Chapitre 22
La neutralité chrétienne pendant la Seconde Guerre mondiale
THOMAS: Je suis bien heureux que vous ayez pu venir aujourd’hui au lieu de mercredi prochain, car ce dimanche nous disposons de tout l’après-midi; de plus, comme je vous l’ai dit au téléphone, Loïs et moi sommes avides de savoir ce qui s’est passé au cours de la Seconde Guerre mondiale. Compte tenu de ce que la Société endura pendant la Première Guerre mondiale, je ne m’explique pas comment vous avez survécu à la Seconde, et —
LOÏS [Elle l’interrompt]: En outre, vous nous avez dit qu’un programme d’expansion mondiale suivit les vingt années au cours desquelles votre organisation se développa sur le plan théocratique. Cela a-t-il commencé durant la guerre? Autre chose encore. Vous nous avez parlé d’une sorte de combat ultime avec les catholiques fascistes en Amérique. Allez-vous nous donner des détails sur ce sujet?
THOMAS: D’après les paroles prononcées par le juge Rutherford dans son discours “Fascisme ou liberté”, ce pays a dû courir un plus grand danger de la part de la domination fasciste que beaucoup de personnes ne l’ont supposé. Mais j’aimerais savoir, Jean, quelle position la Société adopta en Europe au cours de la guerre. Comment les témoins de Jéhovah s’y prirent-ils pour ne pas être anéantis par les dictateurs?
JEAN: Eh bien, nous allons essayer de répondre cet après-midi au plus grand nombre de questions possible, bien que j’ignore jusqu’où cela nous mènera. Je dirai tout d’abord ceci: Certains éléments de notre programme d’expansion entrèrent immédiatement en vigueur, et cela même avant la fin de l’année 1938. Ils se développèrent d’une manière théocratique au cours de la guerre, bien qu’il fallût attendre la fin de celle-ci pour les rendre effectifs sur une grande échelle. Toutefois, nos techniques avancées de prédication étaient si bien établies à cette époque, et l’organisation avait acquis une telle maturité au cours de ces quelques années, que l’expansion se fit rapidement.
L’organisation de la société du monde nouveau sur des bases entièrement théocratiques était venue à point nommé. Plus tard, j’aimerais décrire en détail certains aspects de l’organisation. Cette structure théocratique affermit sans aucun doute les témoins de Jéhovah qui devaient affronter de cruelles épreuves, lesquelles faisaient déjà partie de leur activité quotidienne. Citons pour exemple l’assaut catholique fasciste auquel Loïs a fait allusion précédemment, et qui pourrait presque être considéré comme l’accomplissement de l’avertissement donné par le juge Rutherford au peuple américain dans son discours “Fascisme ou liberté”. Au cours de l’été 1939, un groupe d’émeutiers fascistes sous la conduite de Charles E. Coughlin, prêtre catholique réputé pour ses émissions radiophoniques incendiaires, tenta de semer la confusion au sein d’une assemblée paisible des témoins de Jéhovah qui se tenait au Madison Square Garden, dans la ville de New York. Ce fut l’émeute la plus audacieuse jamais fomentée par l’Action catholique fasciste pour empêcher la proclamation publique de la bonne nouvelle; son but était de perturber le centre d’une importante chaîne de congrès devant se tenir en Amérique et ailleurs. Voici brièvement ce qui se passa:
LES SUPPÔTS DE COUGHLIN MENACENT L’ASSEMBLÉE PRINCIPALE
Une chaîne de congrès avait été prévue du 23 au 25 juin 1939. Le Madison Square Garden servait de centre à cette chaîne composée de vingt-huit autres congrès répartis en Australie, en Grande-Bretagne, à Hawaii et aux États-Unis. La grande publicité faite à New York pour annoncer la conférence publique intitulée “Gouvernement et paix” avait apporté la certitude que les groupes de l’Action catholique conjugueraient leurs efforts pour empêcher cette réunion. Compte tenu de cet avertissement, on envoya un grand renfort de police au Madison Square Garden, en vue de maintenir l’ordre au cas où des perturbateurs se manifesteraient. Mais écoutez plutôt ce rapport tiré de l’Annuaire:
Plus de 18 000 personnes s’étaient rassemblées paisiblement au Madison Square Garden, afin de louer et d’adorer Jéhovah Dieu. Ces auditeurs étaient impatients de suivre le programme. La conférence publique commença à 16 heures précises, et quelque dix minutes plus tard, environ 500 nazis et catholiques romains, abusés et conduits par plusieurs prêtres, s’introduisirent dans le Madison Square Garden et occupèrent les sièges situés derrière l’estrade où se tenait l’orateur. La conférence durait depuis vingt minutes lorsque, sans raison valable, ces adversaires déclenchèrent une émeute par des huées, des sifflements, des cris de “Heil Hitler”, “Vive Franco” et “À mort Rutherford”. Ils montraient ainsi nettement qu’ils n’étaient pas venus en ce lieu dans un but louable, mais plutôt que la méchanceté les poussait à faire le mal, à perturber et à interrompre une assemblée tenue légalement par des chrétiens. (...) Pour ce faire, ils employèrent un langage vulgaire, des expressions injurieuses, des menaces, des malédictions et firent du tapage, attaquant nombre de placeurs qui essayaient de mettre fin au tumulte. Ces émeutiers ne parvinrent toutefois pas à interrompre la réunion, et le discours fut entièrement prononcé et enregistréa.
Bien que les émeutiers aient échoué pour ce qui était d’interrompre la réunion, le tumulte fut nettement entendu par les 75 000 auditeurs dispersés dans le monde. Ce vacarme a également été enregistré sur des disques que des milliers de personnes dans le monde ont entendus depuis. Par leurs applaudissements répétés, les auditeurs donnèrent à l’orateur un puissant appui, tandis que d’un ton impérieux il continuait à parler au microphone pour maîtriser la tempête. La police ayant manqué à son devoir de préserver l’ordre, le 11 juillet 1939 le juge Rutherford écrivit une lettre au maire de la ville de New York, M. La Guardia; n’ayant pas obtenu de réponse, il fit publier cette lettre qui fut largement diffuséeb. Voici ce qu’elle disait entre autres:
Environ vingt minutes après le début de la conférence et à un signal donné par l’un de ceux qui se trouvaient dans les tribunes, ce groupe de fanatiques sema la perturbation en criant à tue-tête, en hurlant et en vociférant des injures. Les placeurs firent appel à la police pour ramener l’ordre, mais l’officier en fonction répondit: “C’est votre affaire.” Cette déclaration fut faite alors que les agents étaient témoins des actes illicites des perturbateurs.
Légalement responsables de la réunion, les placeurs se rendirent rapidement sur les lieux du tumulte et exigèrent que les perturbateurs cessent leur vacarme ou quittent l’assemblée. Au lieu d’obéir, ces catholiques fanatiques assaillirent violemment un certain nombre de placeurs et quelques-uns d’entre eux se défendirent. La police n’essaya même pas d’arrêter un seul de ceux qui violaient la loi en troublant cette assemblée légale, mais elle ne manqua pas de s’emparer de plusieurs placeurs qui avaient agi régulièrement dans l’exercice de leur fonction. Deux semaines se sont écoulées, et aucun des émeutiers n’a été arrêté pour avoir tenté d’interrompre une assemblée tenue conformément à la loi. Par contre, des citoyens respectueux des lois ont été arrêtés pour avoir fait ce que la police assermentée aurait dû faire et n’a pas faitc.
Les 23 et 24 octobre 1939, le cas des trois placeurs accusés de voies de fait fut soumis à trois juges du Tribunal des Sessions spéciales de la ville de New York. Voici ce que révéla le rapport établi à l’occasion de ce jugement:
Selon leur coutume (...) le combat de rues est l’une des techniques employées par ceux qui prétendent être partisans du “Père Coughlin”, membres du “Front chrétien” ou des “recruteurs chrétiens”, et qui sont en fait rattachés au “Bund” (ou mouvement) nazi et à d’autres partis extrémistes totalitaires, agissant sous le commandement direct de la hiérarchie catholique romaine. Il ne s’agit pas là d’une lutte ordinaire où deux hommes se fâchent, ont une altercation et se battent, non, cette coutume a plutôt été introduite en Allemagne nazie et employée particulièrement dans les pogromes ou soulèvements contre les Juifs. Leur tactique consiste à frapper quelqu’un ou à crier, comme si l’offenseur lui-même avait été blessé, puis à appeler un agent compatissant et à accuser la véritable victime de voie de fait. (...)
D’après les preuves circonstanciées exposées dans de nombreuses publications, les suppôts de Coughlin ont effectivement expérimenté cette méthode sur les Juifs de la ville de New York, au cours des mois passés. Ce même système fut perfectionné et utilisé au Madison Square Garden. Les témoins cités lors du jugement des trois placeurs mentionnés précédemment présentèrent nettement les faits à la cour. Ils dirent qu’un groupe composé de plusieurs centaines de partisans de Coughlin se mit en marche après avoir manifesté devant la station de radio WMCA, qui avait refusé de radiodiffuser les discours de Coughlin, (...) que ces émeutiers possédaient des exemplaires du périodique Social Justice, qu’ils brandissaient à la face des placeurs en disant: “Voilà ce qui vous attendd!”
Les témoins à charge dressés contre les frères firent de si nombreuses déclarations contradictoires lors de ce jugement, que les trois juges (deux catholiques et un juif) non seulement disculpèrent les trois placeurs, mais encore les félicitèrent d’avoir fait preuve de la fermeté nécessaire contre les émeutiers, alors que la police de la ville manqua à son devoir de préserver l’ordree.
UNE ASSEMBLÉE TENUE EN ANGLETERRE EST MENACÉE PAR LA IRA
Les assemblées anglaises qui devaient retransmettre les discours de New York reçurent également un avertissement, annonçant qu’une action violente serait entreprise contre elles. Mais écoutez plutôt le rapport que rédigea le serviteur de la filiale de Londres, et qui fut publié dans l’Annuaire (angl.) de 1940. Voudrais-tu le lire, Marie, s’il te plaît?
MARIE [Elle lit]:
Le samedi 24 juin, l’IRA (l’armée de la République irlandaise, mouvement terroriste catholique qui a déclenché une campagne d’attentats à la bombe dans toute l’Angleterre au cours des mois passés) adressa par téléphone des menaces “officielles” au bureau de la Société à Londres, l’avertissant qu’elle entreprendrait une action violente si le circuit Belfast-Londres pour la transmission des discours du juge Rutherford n’était pas coupé. Cette information fut immédiatement transmise à Scotland Yard; des agents de police et des inspecteurs surveillèrent attentivement les salles de Belfast et de Londres. Peu de temps après la session du samedi soir, cinq bombes explosèrent dans le centre de Londres, non loin du Kingsway Hall, où le peuple de Jéhovah s’était réuni. Ce fut le plus terrible de leurs attentats à la bombe, causant de gros dégâts matériels et blessant de nombreuses personnes; cependant leur besogne indigne ne toucha pas un cheveu du peuple de Jéhovah. Il s’agissait là de la troisième menace en quatre mois de ces maniaques, qui signaient eux-mêmes leur crime IRA.f
Le lendemain, plus de 200 agents de police, sans compter ceux qui étaient en civil, encerclèrent le lieu du congrès, l’Alexandra Palace, loué pour la conférence publique du dimanche. Les bâtiments où se tenait l’assemblée de Belfast étaient protégés de la même façon, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il y eut un moment angoissant quand la radio retransmit les échos de l’émeute du Madison Square Garden à l’assemblée de Londres; en effet, un grand nombre de congressistes, y compris les agents de police, pensaient que c’était peut-être le signal attendu par la IRA pour agir en Angleterre. Mais rien ne se produisit, ni à Londres ni à Belfast, et chaque mot de ce puissant témoignage public parvint aux oreilles des auditeurs réunis dans ces deux pays.
UNE ATTAQUE GÉNÉRALE EST DÉCLENCHÉE
Les témoins devaient ensuite faire face à des difficultés beaucoup plus sérieuses, notamment en Europe continentale. Immédiatement après cette démonstration fasciste aux États-Unis, des événements d’une portée internationale devaient se produire. Le 1er septembre 1939, les troupes d’agression allemandes envahirent la Pologne. Ce fut l’étincelle qui déclencha la Seconde Guerre mondiale. La Pologne fut rapidement asservie, et le 3 septembre la Grande-Bretagne et la France déclarèrent la guerre à l’Allemagne. Puis, pendant plusieurs mois, les hostilités semblaient avoir pris fin et beaucoup commençaient à qualifier le conflit de “drôle de guerre”. Ces espérances s’évanouirent toutefois quand, en avril 1940, les armées hitlériennes avancèrent rapidement et occupèrent le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Puis, grâce à une manœuvre rapide, Hitler pénétra en France, forçant ce pays à signer un armistice le 22 juin 1940. Les troupes britanniques stationnées sur le continent se trouvaient dans une position délicate, aussi se virent-elles dans l’obligation de se retirer le 4 juin 1940, en traversant la Manche à partir de Dunkerque. La Grande-Bretagne était désormais seule dans la guerre contre l’Italie et l’Allemagne, l’Europe entière étant tombée aux mains de ces forces totalitaires. De l’autre côté de l’océan Atlantique, les États-Unis restaient neutresg.
Tandis que la guerre catholique fasciste nazie se propageait à une vitesse folle dans toute l’Europe, les interdictions, emprisonnements et restrictions légales frappaient les témoins de Jéhovah, faisant fermer, les unes après les autres, les filiales de la Société Watch Tower. Les ponts avec le siège de Brooklyn étaient coupés. Suivant le modèle déjà établi en Allemagne, les forces d’occupation nazies proscrirent les témoins dans un pays après l’autre, comme elles l’avaient fait en Autriche et en Tchécoslovaquie. Les eaux de ce déluge inspiré par l’Action catholique, déferlant sur les témoins de Jéhovah, grossissaient sans cesse et étaient sur le point de les engloutir totalement. La Suède et la Suisse étant les seuls pays demeurés neutres, ils offraient un refuge approprié pour les bureaux de la Société, à partir desquels les témoins de Jéhovah pouvaient étendre leur activité au moyen de méthodes clandestines. La France, l’Espagne, la Pologne, la Belgique, la Grèce, la Bulgarie, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Roumanie, la Yougoslavie, l’Estonie, la Finlande, le Danemark et la Norvège se trouvaient sous la botte du dictateur. L’arme tranchante de la guerre atteignit même l’Afrique, où l’on imposa des restrictions aux témoins de la Rhodésie du Nord, de la Rhodésie du Sud, du Nigeria et de la Côte-de-l’Or.
Aussi loin qu’en Asie et dans les îles du Pacifique, les témoins de Jéhovah rencontrèrent de l’opposition, quand le rouleau compresseur japonais se mit en marche en 1941. Les témoins furent alors expulsés et cruellement persécutés au Japon, aux îles Philippines, en Birmanie, en Malaisie, aux Établissements du Détroit, dans les Indes néerlandaises, dans les îles Fidji, en Nouvelle-Zélande, en Inde et à Ceylan. Une attaque générale contre les témoins de Jéhovah prenait forme, comme si elle voulait complètement supprimer la prédication mondiale de ces proclamateurs du Royaumeh.
LA QUESTION DE LA NEUTRALITÉ
Quelle position les témoins adoptèrent-ils en ce temps de crise grave? La question n’ayant pas été clairement débattue au cours de la Première Guerre mondiale, des conséquences désastreuses en avaient résulté pour les serviteurs de Jéhovah. En temps utile, La Tour de Garde (angl.) du 1er novembre 1939 donna à ses lecteurs habitant l’ouest de l’Europe des conseils qui les affermirent avant l’effondrement du système démocratique au printemps suivant. Il s’agissait d’une étude complète sur la “Neutralité”, position observée par le peuple de Dieu des temps anciens. Cette attitude neutre et apostolique adoptée par les témoins leur permit de rester fermes et de se préparer en vue des temps difficiles sous les occupations allemande et japonaise.
Un rapport très intéressant, qui illustre ce point d’une manière précise et grave, nous parvint d’Albanie. Les frères de ce pays étaient persécutés de quatre côtés à la fois: par les Grecs, par les fascistes, par les nazis et par les communistes. En dépit de la rivalité existant entre ces groupes, les chrétiens gardèrent une stricte neutralité. Dans l’un des cas au moins, cette prise de position sauva la vie d’un frère.
Un jour, alors que les nazis et les fascistes occupaient le port méridional de Bologne, un frère reçut la visite des communistes qui lui demandèrent de l’argent pour aider leur parti. Le frère leur expliqua qu’il était neutre, soulignant qu’il ne pouvait soutenir ce parti dans son activité clandestine. Une année plus tard, le communiste qui avait demandé de l’aide au frère changea d’opinion politique et se joignit au parti nationaliste. Celui-ci se servit de lui pour dénoncer tous les communistes de Bologne, étant donné qu’il les connaissait pour avoir déployé une activité en tant que membre du parti communiste. Devant la maison du frère, l’ex-communiste dit: “Non, pas cette maison; quand j’ai demandé de l’aide pour le parti communiste, cet homme a refusé net, parce qu’il se prétendait neutre.” Tous ceux qui avaient assisté les communistes furent arrêtés, tandis que le frère en question fut laissé en liberté.
Le compromis mena des Albanais à une issue fatale. Quel que fût le parti qui dirigeait la ville, fasciste, nazi ou communiste, certains Albanais proclamaient toujours avoir opté pour ce parti en particulier. Parfois, les communistes revêtaient les emblèmes des fascistes et s’introduisaient dans la ville, pour s’enquérir de l’opinion des gens. Ceux qui disaient: “Nous sommes fascistes comme vous” étaient arrêtés ou tués par les communistes. En revanche, les frères sont toujours restés neutres et ont sans cesse répondu de la même façon aux communistes, aux nazis, aux fascistes ou à tout autre parti politique.
Bien avant l’agression japonaise en Asie et avant que la guerre n’éclate en Europe, le juge Rutherford fit sa première visite en Australie. C’était en 1938. Il avait visité les îles Hawaii en 1935, par suite de la création d’une filiale à Honolulu, et des dispositions avaient été prises pour la construction d’une salle de réunion attenant au bâtiment de la nouvelle filiale qu’on était en train de bâtiri. Cette salle reçut le nom de “Salle du Royaume”; c’est alors que les témoins de Jéhovah du monde entier commencèrent à appeler Salle du Royaume les lieux où les congrégations se réunissaientj.
En règle générale, le public accueillit favorablement le juge Rutherford lors de sa première visite en Australie en 1938, quoique dans ce pays également il y eût de nombreuses pressions et des préjugés religieuxk. Une grande campagne de publicité fut organisée pour annoncer sa visite personnelle à la nation ainsi que la conférence publique intitulée “Avertissement”, qui devait être prononcée au Terrain des Sports de Sydney et qui marquerait le point culminant du congrès tenu en cette occasion. À cette assemblée assistaient des proclamateurs du Royaume venus de tous les territoires placés sous la responsabilité de la filiale australienne: Malaisie, Java, Indochine française, Shanghaï, Nouvelle-Zélande et tous les États du Commonwealth d’Australie. Bien que toutes les dispositions aient été prises pour radiodiffuser la conférence, les pressions exercées par les chefs religieux locaux sur le ministre des Postes et Télécommunications aboutirent à l’annulation de la retransmission. Une lettre de protestation que 120 000 personnes signèrent en dix jours resta sans effet.
Suite à ce discours prononcé par le président de la Société et accueilli avec enthousiasme par les 25 000 personnes présentes, un exemplaire de la conférence fut remis l’après-midi même au bureau de rédaction d’un journal qui avait été contacté quelques semaines auparavant. Ici encore, la crainte des pressions religieuses exercées incita les éditeurs à violer un accord qui consistait à porter cette importante conférence à la connaissance d’un plus grand public. Le discours fut toutefois enregistré, ce qui permit à des milliers de personnes dans le monde de l’entendrel. En revenant aux États-Unis, le président de la Société s’arrêta en Nouvelle-Zélande, aux îles Fidji, aux îles Samoa américaines, et à Hawaiia.
LA VOIX DES ANGLAIS NEUTRES SE FAIT ENTENDRE
En Angleterre également les frères se préparaient à affronter l’ouragan de la Seconde Guerre mondiale, et ils observaient avec zèle une stricte neutralité. Au début de la guerre, les journaux britanniques parlaient beaucoup des témoins de Jéhovah en Angleterre, à cause de la diffusion étendue et de la discussion du White Paper [Livre Blanc] (Allemagne no 2) paru le 30 octobre 1939 et intitulé “Traitements infligés aux ressortissants allemands en Allemagne”. Les faits présentés dans ce Livre Blanc étaient fondés sur un rapport compilé par sir Neville Henderson, ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin au moment de la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, et comprenaient les expériences vécues par les témoins de Jéhovah en Allemagne. Nous citons un extrait de ce Livre Blanc:
Il y avait 1 500 Juifs et 800 Étudiants de la Bible [témoins de Jéhovah] (...). Chaque homme portait un insigne, jaune avec l’étoile de David pour les Juifs, violet pour les Étudiants de la Bible, etc. (...) Les prisonniers juifs écrivaient et recevaient des lettres deux fois par mois. Les Étudiants de la Bible ne pouvaient avoir aucune communication avec le monde extérieur, mais, d’un autre côté, leurs rations n’étaient pas réduites. Herr X parlait de ces hommes avec le plus profond respect. Leur courage et leur foi religieuse étaient remarquables, et ils se déclaraient prêts à subir jusqu’à l’extrême ce que, pensaient-ils, Dieu avait voulu pour eux. (...)
(...) Les “Bibelforscher” [Étudiants de la Bible], secte religieuse tirant sa doctrine de la Bible et comptant un nombre considérable d’adhérents dans tous les coins du pays, mais proscrite par la Gestapo depuis que ses membres refusent le service militaire; ces malheureux étaient presque aussi maltraités que les Juifsb.
Le 15 novembre 1939, le bureau de la Société à Londres adressa à tous les membres du Parlement, aux chefs religieux, aux fonctionnaires locaux et à la presse la déclaration suivante:
Les témoins de Jéhovah, en quelque endroit qu’ils résident, se montrent loyaux envers les lois et coutumes du pays; ils cherchent à servir Dieu et sont de bonne volonté envers tous les hommes. S’ils sont jugés déloyaux par les hommes, c’est seulement lorsqu’une loi humaine fait intervenir une instruction contraire aux Écritures, ou prescrit de rendre à l’homme l’adoration qui n’appartient qu’au seul Dieu tout-puissant. Afin que la position des témoins de Jéhovah touchant les événements actuels soit claire, une brochure reproduisant un article du périodique La Tour de Garde est jointe à la présente. En même temps, elle explique leur NEUTRALITÉ dans tous les cas, et donne la raison pour laquelle ils ne peuvent prendre part à aucune activité militaire.
C’est en faveur des milliers de témoins de Jéhovah en Angleterre que nous souhaitons faire comprendre cette position. En tant que serviteurs du Dieu Très-Haut, notre position est la même que celle de nos frères allemands, à savoir celle de la stricte NEUTRALITÉ. Notre dévouement, notre service et notre loyauté sont consacrés au GOUVERNEMENT THÉOCRATIQUE de Jéhovah, et basé sur Jean 17:16, qui dit: “Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.” Ci-joint un exemplaire de notre brochure Gouvernement et Paix, pour votre documentation personnellec.
Cette déclaration se référait également au fait que le gouvernement britannique avait, au moyen de ce Livre Blanc, reconnu que les témoins de Jéhovah d’Allemagne étaient aussi persécutés parce qu’ils refusaient de faire le service militaire. Grâce à cette prise de position hardie qui fut publiée dans tout le pays, les jalons étaient posés en vue d’une année de service théocratique ininterrompue. Les autorités ainsi que le peuple apprirent que les témoins de Jéhovah n’étaient pas des pacifistes et n’avaient aucun rapport avec les nombreux mouvements pacifistes fauteurs de troubles en Angleterre. La seule opposition fut celle de la presse catholique, qui s’efforça de faire passer les témoins de Jéhovah pour un mouvement subversif.
Les frères de Grande-Bretagne firent de nombreuses expériences pénibles par suite des bombardements répétés des nazis. Voici ce que rapporta le serviteur de filiale:
PRÉDICATION SOUS LE FEU DE L’ENNEMI
Une bombe incendiaire perça le toit de la Salle du Royaume située à Craven Terrace, près du centre de Londres, et les meubles prirent feu, mais les frères du Béthel chargés de la protection contre l’incendie le maîtrisèrent rapidement. Cette nuit-là, sept bombes incendiaires tombèrent sur l’immeuble de la Société, qui abrite la famille du Béthel et les bureaux. Pour montrer à quel point les démons avaient pris le Béthel de Londres pour cible, en trois mois vingt-neuf bombes de grande puissance ont explosé à quelques centaines de mètres des bureaux de la Société, la plus proche étant tombée à trente mètres de l’autre côté de la rue. L’une des bombes les plus puissantes et qui ont causé des dégâts sans précédent ne tomba qu’à soixante-dix mètres derrière le Béthel. Le bureau fut deux fois menacé par des incendies violents qui ravagèrent des immeubles situés à cinq mètres derrière le Béthel. Celui-ci fut secoué à maintes reprises tout comme dans un tremblement de terre. Les murs fissurés ont dû être réparés. Il y eut des nuits de terreur et de mort qu’aucun des membres de la famille n’oubliera jamais. Mais malgré cela, l’“œuvre étrange” se poursuivit à Londres et dans toute la Grande-Bretagne, et elle progressa comme jamais auparavant, apportant l’espoir, la consolation et le réconfort à des milliers d’hommes qui recherchaient un véritable refuged.
Pendant la “bataille d’Angleterre”, la terrible guerre aérienne qu’elle subit, une douzaine de témoins de Jéhovah à peine sur les 12 000 qui résidaient alors dans les îles Britanniques perdirent la vie. Il est vrai que de nombreux témoins furent blessés et perdirent leurs foyers, et que des Salles du Royaume furent détruites par les bombardements aériens nazis; néanmoins, ils ne cessèrent d’adorer Jéhovah, le Dieu vivant, et maintinrent la prédication de maison en maison à un niveau élevé. Les réunions de la congrégation durent avoir lieu le dimanche après-midi pour éviter les dangers des attaques aériennes du soir, mais toutes furent tenues régulièrement. La grande campagne de prédication qui se poursuivit et s’étendit même au cours de ces années de guerre apporta une grande consolation et une espérance solide à des milliers de cœurs honnêtes.
Les grandes assemblées de zone prévues furent tenues comme s’il n’y avait pas eu la guerre, certaines sessions ayant même lieu pendant les bombardements. En 1940, au cours d’un raid de nuit, le vaste Free Trade Hall de Manchester fut démoli juste après que les témoins de Jéhovah eurent clos leur assemblée nationale dans cette ville. Celle qui se tint à Leicester, du 3 au 7 septembre 1941, fut des plus stupéfiantes. Au sein de la chaleur intense de la guerre, 12 000 témoins environ s’étaient rassemblés pour un festin théocratique de cinq jours. À tout moment, en face des forces hostiles, on devait triompher d’obstacles quasi insurmontables pour assurer la nourriture, le logement et le transport d’une foule aussi nombreuse. Les disques des principaux discours prononcés par le juge Rutherford à l’assemblée de Saint Louis, dans le Missouri, tenue du 6 au 10 août 1941, avaient été envoyés à Londres par avion, juste à temps pour être utilisés au congrès après leur passage à la censure. À quel degré d’élévation spirituelle cette assemblée ne parvint-elle pas! Quel esprit d’unité, de coopération et d’amour y fut manifesté! Elle permit à tous les assistants de se fortifier pour supporter les épreuves des années de guerree.
L’embargo fut mis sur les publications venant de Brooklyn. Ensuite, il fallut combattre pour s’approvisionner en papier afin que la Société pût entreprendre d’importants travaux d’impression en Angleterre et maintenir le flot de publications nécessaires au service du champ, où un groupe important de pionniers actifs veillait aux besoins spirituels de leurs semblables. Par la suite, l’importation du périodique La Tour de Garde fut interdite aux abonnés des îles Britanniques. Cependant, les articles d’étude n’ayant pas été prohibés, ils furent imprimés sur place; ainsi, les centaines d’études hebdomadaires de La Tour de Garde ne furent pas interrompues.
En Angleterre, on enrégimenta tous les citoyens, hommes et femmes. Beaucoup de juges refusèrent aux frères l’exemption militaire. Il en résulta 1 593 condamnations, et le nombre total des peines d’emprisonnement dépassa six cents ans. Parmi ces condamnations, 334 concernaient des femmes, lesquelles, au même titre que les hommes, devaient faire de la prison pour n’avoir pas accepté les instructions gouvernementales relatives à l’accomplissement du service de guerre. Avant la guerre, de nombreux témoins s’étaient enfuis de Pologne, d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique et de France, pour se réfugier dans ce pays. Ils y étaient devenus pionniers, mais quand les combats s’intensifièrent, le gouvernement les interna pour la durée de la guerre dans un camp de l’île de Man. Des témoins de Jéhovah d’origine américaine et suisse furent expulsés des îles Britanniques.
Ainsi, en dépit des restrictions sévères et des limitations imposées par la guerre, les témoins de Jéhovah en Angleterre maintinrent leur neutralité, gardant leur intégrité envers Dieu. Le combat pour la liberté d’adorer Jéhovah ne diminua ni ne cessa en Angleterre. Au contraire, il s’intensifia plus que jamais.
LES CANADIENS NEUTRES PRÊCHENT EN DÉPIT DE L’INTERDICTION
Dans tout le Commonwealth britannique on imposa des restrictions aux témoins de Jéhovah, et dans certains endroits leur œuvre fut totalement interdite. Par exemple, au Canada, les frères persévérèrent durant la guerre au sein de grandes tribulations. Dans les débuts de la Société, l’œuvre au Canada se développa sous la direction du bureau de Brooklyn, lequel s’occupait également des congrégations aux États-Unis. Toutefois, vous vous rappelez certainement qu’en 1918 une filiale avait été établie à Winnipegf. Puis, après la Première Guerre mondiale, et peu de temps après que fut levée l’interdiction contre les témoins de Jéhovah au Canada, le 1er janvier 1920, la filiale canadienne de la Société fut transférée à Torontog. L’année 1925 vit la naissance de la société non lucrative appelée Association internationale des Étudiants de la Bible du Canada, qui devint propriétaire des biens de la filialeh.
L’œuvre progressa assez bien au fil des années, mais à cause de la défection de quelques responsables, des changements administratifs devinrent nécessaires en 1936. Le manque d’acuité spirituelle qui rendit ces modifications indispensables avait provoqué un ralentissement momentané de l’œuvre, mais grâce au fonctionnement de cette nouvelle force administrative, les conditions spirituelles s’améliorèrent et de plus grands progrès dans l’œuvre de témoignage furent réalisési.
Durant toute cette période, on rencontra une forte opposition dans le Québec catholique, où des arrestations avaient lieu constamment. Cependant, la véritable “bataille du Québec” devait avoir lieu plus tard, comme nous le verrons dans une autre discussion. Mais le Québec catholique avait le bras long; aussi, le 4 juillet 1940, lorsque les conquêtes d’Hitler en Europe atteignirent leur apogée, Ernest Lapointe, ministre canadien de la justice, fit adopter en conseil un arrêté qui proscrivait complètement l’activité des témoins de Jéhovah et leur Société, la IBSA.j
Les revers de la guerre atteignaient alors leur point culminant pour les démocraties, aussi les témoins de Jéhovah devenaient-ils d’excellents boucs émissaires; une inquisition moderne s’ensuivit donc. On encouragea l’espionnage des voisins, on fit des descentes de police dans les foyers, des bibliothèques privées furent saisies, des réunions bibliques, y compris la célébration de la Commémoration, furent interrompues, et même des exemplaires de la célèbre Version du roi Jacques furent confisqués et leur destruction ordonnée. La presse se montra malveillante dans ses attaques. Ces outrages s’étendirent d’un bout à l’autre du paysk.
Bien que tout cela prît les témoins canadiens par surprise, ils ne se laissèrent cependant pas vaincre sans résistance. Bientôt ils organisèrent un système clandestin étendu et efficace, qui leur permit de se réunir en petits groupes pour étudier la Bible et continuer leur prédication. À l’exemple de leurs frères sous la domination totalitaire, ces témoins étaient déterminés à servir Dieu, et non l’homme; c’est pourquoi ils ne permirent pas aux lois humaines ou à quoi que ce soit de les empêcher de remplir la mission que Dieu leur avait confiée. Quelque 5 000 proclamateurs finirent par se remettre sur pied pour accomplir l’activité des nouvelles visites et des études bibliques.
Un matin de novembre 1940, les frères se levèrent de bonne heure et parcoururent le pays d’une extrémité à l’autre, glissant sous les portes des exemplaires d’une brochure spéciale intitulée “Fin du nazisme”. Lorsque les habitants s’éveillèrent, ils trouvèrent cette déclaration hardie et courageuse, annonçant que bientôt le Royaume de Dieu remis entre les mains du Seigneur Jésus-Christ s’imposerait, détruirait toute opposition et mettrait fin aux pouvoirs totalitaires. Quoique plus de 7 000 témoins aient participé à cette campagne spéciale, moins d’une dizaine furent arrêtés et aucun d’entre eux ne fut accusé d’avoir diffusé des publications subversives, bien que le message fût semblable à celui qui était proclamé dans le pays depuis de longues annéesl.
Dans une autre partie du Commonwealth britannique, les frères subissaient des restrictions dans leur œuvre. En Australie, à partir de juillet 1940, les chefs religieux se mirent à inciter l’action politique contre les témoins zélés. En conséquence, le 16 janvier 1941, le premier ministre Menzies annonça prématurément au Parlement la proposition de son gouvernement de proscrire les témoins de Jéhovah. Le lendemain, 17 janvier, l’arrêté ministériel fut publié dans le Journal officiel, interdisant les activités de la Société et de ses associations sœurs, y compris le groupe des témoins de Jéhovah d’Adélaïde qui possédait une Salle du Royaume que le gouvernement s’appropria. Il s’empara également du Béthel et l’occupaa.
Mais dans tous ces pays, les témoins de Jéhovah n’abandonnèrent pas la mission dont Dieu les avait chargés, à savoir prêcher la bonne nouvelle du Royaume. Dans toutes les parties de la terre les témoins du Royaume restèrent actifs, et certains récits relatifs au courage et à l’ingéniosité manifestés par les frères sous le régime totalitaire sont des plus saisissants.
[Notes]
a a Annuaire (angl.) 1940, pp. 43, 44.
b b Nouvelles du Royaume (angl.), no 4, juil. 1939.
c c Voir aussi Le Messager (angl.), août 1939, p. 8.
d d Consolation (angl.), Vol. XXI, 29 nov. 1939, pp. 20, 21.
e e Ibid., p. 24.
f f Annuaire (angl.) 1940, pp. 81, 82.
g g The World Almanac [L’Almanach mondial], 1953, p. 248.
h h Annuaire (angl.) 1940, p. 85; Annuaire (angl.) 1942, pp. 88, 107, 111, 142, 143, 144, 161, 163, 171, 172, 181, 190, 191, 199, 200, 208.
i i Annuaire (angl.) 1936, pp. 144-146.
j j Par ex.: en Angleterre, le “Tabernacle de Londres” fut remis à neuf et il reçut le nom de “Salle du Royaume”. Consolation (angl.), Vol. XIX, 6 avril 1938, pp. 26, 27.
k k Consolation (angl.), Vol. XIX, 15 juin 1938, pp. 3-11.
l l Annuaire (angl.) 1939, pp. 103-105.
a m Consolation (angl.), Vol. XIX, 13 juil. 1939, p. 8.
b n The White Paper [le Livre Blanc] (Allemagne no 2), 30 oct. 1939, Cmd. 6120, pp. 10, 35, publié par le gouvernement britannique. Voir aussi Annuaire (angl.) 1941, pp. 104, 105.
c o Annuaire (angl.) 1941, pp. 104, 105.
d p Annuaire (angl.) 1942, p. 84.
e q Annuaire (angl.) 1942, pp. 83-97.
f r w 1918, p. 2.
g s w 1920, pp. 36, 37.
h t Annuaire (angl.) 1945, p. 119.
i u Annuaire 1937, pp. 120-133.
j v Annuaire (angl.) 1941, p. 160.
k w Consolation (angl.), 15 mars 1944, p. 4.
l x Annuaire (angl.) 1942, pp. 156, 157.
a y Ibid., pp. 124-134.
[Illustration, page 151]
“GOUVERNEMENT ET PAIX”, 1939.
[Illustration, page 152]
DÉBUT DE LA MARCHE, LONDRES, 1939.