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    Annuaire 2006 des Témoins de Jéhovah
    • La Roumanie derrière le rideau de fer

      En novembre 1946, soit quelques mois avant la visite d’Alfred Rütimann, les communistes ont pris le pouvoir dans le pays. Au cours des années suivantes, leur parti a éliminé toute forme d’opposition et a accéléré le processus de soviétisation, au moyen duquel les institutions politiques et culturelles roumaines ont été alignées sur le modèle soviétique.

      Profitant pleinement du calme avant la tempête, les frères ont imprimé des centaines de milliers de périodiques, de brochures et d’autres publications, qu’ils ont acheminés aux 20 dépôts répartis dans le pays. Dans le même temps, nombreux sont ceux qui ont augmenté leur activité. Certains ont entrepris le service de pionnier, comme par exemple Mihai Nistor et Vasile Sabadâş.

      Mihai a été affecté dans le nord-ouest puis dans le centre de la Transylvanie, où il a continué son service même après l’interdiction imposée par les communistes, qui le traquaient sans relâche. Comment a-​t-​il échappé aux arrestations ? Il raconte : “ Je m’étais fabriqué un sac qui ressemblait tout à fait à celui des vitriers. Je me promenais en habits de travail dans le centre des villages et des villes où je devais prêcher, tout en transportant des vitres et des outils. Chaque fois que j’apercevais un policier ou quelqu’un de suspect, je me mettais à faire de la réclame à voix haute pour mes carreaux. D’autres frères employaient des méthodes différentes pour se soustraire à leurs opposants. C’était palpitant mais risqué, non seulement pour nous, les pionniers, mais encore pour les familles qui nous hébergeaient. Toujours est-​il que les progrès des personnes qui étudiaient la Bible ainsi que l’augmentation du nombre des proclamateurs nous rendaient très joyeux. ”

      Vasile Sabadâş a lui aussi continué son service de pionnier bien qu’il ait dû déménager souvent. Il a retrouvé et soutenu beaucoup de frères qui avaient été dispersés par la Securitate, la clef de voûte du vaste réseau de sécurité du nouveau régime communiste. “ Pour ne pas être arrêté, raconte Vasile, je devais être prudent et avoir l’imagination fertile. Par exemple, avant de voyager dans une autre région, je me trouvais toujours une bonne raison de le faire, comme une cure thermale prescrite par un médecin.

      “ En n’éveillant pas de soupçon, j’ai pu rétablir la communication entre les frères. Ils ont ainsi reçu régulièrement la nourriture spirituelle. J’avais pour devises Isaïe 6:8 : ‘ Me voici ! Envoie-​moi ! ’ et Matthieu 6:33 : ‘ Continuez donc à chercher d’abord le royaume. ’ Ces versets m’ont donné la force de persévérer avec joie. ” Vasile a eu bien besoin de cette qualité, car, comme bien d’autres, il a fini par être arrêté malgré sa prudence.

      Des attaques violentes contre l’organisation de Dieu

      En 1948, la correspondance avec le siège mondial était devenue si difficile que les frères avaient recours à des messages codés, écrits sur des cartes postales. En mai 1949, Martin Magyarosi a transmis un message de Petre Ranca, un de ses collaborateurs du bureau de Bucarest, qui signalait : “ Toute la famille va bien. Il y a eu beaucoup de vent et il a fait très froid ; nous n’avons donc pas pu travailler dans les champs. ” Plus tard, un autre frère a rapporté que “ la famille ne pouvait recevoir aucune friandise ” et que “ beaucoup étaient malades ”. Il voulait dire qu’il n’était pas possible d’envoyer de la nourriture spirituelle en Roumanie et que nombre de frères étaient emprisonnés.

      À la suite d’une décision du ministère de la Justice datant du 8 août 1949, le bureau de Bucarest, logements inclus, a été fermé. Tout ce qui s’y trouvait, y compris les effets personnels des frères, a été confisqué. Au cours des années suivantes, des centaines de Témoins ont été arrêtés et condamnés. Sous le régime fasciste, les Témoins de Jéhovah étaient accusés d’être communistes, mais, quand les communistes sont arrivés au pouvoir, ils ont été taxés d’“ impérialistes ” ou de “ propagandistes américains ”.

      Des espions et des indicateurs rôdaient partout. L’Annuaire 1953 expliquait que les mesures prises par les communistes “ étaient maintenant si sévères que toute personne en Roumanie qui recevait du courrier de l’Ouest était inscrite sur la liste noire et donc surveillée de près ”. Le rapport continuait en ces termes : “ La terreur qui règne là-bas est inimaginable. Les membres d’une même famille ne peuvent se fier les uns aux autres. La liberté a entièrement disparu. ”

      Au début de 1950, Pamfil et Elena Albu, Petre Ranca, Martin Magyarosi ainsi que bien d’autres ont été arrêtés et accusés faussement d’être des espions à la solde de l’Occident. Des frères ont été torturés pour qu’ils révèlent des renseignements confidentiels et pour qu’ils avouent être des “ espions ”. Toutefois, leur seul aveu était qu’ils adoraient Jéhovah et qu’ils servaient les intérêts de son Royaume. Après avoir subi des supplices, certains ont été envoyés en prison et d’autres dans des camps de travail. Quelles conséquences cette vague de persécutions a-​t-​elle eues sur l’œuvre ? En 1950, la Roumanie a connu un accroissement de 8 % du nombre des proclamateurs ! La puissance de l’esprit de Dieu était vraiment manifeste.

      Frère Magyarosi, alors âgé de près de 70 ans, a été incarcéré dans la prison de Gherla, en Transylvanie, où il est mort à la fin de 1951. Un rapport mentionnait : “ Nombreuses et grandes ont été ses souffrances pour la cause de la vérité, particulièrement depuis son arrestation en janvier 1950. Elles ont maintenant cessé. ” Effectivement, pendant une vingtaine d’années, il a enduré les brutalités du clergé, des fascistes et des communistes. Son exemple d’intégrité s’accorde avec ces paroles de l’apôtre Paul : “ J’ai combattu le beau combat, j’ai achevé la course, j’ai observé la foi. ” (2 Tim. 4:7). Sa femme, Maria, n’a pas été emprisonnée, mais elle a laissé un excellent exemple d’endurance dans l’adversité. Un frère a parlé d’elle comme d’“ une sœur intelligente, entièrement dévouée à l’œuvre du Seigneur ”. Après l’arrestation de son mari, des membres de la famille de Maria ont pris soin d’elle, notamment sa fille adoptive, Mărioara, qui a été elle-​même emprisonnée puis libérée en automne 1955.

      “ Les Témoins de Jéhovah sortent du lot ”

      En 1955, une amnistie a été accordée et la plupart des frères ont été relâchés. Leur liberté a cependant été de courte durée. De 1957 à 1964, les Témoins de Jéhovah ont à nouveau été traqués et arrêtés. Quelques-uns ont même été condamnés à perpétuité. Au lieu de sombrer dans le désespoir, ceux qui étaient incarcérés s’encourageaient mutuellement à tenir ferme. De ce fait, ils étaient bien connus pour leurs principes et leur intégrité. “ Les Témoins de Jéhovah sortent du lot. Rien ne pouvait les faire capituler ou renoncer à leur religion ”, se souvient un prisonnier politique. Il a ajouté que, là où il était détenu, les Témoins étaient “ les prisonniers les plus appréciés ”.

      Une autre amnistie a été décrétée en 1964. Mais le soulagement a de nouveau été éphémère. En effet, davantage d’arrestations ont eu lieu entre 1968 et 1974. Un frère a écrit : “ Nous avons été torturés et injuriés pour avoir répandu l’Évangile. Nous vous implorons de vous souvenir, dans vos prières, de vos frères emprisonnés. Nous savons qu’il s’agit d’une épreuve et que nous devons l’endurer. Nous continuerons courageusement à prêcher la bonne nouvelle, en accomplissement de Matthieu 24:14. Mais une fois encore nous vous en supplions de tout notre cœur : ne nous oubliez pas ! ” Comme nous le verrons, Jéhovah a entendu les prières ferventes que ses fidèles lui ont adressées avec larmes, et il les a consolés de différentes manières.

      Satan sème le doute

      Le Diable n’attaque pas seulement le peuple de Dieu de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Par exemple, des frères qui avaient exercé des fonctions de surveillance avant leur arrestation n’ont pas été rétablis dans celles-ci après leur libération en 1955. Ils en ont éprouvé du ressentiment et ils en sont venus à semer la discorde. Quel dommage qu’ils se soient laissés aller à l’orgueil une fois libres, après être demeurés fermes en prison ! Au moins un frère en vue a été jusqu’à coopérer avec la Securitate pour échapper à une sanction, ce qui a causé beaucoup de tort à ceux qui sont restés fidèles ainsi qu’à l’œuvre de prédication. — Mat. 24:10.

      Les serviteurs de Dieu ont aussi dû composer avec des différences de point de vue sur des questions de conscience. Ainsi, après leur arrestation, les frères se voyaient souvent proposer un choix : la prison ou le travail dans des mines de sel. Certains estimaient que ceux qui avaient préféré la deuxième option avaient transigé avec les principes bibliques. D’autres soutenaient que les sœurs ne devaient pas utiliser de cosmétiques, et qu’il n’était pas convenable d’aller au cinéma ou au théâtre, ni même de posséder une radio.

      Par contre, ce qui était plus positif, c’est que les frères en général n’ont jamais perdu de vue l’essentiel : la nécessité de rester fidèle à Dieu. Cela ressort clairement du rapport pour l’année de service 1958 : cette année-​là ils ont été 5 288 à participer à la prédication, soit 1 000 de plus que l’année précédente ! En outre, 8 549 personnes ont assisté au Mémorial et 395 se sont fait baptiser.

      Une autre épreuve s’est présentée en 1962, quand La Tour de Garde a expliqué que “ les autorités supérieures ” mentionnées en Romains 13:1 étaient les autorités gouvernementales humaines, et non Jéhovah Dieu et Jésus Christ, comme on l’avait pensé jusqu’alors. Ayant beaucoup souffert aux mains de dirigeants brutaux, nombre de frères roumains ont eu du mal à accepter la nouvelle compréhension. Du reste, certains ont sincèrement cru qu’il s’agissait d’un stratagème des communistes pour les asservir à l’État, contrairement au principe défini en Matthieu 22:21.

      Un frère en a parlé à l’un de ses compagnons chrétiens qui s’était rendu à Berlin, à Rome et dans d’autres capitales. “ Il m’a confirmé, se souvient-​il, que cette nouvelle compréhension n’était pas une ruse des communistes, mais plutôt qu’elle provenait de la classe de l’esclave, qui fournit la nourriture spirituelle. Malgré tout, je restais perplexe. J’ai alors demandé au surveillant de district ce que nous devions faire.

      “ Il a répondu : ‘ Tout simplement : persévérer dans l’œuvre de prédication — voilà ce que nous devons faire ! ’

      “ C’était un conseil excellent, et je suis heureux de dire que je ‘ persévère ’ aujourd’hui encore. ”

      Malgré les entraves à la communication, le siège mondial et le Béthel qui supervisait l’œuvre en Roumanie se sont démenés pour tenir les frères informés des vérités révélées et pour les aider à coopérer comme une famille spirituelle unie. À cet effet, ils ont envoyé des lettres et écrit des articles pertinents dans Le ministère du Royaume.

      Comment cette nourriture spirituelle parvenait-​elle aux serviteurs de Jéhovah ? Chaque membre du Comité du pays était en liaison secrète avec les surveillants itinérants et les anciens. Le contact était maintenu par des coursiers de confiance qui assuraient aussi l’échange de lettres et de rapports entre le Comité du pays et le bureau central en Suisse. Ainsi, au moins un peu de nourriture spirituelle et quelques directives théocratiques pouvaient être transmises.

      Des frères et sœurs fidèles se sont appliqués à favoriser l’harmonie dans leur congrégation ou leur groupe. L’un d’eux, Iosif Jucan, disait souvent : “ Nous ne pouvons espérer être sauvés à Har-Maguédôn à moins de continuer à assimiler régulièrement la nourriture spirituelle et de rester très proches de ‘ notre Mère ’. ” Il voulait dire par là qu’il fallait rester en contact avec la partie terrestre de l’organisation de Jéhovah. De tels frères ont été des atouts précieux pour le peuple de Dieu et un rempart contre ceux qui voulaient semer la désunion.

      Les tactiques des ennemis du peuple de Dieu

      Dans leur acharnement à affaiblir la foi des serviteurs de Jéhovah ou à les contraindre à la soumission, les communistes se sont servis d’espions et de traîtres. Ils ont aussi utilisé la torture, la propagande mensongère et les menaces de mort. Les espions et les délateurs pouvaient être des voisins, des collègues de travail, des apostats, des proches ou des agents de la Securitate. Ces derniers se sont infiltrés dans des congrégations en feignant d’être intéressés par la vérité et en apprenant le vocabulaire théocratique. Ces “ faux frères ” ont causé beaucoup de tort et ont été à l’origine de nombreuses arrestations. L’un deux, Savu Gabor, a même reçu un poste de responsabilité ; il a été démasqué en 1969. — Gal. 2:4.

      Les agents du gouvernement espionnaient aussi des individus ou des familles au moyen de micros dissimulés. Timotei Lazăr en témoigne : “ Alors que j’étais en prison en raison de ma neutralité de chrétien, la Securitate convoquait régulièrement mes parents et mon petit frère à son quartier général, où ils étaient interrogés jusqu’à six heures d’affilée. Lors de l’un de ces interrogatoires, des agents ont caché des micros chez nous. En rentrant ce soir-​là, mon frère, qui était électricien, a remarqué que le compteur d’électricité tournait anormalement vite. En inspectant les lieux, il a découvert deux appareils d’écoute, qu’il a photographiés et démontés. Le lendemain, les agents de la Securitate sont venus chercher leurs ‘ joujoux ’, comme ils les appelaient. ”

      La propagande mensongère était souvent véhiculée par des articles publiés dans d’autres pays communistes et ‘ recyclés ’ pour la Roumanie. Par exemple, l’article intitulé “ La secte jéhoviste et son caractère réactionnaire ” provenait d’un journal russe. Il accusait les Témoins de Jéhovah de présenter “ les caractéristiques d’une organisation politique typique ” dont le but est “ d’exercer une activité de sabotage dans les pays socialistes ”. Il encourageait également ses lecteurs à dénoncer quiconque défendait les enseignements des Témoins. Cela dit, en réfléchissant un peu, les gens se rendaient bien compte que ce tapage politique était un aveu d’échec de la part des opposants, car il indiquait à tous que les Témoins de Jéhovah étaient toujours très actifs et loin d’être réduits au silence.

      Quand des agents de la Securitate arrêtaient un frère ou une sœur, leur cruauté raffinée ne connaissait aucune limite. Dans le but de faire parler leur victime, ils employaient même des substances chimiques qui altéraient le psychisme et le système nerveux. Samoilă Bărăian, qui a subi de tels sévices, raconte : “ Dès le début de l’interrogatoire, ils m’ont forcé à prendre des médicaments qui m’ont fait plus de mal que les coups. J’ai vite compris que quelque chose n’allait pas. Je ne pouvais plus marcher droit ni monter les escaliers. Ensuite, j’ai commencé à souffrir d’insomnie chronique. Je n’arrivais plus à me concentrer et je parlais avec difficulté.

      “ Ma santé a continué à se dégrader. Après environ un mois, j’ai perdu le sens du goût. Mon système digestif s’est détérioré et j’avais l’impression que toutes mes articulations allaient se démettre. Je souffrais atrocement. Je transpirais tellement des pieds qu’en deux mois mes chaussures se sont abîmées au point que j’ai dû les jeter. Celui qui m’interrogeait hurlait : ‘ Pourquoi tu continues à mentir ? Tu ne vois pas ce que tu es devenu ? ’ J’avais envie d’exploser de colère ; il fallait beaucoup de maîtrise de soi. ” Avec le temps, frère Bărăian s’est entièrement remis.

      La Securitate utilisait la torture morale. Alexa Boiciuc se souvient : “ Le pire pour moi, ç’a été quand ils m’ont réveillé une nuit pour m’emmener dans une pièce d’où je pouvais entendre qu’on battait un frère. Après, j’ai entendu une sœur pleurer, et ensuite j’ai entendu la voix de ma mère. J’aurais préféré être roué de coups que d’avoir à supporter ça. ”

      On promettait aux frères qu’ils seraient graciés s’ils divulguaient les noms d’autres Témoins et disaient où et quand les réunions avaient lieu. On encourageait aussi les femmes à quitter leur mari qui était en prison pour garantir un avenir meilleur à leurs enfants.

      L’État ayant confisqué leurs biens, de nombreux frères étaient contraints à travailler dans des fermes collectives. Certes, les conditions de travail n’étaient pas trop mauvaises, mais les hommes étaient dans l’obligation d’assister fréquemment à des réunions politiques. Ceux qui n’y allaient pas étaient ridiculisés et leurs paies considérablement réduites. Bien entendu, comme ils ne participaient à aucune réunion ni à aucune activité politique, les Témoins de Jéhovah ont connu des privations.

      Quand les agents du gouvernement perquisitionnaient chez les Témoins, ils confisquaient leurs effets personnels, surtout ce qui pouvait se revendre. En plein hiver, ils saccageaient souvent les fourneaux, l’unique source de chaleur dans les maisons. Pourquoi une telle cruauté ? Parce que les fourneaux étaient, soi-disant, de bonnes cachettes pour les publications. Néanmoins, les frères ne se laissaient pas réduire au silence. Même ceux qui ont enduré des mauvais traitements et des privations dans des camps de travail ou des prisons ont continué, comme nous allons le voir, à rendre témoignage à Jéhovah et à se réconforter mutuellement.

      Ils louent Jéhovah dans les camps et les prisons

      En plus des prisons, il y avait trois grands camps de travail dans le pays. L’un était situé dans le delta du Danube ; un autre à Brăila, sur la grande île ; et le troisième près du canal reliant le Danube à la mer Noire. Dès le début de l’ère communiste, les Témoins ont souvent été incarcérés avec certains de leurs anciens persécuteurs qui avaient été arrêtés pour leurs liens avec le régime précédent. C’est ainsi qu’un surveillant de circonscription s’est retrouvé en compagnie de 20 prêtres ! Il va sans dire qu’avec ces interlocuteurs forcés les conversations n’ont pas manqué d’intérêt.

      Dans une prison, un frère s’est entretenu longuement avec un professeur de théologie qui, autrefois, faisait passer des examens aux candidats à la prêtrise. Le frère s’est vite rendu compte qu’il ne connaissait pratiquement rien à la Bible. De plus, parmi les détenus qui suivaient la conversation se trouvait un général de l’ancien régime.

      “ Comment se fait-​il que de simples artisans connaissent la Bible mieux que vous ? ” a demandé ce général au professeur.

      Ce dernier a répondu : “ Au séminaire, c’est la tradition de l’Église et ce qui s’y rapporte qu’on apprend, mais pas la Bible. ”

      Sans se démonter, le général lui a rétorqué : “ Nous nous en remettions à vous, mais je me rends compte que vous nous avez lamentablement induits en erreur. ”

      Finalement, un bon nombre de prisonniers ont acquis une connaissance exacte de la vérité et ont voué leur vie à Jéhovah. Ce fut le cas d’un homme qui purgeait une peine de 75 ans pour vol. Les changements remarquables qu’il a opérés dans sa personnalité ont retenu l’attention des autorités pénitentiaires. En conséquence elles lui ont donné un nouveau travail, que d’habitude on ne confiait pas à quelqu’un qui était incarcéré pour vol. Il était chargé de faire des achats en ville, sans escorte !

      Il n’en reste pas moins que la vie en prison était dure, et la nourriture rare. Les prisonniers réclamaient même que leurs pommes de terre ne soient pas épluchées pour avoir un peu plus à manger. Ils s’alimentaient aussi de betteraves fourragères, d’herbe, de feuilles et d’autres végétaux pour tromper leur faim. À la longue, certains sont morts de malnutrition et tous ont été atteints de dysenterie.

      Pendant l’été, ceux qui étaient détenus dans le delta du Danube pelletaient la terre pour la construction du barrage. L’hiver, ils coupaient des roseaux alors qu’il gelait. Ils dormaient sur un vieux ferry, dans le froid, la crasse et la vermine. Leurs gardiens cruels restaient impassibles même quand un prisonnier mourait. Pourtant, quelle que soit leur situation, les frères s’encourageaient et s’aidaient les uns les autres à rester forts spirituellement. Penchons-​nous sur ce qui est arrivé à Dionisie Vârciu.

      Juste avant sa libération, un agent lui a demandé : “ La réclusion a-​t-​elle réussi à vous faire abandonner votre foi, Vârciu ? ”

      “ Excusez-​moi, a répondu Dionisie, mais échangeriez-​vous un costume d’excellente qualité contre un autre de qualité moindre ? ”

      “ Non ”, a reconnu l’agent.

      “ Eh bien, a repris Dionisie, pendant ma détention, on ne m’a rien proposé de mieux que ma foi ! Pourquoi donc l’abandonnerais-​je ? ”

      Sur ce, l’agent lui a serré la main et lui a dit : “ Vous êtes libre, Vârciu. Ne perdez pas votre foi. ”

      Les Témoins de Jéhovah tels que Dionisie n’étaient pas des surhommes. Leur courage et leur force spirituelle provenaient de leur foi en Jéhovah, qu’ils ont su préserver admirablement. — Prov. 3:5, 6 ; Phil. 4:13.

      Ils étudient de mémoire

      “ Le temps que j’ai passé en prison a été pour moi une période de formation théocratique ”, a constaté András Molnos. Pourquoi s’est-​il exprimé ainsi ? Parce qu’il s’est rendu compte de l’importance de se réunir avec ses frères chaque semaine pour étudier la Parole de Dieu. “ Souvent, raconte András, nous ne disposions pas d’écrits ; ce qu’il y avait à étudier était dans notre tête. Des frères se souvenaient d’articles de La Tour de Garde qu’ils avaient examinés avant d’être emprisonnés. Quelques-uns arrivaient même à se rappeler le contenu de tout un périodique, y compris les questions des articles d’étude ! ” Plusieurs détenus devaient cette mémoire exceptionnelle au fait d’avoir recopié à la main la nourriture spirituelle avant leur arrestation. — Voir l’encadré “ Méthodes de duplication ”, pages 132-3.

      Les frères responsables qui organisaient les réunions chrétiennes annonçaient à l’avance les thèmes qui seraient abordés. Chaque prisonnier s’efforçait de se souvenir d’un maximum de pensées sur ces sujets, que ce soient des versets bibliques ou des idées glanées dans des auxiliaires d’étude de la Bible. Ensuite, ils se retrouvaient tous pour en discuter. Un frère était désigné pour diriger la réunion ; après une prière d’introduction, il menait la discussion en posant des questions pertinentes. Une fois que chacun avait donné son commentaire, il présentait le sien, puis il enchaînait avec le point suivant.

      Dans certaines prisons, il était interdit de discuter en groupe, mais l’ingéniosité des frères était sans bornes. L’un d’eux explique : “ Nous démontions la fenêtre des toilettes de son encadrement, et nous badigeonnions la vitre avec un mélange de savon humide et de chaux, que nous obtenions en raclant les murs. Une fois que tout était sec, nous disposions d’une ‘ ardoise ’ sur laquelle nous pouvions inscrire la leçon du jour. Un frère y écrivait ce qu’un autre lui dictait à voix basse.

      “ Un groupe d’étude a été formé pour chacune des cellules dans lesquelles nous étions répartis. Chaque leçon circulait de frère en frère à l’intérieur d’une même cellule. Mais comme l’‘ ardoise ’ ne se trouvait que dans une seule cellule, les occupants des autres cellules recevaient les informations en morse. Comment cela ? L’un de nous transmettait le contenu d’un article en tapotant sur le mur ou sur les tuyaux de chauffage aussi doucement que possible. Dans les autres cellules, les frères se servaient de leurs gobelets comme de dispositifs d’écoute. Ils les mettaient tout contre les murs ou les tuyaux et ils y collaient l’oreille. Bien entendu, ceux qui ne connaissaient pas le morse ont dû l’apprendre. ”

      Parfois, c’étaient des sœurs tout aussi ingénieuses qui parvenaient à faire pénétrer de la nourriture spirituelle toute fraîche à l’intérieur des prisons. Par exemple, en préparant du pain, certaines d’entre elles cachaient des publications dans la pâte. Les frères surnommaient cette nourriture “ le pain du ciel ”. D’autres sœurs ont même introduit dans des prisons des pages de la Bible : elles les pliaient en morceaux minuscules et les inséraient dans des petites boules en plastique, avant de les recouvrir de chocolat fondu et de poudre de cacao.

      Par contre, les frères devaient lire dans les toilettes — ce qui n’était pas très agréable —, l’unique endroit où les prisonniers pouvaient être seuls quelques minutes, sans être surveillés par les gardiens. Avant de sortir, ils cachaient les pages imprimées derrière le réservoir de la chasse d’eau. Les détenus non Témoins connaissaient aussi cette cachette, et nombre d’entre eux profitaient à leur tour d’un moment de lecture en toute tranquillité.

      Des femmes et des enfants restent intègres

      Comme beaucoup d’autres Témoins, Viorica Filip et sa sœur Aurica ont été persécutées par des membres de leur famille. Elles avaient sept frères et une autre sœur. Viorica raconte : “ Parce qu’elle désirait servir Jéhovah, Aurica a dû quitter l’université de Cluj-Napoca en 1973, et elle s’est fait baptiser peu après. Sa sincérité et son zèle ont piqué ma curiosité ; j’ai donc commencé à examiner la Parole de Dieu. Quand j’ai découvert la promesse divine de la vie éternelle dans un paradis terrestre, je me suis dit : ‘ Que peut-​on espérer de mieux ? ’ Au fur et à mesure que je progressais, j’ai pris à cœur les principes bibliques relatifs à la neutralité chrétienne et j’ai refusé de devenir membre du parti communiste. ”

      Viorica poursuit : “ En 1975, j’ai voué ma vie à Jéhovah. À l’époque, j’avais quitté la maison et j’habitais chez quelqu’un de ma famille, dans la ville de Sighetul Marmaţiei. J’étais institutrice, mais, comme j’avais décidé de ne pas me mêler de politique, la direction de l’école m’a signifié que je serais renvoyée à la fin de l’année scolaire. Pour empêcher cela, ma famille s’est mise à nous persécuter, ma sœur et moi. ”

      Même des enfants d’âge scolaire étaient soumis à l’intimidation, parfois directement par la Securitate. En plus d’être maltraités physiquement et verbalement, nombre d’entre eux ont été renvoyés de leur école et ont dû s’inscrire dans une autre. Certains ont été contraints à arrêter leur scolarité. Des agents de la Securitate ont même essayé de recruter des espions parmi les enfants !

      Daniela Măluţan, aujourd’hui pionnière, se souvient : “ J’ai souvent été humiliée devant mes camarades parce que je refusais de me rallier à l’Union de la jeunesse communiste, un instrument d’endoctrinement politique des jeunes. Quand je suis entrée en troisième, des agents de la Securitate m’ont mené la vie dure, tout comme d’ailleurs des professeurs et d’autres membres du personnel de l’établissement qui étaient des indicateurs. De 1980 à 1982, pratiquement un mercredi sur deux, j’étais interrogée dans le bureau du principal. Soit dit en passant, on ne lui permettait pas d’assister à ces séances. L’interrogateur, un colonel de la Securitate, était bien connu des frères du district de Bistriţa-Năsăud pour sa haine envers nous et pour l’ardeur avec laquelle il nous pourchassait. Une fois il m’a même apporté des lettres incriminant des frères responsables. Ses objectifs étaient de miner ma confiance en eux, de me pousser à abandonner ma foi et de me persuader — moi, une collégienne — d’espionner pour le compte de la Securitate. Il a échoué sur tous les plans.

      “ Cela dit, je n’ai pas connu que des moments pénibles. Par exemple, mon professeur d’histoire, un membre du parti, voulait savoir pourquoi je subissais si souvent des interrogatoires. Un jour, au lieu de donner son cours, il m’a posé de nombreuses questions au sujet de ma foi pendant deux heures devant toute la classe. Il a été impressionné par mes réponses, et il a trouvé injuste que je sois traitée si rudement. Après cette discussion, il en est venu à respecter nos croyances et il a même accepté des publications.

      “ Les responsables de l’établissement ont toutefois continué à s’opposer à moi. Ils m’ont même expulsée à la fin de la seconde, mais cela ne m’a pas empêchée de trouver immédiatement un emploi. Jamais je n’ai regretté d’être restée fidèle à Jéhovah. Au contraire, je le remercie d’avoir permis que je sois élevée par des parents chrétiens qui sont demeurés intègres malgré les mauvais traitements dont ils ont été victimes sous le régime communiste. Leur bon exemple m’est encore très précieux aujourd’hui. ”

      Des jeunes hommes mis à l’épreuve

      Les attaques de la Securitate contre les Témoins de Jéhovah visaient particulièrement les jeunes frères qui maintenaient leur neutralité chrétienne. Ils étaient arrêtés, emprisonnés, relâchés, à nouveau arrêtés et renvoyés en prison. Tout cela pour saper leur moral. L’un d’eux, József Szabó, a été condamné à quatre ans d’incarcération juste après son baptême.

      Au bout de deux ans, en 1976, József a été libéré ; peu après il a rencontré sa future femme. Il raconte : “ Nous nous sommes fiancés et nous avons fixé la date de notre mariage. Par la suite, j’ai de nouveau été convoqué devant le tribunal militaire de Cluj. Je devais m’y présenter le jour même de la cérémonie ! Nous nous sommes mariés malgré tout, après quoi je suis allé au tribunal. Notre bonheur a été de courte durée, car j’ai été condamné à trois ans de détention supplémentaires — et cette fois j’ai dû purger ma peine jusqu’au bout. Je ne trouve pas de mot assez fort pour exprimer à quel point cette séparation a été douloureuse. ”

      Timotei Lazăr, un autre jeune Témoin, se souvient : “ En 1977, mon frère cadet et moi avons été libérés de prison. Notre frère aîné, qui avait été relâché un an plus tôt, est venu à la maison pour fêter l’événement avec nous. En fait, des agents de la Securitate lui tendaient un piège. Nous avions été séparés de force pendant deux ans, sept mois et quinze jours, et voilà que l’on nous arrachait une nouvelle fois notre frère pour le renvoyer en prison en raison de sa neutralité chrétienne. Mon jeune frère et moi avions le cœur brisé. ”

      La célébration du Mémorial

      Les soirs de Mémorial, les opposants aux Témoins de Jéhovah intensifiaient leurs efforts pour les traquer. Ils faisaient irruption chez eux, leur infligeaient des amendes et procédaient à des arrestations. Par précaution, les frères se réunissaient en comités restreints — parfois juste en famille — pour commémorer la mort de Jésus.

      “ Un soir de Mémorial, rapporte Teodor Pamfilie, le commissaire de police de la localité est resté à boire avec des amis. Lorsqu’il a voulu faire une perquisition au domicile de frères, il a demandé à quelqu’un qui avait une voiture de l’emmener. Mais impossible de démarrer ! Au bout d’un certain temps, le moteur a fini par se mettre en route, et ils sont arrivés devant chez nous alors que nous observions le Mémorial en petit groupe. Toutefois, comme nous avions recouvert toutes les fenêtres, ils n’ont pas vu de lumière et ont supposé que personne n’était là. Ils sont alors allés chez une autre famille, mais la célébration y était déjà terminée et les assistants étaient partis.

      “ Entre-temps, nous avions fini, nous aussi, et tout le monde avait vite quitté les lieux. Il ne restait plus que mon frère et moi lorsque deux policiers ont fait irruption dans la pièce où nous étions, en hurlant : ‘ Qu’est-​ce qui se passe ici ? ’

      “ ‘ Rien, ai-​je répondu. Mon frère et moi sommes en train de discuter. ’

      “ ‘ Nous savons que vous avez tenu une réunion, a dit l’un des policiers. Où sont les autres ? ’ Puis, regardant mon frère, il lui a lancé : ‘ Et d’abord, vous, qu’est-​ce que vous faites là ? ’

      “ ‘ Je suis venu le voir ’, a-​t-​il répondu en me désignant. Sur ce, ils sont partis en furie. Le lendemain, nous avons appris que, malgré leur acharnement, les policiers n’avaient pas réussi à arrêter qui que ce soit ! ”

      Le siège mondial en appelle aux autorités roumaines

      Les durs traitements infligés aux Témoins de Jéhovah ont poussé les frères du siège mondial à adresser, en mars 1970, une lettre de quatre pages à l’ambassadeur de Roumanie aux États-Unis et, en juin 1971, une autre de six pages au chef de l’État, Nicolae Ceauşescu. La lettre destinée à l’ambassadeur disait notamment : “ C’est notre amour chrétien pour nos frères de Roumanie et notre inquiétude à leur sujet qui nous incitent à vous écrire. ” Après avoir mentionné les noms de sept Témoins emprisonnés pour leur foi, elle se poursuivait ainsi : “ Il nous a été rapporté que certaines des personnes précitées ont été traitées avec une grande cruauté en prison. [...] Les Témoins de Jéhovah ne sont pas des criminels. Nulle part dans le monde ils ne participent à des activités politiques ou subversives. Leur œuvre est de nature strictement religieuse. ” La lettre se terminait par un appel au gouvernement pour qu’il “ accorde un soulagement aux souffrances des Témoins de Jéhovah ”.

      La lettre à l’attention du chef de l’État déclarait : “ En Roumanie, les Témoins de Jéhovah ne jouissent pas de la liberté religieuse garantie par la constitution. ” En réalité, ils risquaient des arrestations et des traitements cruels dès qu’ils faisaient part de leurs croyances à leur entourage ou qu’ils s’assemblaient pour étudier la Bible. Cette lettre attirait également l’attention sur une amnistie récente qui avait permis la libération de nombreux frères : “ Nous avions espéré qu’une nouvelle ère s’ouvrirait également pour [...] les Témoins de Jéhovah. Mais, malheureusement, cette attente a été déçue. Les nouvelles que nous recevons actuellement des quatre coins de la Roumanie viennent toutes confirmer ce triste constat : les Témoins de Jéhovah sont encore et toujours en butte à la persécution de l’État. Leurs foyers sont fouillés et leurs publications confisquées. Des hommes et des femmes sont arrêtés et soumis à des interrogatoires ; certains sont condamnés à de nombreuses années d’emprisonnement et d’autres traités avec brutalité. Pour quelle raison ? Parce qu’ils lisent et prêchent la Parole de Jéhovah Dieu. Voilà qui ne contribue pas à la bonne réputation d’un pays. Nous sommes extrêmement préoccupés par ce que subissent les Témoins de Jéhovah de Roumanie. ”

      Deux livres ont été joints à la lettre : La vérité qui conduit à la vie éternelle, en roumain, et La vie éternelle dans la liberté des fils de Dieu, en allemand.

      La situation a commencé à s’améliorer quelque peu pour les Témoins de Jéhovah après la signature des accords d’Helsinki par la Roumanie en 1975, lors de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Les signataires se sont engagés à respecter les droits de l’homme et à garantir les libertés fondamentales, y compris la liberté religieuse. Dès lors, seulement ceux qui refusaient d’effectuer le service militaire étaient arrêtés et emprisonnés.

      Puis, en 1986, une nouvelle constitution a stipulé que personne, pas même quelqu’un investi d’une autorité, n’était en droit de pénétrer dans une demeure privée sans le consentement de ses occupants, excepté dans certaines circonstances prévues par la loi. Désormais, les Témoins pouvaient enfin se sentir davantage en sécurité lorsqu’ils tenaient des réunions chrétiennes — notamment le Mémorial — dans leurs foyers.

      Des imprimeries clandestines

      Pendant l’interdiction, la nourriture spirituelle était introduite secrètement en Roumanie, souvent sous forme d’imprimés ou de stencils, avant d’être reproduite localement. Parfois elle était déjà traduite en roumain ou en hongrois, mais il fallait généralement la traduire sur place à partir de l’anglais, du français, de l’allemand ou de l’italien. Des touristes, des étudiants étrangers ou des Roumains qui rentraient de voyage servaient de coursiers.

      La Securitate s’est évertuée à les intercepter et à découvrir où les publications étaient produites. Les frères opéraient avec prudence dans différentes villes du pays. Ils avaient aménagé des cachettes insonorisées chez certains d’entre eux pour y installer le matériel de duplication. Ces cachettes se trouvaient par exemple derrière des cheminées, qui d’ordinaire étaient installées contre les murs. Après avoir subi des transformations, ces cheminées pouvaient être déplacées et donner accès aux endroits secrets.

      Sándor Parajdi a participé à l’impression clandestine des textes du jour, du Ministère du Royaume, de La Tour de Garde et de Réveillez-vous ! à Tîrgu-Mureş. “ Nous y consacrions jusqu’à 40 heures par week-end, ne dormant que par périodes d’une heure à tour de rôle, se souvient Sándor. L’odeur des produits chimiques imprégnait nos vêtements et notre peau. Un jour, lorsque je suis rentré à la maison, mon fils de trois ans m’a fait remarquer : ‘ Papa, tu sens le texte du jour ! ’ ”

      Traian Chira, un père de famille, dupliquait les publications et assurait leur transport dans le district de Cluj. On lui avait confié une vieille ronéo manuelle, appelée “ le moulin ”, pour laquelle l’heure de la retraite avait sonné depuis longtemps ! Elle fonctionnait encore, mais la qualité de l’impression laissait tellement à désirer que Traian a demandé à un frère mécanicien s’il pouvait la remettre en état. Alors que celui-ci inspectait la machine, sa mine grave en disait long : le vieux “ moulin ” était irréparable. Puis, subitement, son visage s’est illuminé et il a proposé : “ Je peux t’en fabriquer une nouvelle ! ” Au final, il a fait bien plus que cela. Il a installé un atelier dans le sous-sol de la maison d’une sœur et il s’est forgé un tour avec lequel il a fabriqué non pas une, mais plus de dix ronéos ! Ces nouveaux “ moulins ” ont été acheminés dans différentes régions du pays et ont rendu de bons services.

      Dans les années 80, des frères ont appris à utiliser des machines plus performantes : des duplicateurs offset. Nicolae Bentaru a été le premier à bénéficier de cette formation, dont il a fait profiter d’autres par la suite. Comme c’était le cas chez les Bentaru, la production de publications était souvent une affaire familiale, chacun ayant ses tâches à accomplir. Bien entendu, garder ces opérations secrètes relevait de l’exploit, particulièrement à l’époque où la Securitate espionnait les gens et perquisitionnait à leur domicile. Il était essentiel de toujours agir vite ; les frères consacraient donc de longues heures le week-end à imprimer les publications et à les distribuer. Pourquoi le week-end ? Parce qu’en semaine ils travaillaient.

      Ils devaient aussi être très prudents quand ils achetaient du papier. Même lorsqu’un client commandait une seule rame — c’est-à-dire 500 feuilles —, il devait expliquer pourquoi. Et nos imprimeries consommaient jusqu’à 40 000 feuilles par mois ! Les frères devaient donc se montrer circonspects avec les vendeurs. De plus, comme les contrôles routiers étaient fréquents, il ne fallait pas non plus qu’ils relâchent leur vigilance pendant le transport.

      Les risques de la traduction

      Quelques frères et sœurs habitant diverses régions de Roumanie traduisaient les publications dans les langues locales, dont l’ukrainien, qui était parlé dans le nord du pays par une minorité ethnique. Certains traducteurs étaient professeurs de langues quand ils sont venus à la vérité, tandis que d’autres avaient appris une langue étrangère par eux-​mêmes ou parfois en suivant des cours.

      Dans les premiers temps, ils rédigeaient leurs textes à la main dans des cahiers qu’ils apportaient ensuite à Bistriţa, au nord, pour que leur traduction soit corrigée. Une ou deux fois par an, les traducteurs et les correcteurs se retrouvaient pour résoudre des questions concernant leurs activités. S’ils étaient interpellés, il n’était pas rare qu’ils soient fouillés, interrogés, battus et arrêtés. En cas d’arrestation, ils étaient mis en garde à vue quelques heures ou quelques jours, puis relâchés et à nouveau arrêtés — une ruse visant à les intimider. Certains ont été soit assignés à résidence, soit obligés de se présenter chaque jour au poste de police. Plus d’un a été emprisonné, notamment Dumitru et Doina Cepănaru, ainsi que Petre Ranca.

      Dumitru Cepănaru était professeur de roumain et d’histoire ; quant à sa femme, Doina, elle était médecin. La Securitate a fini par mettre la main sur eux. Ils ont été arrêtés et incarcérés dans des prisons différentes pendant sept ans et demi. Doina en a passé cinq en isolement cellulaire. D’ailleurs, leurs noms figuraient dans la lettre précitée que le siège mondial a adressée à l’ambassadeur de Roumanie aux États-Unis. Alors qu’elle était en détention, Doina a écrit 500 lettres d’encouragement à son mari et à des sœurs emprisonnées.

      Un an après l’arrestation de Dumitru et de Doina, la mère de Dumitru, Sabina Cepănaru, a également été arrêtée et elle a passé six ans moins deux mois en prison. Le seul de la famille à être resté libre, bien que surveillé de près par la Securitate, a été le mari de Sabina, pourtant lui aussi Témoin de Jéhovah. À ses risques et périls, il rendait régulièrement visite aux trois membres de sa famille.

      En 1938, Petre Ranca avait été nommé secrétaire du bureau des Témoins de Jéhovah de Roumanie. Cette fonction, sans parler de ses activités de traducteur, le plaçait en tête de liste parmi les personnes recherchées par les agents de la Securitate, qui l’ont finalement trouvé en 1948. Par la suite ils l’ont arrêté à maintes reprises. En 1950, il a été jugé aux côtés de Martin Magyarosi et de Pamfil Albu. Accusé d’appartenir à un réseau d’espionnage anglo-américain, Petre a passé 17 années dans certaines des prisons les plus dures du pays — à savoir celles d’Aiud, de Gherla et de Jilava — et trois ans en résidence surveillée dans le district de Galaţi. Il n’en reste pas moins que, jusqu’à la fin de sa vie terrestre, le 11 août 1991, ce frère fidèle s’est entièrement investi dans le service de Jéhovah.

      Les œuvres pleines d’amour de tels chrétiens intègres nous rappellent les paroles suivantes : “ Dieu n’est pas injuste pour oublier votre œuvre et l’amour que vous avez montré pour son nom, en ce que vous avez servi les saints et que vous continuez à les servir. ” — Héb. 6:10.

      Des assemblées en plein air

      Au cours des années 80, les frères ont commencé à se réunir en groupes plus importants — parfois par milliers — dès qu’ils en avaient la possibilité, par exemple à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement. Lors des mariages ils dressaient une grande tente à la campagne, dans un endroit propice, et ils en décoraient l’intérieur avec de beaux tapis ayant pour motifs des scènes et des versets bibliques. Des tables et des chaises étaient installées pour les nombreux “ invités ” ; une image agrandie du logo de La Tour de Garde et du texte de l’année étaient affichés en fond de scène. Les proclamateurs de la région fournissaient la nourriture en fonction de leurs moyens. Ainsi, tous les assistants prenaient part à un festin tant physique que spirituel.

      L’assemblée commençait par le discours de mariage ou d’enterrement et ensuite des exposés traitant de différents sujets bibliques étaient présentés. Comme, parfois, des orateurs ne pouvaient arriver à l’heure, des frères expérimentés étaient toujours prêts à les remplacer. Ils improvisaient alors un discours à l’aide de la Bible uniquement, car ils ne disposaient pas de copies des plans.

      Pendant l’été, les citadins affluaient à la campagne pour se détendre. Les Témoins de Jéhovah aussi, mais ils en profitaient pour tenir de petites assemblées sur les collines boisées. Ils organisaient même des drames bibliques en costumes d’époque.

      La côte de la mer Noire, autre lieu de villégiature très fréquenté, offrait quant à elle un endroit tout trouvé pour les baptêmes. Comment les frères baptisaient-​ils les nouveaux sans trop attirer l’attention ? L’une de leurs méthodes consistait à simuler un “ jeu ” : les candidats au baptême ainsi que quelques proclamateurs baptisés formaient un cercle dans l’eau et se lançaient un ballon. L’orateur se tenait au milieu d’eux et prononçait son discours, après quoi les candidats étaient immergés, discrètement bien sûr.

      Une salle pour apiculteurs

      En 1980, les frères de Negreşti-Oaş, une ville du nord-ouest de la Roumanie, ont eu une idée géniale pour obtenir la permission de construire une Salle du Royaume. À cette époque, le gouvernement encourageait l’apiculture. Un groupe de frères qui possédaient des ruches ont eu l’idée de fonder une association locale d’apiculteurs, ce qui leur donnerait le droit de bâtir un lieu de réunion.

      Après avoir consulté les anciens de la circonscription, ces frères sont allés s’inscrire auprès de l’Association des apiculteurs de Roumanie. Puis ils se sont rendus à la mairie pour demander la permission de construire un lieu de réunion. La municipalité a approuvé sans hésitation l’édification d’un bâtiment en bois mesurant 34 mètres sur 14. Les apiculteurs étaient aux anges et, grâce à tous ceux qui leur ont prêté main-forte, ils ont pu achever les travaux en trois mois. Ils ont même été tout particulièrement félicités par la municipalité !

      Comme l’inauguration allait réunir une assistance nombreuse et durer plusieurs heures, les frères ont demandé l’autorisation d’utiliser la salle pour fêter la moisson des blés. Plus de 3 000 Témoins venus des quatre coins du pays se sont rassemblés à cette occasion. Les autorités municipales n’en revenaient pas que tant de monde se soit déplacé pour aider à la récolte et participer aux “ réjouissances ” qui allaient suivre.

      Bien entendu, la fête s’est révélée être une assemblée très riche sur le plan spirituel. Et vu la raison d’être officielle du bâtiment, les abeilles étaient souvent mentionnées, dans un sens spirituel évidemment. Les orateurs soulignaient la réputation de travailleur de cet insecte, ses talents de navigateur et d’organisateur, le courage avec lequel il est prêt à se sacrifier pour protéger la ruche, et bien d’autres de ses caractéristiques.

      Après l’inauguration, la Salle des abeilles, comme on l’appelait, a continué à être utilisée jusqu’à la fin de la période d’interdiction, et encore trois ans après.

      Des visites de zone qui favorisent l’unité

      Pendant des décennies, les communistes ont fait tout ce qu’ils ont pu pour semer le doute et la désunion parmi le peuple de Dieu, ainsi que pour paralyser la communication. Comme nous l’avons vu, ils y sont arrivés dans une certaine mesure. D’ailleurs, des divisions subsistaient encore dans les années 80. Les visites des surveillants de zone, de même qu’un changement dans le climat politique, ont toutefois contribué à améliorer la situation.

      À compter du milieu des années 70, Gerrit Lösch — alors membre du Comité de la filiale d’Autriche, mais aujourd’hui au Collège central — s’est rendu en Roumanie à plusieurs reprises. En 1988, il y est allé par deux fois avec Theodore Jaracz et Milton Henschel, des représentants du Collège central. Jon Brenca, qui faisait partie de la famille du Béthel des États-Unis à cette époque, les a accompagnés pour servir d’interprète. Après ces visites encourageantes, des milliers de frères qui s’étaient tenus à l’écart du peuple de Jéhovah l’ont rejoint résolument.

      Pendant ce temps, de plus en plus de changements politiques secouaient l’Europe communiste, ébranlant ses fondements mêmes. Dans la plupart des pays concernés, le régime communiste s’est effondré à la fin des années 80. La crise que connaissait la Roumanie a atteint son paroxysme en 1989, lorsque la population s’est révoltée contre ce régime. Le 25 décembre, le chef du parti, Nicolae Ceauşescu, et sa femme ont été exécutés. L’année suivante, un nouveau gouvernement a été mis en place.

  • Roumanie
    Annuaire 2006 des Témoins de Jéhovah
    • [Encadré/Illustration, pages 124, 125]

      Nous nous sommes souvenus de 1 600 versets bibliques

      Dionisie Vârciu

      Naissance : 1926

      Baptême : 1948

      Parcours : À compter de 1959, il a passé un peu plus de cinq ans dans des prisons et des camps de travail. Il est décédé en 2002.

      Pendant notre incarcération, nous étions autorisés à communiquer avec nos familles, et elles avaient la permission de nous envoyer un colis de cinq kilos par mois. Toutefois, seulement ceux qui avaient terminé leur travail à temps recevaient leur colis. Nous partagions toujours la nourriture équitablement, c’est-à-dire le plus souvent en 30 parts. Une fois, c’est ce que nous avons fait avec deux pommes. C’est vrai que les portions étaient petites, mais elles ont quand même permis de calmer un peu notre faim.

      Bien que nous n’ayons ni bible ni auxiliaire d’étude biblique, nous sommes restés forts spirituellement en nous remémorant ce que nous avions appris avant notre détention et en en parlant entre nous. Nous avions décidé que, chaque matin, un frère nous rappelle un verset biblique. Ensuite, nous le répétions à voix basse et le méditions pendant la promenade matinale obligatoire, qui durait de 15 à 20 minutes. De retour dans notre cellule — nous étions une vingtaine entassés dans une pièce mesurant deux mètres sur quatre —, nous commentions ce verset pendant environ une demi-heure. À nous tous, nous avons pu nous souvenir de 1 600 versets bibliques. Le midi, nous examinions différents sujets, ainsi que 20 à 30 versets qui s’y rapportaient. Tous, nous apprenions par cœur ces pensées.

      Au début, un frère s’est cru trop vieux pour mémoriser tant de versets bibliques. Toutefois, il avait sous-estimé ses capacités. En effet, à force de nous entendre répéter une vingtaine de fois les passages à voix haute, il a pu lui aussi se souvenir d’un grand nombre de versets et les réciter, à sa plus grande joie !

      Certes nous étions physiquement affamés et affaiblis, mais Jéhovah nous a nourris et fortifiés spirituellement. Malgré cela, même après notre libération il nous a fallu garder une bonne spiritualité, car la Securitate nous harcelait sans cesse dans l’espoir de briser notre foi.

      [Encadré, pages 132, 133]

      Méthodes de duplication

      Pendant les années 50, la méthode la plus simple et la plus pratique pour dupliquer les auxiliaires d’étude de la Bible était le recopiage à la main, souvent à l’aide de papier carbone. Bien que lente et fastidieuse, cette technique avait un côté particulièrement bénéfique : les copistes mémorisaient une bonne partie du texte. S’ils se retrouvaient en prison, ils pouvaient alors transmettre de nombreux encouragements spirituels. Les frères utilisaient aussi des machines à écrire, mais elles devaient être déclarées à la police et étaient difficiles à obtenir.

      La ronéo (machine à reproduire des textes au stencil) a fait son apparition à la fin des années 50. Pour fabriquer des stencils, les frères mélangeaient de la colle, de la gélatine et de la cire, puis ils étalaient une fine couche régulière de ce mélange sur une surface rectangulaire lisse, de préférence en verre. Ils utilisaient une encre spéciale, qu’ils préparaient eux-​mêmes, pour estamper le texte sur du papier. Dès que l’encre était sèche, ils pressaient le papier uniformément sur la surface cireuse et obtenaient un stencil. Cependant, les stencils n’étaient pas très résistants ; il fallait donc constamment en faire de nouveaux. De plus, tout comme ceux qui recopiaient les articles à la main, le ou la stenciliste risquait d’être identifié par son écriture.

      De la fin des années 70 aux dernières années d’interdiction, les frères ont confectionné et employé plus de dix ronéos manuelles portatives. Ces machines, surnommées “ moulins ”, étaient construites selon un modèle autrichien et utilisaient des plaques d’impression recouvertes de papier plastifié. À partir de la fin des années 70, les frères sont entrés en possession de quelques duplicateurs offset à feuilles. Toutefois, comme ils ne savaient pas fabriquer les plaques, ils ne s’en servaient pas. C’est en 1985 qu’un frère ingénieur chimiste de Tchécoslovaquie a commencé à leur transmettre son savoir-faire. Dès lors, tant le rendement que la qualité se sont améliorés sensiblement.

      [Encadré/Illustration, pages 136, 137]

      Jéhovah m’a formé

      Nicolae Bentaru

      Naissance : 1957

      Baptême : 1976

      Parcours : Il a imprimé des publications pendant la période communiste ; il est maintenant pionnier spécial avec sa femme, Veronica.

      J’ai commencé à étudier la Bible en 1972 dans la ville de Săcele, et j’ai été baptisé quatre ans plus tard, à l’âge de 18 ans. À l’époque, l’œuvre était interdite et, pour les réunions, les frères se rassemblaient par groupe d’étude de livre. Néanmoins, nous recevions régulièrement de la nourriture spirituelle, y compris des drames bibliques enregistrés et accompagnés de diapositives en couleurs.

      Après mon baptême, ma première responsabilité a été de m’occuper du projecteur de diapositives. Deux ans plus tard, on m’en a confié une autre : acheter du papier pour notre imprimerie clandestine. En 1980, j’ai appris à imprimer et j’ai participé à la production de La Tour de Garde, de Réveillez-vous ! et d’autres publications. Nous utilisions une ronéo ainsi qu’une petite presse manuelle.

      Entre-temps, j’ai rencontré Veronica, une sœur qui avait prouvé sa fidélité à Jéhovah. Nous nous sommes mariés. Veronica m’a grandement soutenu dans mes activités. En 1981, Otto Kuglitsch, du Béthel d’Autriche, m’a montré comment faire fonctionner notre tout premier duplicateur offset à feuilles. En 1987, nous avons installé une deuxième presse à Cluj-Napoca, et j’ai été désigné pour former ceux qui allaient l’utiliser.

      Quand l’interdiction a été levée en 1990, Veronica et moi, ainsi que notre fils, Florin, avons continué à imprimer et à distribuer des publications pendant huit mois. Florin nous aidait à assembler les pages imprimées qui étaient ensuite pressées, massicotées et agrafées. Puis nous emballions et expédiions les publications. En 2002, nous avons été tous les trois affectés à Mizil, une ville de 15 000 habitants qui se situe à quelque 80 kilomètres au nord de Bucarest. Veronica et moi sommes pionniers spéciaux ; quant à Florin, il est pionnier permanent.

      [Encadré/Illustration, pages 139, 140]

      Jéhovah a aveuglé nos opposants

      Ana Viusencu

      Naissance : 1951

      Baptême : 1965

      Parcours : Adolescente, elle aidait ses parents à reproduire les publications. Par la suite, elle a participé à leur traduction en ukrainien.

      Un jour de 1968, je recopiais à la main une Tour de Garde sur des stencils pour la dupliquer. Puis je suis allée à une réunion chrétienne sans penser à cacher les stencils. À peine de retour à la maison — il était minuit —, j’ai entendu une voiture s’arrêter. Avant que je ne comprenne de qui il s’agissait, cinq agents de la Securitate, munis d’un mandat de perquisition, sont entrés chez nous. J’étais terrifiée, mais j’ai réussi à garder mon sang-froid. Je suppliais Jéhovah de me pardonner ma négligence en lui promettant de ne plus jamais rien laisser traîner.

      L’officier responsable s’est assis à la table sur laquelle se trouvaient les stencils, que j’avais recouverts à toute vitesse d’une nappe juste en entendant la voiture s’arrêter. Il est resté là jusqu’à la fin de l’inspection, qui a duré des heures. Tandis qu’il rédigeait son rapport — à quelques centimètres des stencils —, il a bougé la nappe à plusieurs reprises. Son rapport indiquait que les agents n’avaient trouvé aucune publication interdite, ni dans la maison ni sur personne.

      Ils ont malgré tout emmené mon père à Baia Mare. Maman et moi avons prié pour lui de tout notre cœur, et nous avons remercié Jéhovah de sa protection cette nuit-​là. À notre grand soulagement, papa est revenu à la maison quelques jours plus tard.

      Peu de temps après, alors que je recopiais des publications à la main, j’ai à nouveau entendu une voiture s’arrêter devant la maison. J’ai éteint la lumière et j’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre, que nous avions entièrement recouverte. J’ai alors aperçu plusieurs hommes en uniforme avec des insignes brillants sur leurs épaulettes. Ils sont descendus de la voiture et sont entrés dans la maison d’en face. La nuit suivante, une autre escouade les a relayés, ce qui a confirmé nos craintes : c’étaient bien des espions de la Securitate. Nous avons quand même continué à dupliquer les publications, mais nous transportions tout le matériel au fond de l’arrière-cour pour ne pas être découverts.

      Papa disait toujours : “ La route qu’il y a entre nous et nos opposants est comme la colonne de nuage qui se tenait entre les Israélites et les Égyptiens. ” (Ex. 14:19, 20). Par expérience j’ai appris que mon père avait tout à fait raison !

      [Encadré/Illustration, pages 143, 144]

      Sauvés par un morceau de pot d’échappement

      Traian Chira

      Naissance : 1946

      Baptême : 1965

      Parcours : Un des frères responsables de la production et du transport des publications pendant les années d’interdiction.

      De bonne heure un dimanche d’été, j’ai chargé huit sacs de publications dans ma voiture. Comme ils ne rentraient pas tous dans le coffre, j’ai enlevé la banquette arrière et j’ai mis à sa place les sacs restants. Je les ai cachés sous des couvertures et recouverts d’un coussin. On aurait pu croire que notre famille allait à la plage. Pour plus de sûreté, j’ai aussi étendu une couverture sur les sacs qui étaient dans le coffre.

      Après avoir prié Jéhovah pour qu’il nous bénisse, nous sommes partis tous les cinq — ma femme, nos deux fils, notre fille et moi — en direction de Tîrgu-Mureş et de Braşov pour livrer les publications. Tout en roulant, nous chantions des cantiques. Au bout d’une centaine de kilomètres, nous sommes arrivés à une portion de route parsemée de nids-de-poule. Avec tout le poids de la voiture qui mettait à rude épreuve les suspensions, le pot d’échappement a heurté quelque chose sur la route et s’est cassé. Je me suis garé sur le bas-côté, j’ai ramassé le morceau du tuyau qui était tombé et je l’ai mis dans le coffre, à côté de la roue de secours, sur la couverture. Puis, nous sommes partis à grand bruit — c’est le moins qu’on puisse dire !

      À Luduş, un policier nous a arrêtés pour contrôler l’état du véhicule. Après avoir vérifié le numéro de série du moteur et essayé le klaxon, les essuie-glaces, les phares, etc., il a demandé à voir la roue de secours. Alors que je me dirigeais vers l’arrière de la voiture, je me suis baissé et j’ai chuchoté à travers la vitre à ma femme ainsi qu’aux enfants : “ Allez-​y, priez. Maintenant, seul Jéhovah peut nous aider. ”

      Dès que j’ai ouvert le coffre, le policier a remarqué le morceau de pot d’échappement. “ Et ça, qu’est-​ce que c’est ? a-​t-​il demandé. Vous êtes bon pour une amende ! ” Satisfait d’avoir décelé une anomalie, il a mis fin à son inspection. J’ai fermé le coffre et j’ai poussé un gros soupir de soulagement. Jamais je n’avais été aussi heureux de payer une amende ! À part cet incident, tout s’est bien passé, et les frères ont pu recevoir leurs publications.

      [Encadré/Illustration, pages 147-149]

      Rencontre avec la Securitate

      Viorica Filip

      Naissance : 1953

      Baptême : 1975

      Parcours : Dans le service à plein temps depuis 1986, elle fait aujourd’hui partie de la famille du Béthel.

      Quand ma sœur Aurica et moi sommes devenues Témoins de Jéhovah, notre famille nous a traitées durement. Aussi blessants qu’ils aient pu être, les mauvais traitements qu’elle nous a infligés nous ont endurcies et nous ont préparées à de futures rencontres avec la Securitate. L’une d’elles a eu lieu un soir de décembre 1988. À ce moment-​là, je logeais chez Aurica et sa famille, à Oradea, près de la frontière hongroise.

      Alors que je me dirigeais vers la maison du frère qui supervisait la traduction, j’avais dans mon sac à main un périodique à corriger. J’étais loin de me douter que les agents de la Securitate étaient en train de perquisitionner chez lui et d’interroger les occupants de la maison ainsi que tous ceux qui leur rendaient visite. Heureusement, dès que j’ai vu ce qui se passait, j’ai pu brûler en douce le périodique que j’avais dans mon sac. Peu après, les agents m’ont emmenée au quartier général de la Securitate avec d’autres Témoins pour poursuivre leur interrogatoire.

      Ils m’ont questionnée toute la nuit, et le lendemain ils ont fouillé mon domicile officiel, une petite maison à Uileacu de Munte, un village des environs. Ce n’était pas là que j’habitais ; c’était une maison que les frères utilisaient pour entreposer du matériel utile à notre activité clandestine. Après leur trouvaille, les agents m’ont ramenée au quartier général de la Securitate où ils m’ont frappée avec une matraque en caoutchouc dans l’espoir que je divulgue l’identité des propriétaires du matériel ou de ceux qui collaboraient avec eux. J’ai imploré Jéhovah de m’aider à endurer les coups. C’est alors que j’ai été gagnée par un sentiment de paix ; après chaque coup, la douleur ne durait pas plus de quelques secondes. Par contre, mes mains ont enflé au point que je me suis demandé si je serais à nouveau capable d’écrire un jour. Quand ils m’ont relâchée, en soirée, je n’avais pas un sou, j’étais affamée et épuisée.

      Avec un agent de la Securitate sur les talons, j’ai marché jusqu’à la gare routière. Je n’avais pas révélé où j’habitais et, de peur de compromettre la sécurité d’Aurica ainsi que celle de sa famille, je ne pouvais pas me rendre directement chez elle. Ne sachant où aller ni que faire, j’ai supplié Jéhovah en lui disant que j’avais désespérément besoin de manger et que j’avais très envie de dormir dans mon lit à moi. “ Est-​ce que j’en demande trop ? ” me suis-​je dit.

      Je suis arrivée à la gare juste au moment où un autocar partait. J’ai couru et je suis montée dedans, même si je n’avais pas d’argent pour payer ma place. Il se trouvait justement que le car allait dans le village où était mon domicile. L’agent de la Securitate a également attrapé le car, m’a demandé quelle était sa destination, puis il a déguerpi. J’en ai déduit qu’un autre agent m’attendrait à Uileacu de Munte. À mon grand soulagement, le chauffeur m’a permis de rester à bord. “ Mais pourquoi vais-​je à Uileacu de Munte ? ” ai-​je pensé. Je n’avais pas envie d’aller à mon domicile ; il n’y avait rien à manger, et même pas un lit.

      J’étais encore en train de m’ouvrir à Jéhovah de ces préoccupations quand le chauffeur s’est arrêté dans la banlieue d’Oradea pour laisser descendre un de ses amis. J’en ai profité pour faire comme lui. Lorsque le car a redémarré, un profond bonheur m’a envahie. Tout en étant prudente, j’ai pris la direction de l’appartement d’un frère que je connaissais. Je suis arrivée au moment même où sa femme retirait du feu un goulache : l’un de mes plats préférés. La famille m’a invitée à rester pour dîner.

      En fin de soirée, quand j’ai estimé qu’il n’y avait plus de risque, je suis retournée chez Aurica pour me coucher dans mon lit. Ainsi donc, Jéhovah m’a donné exactement les deux choses que je lui avais demandées : un bon repas et mon lit. C’est vraiment un Père merveilleux que nous avons !

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