programme pour la série de six assemblées était terminé.

      Par ailleurs, une équipe était chargée de trouver et de préparer un lieu adéquat pour l’assemblée. Il pouvait se situer à flanc de montagne ou dans les bois, mais à une distance d’au moins 10 kilomètres des camps. Tout devait être fait à l’insu des autorités ou des “ rebelles ”. On empruntait des radios portables, ce qui permettait d’installer un système de sonorisation pour un auditoire de plus de 3 000 personnes. Il y avait toujours un ruisseau non loin de là, où il était possible d’aménager une piscine pour les baptêmes en construisant un barrage. On faisait d’avance l’estrade, l’auditorium, le nettoyage, l’entretien, après quoi tout était prêt pour l’assemblée, qui se tenait en un lieu différent chaque année.

      On s’organisait dans les villages pour que tous puissent être présents. Cela se passait bien grâce au magnifique esprit de coopération des frères. Tous ne pouvaient pas assister à l’assemblée en même temps ; un village désert aurait attiré l’attention des autorités. Il y avait donc un tour de rôle entre voisins : une famille assistait à une journée, tandis que la famille voisine venait le lendemain. Celle qui restait au village s’activait autour de la maison de ses voisins ; ainsi, personne ne remarquait leur absence. Cela veut-​il dire que certains manquaient une partie de l’assemblée ? Non, car le programme de chaque journée était présenté deux fois. En d’autres termes, une assemblée de trois jours durait six jours ; et une assemblée de deux jours, quatre.

      Une chaîne de communication était formée par un réseau de frères vifs chargés de l’accueil. Elle reliait le centre administratif du camp au lieu de l’assemblée ; il y avait un homme tous les 500 mètres. Toute action douteuse susceptible d’être une menace pour l’assemblée mettait en action cette chaîne de communication. Il suffisait de 30 minutes pour transmettre un message à 30 ou 40 kilomètres alentour. Cela laissait suffisamment de temps aux responsables de l’assemblée pour prendre une décision, par exemple interrompre l’assemblée et se cacher dans les bois.

      José Bana, un ancien de Beira, se souvient : “ Un jour, un policier nous a prévenus la veille au soir qu’ils étaient au courant de notre assemblée et allaient l’interrompre. Les frères responsables en ont été informés. Allaient-​ils annuler l’assemblée ? Après avoir prié Jéhovah, ils ont décidé d’attendre le lendemain matin. Le dénouement ne s’est pas fait attendre : durant la nuit, une pluie torrentielle a fait déborder la rivière Munduzi, la transformant en une véritable mer. La police se trouvait sur l’autre rive. Ainsi, tout le monde a pu assister à l’assemblée ; il n’a pas été nécessaire de former la chaîne de communication humaine, ni de demander à certains de rester au village. Nous avons chanté des cantiques à cœur joie. ”

      L’apostasie et le village no 10

      Un mouvement a suscité une grande agitation ; il a été formé par un groupe d’apostats qui se faisaient appeler “ les oints ”. Ses adeptes provenaient principalement de villages malawites. Ils prétendaient que les “ temps des anciens ” s’étaient achevés en 1975, et qu’il fallait désormais suivre la direction des “ oints ”. Le contenu du livre de la Société intitulé La vie éternelle dans la liberté des fils de Dieu s’est révélé très utile pour aider ceux qui avaient du mal à comprendre ce qu’impliquait l’onction véritable. Mais l’influence des apostats s’est répandue, et beaucoup de ceux qui les écoutaient se sont laissé égarer. Ils disaient également qu’il n’était pas nécessaire d’envoyer les rapports à la Société et se contentaient de les jeter en l’air après avoir prononcé une prière.

      On estime à 500 le nombre de ceux qui ont été exclus à cause de cette influence apostate. Avec la permission des autorités, ils ont décidé eux-​mêmes de construire leur propre village, le village no 10. Par la suite, le leader du mouvement en est venu à avoir de nombreuses jeunes femmes à son service, et beaucoup d’entre elles lui ont donné des enfants.

      Le village no 10 et son groupe ont subsisté pendant toute la période où les frères ont vécu dans les camps. Ils ont causé de nombreuses difficultés aux frères fidèles. Certains de ceux qui s’étaient laissé influencer au départ se sont repentis et sont revenus à l’organisation de Jéhovah. Ce groupement apostat a fini par disparaître lorsqu’un terme a été mis à la vie dans les camps.

      “ Le camp est notre prison et les maisons sont nos cellules ”

      Jusqu’au début de 1983, la vie dans les camps paraissait relativement normale. Mais les frères n’oubliaient pas qu’ils étaient prisonniers. Certes, il en est qui, de leur propre initiative, ont fait le nécessaire pour regagner leur ville. D’autres venaient mais ne restaient pas. Quoi qu’il en soit, la communauté en tant que telle est restée. Il était normal que les frères souhaitent retrouver le foyer qu’ils avaient laissé derrière eux. Ils échangeaient du courrier qu’ils faisaient parvenir par la poste ou par l’intermédiaire de frères qui venaient courageusement dans les camps pour rendre visite à des membres de leur famille ou à des amis de longue date, quoique certains de ces frères aient été arrêtés et emprisonnés.

      Xavier Dengo avait l’habitude de dire : “ Vous les Malawites, vous êtes réfugiés, mais nous, nous sommes prisonniers. Le camp est notre prison et les maisons sont nos cellules. ” En fait, la situation des frères malawites étaient sensiblement la même. Cependant, la vie qui semblait paisible dans les villages allait connaître une fin soudaine.

      L’invasion armée suscite la panique et la mort

      Début 1983, des membres armés du mouvement de résistance ont commencé à occuper la région de Carico, obligeant le commandant du centre administratif à chercher refuge à Milange, le siège du district situé à 30 kilomètres de là. Pendant une courte période, les frères ont pu respirer un peu, bien qu’étant toujours surveillés par les autorités.

      Hélas ! un drame est survenu le 7 octobre 1984, alors que s’achevaient les préparatifs en vue de l’assemblée de district. Un groupe d’hommes armés sont arrivés de l’est. Ils ont traversé le village no 9, provoquant la panique et répandant le sang et la mort. Après avoir tué frère Mutola dans le village malawite no 7, ils ont tué Augusto Novela dans le village mozambicain no 4. Dans le village mozambicain no 5, frère Muthemba a été alerté par des coups de feu. Quand il a vu le corps d’un frère sur le sol, il a imploré l’aide de Jéhovah. Les hommes armés ont brûlé et saccagé les maisons. Les hommes, les femmes et les enfants fuyaient dans tous les sens, cherchant désespérément un abri. Cette attaque violente n’était que le prélude de ce qui allait suivre. Après avoir traversé les camps, le groupe a choisi un emplacement au nord du village no 1 pour y établir sa base.

      Chaque jour qui a suivi, ces hommes faisaient une incursion dans les camps : ils volaient, brûlaient des maisons et tuaient. Un jour, ils ont tué six Témoins malawites, y compris la femme de Fideli Ndalama, surveillant de circonscription.

      D’autres ont été retenus prisonniers dans le camp du groupe armé. L’épreuve touchait particulièrement les jeunes hommes que l’on cherchait à recruter de force dans ce mouvement militaire. Bon nombre de jeunes se sont enfuis des villages pour aller se cacher dans les machambas (les champs), et des membres de leur famille leur apportaient à manger. Les jeunes femmes étaient réquisitionnées pour faire la cuisine, mais ensuite leurs envahisseurs ont tenté de les contraindre à devenir leurs “ maîtresses ”. Hilda Banze fait partie de celles qui ont résisté à ces pressions. Cela lui a valu d’être battue si cruellement qu’elle a été laissée pour morte. Par bonheur, elle en a réchappé.

      Les hommes armés ont demandé aux frères de les approvisionner en vivres et de transporter leur équipement. Jugeant que cette requête était contraire à leur position de neutralité chrétienne, les frères ont refusé. Ce refus a suscité la colère de leurs opposants. La neutralité et les droits de l’homme n’avaient pas leur place dans un monde isolé où seuls les coups et les armes faisaient la loi. Une trentaine de frères sont morts au cours de cette période de violence. L’un d’eux, Alberto Chissano, a refusé de collaborer d’une quelconque façon et a essayé d’expliquer : “ Je ne participe pas à la politique, et c’est la raison pour laquelle on m’a transféré de Maputo jusqu’ici. J’ai refusé par le passé et ma position reste la même. ” (Voir Jean 18:36). C’en était de trop pour les oppresseurs ; furieux, ils l’ont emmené. Se doutant de ce qui allait se passer, frère Chissano a fait ses adieux aux frères, montrant une foi inébranlable. Ses derniers mots ont été : “ Rendez-vous dans le monde nouveau ”, après quoi il a été battu sauvagement et blessé à mort. Les frères de l’équipe médicale ont essayé de le sauver, mais en vain. Il a pu assurément leur donner “ rendez-vous dans le monde nouveau ”, car même la menace de mort n’avait pu briser sa foi. — Actes 24:15.

      Délivrés d’une fournaise de feu

      Il fallait faire quelque chose pour apaiser la situation qui devenait insupportable. Le comité ON s’est réuni avec les anciens et les assistants ministériels pour discuter de la façon dont ils pourraient établir le dialogue avec le mouvement de résistance. Mais les hommes de ce mouvement avaient déjà invité tous ceux de la région à venir à leur base. Les anciens ont décidé de s’y rendre, accompagnés d’un groupe important de Témoins qui s’étaient portés volontaires. Deux frères ont été désignés pour prendre la parole en faveur des habitants des villages. L’un d’eux, Isaque Maruli, est repassé chez lui pour en informer sa jeune femme et lui dire au revoir. Inquiète de ce qui risquait d’arriver, elle a essayé de le dissuader de partir. Il l’a réconfortée et lui a dit : “ Penses-​tu que si nous sommes restés en vie jusqu’à présent c’est parce que nous avons été plus avisés que les autres ? Et crois-​tu que nous sommes plus importants que nos frères ? ” Sans rien dire, elle a acquiescé. Ils ont prié ensemble et se sont dit au revoir.

      Les Témoins n’étaient pas les seuls à être présents à ce rassemblement ; il y avait aussi des personnes non Témoins désireuses de soutenir le mouvement armé. Mais les frères, environ 300, étaient les plus nombreux. La réunion était mouvementée, certains criant des slogans politiques et chantant des chants militaires. Puis on a annoncé : “ Aujourd’hui nous allons proclamer ‘ Viva Renamo ’ [Resistência Nacional de Moçambique (Résistance nationale du Mozambique), le mouvement qui combattait le gouvernement du Frelimo] jusqu’à ce que nous n’ayons plus de voix ! ” Le commandant, les soldats et les autres personnes se sont irrités du silence des frères. Un commissaire politique qui présidait la réunion a expliqué quelle était l’idéologie du mouvement. Il a dit que le haut commandement était déterminé à démanteler les villages et à disperser tous leurs habitants pour qu’ils aillent vivre dans les machambas. Puis il a autorisé ceux qui étaient dans l’assistance à s’exprimer. Les frères ont expliqué leur position de neutralité. Ils espéraient être compris en donnant les raisons pour lesquelles ils ne pouvaient fournir des vivres, transporter l’équipement, etc. Quant à se disperser, ils avaient déjà été contraints de le faire.

      Le commandant n’a pas du tout apprécié la réponse courageuse des frères, mais, grâce à Dieu, le commissaire s’est montré plus compréhensif. Il a apaisé le commandant et a laissé les frères partir en paix. Ils sont donc sortis sains et saufs de ce qu’ils appelaient une “ fournaise de feu ”. (Voir Daniel 3:26, 27.) La paix n’était pas garantie pour autant. L’épisode le plus bouleversant allait survenir quelques jours plus tard.

      Le massacre du village no 7

      Même si le soleil brillait, le dimanche 14 octobre 1984 allait être une journée bien sombre à Carico. Après la réunion qui avait eu lieu de bonne heure, des Témoins sont allés faire un tour dans les villages à la recherche de quelques provisions, avant de retourner rapidement là où ils vivaient désormais, dans les champs. Sans crier gare, un groupe d’hommes armés a quitté la base et s’est dirigé vers le village mozambicain no 7. Ils ont capturé un frère qui se trouvait aux abords du village no 5 et lui ont demandé : “ Conduis-​nous au village no 7 ; vous allez voir de quel bois nous nous chauffons. ” Arrivés au village, ils ont rassemblé tous ceux qui s’y trouvaient et les ont fait asseoir en cercle, dans l’ordre du numéro de leur village. Puis ils les ont interrogés.

      “ Quel est celui qui a battu et dévalisé notre mudjiba [espion non armé, ou indicateur] ? ” ont-​ils demandé. Ne comprenant pas de quoi ces hommes voulaient parler, les frères ont répondu qu’ils ne savaient pas. “ Bien, si personne ne se décide à parler, on va faire un exemple avec cet homme assis là devant. ” Après quoi ils ont abattu un frère à bout portant. Tous étaient bouleversés. Puis ils ont reposé la question encore et encore, et à chaque fois ils tiraient sur une nouvelle victime. On a obligé les femmes, qui serraient leurs bébés, à assister à l’exécution barbare de leurs maris. Ce fut le cas pour sœur Salomina, qui a vu mourir son mari, Bernardino. Les femmes n’ont pas été épargnées, et Leia Bila a également perdu la vie. Elle était la femme de Luis Bila, qui avait succombé à une attaque cardiaque dans le camp situé près de Lichinga. Leurs jeunes enfants se sont donc retrouvés orphelins. Les exécutions ont également touché les jeunes, tel Fernando Timbane qui, après avoir été atteint d’une balle, a prié Jéhovah et s’est efforcé d’encourager les autres.

      Après qu’ils eurent sauvagement exécuté dix personnes, un désaccord a surgi entre les tortionnaires, mettant fin au cauchemar. À leur commandement, frère Nguenha, qui devait être la 11e victime, s’est levé. Il raconte : “ J’ai prié Jéhovah pour qu’il prenne soin de ma famille, car mes heures étaient comptées. Après quoi je me suis tenu debout et j’ai eu un courage hors du commun. Ce n’est que par la suite que j’ai ressenti un choc émotionnel. ”

      On a ensuite ordonné aux survivants de brûler dans les villages les maisons qui restaient. Avant de partir, les hommes armés ont lancé cet avertissement : “ Nous avions l’ordre d’en tuer 50 parmi vous, mais ceux qui sont morts suffisent. Ils ne doivent pas être ensevelis. Nous aurons l’œil, et à chaque fois qu’un corps disparaîtra, nous en tuerons dix de plus. ” Quel ordre étrange et monstrueux !

      Alors que les coups de feu retentissaient dans la région et que l’on commençait à savoir que certains avaient fui, un nouveau vent de panique a soufflé sur les villages. En désespoir de cause, les frères se sont enfuis dans les bois et dans les montagnes. On n’a découvert que plus tard que les accusations ayant provoqué le massacre étaient venues d’un exclu qui désirait se joindre au mouvement de résistance. Il était également devenu voleur. Il avait porté des accusations mensongères contre les frères de son village dans l’espoir de se faire bien voir et de gagner la confiance du groupe. Lorsque ce dernier a découvert qu’il avait été dupé, il a arrêté le coupable et l’a mis à mort de façon encore plus barbare.

      Les frères sont dispersés

      Tous les habitants du Cercle de Carico étaient bouleversés et en pleine confusion. Les anciens, eux-​mêmes en larmes, se sont efforcés de consoler les familles qui pleuraient la disparition d’êtres chers dans le massacre. Il était inconcevable de rester dans la région. C’est ainsi que les frères ont commencé à se disperser. Des congrégations entières sont parties vers un endroit plus sûr, parcourant jusqu’à 30 kilomètres. Certains ont décidé de rester du côté des machambas. En conséquence, les anciens du comité ON avaient deux fois plus de travail. Il leur fallait parcourir des kilomètres pour maintenir l’unité et veiller sur la sécurité physique et spirituelle du troupeau dans les congrégations très éloignées les unes des autres.

      Ayant appris la triste nouvelle, la filiale du Zimbabwe a pris des dispositions pour que des membres de son bureau rendent visite aux frères afin de les affermir. Elle a également informé le Collège central à Brooklyn des besoins en nourriture, en vêtements et en médicaments dans les camps de Milange. Pleinement soucieux du bien-être des frères, le Collège central a donné comme instruction d’utiliser les fonds disponibles pour répondre aux besoins des frères, et, si cela était jugé nécessaire, de prévoir leur départ de Milange et leur retour chez eux. Cette solution paraissait vraiment sage.

      Début 1985, les membres du comité ON ont quitté Milange comme chaque année pour rencontrer le surveillant de zone, envoyé par le Collège central. C’est Don Adams qui est venu de Brooklyn. Réunis avec le comité de la filiale de Zambie et celui du Zimbabwe, les membres du comité ON ont fait part de leurs inquiétudes concernant le Cercle de Carico. On leur a conseillé de réfléchir à la situation : était-​il sage de rester à Carico ? L’accent a été mis sur le principe biblique énoncé en Proverbes 22:3 : “ Il est astucieux celui qui, ayant vu le malheur, s’est alors caché. ” Puis ils sont retournés aux camps sur cette pensée.

      Partir ? Comment ? Et où ?

      Le conseil a aussitôt été transmis aux congrégations. Certains ont réagi sans tarder, à l’exemple de João José, un frère célibataire qui a participé par la suite à la construction de bâtiments pour les filiales de Zambie et du Mozambique. À plusieurs, ils ont passé la frontière avec le Malawi et se sont rendus en Zambie sans trop de difficultés.

      En revanche, cela n’a pas été aussi facile pour d’autres. Beaucoup de familles ont dû tenir compte de leurs jeunes enfants. Les membres du mouvement de résistance surveillaient constamment les routes, et quiconque les empruntait courait le risque de se faire attaquer. À la frontière avec le Malawi, les frères se trouvaient face à une autre difficulté, particulièrement les Malawites, car les Témoins de Jéhovah étaient toujours haïs et poursuivis dans ce pays. Des questions embarrassantes se posaient donc : Comment allaient-​ils fuir ? Où iraient-​ils ? Après avoir vécu tant d’années dans la brousse sans aucun papier d’identité, comment allaient-​ils passer les frontières ? “ Nous ne savons pas non plus ”, ont répondu les membres du comité ON lors d’une réunion avec tous les anciens au cours de laquelle l’atmosphère s’est révélée très tendue. “ Une chose est sûre, nous devons nous disperser ”, ont-​ils ajouté avec insistance. Et de conclure : “ Que chacun prie, prépare son plan et agisse. ” — Voir 2 Chroniques 20:12.

      Dans les mois qui ont suivi, ce fut le thème principal des réunions. La plupart des anciens appuyaient l’idée selon laquelle il fallait partir, et ils encourageaient les frères à agir en conséquence. D’autres ont décidé de rester. C’est ainsi qu’un exode a débuté de façon éparpillée. Les frères malawites qui ont tenté de rentrer chez eux ont été bloqués à la frontière pour la même raison que par le passé, et ont été contraints de revenir. Cela a ralenti l’enthousiasme de ceux qui avaient décidé de partir et apporté de l’eau au moulin de ceux qui voulaient rester. Une “ invitation ” à assister à une autre “ réunion importante ” à la base militaire allait être un facteur décisif pour beaucoup.

      L’exode

      Le 13 septembre 1985, deux jours seulement avant la réunion en question, frères Muthemba, Matola et Chicomo, les trois membres restants du comité ON, se sont réunis une nouvelle fois. Qu’allaient-​ils recommander aux frères concernant cette “ invitation ” ? La réunion a duré la nuit entière. Après avoir beaucoup prié et réfléchi, ils ont pris une décision : “ Nous fuirons demain soir. ” Aussitôt, et aussi vite que possible, ils ont fait connaître leur décision ainsi que l’heure et le lieu où ils se retrouveraient. Les congrégations qui étaient d’accord pour partir se sont rassemblées. Ce fut la dernière action du comité ON dans les camps.

      Dès 20 h 30, après une prière, l’exode minuté des frères a débuté. Le secret avait été bien gardé, à l’insu des soldats et des “ rebelles ”. Il aurait été désastreux que les frères soient découverts. Protégée par l’obscurité, chaque congrégation avait 15 minutes pour partir, soit 2 minutes par famille. Une longue file s’est éloignée silencieusement à travers la brousse ; nul ne savait ce que le lever du soleil lui réservait à la frontière avec le Malawi, si tant est qu’il puisse y parvenir. Les bergers spirituels du comité ON ont été les derniers à partir, à 1 heure du matin. — Actes 20:28.

      Après une marche d’une quarantaine de kilomètres, Filipe Matola était épuisé ; il était resté deux jours sans dormir. Il s’est assoupi sur le côté de la file en attendant les personnes âgées qui étaient à la queue. Nous pouvons imaginer sa joie lorsque son “ neveu ”, Ernesto Muchanga, a accouru du devant de la file avec la bonne nouvelle : “ ‘ Tonton ’, les frères sont acceptés au Malawi ! ” Frère Matola s’est exclamé : “ C’est une démonstration de la façon dont Jéhovah nous ouvre la voie quand il semble ne pas y avoir d’issue, comme ce fut le cas à la mer Rouge. ” — Ex. 14:21, 22 ; voir Psaume 31:21-24.

      Au cours des mois qui ont suivi, les frères ont vécu dans les camps de réfugiés au Malawi et en Zambie, avant de retourner dans leurs villes d’origine, au Mozambique. Mais qu’est-​il arrivé à ceux qui étaient restés dans la région de Carico ?

      Ceux qui sont restés

      Les congrégations qui étaient dispersées n’avaient pas toutes eu écho de la décision du comité ON avant le début de l’exode. Certains frères, au courant, ont décidé de rester et se sont rendus à la réunion qui a eu lieu à la base militaire. La congrégation de Maxaquene, ainsi que d’autres, n’avait pas eu vent du départ en masse, mais avait déjà décidé de fuir. Avant d’aller à la réunion, ces frères ont demandé à leurs familles de préparer la fuite. Environ 500 frères étaient présents à cette réunion, qui fut brève et précise. Le commandant a dit : “ Nos supérieurs ont pris la décision de vous conduire, vous tous qui êtes présents, à notre principale base régionale. La route sera longue. Vous resterez là-bas au moins trois mois. ” Et le voyage a aussitôt débuté.

      Profitant du manque de vigilance des soldats, les frères qui avaient décidé de s’enfuir se sont esquivés. Ils ont rejoint leurs familles et ont passé comme ils ont pu la frontière avec le Malawi. Les autres qui, soit étaient d’accord avec les ordres du mouvement armé, soit n’avaient pas pu s’échapper, ont commencé leur voyage vers le sud-ouest, en direction de la base de Morrumbala, où ils sont arrivés au bout de quelques jours. Là, on a exercé sur eux de plus fortes pressions pour qu’ils soutiennent le mouvement. À cause de leur refus, ils ont subi d’épouvantables tortures et reçu d’innombrables coups causant la mort d’au moins un frère. Ce n’est que trois mois plus tard qu’ils ont enfin pu rentrer chez eux.

      Beaucoup ont continué d’habiter dans la région de Carico, entièrement sous le contrôle du mouvement de résistance. Ils se sont retrouvés isolés du reste de l’organisation de Jéhovah pendant les sept années qui ont suivi. Ils constituaient un groupe important comprenant quelque 40 congrégations. Ont-​ils gardé une bonne spiritualité ? Leur amour pour Dieu était-​il suffisamment fort pour leur éviter de sombrer dans le désespoir ? Nous en reparlerons plus loin.

      Les camps de réfugiés au Malawi et en Zambie

      Ceux qui se sont enfuis de Carico ne sont pas tous entrés facilement au Malawi. Après avoir passé la frontière, les frères de la congrégation de Maxaquene ont été découverts par la police malawite alors qu’ils se reposaient, et on leur a ordonné de repartir. Ils ont discuté avec les policiers, expliquant qu’ils fuyaient à cause de la guerre qui sévissait dans la région où ils habitaient. La police s’est montrée indifférente. Apparemment sans le vouloir et en désespoir de cause, quelqu’un a crié : “ Nous allons pleurer, mes frères ! ” Et c’est effectivement ce qu’ils ont fait ; ils ont pleuré si fort qu’ils ont attiré l’attention du voisinage. Embarrassés, les policiers leur ont enjoint de s’arrêter. Une sœur les a suppliés : “ Permettez-​nous au moins de faire à manger pour les enfants. ” Les policiers ont accédé à sa requête, ajoutant qu’ils reviendraient plus tard. Par bonheur, ils ne sont jamais revenus. Par la suite, des personnes investies d’une certaine autorité sont venues en aide aux Témoins ; elles leur ont apporté de la nourriture et les ont dirigés vers le camp de réfugiés où se trouvaient les autres frères.

      À présent, c’étaient les Témoins de Jéhovah mozambicains qui envahissaient les camps de réfugiés du Malawi. Le gouvernement du Malawi les a accueillis en tant que réfugiés de guerre. La Croix-Rouge internationale a apporté son concours, fournissant le nécessaire pour améliorer le confort et surmonter les désagréments causés par la vie dans ces camps à ciel ouvert. D’autres Témoins se sont rendus en Zambie, où ils ont été dirigés vers des camps de réfugiés. Filipe Matola et Fernando Muthemba collaboraient alors avec les membres du comité du Malawi et recherchaient les frères mozambicains qui se trouvaient dans ces camps, afin de les réconforter sur le plan spirituel et de leur fournir l’aide financière prévue par le Collège central.

      Le 12 janvier 1986, Albert Schroeder, membre du Collège central, a prodigué des encouragements spirituels aux frères et leur a fait part du profond amour que leur exprimait le Collège central. Il ne lui a pas été possible d’entrer dans les camps, mais il a prononcé un discours en Zambie qui a été traduit en chichewa, enregistré et mis à la disposition des frères mozambicains qui se trouvaient dans les camps.

      Peu à peu, on a aidé les réfugiés à atteindre leur destination suivante : le Mozambique. Beaucoup se sont dirigés sur Moatize, dans la province de Tete. En effet, l’attitude du gouvernement du Mozambique à l’égard des Témoins de Jéhovah était en train de changer, mais cela n’était pas encore manifeste chez les fonctionnaires de toutes les localités.

      De retour au Mozambique

      Les uns après les autres, des groupes ont commencé à envahir les communes situées à l’est de la ville de Tete. Ils étaient logés dans des wagons à l’abandon, qui avaient auparavant servi de toilettes. Une fois nettoyés, beaucoup ont fait office de lieux de réunion pour le Mémorial de la mort du Christ célébré le 24 mars 1986.

      Des frères originaires de toutes les régions du Mozambique ont attendu là pendant des mois sans savoir comment ils pourraient rentrer chez eux. Ils ont alors eu leur lot de tribulations. Ils ont essayé de se créer des emplois pour subvenir à leurs besoins ou mettre de l’argent de côté pour se payer un billet d’avion, mais n’ont pas eu beaucoup de résultat. Il n’était pas possible de prendre la route à cause de la guerre. Les autorités n’étaient pas toujours très tendres avec eux, essayant encore de les obliger à scander des slogans politiques. Ce à quoi les frères répliquaient hardiment : “ C’est pour cette raison que nous avons été déportés à Carico. Nous y avons purgé notre peine et avons été abandonnés à la merci d’agresseurs armés. Nous avons fui comme nous avons pu. Que nous voulez-​vous encore ? ” Sur ces mots, on les laissait tranquilles. Mais les jeunes étaient toujours harcelés et emprisonnés en vue d’être recrutés dans l’armée du gouvernement pour combattre les mouvements de révolte armés qui sévissaient dans la région. Nombre de jeunes frères ont utilisé tous les moyens judicieux possibles pour s’en aller et se cacher.

      Le comité du Malawi a décidé d’envoyer Fernando Muthemba à Tete afin d’y aider les frères. Quand frère Muthemba est arrivé à Moatize, les autorités ont demandé à fouiller ses bagages. À temps, les frères avaient pu retirer les publications qu’il portait. Ainsi, au moment où la police a fouillé ses sacs, qu’a-​t-​elle trouvé ? “ Seulement quelques haillons ”, répond-​il. Déçus, les policiers ont demandé : “ C’est tout ? ” Effectivement, c’était tout. C’étaient les seuls bagages d’un homme qui avait assumé de si grandes responsabilités dans les camps. Comme les autres, il était de retour, dépouillé de ses biens. Pour tout dire, l’apparence physique des frères n’était alors guère agréable : ils étaient sales, vêtus de loques, affamés et manifestement l’objet de mauvais traitements. Ils correspondaient tout à fait à la description faite sous inspiration de nombreux serviteurs de Dieu du passé : “ Ils sont allés çà et là vêtus de peaux de moutons, de peaux de chèvres, alors qu’ils étaient dans le besoin, (...) en butte aux mauvais traitements ; et le monde n’était pas digne d’eux. Ils ont erré dans les déserts, (...) dans les grottes et les antres de la terre. ” — Héb. 11:37, 38.

  • Mozambique
    Annuaire 1996 des Témoins de Jéhovah
    • [Illustrations, pages 140, 141]

      Dans le camp de réfugiés de Carico, les frères 1) coupaient du bois et 2) piétinaient de l’argile pour faire des briques, tandis que 3) les sœurs apportaient de l’eau. 4) Ils ont réussi à tenir des assemblées. 5) Xavier Dengo, 6) Filipe Matola et 7) Francisco Zunguza, surveillants de circonscription, ont apporté leur aide dans la direction spirituelle. 8) Cette Salle du Royaume construite par des Témoins malawites est toujours utilisée.

Publications françaises (1950-2025)
Se déconnecter
Se connecter
  • Français
  • Partager
  • Préférences
  • Copyright © 2025 Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania
  • Conditions d’utilisation
  • Règles de confidentialité
  • Paramètres de confidentialité
  • JW.ORG
  • Se connecter
Partager