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Nous avons appris à ne jamais dire non à JéhovahLa Tour de Garde (étude) 2021 | janvier
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À LA suite d’un typhon, le fleuve s’était transformé en un torrent de boue qui charriait de grosses pierres. Nous devions le traverser, mais les eaux houleuses avaient détruit le pont. Mon mari, Harvey, et moi, ainsi que notre interprète en langue amis, avions très peur. Sous le regard inquiet des frères qui se trouvaient sur l’autre rive, nous avons commencé à traverser. Pour cela, nous avons monté notre petite voiture à l’arrière d’un camion à peine plus large. Nous n’avions pas de cordes ni de chaînes pour la maintenir en place. Le camion s’est donc engagé lentement dans le torrent. La traversée a semblé interminable. Mais finalement, nous sommes arrivés sains et saufs sur l’autre rive, après avoir prié Jéhovah tout du long. C’était en 1971. Nous étions sur la côte est de l’île de Taïwan, à des milliers de kilomètres de nos pays d’origine. Qu’est-ce qui nous avait amenés à vivre là-bas ?
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Nous avons appris à ne jamais dire non à JéhovahLa Tour de Garde (étude) 2021 | janvier
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UNE NOUVELLE AFFECTATION, DE NOUVEAUX DÉFIS
Harvey et moi avec d’autres missionnaires à Kobe, au Japon, en 1957.
Alors que nous étions dans le service itinérant depuis trois ans, la filiale du Japon nous a demandé si nous accepterions de nous rendre à Taïwan pour prêcher à un peuple indigène appelé les Amis. Certains frères amis étaient devenus apostats et la filiale de Taïwan avait besoin d’un frère qui parlait couramment le japonaisa pour résoudre la situation. Comme nous aimions beaucoup notre affectation au Japon, ça n’a pas été une décision facile à prendre. Mais Harvey avait appris à ne jamais refuser les tâches qui lui étaient confiées. Nous avons donc accepté d’aller à Taïwan.
Nous sommes arrivés en novembre 1962. L’île comptait 2 271 proclamateurs, dont la plupart étaient Amis. Mais pour commencer, nous avons dû apprendre le chinois. Même si nous ne disposions que d’un manuel d’apprentissage et que notre enseignante ne parlait pas anglais, nous y sommes parvenus.
Peu après notre arrivée à Taïwan, Harvey a été nommé serviteur de filiale. Comme la filiale était petite, il pouvait s’acquitter de ses responsabilités tout en passant jusqu’à trois semaines par mois avec des assemblées locales amis. Il lui arrivait aussi d’assumer la fonction de surveillant de district, ce qui l’amenait à donner des discours lors d’assemblées. Il aurait pu les prononcer en japonais et les frères amis l’auraient compris. Mais le gouvernement imposait que tous les rassemblements religieux se tiennent en chinois. Même si Harvey ne maîtrisait pas encore le chinois, il présentait donc les discours dans cette langue et un frère l’interprétait en amis.
Comme Taïwan était soumise à la loi martiale, les frères devaient se procurer des autorisations pour tenir des assemblées. Ces autorisations n’étaient pas faciles à obtenir et, souvent, la police mettait du temps à les accorder. Si, la semaine de l’assemblée, les frères n’avaient toujours pas reçu l’autorisation de la tenir, Harvey se rendait au poste de police et il y restait jusqu’à ce qu’il obtienne satisfaction. Comme les policiers étaient gênés d’avoir un étranger qui attendait au poste, la tactique fonctionnait.
MA PREMIÈRE EXPÉRIENCE EN MONTAGNE
Nous traversons un fleuve peu profond à Taïwan pour nous rendre dans notre territoire.
Quand nous passions une semaine avec une assemblée locale, la prédication nous amenait souvent à marcher pendant des heures, à traverser des rivières et à gravir des montagnes. Je me rappelle encore ma première ascension. Après un petit-déjeuner rapide, nous avons pris un car à 5 h 30 du matin pour nous rendre dans un village éloigné. Puis nous avons traversé un lit de rivière très large et gravi une montagne. La pente était si raide que les pieds du frère qui était devant moi se trouvaient au niveau de mes yeux.
Ce matin-là, Harvey accompagnait des frères locaux en prédication et moi, je prêchais seule dans un petit village où vivaient des personnes parlant le japonais. Vers 13 heures, j’ai commencé à me sentir très faible parce que je n’avais pas mangé depuis plusieurs heures. Quand finalement j’ai retrouvé Harvey, tous les autres frères étaient repartis. Harvey avait échangé quelques revues contre trois œufs crus. Il m’a montré comment les manger : il en a pris un, a fait un petit trou à chaque extrémité et a aspiré son contenu. Même si ça n’était pas très appétissant, j’en ai avalé un. Mais qui allait avoir droit au troisième ? C’était moi, car Harvey ne se sentait pas capable de me porter jusqu’en bas de la montagne si je m’évanouissais.
UN BAIN MÉMORABLE
À l’occasion d’une assemblée de circonscription, il m’est arrivé une chose inhabituelle. Nous logions chez un frère qui habitait juste à côté d’une Salle du Royaume. Comme, pour les Amis, le rituel du bain est quelque chose de très important, la femme du responsable de circonscription nous avait préparé de quoi nous laver. Harvey étant occupé, il m’avait demandé de prendre mon bain en premier. Il y avait trois récipients : un seau d’eau froide, un seau d’eau chaude et une bassine vide. À ma grande surprise, la femme du responsable de circonscription les avait placés à l’extérieur de la maison ; les frères qui participaient aux préparatifs de l’assemblée à la Salle du Royaume pouvaient donc me voir. Quand je lui ai demandé si elle avait un rideau ou quelque chose du genre, elle m’a apporté une bâche en plastique transparente ! J’ai envisagé de m’installer derrière la maison, à l’abri des regards, mais là, des oies passaient leur tête à travers la clôture, prêtes à pincer tous ceux qui s’approcheraient d’un peu trop près ! Finalement, je me suis dit : « De toute façon, les frères sont trop occupés pour remarquer ce que je fais. Et si je ne prends pas de bain, je risque d’offenser mes hôtes. Alors allons-y ! » J’ai donc pris mon bain.
En tenue traditionnelle amis.
DES PUBLICATIONS EN AMIS
Harvey s’est rendu compte que les frères amis avaient du mal à progresser spirituellement parce que beaucoup ne savaient pas lire et qu’il n’y avait pas de publications disponibles dans leur langue. Il a donc été décidé de leur apprendre à lire l’amis, d’autant que la forme écrite de cette langue existait depuis peu et utilisait des caractères romains. Ça a demandé beaucoup d’efforts, mais les frères ont ainsi pu étudier la Bible par eux-mêmes. Des publications ont été traduites en amis vers la fin des années 1960 et, en 1968, La Tour de Garde a commencé à être publiée dans cette langue.
Cependant, le gouvernement limitait fortement la distribution de publications dans une autre langue que le chinois. Alors pour éviter tout problème, l’organisation de Jéhovah a fait paraître La Tour de Garde en amis sous diverses formes. Par exemple, pendant un temps, elle a paru sous la forme d’une édition bilingue chinois-amis. Nous pouvions ainsi donner aux curieux l’impression d’apprendre aux gens le chinois. Depuis, de nombreuses publications ont été publiées en amis pour aider ses locuteurs à découvrir les vérités bibliques (Actes 10:34, 35).
UNE PÉRIODE DE PURIFICATION
Au cours des années 1960 et 1970, beaucoup de frères amis ne vivaient pas en accord avec les normes de Dieu. Comme ils ne comprenaient pas bien les principes bibliques, certains avaient une conduite sexuelle immorale, buvaient à l’excès, fumaient ou mâchaient du bétel. Harvey a visité de nombreuses assemblées pour essayer d’aider les frères à comprendre comment Jéhovah considérait ces pratiques. C’est lors d’une de ces visites que nous avons vécu l’expérience que je mentionne en introduction.
Les frères humbles étaient disposés à se remettre en question. Mais malheureusement, beaucoup de frères n’ont pas accepté de changer et, en 20 ans, le nombre de proclamateurs à Taïwan est passé de plus de 2 450 à environ 900. C’était très décourageant. Toutefois, nous savions que Jéhovah ne bénirait jamais une organisation impure (2 Cor. 7:1). Les assemblées ont fini par être purifiées et, grâce à la bénédiction de Jéhovah, Taïwan compte maintenant plus de 11 000 proclamateurs.
À partir des années 1980, les assemblées amis se sont mieux portées sur le plan spirituel, et Harvey a alors pu accorder plus d’attention aux besoins du territoire chinois. Il a eu la joie d’aider beaucoup de maris de sœurs à devenir Témoins. Un jour, il m’a raconté à quel point il avait été heureux d’apprendre que l’un d’eux avait prié Jéhovah pour la première fois ! Je suis moi aussi très heureuse d’avoir pu aider de nombreuses personnes au cœur sincère à devenir proches de Jéhovah. J’ai même eu la joie de me dépenser au Béthel de Taïwan avec le fils et la fille d’une de mes anciennes étudiantes.
UNE PERTE CRUELLE
Malheureusement, mon cher mari n’est plus à mes côtés aujourd’hui. Le 1er janvier 2010, Harvey est mort d’un cancer, alors que nous étions mariés depuis près de 59 ans. Il avait passé presque 60 ans dans le service à plein temps ! Il me manque toujours cruellement. Mais quelle joie d’avoir pu le soutenir dans deux pays fascinants alors que l’activité de prédication commençait tout juste à y être effectuée ! Nous avons appris à parler — et dans le cas d’Harvey, à écrire aussi — deux langues asiatiques difficiles.
Quelques années plus tard, le Collège central a décidé qu’en raison de mon âge avancé, il serait mieux pour moi de retourner en Australie. Mon premier réflexe a été de me dire : « Je ne veux pas quitter Taïwan. » Mais Harvey m’avait appris à ne jamais dire non à l’organisation de Jéhovah, alors je n’allais pas commencer maintenant ! Et plus tard, j’ai compris que c’était une sage décision.
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