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Nous avons appris à faire entièrement confiance à JéhovahLa Tour de Garde 2005 | 1er janvier
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Biographie
Nous avons appris à faire entièrement confiance à Jéhovah
PAR NATALIE HOLTORF
Juin 1945. Un homme au visage blême se présente à notre porte et attend patiemment sur le seuil. Surprise, Ruth, ma cadette, s’écrie : “ Maman, il y a un monsieur à la porte ! ” Elle ne sait pas que le monsieur est son père, mon cher mari, Ferdinand. Deux ans auparavant, trois jours seulement après la naissance de Ruth, il a dû quitter la maison, a été arrêté et finalement envoyé dans un camp de concentration nazi. En ce mois de juin, enfin, Ruth rencontre son père, et notre famille est réunie. Ferdinand et moi avons tant de choses à nous dire !
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Nous avons appris à faire entièrement confiance à JéhovahLa Tour de Garde 2005 | 1er janvier
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Peu après, l’horizon politique en Europe s’est assombri. Nous avons appris que les Témoins étaient persécutés en Allemagne, et nous avons pris conscience que notre tour ne tarderait pas à venir. Nous nous demandions comment nous endurerions la persécution extrême. En 1938, les autorités néerlandaises ont émis un décret qui interdisait aux étrangers de faire du colportage en distribuant des écrits religieux. Pour nous aider à poursuivre notre ministère, les Témoins du pays nous donnaient les noms des personnes qui avaient manifesté de l’intérêt pour notre œuvre, ce qui nous permettait d’étudier la Bible avec certaines d’entre elles.
À cette époque, une assemblée de Témoins de Jéhovah se préparait. Nous n’avions pas les moyens d’acheter des billets de train pour nous y rendre. Néanmoins, nous voulions être présents. Nous avons donc entrepris un voyage de trois jours à bicyclette, avec notre petite Esther assise sur un porte-bébé fixé au guidon. La nuit, nous avons dormi chez des Témoins qui habitaient sur notre route. Quelle joie nous avons eue d’assister à notre premier rassemblement national ! Le programme nous a fortifiés en vue des épreuves qui nous attendaient. Mais surtout, il nous a rappelé l’importance de mettre notre confiance en Dieu. Les paroles du Psaume 31:6 sont devenues notre devise : “ Moi, c’est en Jéhovah que j’ai vraiment confiance. ”
Pourchassés par les nazis
En mai 1940, les nazis ont envahi les Pays-Bas. Quelque temps plus tard, la Gestapo, la police secrète, a fait irruption chez nous tandis que nous rangions une cargaison de publications bibliques. Ferdinand a été emmené au quartier général de la Gestapo. Esther et moi lui rendions visite régulièrement. Parfois, il était interrogé et battu sous nos yeux. Puis, en décembre, il a été subitement libéré, mais pas pour longtemps. Un soir, en rentrant à la maison, nous avons aperçu une voiture de la Gestapo près de la maison. Pendant que Ferdinand s’enfuyait, Esther et moi sommes rentrées chez nous. La Gestapo nous attendait. Elle voulait Ferdinand. Le même soir, une fois la Gestapo partie, la police néerlandaise est venue et m’a emmenée pour me faire passer un interrogatoire. Le lendemain, Esther et moi sommes allées nous réfugier chez les Norder, un couple de Témoins baptisé depuis peu.
Vers la fin de janvier 1941, un couple de pionniers qui vivait dans un house-boat a été arrêté. Le lendemain, un surveillant de circonscription (ministre itinérant) et mon mari sont allés chercher chez eux quelques-unes de leurs affaires. Mais les collaborateurs de la Gestapo les ont assaillis par surprise. Ferdinand a réussi à leur échapper et à s’enfuir à vélo. Le surveillant de circonscription, en revanche, a été fait prisonnier.
Les frères responsables ont demandé à Ferdinand de remplacer le surveillant de circonscription. Cela voulait dire qu’il ne pourrait rentrer à la maison que trois jours par mois au maximum. C’était pour nous une nouvelle épreuve ; néanmoins j’ai poursuivi mon activité de pionnier. Comme la Gestapo recherchait les Témoins avec de plus en plus d’ardeur, nous avons dû déménager à plusieurs reprises. En 1942, nous avons changé trois fois de logement. Pour finir, nous nous sommes installés à Rotterdam, loin du territoire où Ferdinand effectuait son ministère clandestin. J’attendais alors notre deuxième enfant. Les Kamp, dont les deux fils venaient d’être déportés dans des camps de concentration, nous ont gentiment accueillis chez eux.
Talonnés par la Gestapo
Ruth est née en juillet 1943. Après sa naissance, Ferdinand a pu rester trois jours avec nous, puis il a dû repartir. Nous ne le reverrions pas avant longtemps. Environ trois semaines plus tard, il a été arrêté à Amsterdam puis emmené au poste de la Gestapo, où son identité a été confirmée. On lui a fait subir un long interrogatoire afin de l’obliger à divulguer des renseignements sur notre activité de prédication. Mais tout ce qu’il a bien voulu révéler, c’est qu’il était Témoin de Jéhovah et qu’il ne faisait pas de politique. Les officiers allemands étaient furieux que Ferdinand, un compatriote, ne se soit pas enrôlé, et ont menacé de l’exécuter comme un traître.
Durant les cinq mois qui ont suivi, Ferdinand est resté enfermé dans une cellule. Sans cesse on le menaçait d’être fusillé par un peloton d’exécution. Cependant, il est resté ferme et fidèle à Jéhovah. Qu’est-ce qui l’a aidé à demeurer fort spirituellement ? La Parole de Dieu, la Bible. Évidemment, comme il était Témoin, Ferdinand n’était pas autorisé à avoir une bible. En revanche, les autres prisonniers pouvaient en demander une. Ferdinand a donc convaincu son compagnon de cellule de demander à sa famille d’en envoyer un exemplaire, ce que l’homme a fait. Des années après, chaque fois que Ferdinand racontait cet épisode, il s’exclamait, les yeux brillants : “ Combien cette bible m’a réconforté ! ”
Au début de janvier 1944, Ferdinand a soudain été envoyé dans un camp de concentration à Vught, autre ville des Pays-Bas. Contre toute attente, cette déportation s’est avérée pour lui une bénédiction, car il a rencontré là 46 autres Témoins. Quand j’ai appris qu’il avait été déplacé et donc qu’il était toujours en vie, j’ai ressenti une joie sans bornes !
Prédication intensive dans le camp de concentration
La vie dans le camp était très dure. Malnutrition, manque de vêtements chauds et froid extrême faisaient partie du quotidien. Ferdinand a contracté une grave angine. Après une longue attente dans le froid pendant l’appel, il s’est présenté à l’infirmerie. Les malades qui avaient au moins 40 °C de fièvre pouvaient rester. Mais pas d’arrêt pour Ferdinand, parce qu’il n’avait que 39 °C de fièvre ! On lui a dit de retourner au travail. Cependant, des prisonniers compatissants l’ont soutenu en le cachant de temps en temps dans un endroit au chaud. Le redoux a été pour lui un soulagement supplémentaire. En outre, lorsque des frères recevaient des colis de nourriture, ils s’en partageaient le contenu, si bien que Ferdinand a pu reprendre quelques forces.
Avant que mon mari ne soit emprisonné, la prédication était toute sa vie. Aussi a-t-il continué à parler de ses croyances dans le camp. Les officiers lui faisaient souvent des remarques sarcastiques à propos de son triangle violet, l’insigne qui identifiait les Témoins. Toutefois, Ferdinand considérait ces railleries comme des occasions d’engager la conversation. Au début, les frères ne pouvaient prêcher que dans les baraquements qui abritaient principalement des Témoins, et ils se demandaient comment atteindre d’autres prisonniers. Involontairement, l’administration du camp a résolu le problème. Comment ?
Les frères conservaient en cachette des publications ainsi que 12 bibles. Un jour, les gardiens ont trouvé des ouvrages bibliques, mais ils ne savaient pas à qui ils appartenaient. Les chefs du camp ont donc décrété qu’il fallait briser l’unité des Témoins. C’est ainsi qu’en guise de sanction tous les frères ont été répartis dans des baraquements occupés par des prisonniers non Témoins. Qui plus est, lors des repas, ils devaient s’asseoir à côté de non-Témoins. Cette mesure a joué en leur faveur. Ils pouvaient maintenant faire ce qui leur était difficile auparavant : prêcher au plus grand nombre de détenus possible.
J’élève seule mes deux filles
Pendant ce temps, mes deux filles et moi vivions toujours à Rotterdam. L’hiver 1943/1944 a été particulièrement rude. Derrière notre maison, des soldats allemands manœuvraient une batterie d’artillerie antiaérienne. En face, il y avait le port du Waal, une cible privilégiée pour les bombardiers alliés. Ce n’était pas vraiment l’endroit le plus sûr pour se cacher. De surcroît, la nourriture était rare. Plus que jamais, nous avons appris à faire entièrement confiance à Jéhovah. — Proverbes 3:5, 6.
Esther, qui avait alors huit ans, aidait notre petite famille en faisant la queue à la soupe populaire. Souvent, toutefois, quand venait son tour, il ne restait plus rien. Un jour qu’elle était partie chercher de la nourriture, elle s’est retrouvée prise au milieu d’un raid aérien. Quand j’ai entendu les explosions, j’ai paniqué, mais mon anxiété n’a pas tardé à faire place à des larmes de joie lorsque ma fille est revenue saine et sauve, ramenant des betteraves à sucre ! “ Qu’est-ce qui s’est passé ? ” lui ai-je tout de suite demandé. Elle m’a répondu calmement : “ Quand la bombe est tombée, j’ai fait exactement ce que papa m’avait dit : ‘ Couche-toi à terre, reste allongée, et prie. ’ Et ça a marché ! ”
Comme j’avais l’accent allemand, il était plus sûr que ce soit Esther qui aille se procurer le peu de denrées qu’on pouvait encore glaner. Cela n’a pas échappé à l’attention des soldats allemands, qui ont commencé à la questionner. Mais elle n’a jamais vendu la mèche. À la maison, je lui donnais une instruction biblique, et comme elle ne pouvait pas aller à l’école, je lui apprenais à lire et à écrire et bien d’autres choses encore.
Esther me soutenait également dans la prédication. Avant que je sorte diriger une étude biblique, elle partait en avant de moi pour s’assurer que la voie était libre. Elle vérifiait si les indices sur lesquels je m’étais entendue avec les étudiants étaient en place. Par exemple, la personne à qui je rendais visite avait l’habitude de disposer un pot de fleurs d’une certaine manière sur le rebord de la fenêtre pour me signaler que je pouvais venir. Pendant l’étude, Esther restait dans la rue pour guetter les signes de danger tout en promenant Ruth dans son landau.
Sachsenhausen
Et Ferdinand ? En septembre 1944, lui ainsi que beaucoup d’autres prisonniers ont été conduits à une gare. Là, des groupes de 80 détenus ont été entassés dans des wagons de marchandises. Dans chaque wagon, il y avait un seau qui servait de latrines, et un autre qui contenait de l’eau potable. Les passagers, qui ne pouvaient se tenir que debout, ont voyagé trois jours et trois nuits ainsi, dans ces wagons très peu ventilés, sans ouverture à l’exception de quelques petits trous ici et là. La chaleur, la faim, la soif qu’ils ont dû supporter, sans parler de la puanteur, sont indescriptibles.
Le train a fini par s’immobiliser au sinistre camp de concentration de Sachsenhausen. Tous les prisonniers ont été dépossédés des effets personnels qui leur restaient, exception faite pour les 12 petites bibles que les Témoins avaient emportées !
Ferdinand et huit autres frères ont été envoyés dans un camp satellite à Rathenow, pour travailler à la production de matériel de guerre. Malgré les fréquentes menaces d’exécution, les frères refusaient d’accomplir ce genre de tâche. Pour s’encourager mutuellement à rester fermes, le matin ils lisaient ensemble un verset biblique, tel que Psaume 18:2, afin d’y réfléchir au cours de la journée. Cela leur permettait de méditer sur des pensées spirituelles.
Puis, un jour, le grondement de l’artillerie a annoncé l’approche des Alliés et des troupes russes. Les Russes sont arrivés d’abord au camp dans lequel se trouvaient Ferdinand et ses compagnons. Ils ont distribué de la nourriture aux prisonniers et leur ont ordonné de quitter le camp. Fin avril 1945, l’armée russe les a autorisés à rentrer chez eux.
Enfin réunis !
Le 15 juin, Ferdinand est arrivé aux Pays-Bas. Les frères de Groningue l’ont accueilli chaleureusement. Très vite, il a appris que nous étions en vie et que nous habitions quelque part dans le pays. On nous a informées de son retour. L’attente de le revoir nous a parue interminable ! Jusqu’à ce jour où Ruth s’est écriée : “ Maman, il y a un monsieur à la porte ! ” Son papa, mon cher mari, était là !
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