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La neutralité chrétienne pendant la Seconde Guerre mondialeLes témoins de Jéhovah dans les desseins divins
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de l’opposition, quand le rouleau compresseur japonais se mit en marche en 1941. Les témoins furent alors expulsés et cruellement persécutés au Japon, aux îles Philippines, en Birmanie, en Malaisie, aux Établissements du Détroit, dans les Indes néerlandaises, dans les îles Fidji, en Nouvelle-Zélande, en Inde et à Ceylan. Une attaque générale contre les témoins de Jéhovah prenait forme, comme si elle voulait complètement supprimer la prédication mondiale de ces proclamateurs du Royaumeh.
LA QUESTION DE LA NEUTRALITÉ
Quelle position les témoins adoptèrent-ils en ce temps de crise grave? La question n’ayant pas été clairement débattue au cours de la Première Guerre mondiale, des conséquences désastreuses en avaient résulté pour les serviteurs de Jéhovah. En temps utile, La Tour de Garde (angl.) du 1er novembre 1939 donna à ses lecteurs habitant l’ouest de l’Europe des conseils qui les affermirent avant l’effondrement du système démocratique au printemps suivant. Il s’agissait d’une étude complète sur la “Neutralité”, position observée par le peuple de Dieu des temps anciens. Cette attitude neutre et apostolique adoptée par les témoins leur permit de rester fermes et de se préparer en vue des temps difficiles sous les occupations allemande et japonaise.
Un rapport très intéressant, qui illustre ce point d’une manière précise et grave, nous parvint d’Albanie. Les frères de ce pays étaient persécutés de quatre côtés à la fois: par les Grecs, par les fascistes, par les nazis et par les communistes. En dépit de la rivalité existant entre ces groupes, les chrétiens gardèrent une stricte neutralité. Dans l’un des cas au moins, cette prise de position sauva la vie d’un frère.
Un jour, alors que les nazis et les fascistes occupaient le port méridional de Bologne, un frère reçut la visite des communistes qui lui demandèrent de l’argent pour aider leur parti. Le frère leur expliqua qu’il était neutre, soulignant qu’il ne pouvait soutenir ce parti dans son activité clandestine. Une année plus tard, le communiste qui avait demandé de l’aide au frère changea d’opinion politique et se joignit au parti nationaliste. Celui-ci se servit de lui pour dénoncer tous les communistes de Bologne, étant donné qu’il les connaissait pour avoir déployé une activité en tant que membre du parti communiste. Devant la maison du frère, l’ex-communiste dit: “Non, pas cette maison; quand j’ai demandé de l’aide pour le parti communiste, cet homme a refusé net, parce qu’il se prétendait neutre.” Tous ceux qui avaient assisté les communistes furent arrêtés, tandis que le frère en question fut laissé en liberté.
Le compromis mena des Albanais à une issue fatale. Quel que fût le parti qui dirigeait la ville, fasciste, nazi ou communiste, certains Albanais proclamaient toujours avoir opté pour ce parti en particulier. Parfois, les communistes revêtaient les emblèmes des fascistes et s’introduisaient dans la ville, pour s’enquérir de l’opinion des gens. Ceux qui disaient: “Nous sommes fascistes comme vous” étaient arrêtés ou tués par les communistes. En revanche, les frères sont toujours restés neutres et ont sans cesse répondu de la même façon aux communistes, aux nazis, aux fascistes ou à tout autre parti politique.
Bien avant l’agression japonaise en Asie et avant que la guerre n’éclate en Europe, le juge Rutherford fit sa première visite en Australie. C’était en 1938. Il avait visité les îles Hawaii en 1935, par suite de la création d’une filiale à Honolulu, et des dispositions avaient été prises pour la construction d’une salle de réunion attenant au bâtiment de la nouvelle filiale qu’on était en train de bâtiri. Cette salle reçut le nom de “Salle du Royaume”; c’est alors que les témoins de Jéhovah du monde entier commencèrent à appeler Salle du Royaume les lieux où les congrégations se réunissaientj.
En règle générale, le public accueillit favorablement le juge Rutherford lors de sa première visite en Australie en 1938, quoique dans ce pays également il y eût de nombreuses pressions et des préjugés religieuxk. Une grande campagne de publicité fut organisée pour annoncer sa visite personnelle à la nation ainsi que la conférence publique intitulée “Avertissement”, qui devait être prononcée au Terrain des Sports de Sydney et qui marquerait le point culminant du congrès tenu en cette occasion. À cette assemblée assistaient des proclamateurs du Royaume venus de tous les territoires placés sous la responsabilité de la filiale australienne: Malaisie, Java, Indochine française, Shanghaï, Nouvelle-Zélande et tous les États du Commonwealth d’Australie. Bien que toutes les dispositions aient été prises pour radiodiffuser la conférence, les pressions exercées par les chefs religieux locaux sur le ministre des Postes et Télécommunications aboutirent à l’annulation de la retransmission. Une lettre de protestation que 120 000 personnes signèrent en dix jours resta sans effet.
Suite à ce discours prononcé par le président de la Société et accueilli avec enthousiasme par les 25 000 personnes présentes, un exemplaire de la conférence fut remis l’après-midi même au bureau de rédaction d’un journal qui avait été contacté quelques semaines auparavant. Ici encore, la crainte des pressions religieuses exercées incita les éditeurs à violer un accord qui consistait à porter cette importante conférence à la connaissance d’un plus grand public. Le discours fut toutefois enregistré, ce qui permit à des milliers de personnes dans le monde de l’entendrel. En revenant aux États-Unis, le président de la Société s’arrêta en Nouvelle-Zélande, aux îles Fidji, aux îles Samoa américaines, et à Hawaiia.
LA VOIX DES ANGLAIS NEUTRES SE FAIT ENTENDRE
En Angleterre également les frères se préparaient à affronter l’ouragan de la Seconde Guerre mondiale, et ils observaient avec zèle une stricte neutralité. Au début de la guerre, les journaux britanniques parlaient beaucoup des témoins de Jéhovah en Angleterre, à cause de la diffusion étendue et de la discussion du White Paper [Livre Blanc] (Allemagne no 2) paru le 30 octobre 1939 et intitulé “Traitements infligés aux ressortissants allemands en Allemagne”. Les faits présentés dans ce Livre Blanc étaient fondés sur un rapport compilé par sir Neville Henderson, ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin au moment de la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, et comprenaient les expériences vécues par les témoins de Jéhovah en Allemagne. Nous citons un extrait de ce Livre Blanc:
Il y avait 1 500 Juifs et 800 Étudiants de la Bible [témoins de Jéhovah] (...). Chaque homme portait un insigne, jaune avec l’étoile de David pour les Juifs, violet pour les Étudiants de la Bible, etc. (...) Les prisonniers juifs écrivaient et recevaient des lettres deux fois par mois. Les Étudiants de la Bible ne pouvaient avoir aucune communication avec le monde extérieur, mais, d’un autre côté, leurs rations n’étaient pas réduites. Herr X parlait de ces hommes avec le plus profond respect. Leur courage et leur foi religieuse étaient remarquables, et ils se déclaraient prêts à subir jusqu’à l’extrême ce que, pensaient-ils, Dieu avait voulu pour eux. (...)
(...) Les “Bibelforscher” [Étudiants de la Bible], secte religieuse tirant sa doctrine de la Bible et comptant un nombre considérable d’adhérents dans tous les coins du pays, mais proscrite par la Gestapo depuis que ses membres refusent le service militaire; ces malheureux étaient presque aussi maltraités que les Juifsb.
Le 15 novembre 1939, le bureau de la Société à Londres adressa à tous les membres du Parlement, aux chefs religieux, aux fonctionnaires locaux et à la presse la déclaration suivante:
Les témoins de Jéhovah, en quelque endroit qu’ils résident, se montrent loyaux envers les lois et coutumes du pays; ils cherchent à servir Dieu et sont de bonne volonté envers tous les hommes. S’ils sont jugés déloyaux par les hommes, c’est seulement lorsqu’une loi humaine fait intervenir une instruction contraire aux Écritures, ou prescrit de rendre à l’homme l’adoration qui n’appartient qu’au seul Dieu tout-puissant. Afin que la position des témoins de Jéhovah touchant les événements actuels soit claire, une brochure reproduisant un article du périodique La Tour de Garde est jointe à la présente. En même temps, elle explique leur NEUTRALITÉ dans tous les cas, et donne la raison pour laquelle ils ne peuvent prendre part à aucune activité militaire.
C’est en faveur des milliers de témoins de Jéhovah en Angleterre que nous souhaitons faire comprendre cette position. En tant que serviteurs du Dieu Très-Haut, notre position est la même que celle de nos frères allemands, à savoir celle de la stricte NEUTRALITÉ. Notre dévouement, notre service et notre loyauté sont consacrés au GOUVERNEMENT THÉOCRATIQUE de Jéhovah, et basé sur Jean 17:16, qui dit: “Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.” Ci-joint un exemplaire de notre brochure Gouvernement et Paix, pour votre documentation personnellec.
Cette déclaration se référait également au fait que le gouvernement britannique avait, au moyen de ce Livre Blanc, reconnu que les témoins de Jéhovah d’Allemagne étaient aussi persécutés parce qu’ils refusaient de faire le service militaire. Grâce à cette prise de position hardie qui fut publiée dans tout le pays, les jalons étaient posés en vue d’une année de service théocratique ininterrompue. Les autorités ainsi que le peuple apprirent que les témoins de Jéhovah n’étaient pas des pacifistes et n’avaient aucun rapport avec les nombreux mouvements pacifistes fauteurs de troubles en Angleterre. La seule opposition fut celle de la presse catholique, qui s’efforça de faire passer les témoins de Jéhovah pour un mouvement subversif.
Les frères de Grande-Bretagne firent de nombreuses expériences pénibles par suite des bombardements répétés des nazis. Voici ce que rapporta le serviteur de filiale:
PRÉDICATION SOUS LE FEU DE L’ENNEMI
Une bombe incendiaire perça le toit de la Salle du Royaume située à Craven Terrace, près du centre de Londres, et les meubles prirent feu, mais les frères du Béthel chargés de la protection contre l’incendie le maîtrisèrent rapidement. Cette nuit-là, sept bombes incendiaires tombèrent sur l’immeuble de la Société, qui abrite la famille du Béthel et les bureaux. Pour montrer à quel point les démons avaient pris le Béthel de Londres pour cible, en trois mois vingt-neuf bombes de grande puissance ont explosé à quelques centaines de mètres des bureaux de la Société, la plus proche étant tombée à trente mètres de l’autre côté de la rue. L’une des bombes les plus puissantes et qui ont causé des dégâts sans précédent ne tomba qu’à soixante-dix mètres derrière le Béthel. Le bureau fut deux fois menacé par des incendies violents qui ravagèrent des immeubles situés à cinq mètres derrière le Béthel. Celui-ci fut secoué à maintes reprises tout comme dans un tremblement de terre. Les murs fissurés ont dû être réparés. Il y eut des nuits de terreur et de mort qu’aucun des membres de la famille n’oubliera jamais. Mais malgré cela, l’“œuvre étrange” se poursuivit à Londres et dans toute la Grande-Bretagne, et elle progressa comme jamais auparavant, apportant l’espoir, la consolation et le réconfort à des milliers d’hommes qui recherchaient un véritable refuged.
Pendant la “bataille d’Angleterre”, la terrible guerre aérienne qu’elle subit, une douzaine de témoins de Jéhovah à peine sur les 12 000 qui résidaient alors dans les îles Britanniques perdirent la vie. Il est vrai que de nombreux témoins furent blessés et perdirent leurs foyers, et que des Salles du Royaume furent détruites par les bombardements aériens nazis; néanmoins, ils ne cessèrent d’adorer Jéhovah, le Dieu vivant, et maintinrent la prédication de maison en maison à un niveau élevé. Les réunions de la congrégation durent avoir lieu le dimanche après-midi pour éviter les dangers des attaques aériennes du soir, mais toutes furent tenues régulièrement. La grande campagne de prédication qui se poursuivit et s’étendit même au cours de ces années de guerre apporta une grande consolation et une espérance solide à des milliers de cœurs honnêtes.
Les grandes assemblées de zone prévues furent tenues comme s’il n’y avait pas eu la guerre, certaines sessions ayant même lieu pendant les bombardements. En 1940, au cours d’un raid de nuit, le vaste Free Trade Hall de Manchester fut démoli juste après que les témoins de Jéhovah eurent clos leur assemblée nationale dans cette ville. Celle qui se tint à Leicester, du 3 au 7 septembre 1941, fut des plus stupéfiantes. Au sein de la chaleur intense de la guerre, 12 000 témoins environ s’étaient rassemblés pour un festin théocratique de cinq jours. À tout moment, en face des forces hostiles, on devait triompher d’obstacles quasi insurmontables pour assurer la nourriture, le logement et le transport d’une foule aussi nombreuse. Les disques des principaux discours prononcés par le juge Rutherford à l’assemblée de Saint Louis, dans le Missouri, tenue du 6 au 10 août 1941, avaient été envoyés à Londres par avion, juste à temps pour être utilisés au congrès après leur passage à la censure. À quel degré d’élévation spirituelle cette assemblée ne parvint-elle pas! Quel esprit d’unité, de coopération et d’amour y fut manifesté! Elle permit à tous les assistants de se fortifier pour supporter les épreuves des années de guerree.
L’embargo fut mis sur les publications venant de Brooklyn. Ensuite, il fallut combattre pour s’approvisionner en papier afin que la Société pût entreprendre d’importants travaux d’impression en Angleterre et maintenir le flot de publications nécessaires au service du champ, où un groupe important de pionniers actifs veillait aux besoins spirituels de leurs semblables. Par la suite, l’importation du périodique La Tour de Garde fut interdite aux abonnés des îles Britanniques. Cependant, les articles d’étude n’ayant pas été prohibés, ils furent imprimés sur place; ainsi, les centaines d’études hebdomadaires de La Tour de Garde ne furent pas interrompues.
En Angleterre, on enrégimenta tous les citoyens, hommes et femmes. Beaucoup de juges refusèrent aux frères l’exemption militaire. Il en résulta 1 593 condamnations, et le nombre total des peines d’emprisonnement dépassa six cents ans. Parmi ces condamnations, 334 concernaient des femmes, lesquelles, au même titre que les hommes, devaient faire de la prison pour n’avoir pas accepté les instructions gouvernementales relatives à l’accomplissement du service de guerre. Avant la guerre, de nombreux témoins s’étaient enfuis de Pologne, d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique et de France, pour se réfugier dans ce pays. Ils y étaient devenus pionniers, mais quand les combats s’intensifièrent, le gouvernement les interna pour la durée de la guerre dans un camp de l’île de Man. Des témoins de Jéhovah d’origine américaine et suisse furent expulsés des îles Britanniques.
Ainsi, en dépit des restrictions sévères et des limitations imposées par la guerre, les témoins de Jéhovah en Angleterre maintinrent leur neutralité, gardant leur intégrité envers Dieu. Le combat pour la liberté d’adorer Jéhovah ne diminua ni ne cessa en Angleterre. Au contraire, il s’intensifia plus que jamais.
LES CANADIENS NEUTRES PRÊCHENT EN DÉPIT DE L’INTERDICTION
Dans tout le Commonwealth britannique on imposa des restrictions aux témoins de Jéhovah, et dans certains endroits leur œuvre fut totalement interdite. Par exemple, au Canada, les frères persévérèrent durant la guerre au sein de grandes tribulations. Dans les débuts de la Société, l’œuvre au Canada se développa sous la direction du bureau de Brooklyn, lequel s’occupait également des congrégations aux États-Unis. Toutefois, vous vous rappelez certainement qu’en 1918 une filiale avait été établie à Winnipegf. Puis, après la Première Guerre mondiale, et peu de temps après que fut levée l’interdiction contre les témoins de Jéhovah au Canada, le 1er janvier 1920, la filiale canadienne de la Société fut transférée à Torontog. L’année 1925 vit la naissance de la société non lucrative appelée Association internationale des Étudiants de la Bible du Canada, qui devint propriétaire des biens de la filialeh.
L’œuvre progressa assez bien au fil des années, mais à cause de la défection de quelques responsables, des changements administratifs devinrent nécessaires en 1936. Le manque d’acuité spirituelle qui rendit ces modifications indispensables avait provoqué un ralentissement momentané de l’œuvre, mais grâce au fonctionnement de cette nouvelle force administrative, les conditions spirituelles s’améliorèrent et de plus grands progrès dans l’œuvre de témoignage furent réalisési.
Durant toute cette période, on rencontra une forte opposition dans le Québec catholique, où des arrestations avaient lieu constamment. Cependant, la véritable “bataille du Québec” devait avoir lieu plus tard, comme nous le verrons dans une autre discussion. Mais le Québec catholique avait le bras long; aussi, le 4 juillet 1940, lorsque les conquêtes d’Hitler en Europe atteignirent leur apogée, Ernest Lapointe, ministre canadien de la justice, fit adopter en conseil un arrêté qui proscrivait complètement l’activité des témoins de Jéhovah et leur Société, la IBSA.j
Les revers de la guerre atteignaient alors leur point culminant pour les démocraties, aussi les témoins de Jéhovah devenaient-ils d’excellents boucs émissaires; une inquisition moderne s’ensuivit donc. On encouragea l’espionnage des voisins, on fit des descentes de police dans les foyers, des bibliothèques privées furent saisies, des réunions bibliques, y compris la célébration de la Commémoration, furent interrompues, et même des exemplaires de la célèbre Version du roi Jacques furent confisqués et leur destruction ordonnée. La presse se montra malveillante dans ses attaques. Ces outrages s’étendirent d’un bout à l’autre du paysk.
Bien que tout cela prît les témoins canadiens par surprise, ils ne se laissèrent cependant pas vaincre sans résistance. Bientôt ils organisèrent un système clandestin étendu et efficace, qui leur permit de se réunir en petits groupes pour étudier la Bible et continuer leur prédication. À l’exemple de leurs frères sous la domination totalitaire, ces témoins étaient déterminés à servir Dieu, et non l’homme; c’est pourquoi ils ne permirent pas aux lois humaines ou à quoi que ce soit de les empêcher de remplir la mission que Dieu leur avait confiée. Quelque 5 000 proclamateurs finirent par se remettre sur pied pour accomplir l’activité des nouvelles visites et des études bibliques.
Un matin de novembre 1940, les frères se levèrent de bonne heure et parcoururent le pays d’une extrémité à l’autre, glissant sous les portes des exemplaires d’une brochure spéciale intitulée “Fin du nazisme”. Lorsque les habitants s’éveillèrent, ils trouvèrent cette déclaration hardie et courageuse, annonçant que bientôt le Royaume de Dieu remis entre les mains du Seigneur Jésus-Christ s’imposerait, détruirait toute opposition et mettrait fin aux pouvoirs totalitaires. Quoique plus de 7 000 témoins aient participé à cette campagne spéciale, moins d’une dizaine furent arrêtés et aucun d’entre eux ne fut accusé d’avoir diffusé des publications subversives, bien que le message fût semblable à celui qui était proclamé dans le pays depuis de longues annéesl.
Dans une autre partie du Commonwealth britannique, les frères subissaient des restrictions dans leur œuvre. En Australie, à partir de juillet 1940, les chefs religieux se mirent à inciter l’action politique contre les témoins zélés. En conséquence, le 16 janvier 1941, le premier ministre Menzies annonça prématurément au Parlement la proposition de son gouvernement de proscrire les témoins de Jéhovah. Le lendemain, 17 janvier, l’arrêté ministériel fut publié dans le Journal officiel, interdisant les activités de la Société et de ses associations sœurs, y compris le groupe des témoins de Jéhovah d’Adélaïde qui possédait une Salle du Royaume que le gouvernement s’appropria. Il s’empara également du Béthel et l’occupaa.
Mais dans tous ces pays, les témoins de Jéhovah n’abandonnèrent pas la mission dont Dieu les avait chargés, à savoir prêcher la bonne nouvelle du Royaume. Dans toutes les parties de la terre les témoins du Royaume restèrent actifs, et certains récits relatifs au courage et à l’ingéniosité manifestés par les frères sous le régime totalitaire sont des plus saisissants.
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La prédication clandestine en pleine guerreLes témoins de Jéhovah dans les desseins divins
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Chapitre 23
La prédication clandestine en pleine guerre
JEAN: Au cours de ces sombres années de la Seconde Guerre mondiale, le seul but des témoins de Jéhovah, où qu’ils se trouvaient, était de prêcher le Royaume de Dieu comme l’unique espoir pour le monde! Dans les lointaines îles Philippines, les communications avec le siège de la Société en Amérique cessèrent après l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Néanmoins l’œuvre se poursuivit. Selon le dernier rapport établi par la filiale en 1941, il y avait 373 proclamateurs. Le travail que ces derniers accomplirent sous l’occupation japonaise est un exemple de foi et de persévérance. Voici, en partie, ce que disait le rapport du serviteur de filiale établi après sa sortie de prison:
Les Japonais entrèrent dans la ville le 2 janvier 1942, et ne tardèrent pas à instaurer un gouvernement militaire sévère. La censure entra immédiatement en action. Tous les postes récepteurs furent mis sous scellés et confisqués, et on promulgua un décret soumettant toutes les publications à la censure du gouvernement militaire japonais, avant qu’elles soient remises entre les mains du public. Les Bibles vendues dans les librairies subirent la censure. Toutefois, pas un seul frère ne remit à la censure les publications qu’il possédait. Le message du Royaume qu’ils continuèrent de prêcher resta intact. À Manille et dans les environs, les Nippons perquisitionnèrent méthodiquement maison après maison, en vue d’y découvrir des armes et des munitions. Mais ils ne se soucièrent pas des armes du Seigneur et des munitions exposées sur les rayons des bibliothèques dans les foyers des frères.
Le 26 janvier 1942, je fus interné ainsi que tous les autres étrangers considérés comme ennemis de ces envahisseurs avides. Tout d’abord, l’administration civile nous traita convenablement; mais quand celle-ci tomba sous la coupe des militaires japonais, les internés connurent de nombreuses privations. (...) Les trois années d’internement que nous avons subies nous affaiblirent considérablement. Il ne nous restait que la peau sur les os lorsque les forces américaines s’emparèrent du camp. Dans les derniers mois, la famine régnait. Chaque jour les prisonniers recevaient un bol de riz maigre à l’eau avec du sel. Tout ce qui nous tombait sous la main, comme des épluchures, de la mauvaise herbe et d’autres plantes, que nous pouvions ramasser dans la cour du camp, servait à remplir nos estomacs vides et atténuait un peu la sensation horrible de la faim. (...)
Au cours des années que dura la domination des militaires japonais, les frères en liberté firent progresser l’œuvre théocratique. En qualité d’ambassadeurs du Royaume, le seul espoir du monde, ils ne pouvaient attendre la fin de la guerre pour nourrir ceux qui étaient affamés et assoiffés de vérité et de justice, bien qu’ils fussent exposés à de nombreux dangers. Quand ils en avaient la possibilité, ils faisaient bon usage du peu d’équipement qui n’avait pas été confisqué, et commençaient des études modèles. (...) Durant la domination implacable des Japonais, ils formèrent trente et un nouveaux groupes réunissant environ 2 000 proclamateurs. Sous le bras protecteur du Roi sans cesse victorieux, sept assemblées de zone furent organisées dans différentes parties de l’île Luçon. L’assistance la plus élevée fut de 2 000 personnes.
Lorsque le faible stock de publications fut épuisé, les frères eurent recours à une méthode de diffusion qui s’avéra efficace: ils prêtaient pour une semaine des livres aux personnes bien disposées. Cela leur permit de faire un nombre impressionnant de nouvelles visites et d’études modèles, et de former de nouveaux groupes. De cette façon, ils furent à même de persévérer dans le témoignage de maison en maison, puisque les publications revenaient sans cesse.
Pendant la dernière année de l’occupation japonaise, lorsque l’armée américaine fondit sur Manille et que les Japonais commencèrent à massacrer des civils innocents, les proclamateurs de la province étaient toujours actifs, servant joyeusement Jéhovah, le Tout-Puissant. La prédication de maison en maison allait bon train. Un groupe de frères vécut une expérience intéressante, tandis qu’ils obéissaient au Seigneur. Au cours de leur activité de prédication, les témoins traversèrent un petit village habité par des guérilleros et leurs familles, auxquels ils avaient prêché précédemment. Les frères se dirigeaient vers la ville voisine, afin de s’occuper “des affaires de notre Père”. On les avertit que des soldats japonais se trouvaient dans la ville. Ils ne rebroussèrent pas chemin pour autant, et continuèrent leur prédication de porte en porte. Les témoins virent les soldats japonais et les guérilleros brandir des fusils et ils se demandaient pourquoi ils ne tiraient pas, alors qu’ils étaient censés être des ennemis. Ils se surveillaient simplement les uns les autres. Toutefois, les proclamateurs ne s’arrêtèrent pas, mais achevèrent de parcourir leur territoire. Tandis qu’ils s’en retournaient, ils trouvèrent le même petit village en feu et ses habitants tués à la baïonnette: hommes, femmes et enfants. Comment ces frères échappèrent-ils à une mort certaine alors que les Japonais auraient pu s’emparer d’eux? On ne peut le savoir, si ce n’est que Jéhovah a protégé son peuplea.
LA PRÉDICATION EST INTERDITE AU JAPON ET EN CORÉE
Pendant la guerre, l’œuvre de prédication fut interdite au Japon; dans ce pays essentiellement païen, elle avait progressé lentement depuis le moment où le message du Royaume de Dieu y avait retenti pour la première fois. C’était en 1912, quand C. T. Russell y débarqua en qualité de chef du comité de l’IBSA, afin de sonder le champ religieux en Orient. Frère Russell et ses compagnons entreprirent un voyage de 1 100 kilomètres à travers le Japon, de Yokohama à Nagasaki. Ayant remarqué que les missionnaires des Églises de la chrétienté étaient considérablement découragés, il en conclut que “ce dont les Japonais avaient besoin, c’était ‘l’évangile du Royaume’, annonçant la seconde venue de Jésus comme Messie glorieux, dans le but de régner, de guérir et d’instruire toutes les familles de la terre”.
Vers 1913, des colporteurs visitèrent le Japon et plantèrent d’autres graines de vérité. En 1927, un Japonais américain fut envoyé au Japon, afin d’y ouvrir une filialeb. C’est ce qui fut fait à Kobe. Toutefois, on ne tarda pas à transférer les locaux au Ginza, à Tokyo, et ensuite à Igikubo, dans la banlieue de Tokyo, où une imprimerie fut installée. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, un travail considérable fut accompli par un groupe de colporteurs japonais, dont le nombre atteignit un maximum de 110 en 1938. On mit l’accent sur les réunions et la diffusion dans les rues de l’édition japonaise du périodique L’Âge d’Or, dont on plaça, rien qu’en 1938, 1 125 817 exemplaires.
Tandis que s’amoncelaient les nuages menaçants de la guerre, les dictateurs japonais prirent des dispositions pour mettre un terme à l’activité des témoins de Jéhovah. Dès 1938, on arrêta et malmena les proclamateurs du Royaume, mais ceux-ci continuèrent de prêcher et se répandirent dans les pays voisins, à savoir Taïwan, la Corée et la Mandchourie. L’une des accusations portées contre les témoins était qu’ils “préconisaient le monothéisme, le culte de Jéhovah”. Il y eut des jugements à huis clos, accompagnés de tortures, dont la durée atteignit jusqu’à deux et trois ans. Ceux qui refusèrent de renoncer à leur croyance furent condamnés à cinq ans de prison ou plus, et les chrétiens qui restaient fidèles se voyaient recondamnés lorsque leur première peine était terminée.
En Corée également l’oppression impitoyable des Japonais se faisait sentir. La première œuvre de prédication rapportée dans ce pays fut celle d’une sœur venue d’Angleterre, et qui voyagea au Japon, en Chine et en Corée à ses propres frais, avec l’accord du premier président de la Société, frère Russell. Son activité de colporteur consistait à visiter les personnes parlant l’anglais en Corée, y compris un grand nombre de Coréens. Au cours de son voyage, en 1915, elle plaça plus de 600 volumes des Études des Écritures.
En 1926, la Société ouvrit en Corée un bureau de traduction et établit une petite imprimerie, afin de préparer des publications en langue coréenne pour le service du champ. D’autres publications furent imprimées dans cette langue à Brooklyn et envoyées en Corée. En 1931, deux frères travaillaient au dépôt, l’un traduisant et l’autre vérifiant l’activité des congrégations dans la diffusion des publications. Des représentants de la filiale de la Société à Tokyo firent une tournée de conférences en Corée et instruisirent les frères locaux. En 1933, le gouvernement japonais s’empara de certains biens que la Société possédait à Séoul, et le 17 juin 1933, il saisit 50 000 exemplaires de nos publications, y compris des livres cartonnés et des brochures. Pour tout évacuer, il fallut dix-huit charrettes tirées par des coolies, selon ce que rapporta le journal Tong-A Ilbo, no 4493. Le 15 août 1933, le gouvernement s’empara de 33 000 exemplaires de nos publications au domicile de l’un des témoins de Jéhovah de Pyongyang. Ce fait a été relaté dans le Tong-A Ilbo no 4452.
Les shogouns du Japon partirent à la conquête de l’Asie et se servirent du shintoïsme, religion nationale japonaise, pour unir les peuples du grand empire. On obligea tous les Coréens à se prosterner devant le sanctuaire shinto dédié à l’empereur. Le refus de s’adonner au culte des idoles opposé par les témoins de Jéhovah les fit entrer pour la première fois en conflit avec les autorités japonaises; toutefois, l’organisation fut à même de poursuivre ses activités jusqu’en 1939.
Le 18 juin 1938, on commença à arrêter les témoins de Jéhovah au Japon et en Corée. Le 29 juin 1939, les frères du bureau coréen furent emmenés, et en ce même jour les autorités saisirent des publications emmagasinées sur une surface de cent mètres carrés environ. Elles furent rassemblées sur les bords du fleuve Han et brûlées, d’après ce que rapporta la presse le lendemain. On arrêta nombre de témoins en Corée, et ceux qui refusaient de se prosterner devant le sanctuaire shinto étaient emprisonnés. Plus de trente témoins se virent infliger de longues peines et beaucoup moururent en prison. Une sœur âgée fut enchaînée à une pierre dans une position de continuelle prosternation, et cela pendant plus de deux ans. Notre œuvre fut alors interdite.
En ce qui concerne ce culte idolâtrique, les protestants de Corée eurent la tâche facilitée, car leurs Églises décrétèrent que se prosterner devant le sanctuaire shinto était une affaire laïque et non religieuse, qui pouvait être considérée comme “rendre à César” son dû. Même un grand nombre de membres de ces Églises se rendirent compte que la ligne de conduite préconisée incitait au compromis; cette décision provoqua des scissions au sein des Églises, par exemple dans l’Église presbytérienne, pour n’en citer qu’une.
RECHERCHE DES BREBIS DU SEIGNEUR EN POLOGNE ET EN GRÈCE
En Pologne, la recherche des “autres brebis” était très bien organisée et efficace, particulièrement pour ce qui était de l’activité des pionniers zélés:
En Pologne, il y eut aussi des pionniers pendant la guerre. À Varsovie, par exemple, des pionniers opéraient dans des quartiers entiers. Ils se présentaient comme commerçants. Munis d’une mallette, ils allaient de porte en porte et vendaient de la pâte dentifrice, de la crème pour chaussures et d’autres bagatelles. Il leur importait toutefois peu de vendre leur marchandise. Au contraire, ils étaient heureux de ne pas être obligés de la renouveler trop souvent. Ils cherchaient avant tout à nouer conversation avec les gens et à leur parler du Royaume. Le renchérissement et le manque d’argent étaient les meilleurs prétextes pour entamer une conversation. Quand quelqu’un se plaignait de cette [situation], il était alors facile d’en venir à parler (...) des temps en général. Puis, de fil en aiguille, on entretenait les gens d’un petit livre qu’on possédait avant la guerre et qui était si intéressant. Il leur était ensuite donné un témoignage. Quand on voyait que l’interlocuteur montrait de l’intérêt pour la vérité, on avait, “tout par hasard”, le petit livre sur soi et on lui prêtait le no 1. Les proclamateurs communiquaient alors l’adresse des intéressés à d’autres frères, qui venaient faire des visites complémentaires. On apprenait ainsi à connaître les gens et ceux qui faisaient vraiment preuve d’intérêt étaient, après quelques visites complémentaires, réunis en groupes de 5 à 10 personnes, avec lesquelles on procédait à des études modèles, selon un plan d’étude établi à cet effetc.
En Grèce également le manque de publications créa un problème qui fut heureusement résolu grâce à un emploi judicieux de ce qui était disponible. Les témoins de ce pays recoururent à la prédication occasionnelle:
Lorsque la guerre éclata entre l’Italie et la Grèce, en octobre 1940, beaucoup de frères refusèrent de faire du service, avec ou sans armes. Comme [la législation] était très sévère et qu’il n’existait aucune loi permettant d’exempter ceux qui refusaient le service par motif de conscience, les frères durent comparaître devant le tribunal militaire. Trois d’entre eux furent condamnés à mort, d’autres à des peines d’emprisonnement allant de sept à vingt ans, ou à la réclusion à perpétuité. Le Seigneur permit que ces condamnations servissent de vigoureux témoignage. La situation se développa de telle sorte qu’aucun arrêt de mort ne fut exécuté. Actuellement tous les frères condamnés sont hors de prison.
Après que les communications entre la Grèce et l’Amérique furent coupées, en 1941, nous mîmes tout en œuvre pour aider les “autres brebis” du Seigneur et les frères et sœurs en général. Les articles secondaires de La Tour de Garde furent traduits et envoyés aux frères et sœurs. Les livres Salut et Religion, et la brochure Réfugiés, furent également traduits, multipliés (2 500 exemplaires) et remis aux membres du peuple de Dieu dans tout le pays. De cette façon, les assemblées ne furent pas interrompues, mais constituèrent une bénédiction pour tous les frères et sœurs.
Comme notre stock de livres et de brochures menaçait de s’épuiser, nous cherchions à accomplir notre travail d’une autre manière, c’est-à-dire à entamer une conversation avec les gens assis dans les parcs et à leur rendre témoignage du Royaume. Lorsque les auditeurs manifestaient quelque intérêt, nous leur prêtions une brochure en leur disant que nous viendrions la chercher et parlerions des points qu’ils n’auraient pas compris. Lors de la visite suivante, nous offrions une autre brochure et leur proposions — si toutefois ils appréciaient ces vérités — de prendre part à des études avec d’autres intéressés. Après avoir traité deux ou trois brochures, ils furent invités à assister à l’étude de La Tour de Garde et des livres. De cette manière, grâce à la sollicitude du Seigneur, une méthode de visites complémentaires fut introduite, et, dès lors, en 1941, le nombre des “autres brebis” a considérablement augmentéd.
LES BREBIS SONT NOURRIES EN DÉPIT DES ARRESTATIONS
Les témoins de Jéhovah étant plus nombreux en Allemagne, une plus grande activité fut déployée dans ce pays. Il y eut par conséquent davantage d’arrestations. La cruauté et le sadisme des commandants des camps de concentration nazis et de leurs gardes étaient connus de tous, mais les témoins allemands ne se relâchèrent pas dans la crainte d’être internés. Ils ne firent pas non plus de compromis quant à leur neutralité chrétienne, pour des raisons d’opportunisme. Ces frères étaient résolus à trouver et à nourrir les brebis du Seigneur, tout en s’aidant spirituellement les uns les autres.
À partir de 1934, les témoins d’Allemagne commencèrent à être congédiés par leurs employeurs, non seulement parce qu’ils refusaient de voter et de faire le salut hitlérien, mais encore parce qu’ils ne participaient pas aux manifestations du 1er mai. En octobre 1936, l’Angriff (l’Attaque), organe du parti national socialiste, demanda le renvoi des témoins de Jéhovah de toutes les entreprises allemandese.
Des efforts spéciaux ont été faits pour découvrir et arrêter les témoins de Jéhovah lors de la célébration du “repas du Seigneur”. C’est ce qui ressort de cet ordre secret décrété en 1935:
Police secrète d’État. I R I 3637-35. Berlin, 20 mars 1935. D’après un écrit confisqué aux Étudiants de la Bible, La Bataille de Dieu, les groupes “des oints” se réuniront probablement le 17 avril 1935, après 6 heures du soir, pour une fête commémorative du sacrifice de Jésus-Christ, à la gloire de Jéhovah. Il se peut qu’une visite à l’improviste, au moment indiqué, chez les chefs de groupes des Étudiants de la Bible ait du succès. Prière de signaler les résultats. Sig.: Hardtmannf.
Lors de la célébration de la commémoration de la mort du Seigneur, on arrêta non seulement les “chefs de groupes”, mais encore quiconque assistait à l’une de ces réunions. Même là où deux ou trois seulement s’étaient réunis dans leur propre logement, ils ont été espionnés par la police secrète ou dénoncés par leurs voisins. Dans de tels cas, ils furent jugés par les tribunaux allemands pour avoir violé l’interdiction frappant les témoins de Jéhovah. Et on les punitg.
Les témoins qui refusèrent d’accomplir le service militaire se virent infliger de longues peines de prison, et les frères furent exilés dans des camps de concentration. De même, le refus de dire “Heil Hitler” était considéré comme un acte contre l’État, entraînant des condamnations sévères. Posséder l’une des publications de la Société signifiait l’emprisonnement certain. Les enfants de témoins de Jéhovah enlevés à leurs parents et confiés à des familles nazies qui les adoptèrent refusèrent d’entrer dans les mouvements de la Jeunesse hitlérienne et maintinrent leur intégrité en dépit des sévères pressions exercées sur eux. Malgré ses efforts et ses rafles, de 1933 à 1945, Hitler ne fut à même d’emprisonner ou de bannir à n’importe quel moment donné que la moitié environ des témoins. Cela voulait dire que près de 10 000 d’entre eux étaient incarcérés, alors que le même nombre de frères libres à l’extérieur poursuivaient leur activité clandestine, témoignant hardiment, mais avec prudence. Les enterrements étaient autant d’occasions pour les témoins encore en liberté de se rassembler publiquement, d’entendre des discours bibliques et de goûter quelques courts instants de compagnie fraternelle. De petites réunions secrètes avaient lieu le soir ou dans les forêts. En outre, des portions de nourriture spirituelle récente publiées dans le périodique La Tour de Garde leur parvenaient polycopiées par des moyens détournésh.
En dépit de toutes les tribulations qu’ils endurèrent dans ces pays affligés par la guerre, les frères n’ont jamais perdu de vue leur obligation primordiale de trouver et de nourrir les brebis. Cela signifiait non seulement qu’ils devaient rester intègres devant Jéhovah Dieu en raison de leur foi, mais également qu’il leur fallait faire face à l’ennemi, s’exposant à être arrêtés et poursuivis. Même les personnes bien disposées, que les témoins avaient trouvées et nourrissaient spirituellement, de sorte que la vérité les affermissait, reconnaissaient la nécessité de prêcher et de proclamer la bonne nouvelle du nouvel ordre juste de Dieu.
Un frère d’Allemagne rapporta que durant les années 1934 et 1935, il rencontra un couple qui manifesta un grand intérêt pour la vérité et avec qui il étudia dans son foyer. Il visitait ces personnes régulièrement chaque semaine pour étudier La Tour de Garde en leur compagnie. Quand ce frère fut arrêté en 1936, sa femme reprit et continua l’étude, mais elle ne tarda pas non plus à se faire arrêter et condamner à trois ans de réclusion.
Ce couple, nouvellement intéressé par la vérité et affamé de la Parole de Dieu, resta seul, ne possédant que l’adresse d’un frère habitant à quelque 400 kilomètres de là. La femme s’y rendit pour obtenir un exemplaire polycopié de La Tour de Garde et en prit quelques autres en supplément. Par la suite, quand elle se sentit plus forte, elle participa à la diffusion de ces périodiques dans de vastes territoires d’Allemagne, après l’arrestation de presque tous les frères connus. Le frère qui les contacta au début rapporte qu’après sa libération en 1945, il se rendit chez eux, mais leur maison avait été éventrée par une bombe et complètement brûlée. Il se renseigna donc et apprit que cette femme, qui avait coopéré avec tant de zèle, avait été poursuivie et arrêtée, ainsi que son mari. On les avait emmenés tous deux à la prison de la police de Munich, où le mari fut littéralement battu à mort à cause de sa position ferme, tandis que sa femme fut condamnée à mort et décapitée. Pour autant qu’on le sache, ces deux personnes fidèles n’avaient même pas eu l’occasion de symboliser l’offrande de leur personne à Jéhovah Dieu par le baptême d’eau. Toutefois, elles étaient animées du désir de servir Dieu et leurs semblables, au point même de donner leur vie pour cette œuvre.
LES FRÈRES CONTINUENT À ÊTRE NOURRIS SPIRITUELLEMENT
Le frère qui rapporta ce fait connut lui-même de nombreux dangers en apportant des publications et de la nourriture spirituelle aux témoins de Jéhovah. Sa responsabilité consistait à subvenir aux besoins spirituels de toutes les congrégations de l’Allemagne du Sud. En 1935, il fut arrêté deux fois, puis relâché à la condition de se présenter aux autorités tous les deux jours. Entre ces visites, il voyageait souvent, parcourant de neuf cents à douze cents kilomètres en train, visitant un certain nombre de congrégations pour être de retour dans les quarante-huit heures et se présenter à la police. Voici ce qu’il dit:
Je connus souvent des situations angoissantes, car à plusieurs reprises il me fallut fuir et changer immédiatement d’itinéraire, car j’étais suivi. Maintes fois j’échappai à l’arrestation comme par miracle. En une certaine occasion, je me trouvais déjà dans un immeuble, pris au piège comme un rat, car trois agents de police m’attendaient dans la maison; malgré cela je pus faire en sorte de leur échapper. Point n’est besoin de préciser qu’au cours de cette période, il ne m’a pratiquement pas été possible de dormir dans un lit; je dormais presque toujours dans les voitures de chemin de feri.
Finalement, ce frère fut arrêté en secret, mais la mère d’un témoin de Jéhovah se trouvait justement dans la rue pour voir ce qui se passait. Ainsi, les efforts de la police pour faire “disparaître” ce frère et semer le doute et la confusion dans l’esprit de ses proches et de ses compagnons furent vains. À partir de son arrestation jusqu’à la fin de la guerre, on le transféra de camp en camp; il fut sans cesse interrogé et persécuté dans le but de lui faire révéler le nom d’autres frères. En une certaine occasion, la Gestapo du sud-ouest de l’Allemagne l’interrogea et alla même jusqu’à lui interdire de changer de linge de corps pendant quatre mois et demi. Maintes fois on prit des dispositions pour “se débarrasser” de lui, mais il y eut des contrordres à la dernière minute. Pendant presque cinq ans, il n’eut pratiquement aucun contact avec les témoins; en outre, on lui avait retiré sa Bible, afin de le briser, mais son intégrité ne faillit pas.
Pourvoir à la nourriture spirituelle des frères était une phase difficile mais essentielle de l’activité clandestine des témoins. On faisait parvenir à la frontière un ou deux exemplaires à la fois de La Tour de Garde, que le responsable de l’organisation clandestine envoyait, par l’intermédiaire de messagers dignes de confiance, dans différents endroits équipés de machines à polycopier dissimulées soit dans des caves, soit dans des chambres mansardées ou encore dans des pièces spécialement aménagées et difficiles à découvrir. Plusieurs frères d’Allemagne accusés d’avoir préparé La Tour de Garde pour la diffuser furent condamnés à mort et exécutés.
En dépit du caractère clandestin de leur œuvre, les frères étaient bien organisés. Nous en avons pour preuve la diffusion de la résolution adoptée lors d’un congrès tenu à Lucerne, en Suisse, au mois de septembre 1936. Environ 2 500 témoins de Jéhovah venus d’Allemagne purent assister à ce congrès, et la résolution que les congressistes adoptèrent en cette occasion fut diffusée dans toutes les grandes villes d’Allemagne, le 12 décembre 1936. Chaque proclamateur reçut un paquet contenant une vingtaine d’exemplaires à répandre dans une certaine partie du territoire qui lui était assignée. Après avoir glissé le feuillet sous la porte ou dans la boîte aux lettres (car il était interdit de le remettre en mains propres), le témoin s’en allait rapidement dans une rue voisine pour déposer un exemplaire de la résolution dans un autre foyer. Ainsi, en ce samedi du mois de décembre, on en diffusa 300 000 en l’espace de deux heures, entre cinq heures et sept heures du soir.
Le frère responsable de l’activité clandestine en Allemagne à cette époque relata un fait intéressant à propos de la diffusion de cette résolution, fait qui lui a été rapporté par l’un des fonctionnaires qui l’avaient arrêté.
La diffusion commença à 17 heures; quinze minutes plus tard, les autorités en étaient informées. Quinze autres minutes passèrent et la police de Berlin était sur pied. C’est alors qu’on enregistra des appels téléphoniques de Hambourg, de Munich, de Leipzig, de Dresde, de la Ruhr et de nombreuses villes. La campagne n’avait pas commencé depuis une heure que la police et les patrouilles de SS passaient toutes ces villes au peigne fin en vue d’arrêter les diffuseurs. Ils n’en prirent aucun. (...)
La police visita minutieusement tous les pâtés de maisons et demanda à chaque habitant de lui remettre immédiatement le tract en question. Comme très peu de personnes l’avaient reçu et que la plupart d’entre elles n’étaient même pas au courant, les autorités eurent l’impression que tous les habitants s’étaient ligués contre elles pour se montrer solidaires à l’égard des Étudiants de la Bible et les protéger. Cette impression, compréhensible étant donné la mauvaise conscience du gouvernement et de son “bras puissant”, produisit un effet foudroyantj.
APPORT DE “MUNITIONS” POUR LA PRÉDICATION
Un frère d’Allemagne fut poursuivi par la police dans une grande partie du pays. Très souvent il fut sur le point de tomber entre ses mains, mais il réussit à lui échapper car aucun des agents ne connaissait sa physionomie. La tâche de ce frère consistait à réorganiser et à prendre soin des congrégations, afin de colmater les brèches causées par les arrestations constantes. Voici ce qu’il dit:
Un jour, je transportai deux lourdes caisses contenant des livres Préparation, qui avaient été amenées à la frontière près de Trèves, à destination de Bonn et de Cassel. J’arrivai à Bonn tard dans la soirée, et par mesure de précaution, je déposai les caisses dans la cave du serviteur de congrégation. Le lendemain matin, à 5h.30, la sonnette retentit. Qui était-ce? C’était la Gestapo et les SS qui venaient perquisitionner. Le [serviteur de congrégation] (...) frappa à la porte de ma chambre pour me dire qu’il y avait des visiteurs. Comme il n’y avait aucun moyen de nous échapper, il ne nous restait qu’à attendre et voir ce qui allait se produire. Quand ces hommes arrivèrent dans ma chambre, ils me demandèrent ce que je faisais là; je leur répondis brièvement que je faisais une excursion sur le Rhin et désirais visiter le jardin botanique de Bonn. Ils vérifièrent mes papiers et me les rendirent en me regardant pensivement, puis ils dirent au [serviteur de congrégation] de se vêtir et de les suivre.
Suivant ce que rapporta plus tard le [serviteur de congrégation], quand ils arrivèrent au poste de police, l’officier dit: “Il y avait quelqu’un d’autre; où est-il?” “Nous ne l’avons pas amené.” “Comment, vous ne l’avez pas amené? Vous êtes des incapables!” “Devons-nous aller le chercher?” “Le chercher? Pensez-vous qu’il vous a attendus?” En vérité, je n’avais pas attendu et j’étais parti pour Cassel en emportant une des caisses.
À Cassel, le serviteur de congrégation m’accueillit et me dit: “Tu ne peux rester ici; je t’en prie, va-t’en immédiatement. Depuis une huitaine de jours, la Gestapo me rend visite tous les matins.” Nous décidâmes qu’il marcherait devant moi, me précédant d’une cinquantaine de mètres, afin de m’indiquer l’endroit où je pourrais déposer les publications. Nous n’avions pas parcouru deux cents mètres, à travers la magnifique Allée des Marronniers, que des agents de la Gestapo venaient à notre rencontre. Ils se moquèrent du surveillant avec mépris, mais ne l’arrêtèrent pas, et je pus observer la scène à cinquante mètres de là. Les publications étaient donc sauvéesk.
Ce frère fut arrêté après avoir été trahi par un ancien témoin, et on le conduisit en voiture à Berlin. Au cours du voyage, qui dura entre trois et quatre heures, on le frappa constamment. Voici ce qu’il dit:
J’étais presque assommé quand j’arrivai dans la cave de la Gestapo située dans la rue Prinz-Albrecht à Berlin. Là, l’interrogatoire se poursuivit encore pendant deux jours et demi, au cours desquels je subis de cruels sévices corporels. Un homme me questionnait, deux autres me maintenaient tandis qu’un quatrième me frappait sans cesse avec une matraque en caoutchouc. Cette torture se poursuivit sans discontinuer pendant les deux jours et demi. Puis ils m’apportèrent du papier à écrire sur lequel je devais tout confesser et trahir les frères qui travaillaient avec moi. Quand ils revinrent et lurent ma déclaration dans laquelle je disais que ma responsabilité était exclusivement engagée envers Jéhovah et que je ne citerais aucun nom, les persécutions reprirent. On me ramena dans ma cellule, mais je fus incapable de me reposer tellement je souffrais. Un autre interrogatoire suivit; cette fois, une boîte crânienne trônait sur la table. Ils me battirent comme des déments pendant deux heures, puis cessèrent brusquement et jetèrent sur la table placée devant moi une pile de documents d’une épaisseur de dix centimètres, en me disant que j’étais un idiot pour me laisser battre ainsi, alors qu’ils connaissaient déjà tout ce qui les intéressait. Je parcourus rapidement ces pages et fus étonné de voir tout ce qu’ils avaient appris au sujet de mon activité. (...) Les interrogatoires durèrent en tout quarante jours. On me transféra ensuite à Francfort-sur-le-Main où je comparus devant un tribunal spécial qui me condamna à cinq ans de prison, la peine maximum.
Deux ans plus tard, le procureur général et un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire vinrent me voir, dans le but de me faire changer d’avis et renoncer à ma foi. Si j’acceptais, je serais relâché. Leurs efforts furent vains. Furieux, ils me quittèrent sur ces paroles: “Il mérite qu’on lui fende la tête avec une hache.” À la fin de mes cinq années de prison, je ne pesais que 51 kilosl.
Même si très souvent les frères se virent infliger des condamnations allant de deux à cinq ans de prison, cela ne signifie pas qu’ils furent relâchés à la fin de leur peine, particulièrement quand la guerre éclata. Berlin donna l’ordre de ne libérer aucun témoin de Jéhovah. Ainsi, on les envoya dans des camps de concentration ou d’extermination. Ce n’est que grâce à la puissance de Jéhovah qu’un si grand nombre d’entre eux en revinrent vivants.
[Notes]
a a Annuaire (angl.) 1946, pp. 176-178.
b b Annuaire (angl.) 1928, p. 104.
c c Annuaire (angl.) 1946, pp. 181, 182; wF 1946, p. 238.
d d Annuaire (angl.) 1946, pp. 140, 141; wF 1946, p. 124.
e e Croisade contre le Christianisme (Éditions Rieder, Paris, 1939), p. 55.
f f Ibid., p. 25.
g g Ibid., pp. 25, 26. Voir aussi L’Âge d’Or (angl.), Vol. XVII, 9 oct. 1935, p. 7.
h h Annuaire (angl.) 1942, pp. 167, 168.
i i D’après le fichier de la Société Tour de Garde.
j j D’après le fichier de la Société Tour de Garde.
k k D’après le fichier de la Société Tour de Garde.
l l Ibid.
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Les camps de concentration ne ferment pas les lèvres qui louent DieuLes témoins de Jéhovah dans les desseins divins
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Chapitre 24
Les camps de concentration ne ferment pas les lèvres qui louent Dieu
JEAN: Dès son arrivée dans un camp de concentration allemand, le prisonnier était “initié”, afin d’être rendu plus “docile”. Les témoins de Jéhovah faisaient l’objet d’une attention toute particulière. À partir de leur arrestation et pendant tout leur internement, les autorités tentaient de forcer les témoins à renoncer à leur foi en Jéhovah et à rompre tout contact avec les autres témoins de Jéhovah. Les officiers SS ainsi que les responsables des camps de concentration avaient préparé une déclaration qu’ils présentaient aux témoins pour qu’ils la signent en échange de leur liberté. Cette déclaration était ainsi conçue:
Je reconnais que la Société internationale des Étudiants de la Bible répand une doctrine erronée, et que, sous prétexte d’activités religieuses, elle poursuit uniquement des buts dangereux pour l’État.
C’est pourquoi je me suis détourné complètement de cette organisation et me suis entièrement affranchi de la doctrine de cette secte.
Par la présente, je certifie que je n’exercerai plus jamais aucune activité sous les auspices de la Société internationale des Étudiants de la Bible.
Je dénoncerai immédiatement à la police toute personne voulant me gagner à cette doctrine erronée, ou révélant d’autre façon qu’elle fait partie des Étudiants de la Bible. Je porterai au bureau de police le plus proche tous les écrits des Étudiants de la Bible qui me seraient envoyés.
À l’avenir, je veux respecter les lois de l’État et m’unir entièrement à la communauté du peuple.
On m’a fait savoir aussi que je dois m’attendre à être arrêté immédiatement, de nouveau, si j’agis contrairement à ma présente déclarationa.
Point n’est besoin d’ajouter que très peu de témoins signèrent cette renonciation totale à leur attachement à l’organisation théocratique de Jéhovah.
Voici comment un frère a décrit “l’accueil” typique qui lui a été réservé dans l’un des camps les plus infâmes, après qu’il eut achevé sa peine s’élevant à cinq ans de prison:
Puis vinrent les journées d’interrogatoires menés par la Gestapo, interrogatoires au cours desquels on me piétina, on me cracha au visage et on me battit parce que je refusais de signer la déclaration suivant laquelle je renonçais à ma foi. Je fus ensuite transféré avec d’autres au camp d’extermination de Mauthausen, en Autriche. Là, des SS, baïonnette au canon, nous attendaient à la gare avec des chiens; nous montâmes au camp par colonnes, en passant par d’étroits sentiers. Les chiens étaient dressés à mordre constamment les mollets des prisonniers, afin de les faire crier. Devant le camp, on nous fit mettre en rang, et certains furent alors invités à sortir des rangs. On leur demanda le motif de leur arrestation, puis ils reçurent de tels coups de massue qu’ils s’écroulèrentb.
C’est ainsi que sept frères reçurent trois fois vingt-cinq coups de verge d’acier en arrivant au camp de Neuengamme, près de Hambourg. Cette verge consistait en une tige d’acier recouverte de cuir, aussi la douleur qu’elle suscitait était-elle beaucoup plus vive que celle causée par un nerf de bœuf. Voici ce qui nous a été rapporté:
Dès leur arrivée, un officier SS cria: “Où sont les clowns du ciel?” Personne ne répondit. “Où sont les vers de la Bible?” Pas de réponse. “Alors, n’y a-t-il aucun témoin de Jéhovah parmi vous?” Les sept répondirent simultanément: “Ici!” Il s’approcha du premier (...). Caressant la tête chauve du prisonnier avec sa verge d’acier il demanda: “Combien de temps encore resterez-vous un Étudiant de la Bible?” Le frère répondit: “Jusqu’à ma mort.” “Vous croyez ça!” Il fut le premier à recevoir vingt-cinq coups de verge d’acier. Puis ce fut au tour du second, du troisième et ainsi de suite jusqu’au dernier. L’officier SS revint alors au premier (...). “Et maintenant, êtes-vous toujours témoin de Jéhovah?” “Oui, jusqu’à ma mort.” Pour la deuxième fois il reçut vingt-cinq coups de verge d’acier. Il en fut de même du deuxième, du troisième, du quatrième et jusqu’au septième. Pour la troisième fois l’officier SS s’approcha du [premier frère] et dit: “Alors, combien de temps encore serez-vous témoin de Jéhovah?” Il est difficile de décrire les sentiments qu’éprouve un homme qu’on vient de traiter de la sorte; toutefois le frère répondit: “Jusqu’à ma mort.” Pour la troisième fois il reçut, ainsi que les autres, vingt-cinq coups de verge d’acierc.
Très souvent, on complétait ces séances “d’initiation” avec d’autres tortures, selon ce que révèle le rapport suivant du même frère:
On m’emmena ensuite au camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin (...). Après l’accueil, il fallut rester plusieurs heures à genoux en faisant le salut des Saxons (les mains nouées sur la nuque). Au camp, on nous fit passer à la douche, ou plus exactement, à l’aide de tuyaux, on dirigea alternativement sur nous un jet d’eau chaude puis d’eau froide. Après la douche, il fallut faire du sport; bien entendu, il ne s’agissait pas de sport au vrai sens du terme. Le mot meurtre convient mieux, car nombre de prisonniers souffrant de troubles cardiaques restèrent étendus sur le sol, morts. Trois SS ordonnaient: “Debout, couchés, roulez!”, jusqu’à ce que nous vomissions; tout cela sur un sol couvert de scories. Imaginez-vous en train de faire un tel sport pendant une heure et parfois plus, puis être obligé de rester debout pendant des heures pour l’appel, et cela par tous les temps et sans être autorisé à quitter les rangsd.
INITIATION À LA ROUTINE DU CAMP
En réalité, l’initiation à la routine du camp était de nature à torturer le plus possible, mais Jéhovah soutint les hommes fidèles qu’on essayait d’initier.
Nous devions nous dévêtir entièrement en plein air et attendre pendant deux heures jusqu’à ce que les uns après les autres nous soyons appelés pour le bain. Là, on nous rasait la tête. Ceux que l’on soupçonnait d’être malades étaient marqués au charbon de bois: on leur dessinait sur la poitrine un cercle surmonté d’une croix, et on ne les revoyait plus. On devait ensuite entrer dans la chambre à gaz, qui servait également de douche. De tous côtés un vent glacial soufflait dans les ventilateurs pendant le temps où tous les prisonniers étaient examinés et rasés. Deux ou trois jours plus tard, on ouvrait les fenêtres par lesquelles on jetait deux paquets renfermant les vêtements des prisonniers. Chacun prenait ce qu’il trouvait, l’un un pantalon, l’autre un bonnet, le troisième une veste, et ainsi de suite. La même chose se répétait tous les jours pendant environ deux semaines, jusqu’à ce que chacun reçoive ce dont il avait besoin.
Pendant ce temps, des prisonniers employés au bureau venaient nous voir, afin d’établir notre curriculum vitæ. La méthode employée montrait qu’on entrait dans ce camp pour mourir et non pour vivre. Par l’entremise de ces prisonniers travaillant au bureau, les autres frères apprirent que j’étais arrivé, et immédiatement deux d’entre eux me rendirent visite tour à tour dans la soirée et m’apportèrent des vêtements chauds et du pain. Durant la dernière semaine de quarantaine, on nous organisa en un commando de travailleurs. Ainsi, quelque 450 hommes se virent dans l’obligation de dormir dans une pièce si petite qu’il y avait une paillasse pour six, l’un dormant à la tête, l’autre aux pieds, etc. Notre paquet de vêtements et nos galoches servaient d’oreiller, car autrement on nous les aurait volés. Il nous semblait dormir dans un étau. C’est la chose la plus pénible que j’aie jamais dû supporter. En me levant le matin, je pensais au soir avec dégoût. Heureusement cela ne dura pas plus d’une semaine. Si des plaintes se faisaient entendre, le surveillant du baraquement passait en courant sur tous les corps étendus et, comme un dément, il frappait avec un nerf de bœuf à l’endroit d’où avait jailli la plainte, sans se soucier si c’était le coupable ou non qui recevait les coups.
En compagnie de 2 000 hommes environ, je fus envoyé dans un petit camp à l’extérieur. Il paraît que vingt et un camps de ce genre dépendaient de Mauthausen. Ce camp était situé à Grossramming, où nous devions construire des rues. Je perdais journellement du poids, et après trois mois j’étais complètement épuisé; j’avais de l’eau dans les jambes, premier signe annonçant la fin prochaine. Chaque jour des prisonniers mouraient par suite de sous-alimentation ou simplement d’épuisement. Il était interdit de se reposer, ne serait-ce qu’une minute, pendant le travail. Pour nous diriger, les SS avaient nommé des caporaux parmi les criminels professionnels et d’autres canailles. Ceux-ci criaient sans cesse: “Activez! Activez!” On nous réveillait le matin à 4 h 30; nous devions ensuite nous laver ensemble et après que les lits étaient “faits” et les pièces nettoyées, nous n’étions pas autorisés à retourner au baraquement. Si le lit n’était pas “fait” selon les règles, le délinquant pouvait s’attendre à recevoir vingt-cinq coups de nerf de bœuf ou à être battu jusqu’au sang. Vers 6 heures, on nous donnait du café noir; s’il restait un morceau de pain de la veille au soir, on l’émiettait dans le café. Et ensuite, en route pour le travail! Pour nous y rendre, il y avait une demi-heure de marche. Notre tâche consistait à faire du terrassement ou à casser des pierres. À midi, nous recevions un quart de soupe au rutabaga et un peu de viande de cheval ou de saucisse. Avec le café noir qu’on nous servait le matin, voilà tout ce que nous mangions dans la journée, c’est-à-dire de 4 h 30 du matin à 21 heures; en outre, la plupart du temps nous devions absorber cette nourriture debout. À 18 heures, nous reprenions la route du camp en transportant ceux qui étaient morts dans la journée et les autres qui étaient épuisés. J’ai souvent pensé à ces paroles de Job: “Là se reposent ceux qui sont fatigués et sans force; les captifs sont tous en paix, ils n’entendent pas la voix de l’oppresseur.” (Job 3:17, 18). Tous les autres prisonniers devaient porter une lourde pierre et l’amener au camp, jusqu’à ce que l’emplacement où se faisait l’appel en fût complètement entouré.
J’aimerais aussi décrire une séance d’épouillage, car j’en ai connu plusieurs. On nous examinait toutes les deux semaines; si les poux devenaient trop nombreux, on désinfectait le baraquement. En plein cœur de l’hiver, par une température au-dessous de zéro, tous les prisonniers devaient se déshabiller et laisser leurs vêtements dans le baraquement. Puis, on bouchait portes et fenêtres et les prisonniers devaient marcher dans la neige entièrement nus, pour monter aux douches. Là, chacun était arrosé d’un certain acide brûlant comme le feu. Il fallait ensuite sauter dans une grande cuve contenant environ 500 litres d’eau froide, et s’y tremper deux fois, après quoi les brûlures cessaient. On s’essuyait un tout petit peu et on parcourait quelque trois cents mètres, entièrement nus, jusqu’à un autre baraquement rempli de paille et légèrement chauffé. Nous attendions alors que nos baraques soient aérées. En raison de notre sous-alimentation, des prisonniers mouraient après chacun de ces épouillagese.
AIDÉS PAR JÉHOVAH
Affamés comme ils l’étaient, ces fidèles serviteurs de Dieu voyaient leur résistance s’affaiblir, mais ils savaient d’où venait leur force. Voici ce que déclara l’un d’eux:
Manquant si souvent de nourriture et étant chaque jour astreints à un dur labeur, nous voyions nos forces physiques s’amenuiser à vue d’œil. Mon état était tel que je parvenais à peine à bouger mon squelette. Deux frères me tenaient sous les bras pour rentrer au camp. Il m’arrivait fréquemment d’avaler une poignée de sable, pour que mon estomac ait quelque chose à brasser. D’ailleurs, c’est ce que faisaient aussi les autres frères. Ainsi, nous faisions tout notre possible pour rester en vie et prouver que Satan et ses SS étaient menteurs, car ceux-ci nous disaient souvent: “Où est votre Jéhovah? Qu’il vous vienne en aide!” Je dois dire qu’il nous a merveilleusement aidés. Néanmoins, notre plus cher désir était de manger une fois à notre faim. Celui qui n’a jamais souffert de la faim ne peut se rendre compte de ce que c’est, mais personne n’aurait pu survivre avec une ration de 300 grammes de pain par jour et le midi une soupe de rutabagas, pratiquement sans matières grasses, si Jéhovah n’avait accordé sa bénédiction. En outre, comme les SS servaient plusieurs fois par semaine une tranche de saucisse renfermant du sang, ce que nous refusions, nous étions privés de repas. Mais Jésus n’a-t-il pas dit: “Il est écrit: ‘L’homme doit vivre, non seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Jéhovah.’” J’ai pleinement apprécié ces paroles; en vérité, c’était la nourriture spirituelle qui nous maintenait en vie. Quel avantage pour celui qui avait diligemment étudié les Écritures auparavant! Il pouvait alors puiser dans cette réserve. (...) Je reconnais que c’est la nourriture spirituelle qui m’a aidé à surmonter cet affreux sentiment qu’est la faim, et les autres frères sont là pour confirmer cette déclarationf.
Le rapport suivant, émanant d’un de ces frères, apporte une preuve supplémentaire quant à la haine dont faisaient l’objet les témoins de Jéhovah:
Évidemment, la direction du camp nous punissait pour notre prise de position ferme. Ainsi, pendant des années, il nous fut interdit d’acheter de la nourriture, bien que l’en-tête du papier à lettre portât la mention: “On peut tout acheter au camp.” Quelle ironie! Oui, les prisonniers politiques, les criminels professionnels, les paresseux et les hommes corrompus moralement pouvaient acheter tout ce qui se vendait dans le camp: pain, jambon, et autres choses; ils étaient même autorisés à lire les journaux.
La correspondance normale de deux lettres de quatre pages par personne et par mois nous était également refusée. Nous n’avions le droit d’envoyer qu’une seule “lettre” de cinq lignes par mois, laquelle portait un cachet ainsi conçu: “Le prisonnier est plus que jamais un étudiant obstiné de la Bible, et il refuse de renoncer à l’hérésie des Étudiants de la Bible. Pour cette raison, il a purement et simplement été privé de l’échange de lettres normalement permis.” Ce cachet, qui figurait également sur les lettres venant de nos sœurs, était pour nous une preuve que l’expéditeur de la lettre était resté fidèle et étroitement attaché à l’organisation. En fait, ce n’était pas le contenu de la lettre qui nous intéressait le plus, — car que peut-on dire en cinq lignes? — mais le cachet nous procurait toujours de la joieg.
LES FEMMES TÉMOINS ENDURENT
Même les femmes témoins n’étaient pas à l’abri des traitements inhumains infligés par les “surhommes” du troisième Reich. Certains camps de femmes étaient tout aussi célèbres que ceux des hommes.
Les événements qui se sont déroulés au camp de femmes de Ravensbrück révèlent les pratiques viles employées par les troupes catholiques des SS contre les témoins de Jéhovah. Dans ce seul camp de femmes, il y avait 50 Polonaises dans la vérité, 15 Ukrainiennes, 10 Tchèques, 10 Hongroises, 25 Hollandaises, 2 Belges, 500 Allemandes et 300 jeunes Jonadabs russes qui connurent la vérité dans le camp même. Ici, près de mille femmes chrétiennes subirent les tortures d’un “purgatoire” catholique. (...) L’appel était fait à cinq heures du matin. (...) Pendant la journée, ces femmes étaient obligées d’accomplir un travail pénible: creuser des fondations pour les bâtiments, construire des routes, transporter du charbon, manipuler des malles et des caisses pesantes dans le service des bagages, monter des baraquements et accomplir bien d’autres besognes trop dures pour des gens sous-alimentés, insuffisamment vêtus et maltraités. Pour avoir refusé de faire des caisses de munitions, 495 femmes témoins de Jéhovah furent condamnées à huit semaines de cachot noir, ce qui voulait dire être enfermées dans une cellule sans fenêtresh.
Les tourments physiques infligés par les gardes et les autres prisonniers n’étaient pas tout ce que les fidèles témoins devaient supporter. L’état indescriptible des camps eux-mêmes est faiblement dépeint dans le rapport suivant établi par une femme témoin, sortie vivante d’Auschwitz:
Après avoir passé trois mois dans le camp de Ravensbrück, j’arrivai à Auschwitz en juin 1942, avec une centaine d’autres sœurs. Notre voyage en train avait duré deux jours. Nos vêtements étaient en lambeaux et aux pieds nous avions des chaussures en bois. Tout le camp était infesté de poux et le fléau de puces était indescriptible.
Si quelqu’un était malade, on l’envoyait immédiatement à Berkenau. Là, c’était terrible. Quand un prisonnier mourait, un malade était de suite transféré dans le même lit. Il y avait des poux et des excréments partout. Le service était assuré par des prisonniers peu sûrs, lesquels avaient également la charge d’appliquer les traitements. Ce camp était qualifié d’“extermination”, en raison des milliers et des milliers de personnes qui y moururent. On jetait les enfants juifs tout vivants dans le feu. Les Juifs devaient conduire eux-mêmes leurs femmes et leurs enfants à la chambre à gaz. Pendant six semaines il leur fallait creuser une fosse immense, dans laquelle bien souvent ils devaient jeter leurs femmes qui, la plupart du temps, avaient seulement perdu connaissance. Ensuite tout était brûlé. Les hommes qui creusaient la fosse savaient qu’au terme des six semaines ce serait leur tour. Le feu entretenu dans la fosse brûlait nuit et jour. Il y avait en outre cinq fours crématoires à Auschwitz.
Toutefois, on considérait que mourir du typhus ou s’envoler en “fumée” était une mort bien plus supportable que de se voir mangé par les rats. Rien que d’y penser nous en avons la chair de poule; pourtant certains témoins de Jéhovah moururent littéralement rongés par les rats, car ils étaient trop faibles pour se défendre contre eux. Le pis, c’est que ces témoins mangés vivants par les rats étaient de pauvres femmes sans défense. La torture et la faim les avaient à ce point affaiblies, qu’elles étaient incapables de se défendre elles-mêmes contre cet horrible ennemi qu’est le rati.
VEILLANT AUX INTÉRÊTS LES UNS DES AUTRES
Même dans les camps de concentration, les témoins de Jéhovah furent vite reconnus comme étant dignes d’occuper des postes de confiance, en raison de leur ferme attachement aux principes justes, comme cela est exigé du chrétien.
Dans le camp les T. J. (Témoins de Jéhovah) étaient réputés comme excellents travailleurs parfaitement consciencieux et d’une honnêteté à toute épreuve. Le commandant et les autres chefs ne se faisaient raser que par l’un d’eux, étant certains que celui-là n’aurait même pas la pensée de profiter d’une si belle occasion de leur couper la gorge. Ils savaient aussi qu’avec eux leur situation ne serait pas compromise. Aussi, pendant les travaux hors du camp, mettaient-ils des Témoins de Jéhovah aux endroits où l’évasion était possible. Presque tous les T. J. avaient largement l’occasion d’expliquer aux détenus le message divin. Tous, y compris les surveillants et le commandant, n’ignoraient rien de leurs doctrines et de leurs espérancesj.
Les frères ne voulaient en aucun cas trahir la confiance dont on les avait jugés dignes, en dépit du fait que leurs gardes se conduisaient comme des monstres à leur égard. Voici un fait qui illustre bien ce point:
Le 22 février 1943, on nous fit monter dans des wagons de marchandises à destination de St-Malo, en France, via la Hollande et la Belgique. Un fait remarquable se produisit dans le courant de la journée, un frère hollandais en étant le protagoniste. Il avait été désigné pour répartir la nourriture dans les wagons, quand le train s’arrêtait. Soudain le train se mit en marche et le frère fut incapable de le rattraper. Il se trouvait donc tout seul en Hollande, non loin de chez lui! Qu’allait-il faire? Fuir? Qu’arriverait-il aux frères dans le train quand les SS s’apercevraient que l’un des Étudiants de la Bible avait fui? Il décida alors de suivre le train. Il arriva à un poste d’aiguillage où on lui donna d’abord un bon repas, puis on le conduisit par draisine jusqu’au train, dans lequel il monta à l’arrêt suivant. Les SS ne s’étaient pas rendu compte de son absence. C’était là un bon témoignage, et son attitude affermit la position de tous les autres frères. Après une halte de quelques jours à St-Malo, on nous fit embarquer dans des bateaux en vue de gagner Aurigny, une des îles anglo-normandesk.
Malgré le traitement presque insupportable que subissaient les témoins de Jéhovah dans des camps comme Buchenwald, Ravensbrück, Sachsenhausen, Dachau, Belsen et d’autres encore, ces camps devinrent en fait des lieux d’assemblées internationales réunissant des témoins de Jéhovah allemands et des captifs venus de Russie, de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Hollande, de Belgique, de France, de Norvège et d’autres pays. Les frères allemands n’avaient pas tardé à porter à un niveau élevé le système des communications d’ordre spirituel, par l’entremise de La Tour de Garde, qu’ils introduisaient dans le camp en fraude et faisaient circuler de main en main. Ces frères étaient réellement en mesure d’aider avec amour leurs compagnons non allemands, retenus dans les camps et les prisons. Ces relations familiales entretenues par des témoins de toutes nationalités qui souffraient ensemble les maintinrent spirituellement éveillés quant à leurs privilèges de service à l’intérieur des camps, et les aidèrent à s’organiser en vue d’étendre leurs activités théocratiques quand viendrait le jour de la délivrance.
Au cours de leur détention, les frères étaient très étroitement liés et faisaient tout leur possible pour améliorer la condition des uns et des autres et pourvoir à la nourriture spirituelle de chacun. En voici un exemple:
Au début de l’année 1943, une sœur venant de Ravensbrück arriva au camp de Buchenwald, afin de s’occuper d’une princesse étrangère emprisonnée, la princesse Mafalda, deuxième fille du roi Victor Emmanuel III. Nous savions que notre sœur était dépourvue de nourriture spirituelle. J’eus alors la possibilité de parvenir aux postes de garde, spécialement prévus pour surveiller les prisonniers dits de marque, et de persuader une sentinelle de me laisser voir ces deux femmes chaque semaine, contre la somme de 50 marks, que je réunissais grâce à une collecte parmi les frères. J’avais aussi besoin d’un permis spécial m’autorisant à travailler en cet endroit; toutefois, en ma qualité d’électricien, je l’obtins en cachette. Il nous fut ainsi possible de prendre soin de cette sœur et de rendre témoignage à la princesse.
Le 24 août 1944, notre camp fut bombardé par les avions alliés. L’objectif était l’usine d’armement DAW dont le personnel se composait de prisonniers. Cette attaque coûta la vie à de nombreux prisonniers et SS. En tant que témoins, nous avons vécu des heures d’angoisse en pensant à notre sœur qui logeait près de l’usine. Nous avons appris par la suite qu’elle avait été emmenée dans une tranchée ainsi que la princesse et d’autres officiers prisonniers sous la garde des SS. Très près de là tomba l’une des 600 bombes qui furent larguées en cette journée, si bien que la tranchée fut entièrement recouverte. Pas un n’en réchappa à l’exception de notre sœur, que nous avons retirée de la tranchée saine et sauve. Elle avait été merveilleusement protégée. Nous avons pleuré, tant notre émotion était vive, et nous avons remercié Jéhovah. Dans nos rangs, il n’y eut que deux morts et douze blessésl.
LA PRÉDICATION EST ORGANISÉE AU SEIN DE LA PRISON
Les frères étaient également prompts à saisir toutes les occasions pour répandre la bonne nouvelle dans les camps de concentration. À mesure qu’ils recevaient de la nourriture spirituelle, ils étaient heureux de la communiquer à leurs compagnons de détention. Lisez ce qui nous a été rapporté:
Comme de nouveaux frères arrivaient de temps à autre dans le camp, ils apportaient de nouvelles pensées qu’ils avaient puisées ailleurs, dans les numéros de La Tour de Garde. Cela nous permettait d’être à jour avec la vérité. Quand la nourriture spirituelle nous a manqué, nous avons imploré Jéhovah de pourvoir à de nouvelles connaissances, et le lendemain matin un autre frère se trouvait devant la porte. Il avait une jambe de bois, et dans cette jambe il avait caché les deux exemplaires de La Tour de Garde du 15 décembre 1938 et du 1er janvier 1939 qui contenaient les articles “Remplissez la terre”. Quelle joie! Maintenant, nous qui étions dans l’isolement, nous allions commencer l’étude régulière de La Tour de Garde. Cela dura jusqu’au jour où nous avons été surpris. On cessa alors de nous isoler et on nous dispersa dans tous les autres baraquements de ce grand camp. Qu’en résulta-t-il? Nous avons pu faire connaître aux autres prisonniers du camp ce que nous avions appris.
L’œuvre de témoignage fut rapidement organisée. Chacun avait assez de travail à faire. Nous établissions régulièrement le rapport de notre activité. Bientôt il y eut des baptêmes. On célébra même la Commémoration avec les emblèmes. Tout ceci se passait au camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin. Mais Satan aussi veillait; il changeait parfois de tactique. C’est ainsi qu’on nous confia des postes de responsabilité. Je fus transféré à l’atelier de confection, et le SS qui m’avait tourmenté au début, mais qui avait quelques années de plus maintenant, me prit comme adjoint. Il dit qu’il appréciait ma fermeté.
Comme je me trouvais avec un frère polonais dans un baraquement où il n’y avait que des Polonais, ce frère devint mon interprète auprès d’eux. Le soir, nous prononcions des discours que nombre de jeunes Russes écoutaient; d’ailleurs, ces derniers demandèrent ensuite à être baptisés. Je préparais mes discours dans l’atelier de confection où j’avais des numéros de La Tour de Garde qui me servaient de référence. Ces exemplaires étaient cachés dans une petite pièce sans fenêtres. J’avais demandé à frère S___ de faire le guet et de me prévenir dans le cas où un SS arriverait.
Eh bien, alors que j’étais plongé dans l’étude, la porte s’ouvrit brusquement, livrant passage à l’Obersturmführer. Je l’entends encore me dire: “Cette bande est enfermée depuis des années et maintenant elle est plus active ici qu’au dehors. Qui vous a remis La Tour de Garde?” — “C’est un frère hollandais décédé.” La petite pièce fut mise sens dessus dessous, mais les SS ne découvrirent pas tout ce qui s’y trouvait, ma Bible par exemple. Je dus suivre l’Obersturmführer dans le baraquement disciplinaire, qui était également dénommé le “bloc de la mort”. Il me dit: “Maintenant vous allez vous envoler en fumée vers Jéhovah; c’en est fini de votre propagande!” Il donna l’ordre de me surveiller étroitement. Mais je ne devais pas rester seul. Bientôt [trois autres frères] vinrent me rejoindre. Nous nous encouragions mutuellement, car la fin de notre captivité arrivait à grands pas du fait que les armées russes n’étaient pas loin. Environ deux semaines avant que le camp tout entier ne fût évacué, on nous libéra du bloc de la mort. Nous en étions reconnaissants envers Jéhovah; il nous avait accordé le privilège de faire également connaissance avec cet endroit. Il y avait toujours foule dans ce baraquement. Les conditions d’hygiène étaient lamentables, les poux et les punaises fourmillaient, mais là aussi le témoignage avait été donné, car c’était la véritable raison de notre présence en ce lieu.
Évidemment, nous étions heureux de quitter ce bloc vivantsa.
Le rapport de l’activité déployée à l’intérieur de ces camps constitue un encouragement pour tous ceux qui désirent que la bonne nouvelle atteigne les personnes bien disposées en dépit des circonstances.
Les camps de concentration ont failli lamentablement dans leurs efforts visant à briser l’intégrité des témoins, en voulant leur faire signer une déclaration selon laquelle ils renonçaient à leur foi; en outre, ils n’ont pu réussir à fermer les lèvres de ceux qui s’étaient voués à chanter les louanges de Dieu et de son Royaume. Différents rapports font état de l’œuvre de témoignage accomplie dans les camps, et l’un d’entre eux, relatif au camp de Buchenwald, nous informe que les périodiques La Tour de Garde étaient même reproduits à l’intérieur de ce camp. Des gardes SS ont même abandonné le nazisme pour se vouer à Jéhovah Dieu, et ont par suite enduré la persécution en compagnie de leurs anciennes victimes, les témoins de Jéhovah. Le rapport suivant provient d’Allemands réfugiés en Suède, et il est daté du 9 juin 1945:
D’après les témoignages concordants de codétenus, les témoins de Jéhovah enduraient les plus sévères traitements dans les camps. Voici ce qu’écrivit l’un de ces témoins venant des Flandres (en Belgique): “Seuls le ferme désir de vivre, l’espérance et la confiance en Jéhovah, le Tout-Puissant, ainsi que l’amour de la Théocratie, nous permirent d’endurer toutes ces choses et de sortir victorieux. — Romains 8:37.”
Au camp de concentration de Neuengamme, près de Hambourg, une offensive secrète et bien préparée fut lancée en 1943. On fit des livres, on rédigea des cartes de témoignage en différentes langues et des troupes de choc spéciales entreprirent cette campagne de témoignage auprès des détenus du camp. D’autres intervinrent dans la lutte en faisant de nouvelles visites, en dirigeant des études de livre et en faisant des conférences, dont quelques-unes furent traduites par un interprète pour les personnes de langues russe et polonaise.
Cette prédication puissante et organisée souleva évidemment la colère des ennemis; toutefois, les mesures prises pour lutter contre ce fléau n’aboutirent à rien. Néanmoins, vers la fin de l’année, un ordre vint de Berlin, selon lequel les témoins de Jéhovah devaient être répartis dans tous les baraquements; il ne fallait pas leur permettre de rester ensemble dans la même baraque. Au lieu d’entraver l’œuvre, cette disposition facilita les contacts avec les autres prisonniers. Ainsi, chaque bloc fut visité à fond, et les personnes bien disposées reçurent régulièrement l’enseignement dont elles avaient besoin. Des périodes spéciales de témoignage furent organisées, ce qui augmenta les heures passées dans le service pour la Théocratie, ainsi que les occasions de prêcher. Quelques personnes bien disposées commencèrent à prendre part à la prédication. (...)
LA PRÉDICATION FIDÈLE PRODUIT DU FRUIT
Dans ce camp, les témoins de Jéhovah publiaient régulièrement un journal intitulé Nouvelles du Royaume de Dieu. Entre autres choses, celui-ci rapportait les progrès de l’œuvre en Hollande, en Belgique, en France, en Suisse, en Angleterre, etc. (...)
Quand les témoins enduraient une persécution spéciale, il en résultait un accroissement du témoignage et de nouvelles conquêtes pour la Théocratie. Dans un certain camp, les autorités essayèrent de forcer les témoins à travailler pour l’armée, mais leurs efforts furent vains. L’un d’entre eux fut cependant fusillé. Quand les autres prisonniers du camp virent son courage et la joie avec laquelle il fit un signe d’adieu à ses amis, ils furent si impressionnés que dix détenus prirent position pour Jéhovah. (...) Dans ce même camp, un total de 300 prisonniers embrassèrent la vérité, dont 227 jeunes Russesb.
Un exemple tragique de cette proclamation orale fut donné un jour où les autorités de la prison avaient obligé un frère à se tenir debout contre un mur, devant le camp rassemblé. Les autorités lui dirent que s’il ne cessait pas ce qu’elles appelaient sa “propagande” concernant le Royaume de Dieu, il serait fusillé. On lui remit ensuite un micro pour qu’il annonce au camp qu’il était résolu à observer cette règle. Le frère était placé le dos au mur, face à un peloton d’exécution. Les 40 000 prisonniers étaient attentifs au moment décisif où il prit le micro dans la main et commença à parler. Allait-il faire un compromis? Certainement pas! Il était avant tout témoin de Jéhovah, aussi profita-t-il de cette occasion pour témoigner concernant le Royaume des cieux. Certes, il fut fusillé de sang froid, mais le rapport s’achève par ces mots: “Malgré cela, les frères continuèrent de prêcher, si bien que nombre de jeunes Russes acceptèrent la vérité et symbolisèrent l’offrande de leur personne par le baptêmec.”
De nombreux autres rapports parlent également de prisonniers qui ont embrassé la vérité. Par exemple, dans le camp de Ravensbrück 300 Russes et Ukrainiens prirent position pour le Royaume de Jéhovah. La prédication incessante ainsi que l’enseignement dispensé produisirent une grande moisson parmi ces malheureux détenus dans les camps de concentration. Des hommes et des femmes se vouèrent à Jéhovah Dieu pour faire sa volonté et symbolisèrent l’offrande de leur personne par le baptême d’eau. Dans un camp, un tonneau d’eau était même réservé à cet effet. Voici ce que révèle un rapport:
Grâce à la prédication active dans le camp, nous trouvions un nombre sans cesse croissant de personnes bien disposées, et beaucoup d’entre elles exprimèrent leur désir de se faire baptiser. Jéhovah bénit nos efforts et exauça nos prières, si bien que même dans notre baraquement disciplinaire, nous avons eu le privilège d’organiser deux services de baptême, pour un nombre de 26 baptisées, la plupart d’entre elles étant des jeunes filles russes. Au cours de notre détention dans le camp, nous avons baptisé en tout 70 personnes bien disposéesd.
Parfois ces nouveaux prirent position dans des circonstances tragiques. Un matin, par exemple, lors du rassemblement, on ordonna à tous les témoins de Jéhovah d’avancer de quelques pas, en vue d’une inspection spéciale. Le rapport poursuit en ces termes:
Or, un jeune garçon de dix-neuf ans, qui avait tout récemment entendu le message, sortit des rangs de la division à laquelle il appartenait, et prit place parmi les témoins de Jéhovah. On l’amena alors devant le commandant du camp, qui le menaça de 25 coups. Le garçon répondit: “J’ai pris aujourd’hui position pour Jéhovah, et je ne changerai pas, même si vous me donniez 25 coups ou que vous preniez ma vie.” Alors le commandant hurla: “Apportez-moi une barre de fer! Dans dix minutes il ne sera plus témoin de Jéhovah!” Le jeune frère supporta cette torture, et par la suite il fut l’un des proclamateurs les plus zélése.
Obéissant au commandement de Jésus prescrivant de célébrer la commémoration de sa mort, même dans les camps de concentration les témoins de Jéhovah se réunirent le jour anniversaire de cette date.
Il avait été dit à chacun de se trouver dans la buanderie à 23 heures. À 23 heures précises nous étions réunis à 105. Nous nous tenions tout près les uns des autres en formant un cercle. Au milieu, il y avait un tabouret recouvert d’un linge blanc sur lequel avaient été placés les emblèmes. Une bougie éclairait la pièce, car la lumière électrique nous aurait trahis. Nous pensions aux premiers chrétiens dans les catacombes. C’était une fête solennelle. Tous ensemble nous avons renouvelé notre vœu fervent, fait à notre Père, d’employer nos forces à la justification de son saint nom, de rester fidèlement attachés à la Théocratie et de présenter volontairement nos corps en sacrifice vivant, agréable à Dieuf.
La Commémoration fut également célébrée à Ravensbrück. En 1945, même les sœurs internées dans ce camp participèrent à la Commémoration. Elles rapportèrent une assistance de 163 personnes, 109 d’entre elles ayant pris les emblèmes. Même les détenues du baraquement disciplinaire purent y participerg.
LE MONDE A LES YEUX TOURNÉS VERS LES TÉMOINS
Les mauvais traitements infligés aux témoins de Jéhovah dans ces camps de concentration et le ferme attachement à leur foi manifesté par ces fidèles serviteurs de Dieu ont été reconnus dans le monde entier. Le livre Croisade contre le Christianisme, dont nous avons tiré quelques-uns de nos récits, relate les persécutions subies par les témoins de Jéhovah pendant les cinq premières années de la domination nazie. Ce livre a été publié en 1938 par l’Europa-Verlag, à Zurich, en Suisse, et en 1939 par les éditions Rieder, à Paris. Dans une lettre datée du 2 août 1938, adressée à la filiale de la Société Tour de Garde à Berne, en Suisse, feu le docteur Thomas Mann, de renommée mondiale, dit entre autres:
C’est avec la plus vive émotion que j’ai lu votre livre si riche en documents effroyables, et je ne puis décrire le mélange de mépris et d’horreur qui m’a saisi en feuilletant ces témoignages d’une bassesse humaine inégalable et d’une cruauté sans nom. La langue est incapable de décrire l’abjection de la mentalité révélée par ces pages qui nous content les souffrances horribles d’innocentes victimes fermement attachées à leur foih.
Commentant également ce livre, l’auteur français bien connu Madame Geneviève Tabouis, dans une lettre datée du 28 octobre 1938, déclara entre autres:
Nous subissons l’invasion des barbares comme au IVe siècle. Mais, l’armée d’Attila n’était rien en comparaison des apôtres du nazisme et du fascisme. Néanmoins, “la foi qui transporte des montagnes” l’emportera encore sur les Barbares du XXe siècle. La question ne se pose même pas. Ceux qui, aujourd’hui, sont martyrisés au nom de la foi lui rendent, en souffrant, certainement plus de services que n’en peut rendre un général à la tête de son armée.
Nous vous sommes reconnaissants, Monsieur, de votre publication. Elle nous laisse partagés entre l’horreur des persécutions commises et l’admiration pour ceux qui les subissenti.
Le pasteur T. Bruppacher, ministre protestant suisse, déclara avec juste raison:
Alors que la chrétienté officielle manifeste un intérêt bienveillant pour la lutte des Églises allemandes, une troupe modeste se tient debout et souffre au premier chef. Tandis que des hommes se disant chrétiens ont échoué dans l’épreuve décisive, ces témoins de Jéhovah, inconnus comme martyrs chrétiens, maintiennent inébranlablement leur position contre la coercition de conscience et l’idolâtrie païenne. Le futur historien de l’Église devra reconnaître un jour que ce ne sont pas les grandes Églises, mais ces hommes calomniés et ridiculisés qui osèrent les premiers s’élever contre le démon nazi et résister à sa fureur, conformément à leur foi. Ils souffrent et saignent, parce qu’en leur qualité de témoins de Jéhovah et de candidats au Royaume de Christ, ils refusent d’adorer Hitler et de porter la croix gammée. Ces chrétiens particuliers sont estimés dignes de souffrir pour la cause de son Nom, et humblement, ils ont prouvé qu’ils savent vraiment comment défendre leur glorieux titre de témoins de Jéhovah! Celui qui, en toute sincérité, se laissera convaincre par ces documents, verra les Étudiants de la Bible tant calomniés sous un jour nouveau. Il ne les jugera plus hâtivement selon sa propre justicej.
Voici ce que disait le périodique de langue allemande Argentinisches Tagblatt de Buenos Aires, en date du 6 février 1938, concernant les témoins de Jéhovah du camp de concentration de Dachau:
Ils supportent tous les châtiments avec stoïcisme et continuent même de travailler avec succès à la cause de leurs compagnons de misèrek.
Monsieur B. Stuart déclara dans le Daily News de Natal, province de la République sud-africaine, du 15 juillet 1939:
Il est de notoriété publique que les “Bibelforschers” [Étudiants de la Bible ou témoins de Jéhovah] constituent le seul obstacle pour le vieux Reich, obstacle qu’Hitler n’est pas parvenu à balayer de sa route. (...) Telle une lampe qui ne vacille pas, ce petit groupe de chrétiens, hommes et femmes, reste fermement attaché à sa foi; c’est un sujet continuel d’irritation pour le Monarque de Munich et un témoignage vivant de sa mortalitél.
Jean Fontenoy, journaliste français, fut autorisé à visiter le camp de concentration d’Oranienbourg. Un long rapport parut dans le “Journal” et des extraits de celui-ci furent publiés dans le journal suisse St-Galler Tagblatt. Ce journaliste rapporte tout d’abord comment le commandant du camp lui a décrit les témoins de Jéhovah, et il poursuit en ces termes:
Cette discussion m’avait donné matière à réflexion; aussi plus tard, à midi, je suis revenu sur le thème des Étudiants de la Bible, disant: “Vous avez dans ce camp 450 Étudiants de la Bible, mais leur place est-elle vraiment ici? La plupart d’entre eux sont de bonnes gens qui ne représentent aucun danger; à mes yeux ils paraissent être des saints, et en tout cas absolument inoffensifs.”
Un fonctionnaire de Berlin qui accompagnait le groupe dans le camp spécifia qu’il était difficile de trouver en Allemagne les imprimeries clandestines d’où sortaient encore les publications des Étudiants de la Bible. On ne trouve sur les témoins ni noms ni adresses, et ils ne se trahissent pas les uns les autres. Quand on en eut arrêté 250 à Hambourg et que leur imprimerie fut confisquée, on pensait que cela mettrait fin à la diffusion d’un certain périodique, mais dans les deux semaines qui suivirent, le périodique en question réapparut comme auparavant, et jusqu’ici la police n’a pas encore été capable de découvrir où il est imprimé et qui le diffusea.
De nombreuses autres personnes, dont certains codétenus, ont parlé de l’intégrité et de la foi des témoins de Jéhovah. Parmi elles se trouve la nièce du général de Gaulle, lequel était à cette époque à la tête du gouvernement français d’après-guerre. Dans une lettre adressée à la Société, elle déclare:
Messieurs,
Je suis heureuse de pouvoir vous donner mon témoignage sur les étudiantes de la Bible (Bibelforscherinnen) que j’ai rencontrées au camp [pour femmes] de Ravensbrück.
En effet, j’ai pour elles une véritable admiration. Elles appartenaient à différentes nationalités: allemande, polonaise, russe ou tchèque et ont subi pour leurs croyances de très grandes souffrances.
Les premières arrestations avaient eu lieu depuis dix ans et la plupart de celles qui avaient été amenées au camp à ce moment-là étaient mortes des mauvais traitements qu’on leur avait fait subir, ou avaient été exécutées.
J’ai connu cependant quelques survivantes de cette époque et d’autres prisonnières arrivées plus récemment; toutes faisaient preuve d’un très grand courage et finissaient par en imposer aux SS eux-mêmes. Elles auraient pu être libres sur-le-champ si elles avaient renoncé à leur foi. Au contraire, elles ne cessaient de résister, réussissant même à introduire dans le camp des livres et des tracts qui ont valu la pendaison à plusieurs d’entre elles.
Dans mon bloc, j’ai assez bien connu trois étudiantes de la Bible de nationalité tchèque. Par mesure de protestation, il leur est arrivé plusieurs fois, avec d’autres de leurs coreligionnaires, de refuser d’aller aux appels. J’ai assisté moi-même à des scènes très pénibles où je les ai vu battues et mordues par les chiens sans qu’elles renoncent à leurs décisions.
De plus, restant fidèles à leur croyance, la plupart d’entre elles ont toujours refusé de prendre part à des industries de guerre, ce qui leur a valu de mauvais traitements et même la mort.
Je regrette de ne pouvoir vous donner tous ces détails de vive voix comme vous me le demandez, mais je suis actuellement contrainte de faire un séjour en haute montagne pour ma santé; j’espère que ces détails vous suffiront et répondent à ce que vous désiriez savoir.
Croyez, Messieurs, à mes sentiments les meilleurs.
[Signé] GENEVIÈVE DE GAULLEb
UN FIDÈLE ADIEU
Les rapports que nous avons considérés cet après-midi ne représentent qu’une partie de ceux qui ont été publiés ou qui sont classés dans les archives de la Société Tour de Garde. Le temps nous manque pour en citer davantage. Toutefois, pour terminer notre entretien, je vais encore vous lire une lettre. Elle exprime, en termes simples, l’intérêt sincère que les prisonniers dans les camps portaient à ceux qu’ils aimaient et qui se trouvaient au dehors. Il s’agit de l’émouvante lettre qu’un frère condamné adressa à sa femme.
Ma chère Erna, c’est à présent ma dernière nuit. On m’a lu ma condamnation, et j’ai pris mon dernier repas. Ma vie sera accomplie quand tu auras reçu cette lettre. Nous savons que la mort a perdu son aiguillon et que le séjour des morts est vaincu. Évidemment, cela paraît tout à fait insensé et ridicule aux yeux de la plupart des gens, mais cela importe peu. L’heure viendra où le nom du Dieu tout-puissant sera justifié, et les hommes le verront. Quand ces derniers demandent aujourd’hui pourquoi Dieu ne l’a pas encore fait, nous savons que c’est parce que sa puissance sera par ce moyen démontrée avec plus d’éclat.
Ainsi, ma chère Erna, je te remercie d’avoir partagé avec moi une partie de ma vie. Dans toutes les circonstances de la vie tu as été une compagne attentionnée, et tu m’as soutenu dans mon affliction jusqu’au bout. Me voici arrivé à la fin, et je prie pour que tu puisses également continuer à porter dignement ton fardeau dans l’avenir, à savoir l’opprobre qui m’a accablé et qui te frappe directement. C’est pourquoi, une fois encore, je contemple tes yeux sereins et brillants, et j’efface de ton cœur le dernier chagrin; malgré la douleur, relève la tête et réjouis-toi, non pas de la mort, mais de la vie que Dieu offrira à ceux qui l’aiment.
Je te dis mon amour et mon indéfectible amitié. Ton mari qui t’aimec.
[Notes]
a a Consolation (angl.), Vol. XXVI, 12 sept. 1945, p. 7.
b b Rapport établi par un témoin oculaire et se trouvant dans les archives de la Société Tour de Garde.
c c Rapport établi par un témoin oculaire et se trouvant dans les archives de la Société Tour de Garde.
d d Ibid.
e e Rapport établi par un témoin oculaire et se trouvant dans les archives de la Société Tour de Carde.
f f Ibid.
g g Ibid.
h h Annuaire (angl.) 1946, p. 137.
i i Consolation (angl.), Vol. XXVII, 16 janv. 1946, p. 11.
j j Croisade contre le Christianisme, pp. 30, 31.
k k D’après les archives de la Société Tour de Garde.
l l Ibid.
a m D’après les archives de la Société Tour de Garde.
b n Consolation (angl.), Vol. XXVI, 12 sept. 1945, pp. 11, 12.
c o Consolation (angl.), Vol. XXVII, 16 janv. 1946, p. 9.
d p Ibid., pp. 4-10.
e q Consolation (angl.), Vol. XXVI, 12 sept. 1945, pp. 11, 12.
f r Consolation (angl.), Vol. XXVII, 16 janv. 1946, p. 8.
g s Ibid.
h t Croisade contre le Christianisme, introduction.
i u Croisade contre le Christianisme, introduction; également d’après les archives de la Société Tour de Garde.
j v Consolation (angl.), Vol. XXI, 18 oct. 1939, p. 5.
k w D’après les archives de la Société Tour de Garde.
l x Consolation (angl.), Vol. XXI, 15 nov. 1939, pp. 3, 4.
a y Consolation (angl.), Vol. XXI, 18 oct. 1939, pp. 5, 6.
b z wF 1946, p. 347.
c aa Consolation (angl.), Vol. XXVI, 12 sept. 1945, pp. 5, 6.
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Défenseurs des libertés de parole et du culteLes témoins de Jéhovah dans les desseins divins
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Chapitre 25
Défenseurs des libertés de parole et du culte
LOÏS: Depuis que Marie et vous êtes venus dimanche dernier, Jean, je n’ai cessé de penser aux terribles traitements infligés aux témoins de Jéhovah du monde entier. Toute ma vie j’ai fréquenté l’Église, ma mère étant très pieuse comme vous le savez, et nous avons souvent discuté du pouvoir de la foi, mais je commence à me demander si j’ai jamais su ce que signifie avoir la foi. S’il m’avait fallu affronter des difficultés semblables à celles que vous nous avez décrites, je ne sais si je les aurais supportées.
JEAN: Nous ne voulons pas honorer des hommes, même s’ils ont manifesté une foi inébranlable. Évidemment, nous nous réjouissons avec eux; toutefois, j’aimerais vous rappeler une chose qui a été l’objet de la première discussion que nous avons eue ici, un soir. Voilà: Jéhovah a suscité un peuple à notre époque, pour que ceux qui en font partie soient ses témoins et servent ses desseins. Jésus n’a-t-il pas dit à ses disciples: “Vous serez des objets de haine pour tous à cause de mon noma.” Ces serviteurs de Dieu, dont nous avons parlé, savaient que cette prophétie s’accomplirait, aussi ne se fièrent-ils pas en leur propre force pour survivre, mais ils ne cessèrent de louer Jéhovah qui les délivrerait.
LOÏS: J’ai en effet remarqué cela dans les récits que vous nous avez lus. Il n’en reste pas moins vrai que je puise un encouragement dans le fait que ces fidèles chrétiens, qui n’étaient que des gens ordinaires sous tous les rapports, sauf pour ce qui est de la sincérité, ont persévéré dans la foi.
THOMAS: C’est parce qu’ils formaient un peuple entièrement voué à Dieu, Loïs. Mais que s’est-il passé aux États-Unis, Jean? Vous nous avez laissé entendre tout à l’heure que les témoins avaient également connu des tribulations dans ce pays.
JEAN: Certainement, bien que l’œuvre n’ait pas été interdite. L’opposition manifestée par le gouvernement ne se faisait ressentir que localement, sur le plan des municipalités, quoique de nombreux tribunaux aient failli à leur devoir de protéger nos droits et que beaucoup de juges aient montré une grande animosité à l’égard de notre œuvre.
Comme je vous l’ai déjà dit, de 1928 à 1933 on n’a pas enregistré les arrestations. Mais en 1933, il y en a eu 269, et cela n’a fait que croître d’année en année. Rien qu’en 1936, on compta 1 149 arrestations, et pourtant le chiffre maximum n’était pas encore atteint. Ces cas mettaient en cause un certain nombre de lois et d’ordonnances que les autorités locales s’efforçaient d’appliquer contre les témoins de Jéhovah. Il s’agissait de lois relatives aux démarcheurs, aux quêteurs, à la vente de publications sans permis, licence ou paiement d’une taxe, ou encore de lois interdisant la diffusion d’écrits dans les rues, de décrets comme celui appelé “Green River”, selon lequel on ne pouvait visiter un foyer qu’après y avoir été invité, ou encore celui du nom de “Blue Law”, défendant de se livrer à certaines activités le dimanche, sans compter les ordonnances ayant trait à la violation de l’ordre public ou à la conduite désordonnée, et de nombreuses autres lois.
La mise en application de ces lois avait pour but d’entraver l’œuvre des témoins de Jéhovah ou d’y mettre un terme. Ces lois concernaient en premier lieu l’activité déployée par les témoins et consistant à prêcher de maison en maison et à diffuser leurs publications; toutefois, outre celles intéressant directement notre œuvre, on se servit d’autres lois contre les témoins de Jéhovah. Citons, entre autres, le salut au drapeau obligatoire, les lois relatives à la délinquance juvénile et à la tutelle, à la sédition, à la diffamation, etc. Transgresser certaines de ces lois constituait un crime, aussi les témoins étaient-ils représentés comme des criminels de la pire espèce.
Les témoins de Jéhovah ne s’avouèrent pas vaincus. Nos cas ont été portés en justice, où nous avons plaidé non coupables. Nous n’avons pas abandonné la lutte quand les magistrats, tous les tribunaux inférieurs, voire même les Cours suprêmes des différents États, se prononcèrent contre nous. Non, nous nous sommes alors adressés à la plus haute cour du pays, en vue de faire reconnaître nos droits. Notre politique consistant à faire appel a été décrite dans les termes suivants:
APPEL SYSTÉMATIQUE
La réputation que les témoins de Jéhovah se sont faite aux États-Unis prouve combien il est important d’en appeler aux tribunaux supérieurs chaque fois qu’un jugement est défavorable. Si nous n’avions pas interjeté appel au sujet des milliers de condamnations prononcées par les juges, les tribunaux de simple police et autres, les précédents se seraient accumulés, devenant ainsi un obstacle gigantesque pour notre culte. Grâce aux pourvois en appel, nous avons empêché la formation d’un tel obstacle. Notre mode d’adoration a été consigné par écrit dans le code de lois des États-Unis et d’autres pays, en raison de notre insistance à faire appel quand la décision des tribunaux ne nous était pas favorableb.
LOÏS: Excusez-moi, Jean, mais j’aimerais que vous me donniez une explication à ce sujet. Depuis que vous nous avez entretenus de la “bataille du New Jersey” et des difficultés rencontrées par les témoins dans cet État, j’ai souvent pensé à la liberté accordée à chaque individu. J’ai eu quelques cours d’instruction civique en classe, mais comme la plupart des Américains, je n’ai pratiquement aucune notion du droit. J’ai toujours considéré les libertés dont nous jouissons comme un dû. Je pense que vous êtes parfaitement en droit d’aller de maison en maison et de vendre des Bibles et des manuels bibliques. Qui pourrait vous en empêcher? Ne sommes-nous pas dans un pays libre?
JEAN: Certes, vous avez raison, mais notre liberté a été considérée comme une chose établie. La Constitution des États-Unis a toujours été regardée comme la charpente ou le squelette des nombreuses lois promulguées par les législateurs rattachés aux municipalités ou à l’État. Toutefois, la façon dont ces lois ont été mises à l’épreuve dans les controverses débattues devant les tribunaux du pays a revêtu de chair ce squelette, en ce sens qu’elle a défini et éclairci ce code de lois, tout en déterminant lesquelles de ces nombreuses lois sont valides et comment elles doivent être appliquées.
LIBERTÉS APPORTÉES PAR LES PREMIER ET QUATORZIÈME AMENDEMENTS
Pour bien discerner les principes impliqués dans les cas défendus et gagnés par les témoins de Jéhovah, il faut savoir que la Constitution originelle des États-Unis ne garantissait pas les libertés individuelles. Cela ne fut inclus que plus tard dans les dix amendements rédigés par James Madison et adoptés par tous les États qui avaient accepté la première constitution. Ces amendements sont appelés le Bill of Rights (Déclaration de droits). Le Premier Amendement est bref; il a trait à la liberté religieuse et est ainsi libellé: “Le Congrès ne fera aucune loi relative à la création d’une religion, ni n’interdira le libre exercice du culte, pas plus qu’il ne portera atteinte à la liberté d’expression ou de la presse, à la liberté de s’assembler paisiblement et au droit de faire appel au gouvernement pour redresser les torts.”
Cette constitution étant fédérale, le Premier Amendement n’imposait de contrainte qu’au gouvernement national des États-Unis. Les différents États inclurent des réserves semblables dans leur propre constitution, et à cette époque il n’avait pas été jugé utile d’appliquer des restrictions contre les États, pour autant qu’il s’agissait de la Constitution fédérale. Toutefois, après la guerre de Sécession, quand les Américains comprirent qu’il était indispensable de préserver les libertés civiles des esclaves affranchis, le Congrès proposa d’insérer le Quatorzième Amendement à la Constitution des États-Unis. Celui-ci ne concerne en rien la liberté religieuse; il stipule simplement, entre autres choses: “Aucun État (...) ne privera quelqu’un de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure judiciaire dans les règles.” C’était là une restriction imposée aux États, et selon cet amendement toute personne qui avait été privée de ses droits par l’État pouvait en appeler à la Constitution fédérale. Pendant de nombreuses années, très peu de cas impliquant ces précieuses libertés d’expression, de la presse et du culte, furent présentés devant les cours.
Les témoins de Jéhovah arguèrent que les termes liberté et procédure judiciaire dans les règles mentionnés dans le Quatorzième Amendement impliquaient toutes les libertés garanties par les dix premiers amendements, et que les libertés du culte, d’expression et de la presse assurées par le Premier Amendement et imposées comme restrictions au gouvernement fédéral seraient en revanche appliquées contre tous les États.
Avant 1940, une seule affaire relative à la liberté du culte avait été portée devant la Cour suprême. Il s’agissait des cas David contre Beason (1890) et Reynolds contre États-Unis (1878)c, ayant trait au droit revendiqué par les Mormons de pratiquer la polygamie; les décisions relevaient du Premier Amendement. Les Mormons perdirent leur procès, car la constitution protège uniquement l’exercice du culte et non l’abus de cet exercice dans une pratique qui serait regardée comme une violation des lois morales.
EXERCICE DES LIBERTÉS GARANTIES DANS LE PREMIER AMENDEMENT
La position adoptée par les témoins de Jéhovah concernait leur mission de prêcher. Nous n’avons accepté aucun compromis, affirmant que nous considérions qu’en dépit du point de vue personnel d’un juge quelconque, notre activité consistant à aller de maison en maison pour diffuser les publications et présenter des sermons oraux, en bref la prédication, était notre façon d’adorer Dieu. Nous avons également pris le parti qu’il n’appartenait à aucun juge, fût-il de la Cour suprême ou d’une autre cour du pays, de contester ou de nier que tel était notre mode d’adoration. Nous avons fait valoir que la décision prise par l’autorité ecclésiastique d’une organisation religieuse, quant à la qualification de ses ministres et au mode de prédication à observer par cette Église, était définitive et valable pour le monde entier. En conséquence, l’œuvre dans laquelle nous étions engagés n’était pas un abus de l’exercice du droit que garantit le Premier Amendement, mais constituait plutôt l’exercice de ce droit et ne devait donc pas être entravé. Les témoins de Jéhovah s’en tinrent strictement à ce principe fondamental pour défendre leur cause devant les tribunaux.
Nous étions également d’avis que les lois appliquées contre les témoins n’étaient pas de simples ordonnances, mais des restrictions, et que, bien que certaines lois puissent réglementer à juste titre la vente ou la prospection, il n’en reste pas moins vrai que lorsqu’elles sont dirigées contre la prédication des témoins de Jéhovah, elles portent atteinte à la liberté religieuse qui est garantie intégralement, ce qui équivaut à une interdiction.
Il importe de noter que les témoins de Jéhovah prirent aussi parti pour le principe juridique suivant lequel toutes les lois sont présumées constitutionnelles. En ce cas, les témoins déclarèrent que pour toutes les affaires dans lesquelles était impliqué le Premier Amendement, une loi employée pour restreindre la liberté religieuse devait être considérée comme invalide, c’est-à-dire anticonstitutionnelle.
En 1938, le cas Lovell contre la ville de Griffin fut présenté devant la Cour suprême des États-Unis. Dans l’affaire Lovell, l’accusé, un témoin de Jéhovah, avait été condamné sur la base d’une ordonnance de la ville de Griffin, en Géorgie, interdisant “la diffusion (...) des publications de toutes sortes (...) sans l’autorisation écrite du maire de la ville de Griffin”. Défendant leur position de ministres, les témoins de Jéhovah refusèrent de demander cette autorisation. Les cours ayant statué que les décrets municipaux adoptés sous l’autorité fédérale constituaient une action de l’État et touchaient par conséquent aux droits accordés par le Quatorzième Amendement, la Cour suprême accepta d’examiner l’affaire et ses membres décidèrent d’un commun accord que l’ordonnance en question était manifestement nulle et non avenue. Toutefois, l’argumentation des témoins de Jéhovah n’était pas essentiellement fondée sur la liberté religieuse, mais également sur la liberté de la presse. Cette décision favorable de la Cour était ainsi exprimée:
Nous pensons que l’ordonnance est nulle et non avenue. Quel que soit le motif qui a présidé à son adoption, par son caractère elle sape à sa base la liberté de la presse, en soumettant cette dernière à la censure et en la faisant dépendre d’un permis officiel. (...)
On ne peut défendre cette ordonnance en faisant valoir qu’elle concerne la diffusion et non la publication. “La liberté de diffusion est tout aussi essentielle à la liberté de la presse que la liberté de publier; en fait, si elle ne pouvait être diffusée, une publication n’aurait guère d’utilité.” Ex parte Jackson, 96 U.S. 727, 733d.
L’année suivante, en 1939, lors de la session du mois d’octobre, la Cour suprême des États-Unis disculpa un autre témoin de Jéhovah accusé d’avoir diffusé des publications de porte en porte sans autorisation à Irvington, dans le New Jersey. L’ordonnance en cause interdisait à “quiconque, sauf dans les cas prévus par la présente ordonnance, de colporter, de solliciter, de diffuser des circulaires et autres choses ou d’aller de maison en maison”. Suivant ce décret, il fallait se faire délivrer un permis par le chef de la police, qui procédait d’abord à une enquête, exigeait une photographie et relevait les empreintes digitales. Évidemment, les témoins refusèrent de soumettre à la censure leur œuvre venant de Dieu, et déployèrent leur activité de prédication sans demander d’autorisation. Ici encore il s’agissait d’une question de licence ou de permis, aussi la Cour décréta-t-elle:
Cette cour a caractérisé les libertés d’expression et de la presse comme étant des libertés et des droits individuels fondamentaux. Cette déclaration n’est pas vide de sens et n’a pas été faite à la légère. Elle reflète la conviction des auteurs de la constitution qui croyaient que l’exercice de ces libertés est le fondement même du droit des hommes libres de se gouverner. Elle souligne, comme le font de nombreux arrêts de cette cour, l’importance d’empêcher la limitation de la jouissance de ces libertés. (...)
Imposer une censure par le moyen de licences qui rendent impossible la libre diffusion d’imprimés porte atteinte au cœur même des garanties constitutionnellese.
Le troisième cas intéressant les témoins de Jéhovah et présenté à la Cour suprême est celui dont nous avons discuté il y a quelque temps; il s’agissait de faire passer le disque “Ennemis” sur un phonographe et de diffuser le livre portant le même titre. Ce fut l’affaire Cantwell contre Connecticut. Le décret du Connecticut invoqué dans ce cas interdisait les quêtes faites au profit d’œuvres religieuses ou de bienfaisance, sans autorisation accordée par le secrétaire du comité de défense des intérêts des citoyens du comté. En outre, une condamnation de droit civil était également prononcée pour délit contre l’ordre public, quand on faisait jouer sur un phonographe des disques attaquant les doctrines de l’Église catholique romaine. Défendant et justifiant la position des témoins de Jéhovah devant ces deux chefs d’accusation, voici, en partie, ce que décida la Cour suprême:
Nous déclarons que l’ordonnance, telle qu’elle est interprétée et appliquée contre les appelants, les prive de leur liberté sans procédure judiciaire dans les règles, ce qui est contraire au Quatorzième Amendement. La conception fondamentale de la liberté renfermée dans cet amendement embrasse toutes les libertés garanties par le Premier Amendement. Le Premier Amendement déclare que le Congrès ne promulguera pas de loi relative à la création d’une religion ni n’interdira le libre exercice du culte. Le Quatorzième Amendement a établi que le corps législatif des États était tout aussi incompétent que le Congrès pour décréter de telles lois. (...)
(...) Il ne fait pas de doute qu’un État peut protéger ses citoyens contre le colportage frauduleux. (...) Un État est également autorisé à réglementer la prospection en général pour ce qui est du moment et de la manière d’exercer cette activité, et cela dans l’intérêt de l’ordre, de la sécurité et de la convenance du public. Toutefois, faire dépendre d’un permis la prospection visant à perpétuer les idées ou systèmes religieux, permis qui est délivré suivant la décision prise par l’État qui détermine ce qui est une cause religieuse, revient à freiner illicitement l’exercice de la liberté assurée par la constitutionf.
Pour la première fois et à l’unanimité, la Cour suprême des États-Unis décida que les poursuites contre les témoins de Jéhovah constituaient une violation de la liberté religieuse garantie par la clause du Quatorzième Amendement contre l’ingérence de l’État.
Assisté du service légal de la Société, le juge Rutherford, lui-même avocat autorisé à plaider devant la Cour suprême, déposa des dossiers sur ces affaires.
UN CHANGEMENT DÉCHAÎNE UNE VAGUE DE VIOLENCE
En juin 1940, l’affaire Gobitis a marqué un “recul dans les décisions libéralesg”.
THOMAS: Ne s’agit-il pas du cas impliquant le salut au drapeau dont nous avons déjà parlé et à propos duquel la Cour d’appel des États-Unis s’était prononcée en faveur des témoins de Jéhovah?
JEAN: En effet. Mais quand cette affaire fut portée devant la Cour suprême des États-Unis en 1940, celle-ci annula le jugement établi en faveur des témoins par huit voix contre une. Le juge Harlan F. Stone fut le seul qui s’opposa à cette décision cruciale. Certains aspects du cas Gobitis ainsi que les conséquences de la décision de la Cour ont été exposés dans la biographie du juge Stone (qui fut par la suite nommé président de la Cour suprême). Voyons cela ensemble.
Par intervalles et sur une période de vingt ans, le juge Stone avait lutté sincèrement pour concilier la liberté et l’autorité à ce niveau délicat. (...) Jusqu’en 1940, à l’instar de la Cour elle-même, il semblait hésiter entre deux points de vue. L’épreuve de force se produisit au printemps de cette année-là. Alors, en parfaite contradiction avec la position que le juge Stone et d’autres avaient prise pour la liberté de pensée et de croyance, tous ses collègues approuvèrent la décision rendant le salut au drapeau obligatoire pour les témoins de Jéhovah. Le moment était décisif. Enfin, le juge Stone prit ouvertement position, seul.
En 1936, les enfants Gobitis, âgés de douze et dix ans, avaient refusé de se joindre aux autres élèves pour saluer le drapeau conformément à l’ordre donné par la direction de l’école de Minersville, en Pennsylvanie. Ils furent par suite renvoyés du lycée de la ville. Leur refus ne signifiait pas qu’ils étaient antipatriotes et n’aimaient pas leur pays. Cela indiquait simplement, selon leur compréhension des Écritures, que le salut au drapeau constituait une violation de l’ordre biblique interdisant de se prosterner devant une image. La requête du père pour leur réadmission parvint à la Cour suprême juste au moment où la Seconde Guerre mondiale allait être déclarée. La nation était en pleine effervescence, se préparant activement. Influencés, semble-t-il, par les temps et les circonstances, huit juges, ayant pour porte-parole le juge [Félix] Frankfurter, exprimèrent l’avis que la direction de l’école avait organisé une cérémonie tout à fait conforme au but consistant à protéger l’unité nationale — “le fondement de la sécurité nationale”, et “un intérêt qui occupe une place importante dans la hiérarchie des valeurs légales”.
La question fondamentale n’était nouvelle ni pour Stone ni pour Frankfurter. Dans le mémorandum qu’il avait adressé le 18 septembre 1918 au secrétaire de la guerre, Newton Baker, Frankfurter avait déclaré que les “objecteurs de conscience, qu’ils appartiennent à une secte ou non, (...) qui s’opposent d’une manière inflexible [que ce soit au service combattant ou non combattant] devraient être condamnés et emprisonnés”. “Je suggère, écrit Frankfurter, que ces absolutistes soient envoyés aux autorités du fort Leavenworth pour recevoir le traitement qu’ils méritent.” En revanche, Stone déclarait que “toutes les expériences faites par les hommes nous ont enseigné qu’il est impossible de supprimer ou de résoudre une question d’ordre moral, en faisant des martyrs de ceux qui défendent cette cause”. Le juge Stone s’en tint à cette conviction dans les cas des témoins de Jéhovahh.
L’avis contraire exprimé par Stone fut favorablement accueilli; on déclara qu’il était “non seulement raisonnable mais courageux”, ainsi que “l’un des avis contraires les plus remarquables de l’histoire américaine”. Les commentaires de la presse étaient tout aussi favorables. Il y eut 171 journaux importants qui condamnèrent la décision de la Cour, tandis qu’une poignée seulement l’approuva. Cependant,
en certains endroits, la hardiesse de Stone provoqua de violentes réactions. Une organisation d’anciens combattants de Boston réclama sa démission, au moyen d’une résolution qui disait: “En vous opposant à cette décision, vous avez donné le mauvais exemple et encouragé un plus grand nombre d’élèves à refuser de saluer le drapeau. Il ressort également de votre attitude que vous êtes soit un révolutionnaire ou un disciple de cette prétendue religion.”
Après que la Cour eut approuvé la décision rendant le salut au drapeau obligatoire, le sectarisme et le fanatisme religieux ainsi que le patriotisme irréfléchi se déchaînèrent. On disait des témoins de Jéhovah qu’ils “ne croient pas à la religion, que pour eux la religion est une supercherie consistant à amasser de l’argent en vendant les livres du Juge Rutherford”. Des comités pleins de zèle prirent sur eux d’imposer le respect du drapeau au moyen de la violence. Entre le 12 et le 20 juin 1940, des centaines d’attaques dirigées contre les témoins furent enregistrées au ministère de la Justice pour qu’éventuellement le FBI puisse y donner suite. À Kennebunkport, dans le Maine, la Salle du Royaume fut brûlée. À Rockville, dans le Maryland, à environ trente mètres de l’imposant bâtiment de la Cour suprême, la police se joignit aux émeutiers, perturbant une réunion biblique. À Litchfield, dans l’Illinois, un millier d’habitants encerclèrent soixante témoins qui allaient de porte en porte, brûlant leurs tracts et renversant leurs voitures. À Connersville, dans l’Indiana, l’avocat des témoins fut battu et conduit hors de la ville. À Jackson, dans le Mississippi, une organisation d’anciens combattants expulsa de la ville les témoins et leurs caravanes. Des incidents semblables eurent lieu au Texas, en Californie, dans l’Arkansas et dans le Wyoming. Le ministère de la Justice fit remonter l’origine de cette vague de violence à la décision prise par la Cour dans la première affaire du salut au drapeaui.
DES ACTES CONTRAIRES AUX PRINCIPES DES AMÉRICAINS
Cette vague de violence sans précédent fut accompagnée d’arrestations dont le nombre allait sans cesse croissant. Au cours des années 1940, 1941 et 1942, on a enregistré une moyenne annuelle de plus de 3 000 arrestations. Dans de nombreux cas, les autorités locales et les représentants de l’ordre public prirent part à cette activité illégale. Voici un autre rapport révélant les effets néfastes que produisit sur le public la décision relative à l’affaire Gobitis.
THOMAS [Il l’interrompt]: Je commence à croire de plus en plus que le juge Rutherford savait de quoi il parlait quand il mit en garde les Américains en 1938 contre la menace sans cesse croissante du fascisme aux États-Unis.
JEAN: Eh bien, voici quelques-uns des actes illégaux et contraires aux principes des Américains commis contre les témoins de Jéhovah au cours de cette période.
Les centaines de poursuites judiciaires n’ayant pas réussi à empêcher le peuple du Seigneur de chanter des louanges à Jéhovah de porte en porte et dans les rues, l’ennemi, agissant sous l’influence des démons, suscita une violente opposition, sous la forme d’émeutes dirigées contre les proclamateurs du Royaume. Ce genre de persécution se renouvela de nombreuses années plus tard, en commençant dans certains endroits de Pennsylvanie et de l’Ohio, en automne de 1939. La violence des émeutes atteignit son paroxysme en mai 1940, les troubles ayant débuté à Del Rio, au Texas, pour s’étendre immédiatement à d’autres villes de cet État et à de nombreux autres États.
Le 3 juin 1940, la Cour suprême décréta que la direction des écoles publiques pouvait exiger que les enfants saluent le drapeau et les renvoyer en cas de refus. Sous l’influence de la Hiérarchie catholique romaine, la presse américaine présenta cette conception sous un faux jour, disant que chaque individu devait saluer le drapeau. Après cette déformation des faits, la Légion [anti]américaine, qui subissait l’influence des démons, ainsi que la Hiérarchie catholique romaine excitèrent la violence qui avait déjà pris naissance au Texas et dans les environs, si bien que ces violentes émeutes se répandirent rapidement dans tous les États de l’Union américaine.
Depuis le mois de mai 1940, la Hiérarchie et la Légion américaine, passant outre à la loi, saccageaient tout au moyen de ces émeutes, causant des ravages indescriptibles. Les témoins de Jéhovah ont été attaqués, battus, enlevés, chassés des villes, des comtés et des États, enduits de goudron et garnis de plumes; on les a obligés à boire de l’huile de ricin, on les a attachés ensemble et chassés comme des bêtes dans les rues. Certains ont été castrés et autrement mutilés, ridiculisés et injuriés par des foules démonisées. Des centaines d’entre eux ont été emprisonnés sans raison et se sont vu refuser le droit de communiquer avec leurs parents, amis ou avocats. Des centaines d’autres ont été jetés en prison et tenus “en lieu sûr”; on a tiré sur certains pendant la nuit; d’autres, menacés d’être pendus, ont été battus jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance. Des émeutes très variées ont été organisées. Un grand nombre de témoins ont été déshabillés, leurs vêtements ont été arrachés, on s’est saisi de leurs Bibles et d’autres publications pour les brûler publiquement. Leurs voitures, leurs caravanes, leurs maisons et leurs lieux de réunion ont été mis à sac et incendiés; les dommages s’élevèrent à de nombreux milliers de dollars.
Cette violence d’origine démoniaque s’est totalement emparée des foules et des autorités et cela dans des centaines de villes d’Amérique, à tel point que ces gens ont faussement accusé les témoins de sédition et d’autres crimes, comme celui d’être “contre le gouvernement”. Cette sorte de persécution embrasa le Kentucky, le Missouri et l’Indiana. Dans le Kentucky, dix frères sont en instance de jugement pour sédition, crime qui leur fait encourir une peine maximale de vingt et un ans de réclusion dans un pénitencier. Dans l’Indiana, deux pauvres femmes ont été condamnées à dix ans de pénitencier pour “sédition”, parce qu’elles possédaient des publications que la Légion américaine déclare être “contre le gouvernement”.
Dans de nombreux cas, où les jugements ont eu lieu dans des villes menées par des bandes d’émeutiers, les avocats comme les témoins de Jéhovah ont été malmenés et battus dans le tribunal même.
Dans presque tous les cas d’émeutes violentes, les représentants de l’ordre ne sont pas intervenus et ont refusé d’accorder leur protection; de plus, de nombreuses fois, ils ont pris part aux émeutes et certains d’entre eux sont allés jusqu’à en prendre la têtej.
Cette persécution devint si cruelle que le Procureur général des États-Unis, Francis Biddle, ainsi que Madame Éléonore Roosevelt, épouse du président des États-Unis d’alors, se sentirent dans l’obligation de faire une déclaration publique pour faire cesser de telles pratiques. Le Procureur général déclara, le 16 juin 1940, dans une émission radiodiffusée dans l’ensemble des États-Unis par le réseau de la N.B.C. (Compagnie nationale de radiodiffusion):
Les témoins de Jéhovah ont été attaqués et battus à maintes reprises. Ils n’avaient commis aucun délit; mais la foule les en a jugés coupables et leur a infligé des châtiments populaciers. Le Procureur général a ordonné une enquête immédiate sur ces actes de violence.
Les citoyens doivent être vigilants et se tenir sur leurs gardes et, par-dessus tout, faire preuve de calme et de bon sens. Étant donné que les violences perpétrées par la populace rendent la tâche du gouvernement infiniment plus difficile, celles-ci ne seront pas tolérées. Nous ne vaincrons pas le mal nazi en imitant ses méthodesk.
Ensuite, un groupe de personnes qui s’intéressent aux libertés civiles a publié une brochure dans laquelle elles décrivaient ces excès. En voici un court extrait:
Depuis la persécution des Mormons, qui remonte à de nombreuses années, aucune minorité religieuse n’a été aussi cruellement et généralement attaquée que les membres des témoins de Jéhovah, surtout au printemps et en été 1940. Ces attaques, qui ont alors atteint leur point culminant, sont le résultat de l’hostilité et de la discrimination qui règnent contre eux depuis plusieurs années.
Des documents, déposés au ministère de la Justice par les avocats des témoins de Jéhovah et par l’Union pour les libertés civiles américaines, faisaient état en 1940 de plus de 335 cas où, dans 44 États, la populace avait commis des actes de violence contre 1 488 hommes, femmes et enfants.
Les causes de cet extraordinaire déchaînement de violence étaient la crainte “patriotique” née du succès des armées nazies en Europe et la panique qui s’empara du pays à la pensée de l’invasion des États-Unis. De la Californie au Maine, cette angoisse se manifesta par la recherche de “membres de la Cinquième colonne” et de “Chevaux de Troie”, termes qui devinrent presque immédiatement populaires pour caractériser ceux que l’on pensait être opposés à la défense nationale.
Les témoins de Jéhovah furent l’objet d’une attaque immédiate et générale, principalement à cause de leur attitude à l’égard du salut au drapeau, attitude qu’ils avaient fait connaître en diffusant partout l’édition du 29 mai 1940 de leur périodique Consolation (angl.), qui relatait les détails sur l’audience, devant la Cour suprême des États-Unis, de l’affaire Gobitis relative au salut au drapeau. En raison de la décision du 3 juin 1940, reconnaissant à la direction scolaire le droit d’expulser de l’école les enfants de cette secte qui refusaient de saluer le drapeau, cette propagande fut considérée par quelques-uns comme séditieusel.
LE CONGRÈS DE 1940 EST UNE SOURCE D’ENCOURAGEMENT
Au cœur des batailles légales et tandis que la persécution des témoins atteignait son point culminant, la Société décida d’organiser un congrès. Vous pensez peut-être que le moment était mal choisi pour cela, mais vous verrez qu’il en fut tout autrement. Les témoins de Jéhovah étaient déterminés à persévérer en dépit de l’opposition, et les congrès ont toujours été une source d’unité et de force pour le peuple de Dieu, grâce à la nourriture spirituelle qui y est dispensée et à la compagnie fraternelle.
Ainsi, on procéda aux préparatifs de ce congrès qui devait avoir lieu à la foire commerciale de Columbus, dans l’Ohio, du 24 au 28 août 1940. Au même moment, des assemblées étaient organisées dans plus de trente autres villes des États-Unis. Elles devaient être reliées entre elles par téléphone pour ne former qu’un seul congrès. Cependant, suite aux pressions exercées par la Hiérarchie catholique romaine, les dirigeants de l’État de l’Ohio annulèrent le contrat et interdirent aux témoins d’employer la foire commerciale.
Immédiatement une pétition circula dans tout le pays, et en quelques jours seulement, 2 042 136 signataires demandaient au gouverneur Bricker et à l’Association de la foire commerciale de l’Ohio d’autoriser les témoins de Jéhovah à tenir leur assemblée chrétienne à la foire commerciale. Le gouverneur Bricker refusa d’accéder à la requête des pétitionnaires, aussi les témoins se trouvèrent-ils dans l’obligation de chercher une autre ville clé.
Suite aux pressions exercées, nombre d’autres villes annulèrent les contrats, si bien que lorsque le moment vint de se réunir en assemblée, dix-huit villes seulement acceptèrent de recevoir les témoins. Quand la Société acquit la certitude qu’il ne fallait pas compter obtenir la foire commerciale de Columbus, la ville clé choisie fut Detroit, dans le Michigan, et en dépit de l’opposition, une assemblée eut lieu dans une série de grands garages reliés entre eux; elle remporta un vif succès. Le juge Rutherford, dont les forces déclinaient, put néanmoins se présenter trois fois devant l’auditoire. L’un des discours principaux était intitulé “Les temps et les saisons”. L’assistance à Detroit s’éleva à 35 000 témoins. À la fin de ce discours, on publia le livre Religion; les congressistes venus de toutes les parties du pays en emportèrent immédiatement 30 000 exemplaires. Le clou de l’assemblée fut le discours “La religion est-elle le remède aux maux du monde?”. Il dénonçait particulièrement la fausse religion et la corruption des systèmes mauvais fonctionnant au nom de Jésus-Christ. Cette conférence fut gravée sur disques, ainsi qu’imprimée, et largement diffusée après le congrès.
Ce discours public du dimanche 28 juillet fut prononcé à Detroit devant un auditoire de 45 000 personnes, qui se pressaient sur les lieux mêmes du congrès et à la salle Eastern Star Temple; des milliers d’auditeurs se trouvant dans les rues et aux sorties des salles écoutaient le message retransmis par les haut-parleurs. Des lignes privées diffusèrent également la conférence dans le camp de caravanes, où 12 000 personnes s’étaient réunies. Les chrétiens rassemblés dans les dix-sept autres villes vinrent s’ajouter à ceux de Detroit, ce qui fait qu’au total 80 000 personnes écoutèrent cet exposé sur la religion. Les deux discours “Les temps et les saisons” et “La religion est-elle le remède aux maux du monde?” ont été publiés dans la brochure intitulée Conspiration contre la démocratie.
D’autres points saillants du congrès furent la réunion avec les pionniers, la réunion de service modèle, l’étude de La Tour de Garde et la mise en service d’un phonographe à platine verticale, qu’on faisait fonctionner simplement en tournant un bouton, sans avoir à soulever le couvercle. Ce type de phonographe avait été conçu et fabriqué par les frères du Béthel de Brooklyn, et il était beaucoup plus adapté à l’activité de porte en porte. En outre, le no 6 de la feuille intitulée Nouvelles du Royaume fut publié lors de ce congrès et les frères en emportèrent plus de 2 000 000 d’exemplaires, afin de les diffuser immédiatement.
Même cette assemblée de Detroit s’était déroulée au sein d’une grande opposition. La Légion américaine et la Hiérarchie catholique de Detroit exercèrent de violentes pressions en vue d’interrompre la réunion et de faire annuler le contrat de location dont le prix avait été payé d’avance. Les témoins se trouvèrent dans l’obligation de faire garder les lieux vingt-quatre heures sur vingt-quatre, par de nombreux frères, et cela avant et pendant l’assemblée.
Des journalistes, des photographes et des représentants de presque tous les magazines étaient présents, en raison de l’intense persécution dont les témoins de Jéhovah avaient fait l’objet dans tout le pays; ainsi la presse donna aux témoins la plus grande publicité jamais vue jusque-làa.
Nombre d’articles rédigés en cette période n’étaient pas favorables à ces chrétiens, toutefois certains le furent, témoin cet éditorial du Michigan Christian Advocate du 8 août 1940:
Voilà un groupe qui, en cette année 1940 de notre Seigneur, n’a pas honte de témoigner ouvertement pour Jésus-Christ. Il croit en Jésus et le fait connaître. À une époque où la religion a adopté une attitude fausse et compromettante, où certains membres des Églises considèrent leur adhérence comme une fin au lieu d’un commencement dans l’œuvre de témoignage sur le Christ et où un trop grand nombre d’entre nous hésitent à rendre témoignage par crainte d’être embarrassés, ces témoins se présentent sur la scène contemporaine comme un défi lancé contre notre contentement païen. (...)
En outre, chose qui importe certainement plus aujourd’hui que tout ce qui précède, c’est l’attention que cette secte a attirée sur le problème de la liberté religieuse, dans un pays qui se convertit rapidement au fascisme. Que ce groupe ne représente qu’une faible minorité ne change absolument rien aux principes de la liberté religieuse qui ont été transgressés par suite de la persécution qu’on lui a infligéeb.
De nombreuses personnes bien disposées furent éclairées par cette publicité et répondirent favorablement à notre œuvre de prédication.
LA POLICE ADOPTE DEUX ATTITUDES OPPOSÉES
Un peu plus d’un mois avant cette assemblée, le 14 juin 1940, jour anniversaire de l’adoption du drapeau, la ferme du Royaume située à South Lansing, dans l’État de New York, et appartenant à la Société, fut menacée par la foule. Le responsable de la ferme avait été averti par un homme âgé qui, la nuit précédente, avait surpris une conversation dans un café de South Lansing, selon laquelle la Légion américaine de l’ouest de l’État de New York convergerait le lendemain vers la propriété de la Société, pour incendier les bâtiments.
Le serviteur de la ferme prit immédiatement ce rapport en considération et avertit le shérif du comté de Tompkins, lequel prit également la nouvelle au sérieux. Ce shérif était désireux de faire respecter les lois, et bien qu’il ne disposât lui-même que de quelques hommes, il décida d’empêcher toute violence. Il avait aussi eu vent de cette émeute dirigée contre la ferme et appela la police d’État en renfort.
Le 14 juin, à 6 heures exactement, des centaines de voitures firent leur apparition et se dirigèrent vers les bâtiments de la Société situés sur la Route 34. Dans chaque voiture il y avait quatre ou cinq hommes, mais la police était prête. La troupe de l’État et les shérifs adjoints protégeaient tous les bâtiments de la Société. En outre, la police de l’État avait promulgué une ordonnance spéciale, interdisant à tout véhicule de ralentir ou de stationner sur une longueur d’environ huit cents mètres, c’est-à-dire d’une extrémité de la propriété de la Société à l’autre. Des policiers étaient postés sur cette distance, afin de faire circuler les voitures; aucune n’était autorisée à s’arrêter, pour que ses occupants n’en descendent pas et ne mettent pas le feu aux bâtiments. La police resta sur les lieux jusqu’à plus de minuit, obligeant tous les véhicules à circuler. C’est ainsi que fut déjouée l’attaque de la ferme du Royaume. On estima le nombre des voitures à 1 000 et celui des manifestants à environ 4 000, venus de toutes les parties de l’ouest de l’État de New York, dans l’intention de détruire la ferme de la Société.
LOÏS: C’est encourageant de constater qu’il y eut quand même des autorités désireuses de faire leur devoir.
JEAN: Oui, et le fait qu’elles réussirent à enrayer de violentes émeutes met davantage en évidence la grande négligence de celles qui refusèrent d’accorder la protection de la police aux témoins de Jéhovah.
Mais tous les chefs de police ne furent pas aussi désireux de faire respecter la loi que le shérif du comté de Tompkins. En effet, un incident révoltant, illustrant la brutalité de la police, se produisit en Virginie occidentale. Le 29 juin 1941, sept témoins masculins se rendaient à Richwood, afin d’y prêcher. Trois d’entre eux passèrent à la mairie pour remettre au maire une lettre demandant la protection de la police au cours de leur prédication. Les quatre autres restèrent dans la voiture. Cette requête avait été jugée nécessaire, car un an auparavant, deux de ces témoins avaient reçu l’ordre de quitter la ville, parce qu’ils diffusaient des publications et faisaient circuler la pétition relative à l’assemblée nationale devant se tenir à la foire commerciale de Columbus, dans l’Ohio.
Le maire étant absent, on amena les témoins devant Bert Stewart, chef de la police de Richwood, et Martin L. Catlette, shérif adjoint du comté de Nicholas et membre de la Légion américaine. Catlette était l’un des six membres de la Légion américaine de Richwood qui avaient, l’année précédente, intimé l’ordre de quitter la ville aux témoins. La lettre sollicitant la protection de la police fut donc remise à Stewart, chef de la police, mais il n’y donna pas suite. Au contraire, les trois témoins furent poussés dans le bureau du maire que Catlette partageait en qualité de shérif adjoint et percepteur d’impôts, et on les retint alors que Catlette portait son insigne officiel et que le chef de la police gardait la porte.
Catlette appela au téléphone d’autres membres de la Légion américaine, disant entre autres choses: “Nous tenons ici trois de ces crétins et nous allons cueillir les autres!” Pendant qu’une foule d’environ 1 500 personnes se rassemblait, on amena les quatre autres témoins dans le bureau. Alors Catlette ôta son insigne de shérif adjoint et déclara: “Ce qui se fera à partir de maintenant ne sera pas fait au nom de la loi.” On força trois des témoins à ingurgiter un quart de litre d’huile de ricin, et à un autre qui protestait on ordonna d’en boire un demi-litre, après qu’un docteur l’eut menacé avec une pompe stomacale.
Les sept témoins furent ensuite attachés ensemble avec une longue corde, à environ un mètre les uns des autres, et on les fit marcher jusque devant le bureau de poste de Richwood, sur le toit duquel flottait le drapeau américain. Catlette lut les préliminaires de la constitution de la Légion américaine, et toutes les personnes présentes saluèrent le drapeau, à l’exception des témoins. On les conduisit ensuite, toujours liés, à travers les rues de Richwood et au-delà de ses limites. On les relâcha hors de la ville en leur enjoignant de ne plus reparaître, et on leur rendit leur voiture, qui avait été endommagée, enduite d’huile de ricin et décorée d’inscriptions peu flatteuses.
À partir du moment où ils avaient pénétré dans le bureau du shérif adjoint, c’est-à-dire à 9h.30 du matin, jusqu’à trois ou quatre heures de l’après-midi, quand ils furent libérés, les témoins n’avaient ni mangé ni bu, à l’exception de l’huile de ricin, et on leur avait interdit d’aller aux toilettes.
Catlette et Stewart furent condamnés pour avoir transgressé la loi sur les droits civiques, en conspirant dans le but d’enlever aux témoins de Jéhovah leurs droits de prêcher l’évangile et d’expliquer leur refus de saluer le drapeau américain par motif de conscience. Condamné par le tribunal de district des États-Unis, pour le district sud de la Virginie occidentale, Catlette interjeta appel, mais la Cour d’appel de la quatrième circonscription des États-Unis confirma la décision prise par le tribunal inférieur et déclara entre autres:
L’argument de Catlette n’a conséquemment pas plus de valeur que l’idée selon laquelle un officier peut se dissocier lui-même de ses devoirs officiels simplement en ôtant son insigne avant d’adopter une ligne de conduite illégale et, ce faisant, s’absolvant avec insouciance de toute culpabilité pour avoir commis des actes répréhensibles. Nous devons condamner cette suggestion insidieuse selon laquelle un officier peut se défaire avec légèreté de son rôle officiel. Accepter un tel dualisme juridique équivaudrait à détruire les protections constitutionnelles et à rendre dérisoire l’application de la loic.
Catlette fut condamné à une amende de 1 000 dollars et à un an de détention à la prison fédérale de Mill Point, en Virginie occidentale.
LOÏS: Quand je pense à toute cette opposition et aux violentes émeutes, je me demande comment vous êtes parvenus à poursuivre votre œuvre.
JEAN: Il est de fait que ce fut une période d’épreuve même pour les États-Unis, mais dans ce pays au moins l’œuvre n’a pas été considérée comme illégale, si bien que nous n’avons pas été forcés d’entrer dans la clandestinité. Ainsi, en ces jours de batailles légales et de combat contre les foules démonisées, les témoins de Jéhovah jouirent d’une liberté relative, leur permettant d’accomplir la volonté divine, affermissant la structure théocratique de l’organisation et augmentant ainsi sa maturité.
Il conviendrait maintenant de considérer les différentes modifications apportées dans les méthodes de prédication, car les années à venir devaient voir des changements décisifs dans le programme d’instruction suivi par la Société.
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