Chapitre 23
La prédication clandestine en pleine guerre
JEAN: Au cours de ces sombres années de la Seconde Guerre mondiale, le seul but des témoins de Jéhovah, où qu’ils se trouvaient, était de prêcher le Royaume de Dieu comme l’unique espoir pour le monde! Dans les lointaines îles Philippines, les communications avec le siège de la Société en Amérique cessèrent après l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Néanmoins l’œuvre se poursuivit. Selon le dernier rapport établi par la filiale en 1941, il y avait 373 proclamateurs. Le travail que ces derniers accomplirent sous l’occupation japonaise est un exemple de foi et de persévérance. Voici, en partie, ce que disait le rapport du serviteur de filiale établi après sa sortie de prison:
Les Japonais entrèrent dans la ville le 2 janvier 1942, et ne tardèrent pas à instaurer un gouvernement militaire sévère. La censure entra immédiatement en action. Tous les postes récepteurs furent mis sous scellés et confisqués, et on promulgua un décret soumettant toutes les publications à la censure du gouvernement militaire japonais, avant qu’elles soient remises entre les mains du public. Les Bibles vendues dans les librairies subirent la censure. Toutefois, pas un seul frère ne remit à la censure les publications qu’il possédait. Le message du Royaume qu’ils continuèrent de prêcher resta intact. À Manille et dans les environs, les Nippons perquisitionnèrent méthodiquement maison après maison, en vue d’y découvrir des armes et des munitions. Mais ils ne se soucièrent pas des armes du Seigneur et des munitions exposées sur les rayons des bibliothèques dans les foyers des frères.
Le 26 janvier 1942, je fus interné ainsi que tous les autres étrangers considérés comme ennemis de ces envahisseurs avides. Tout d’abord, l’administration civile nous traita convenablement; mais quand celle-ci tomba sous la coupe des militaires japonais, les internés connurent de nombreuses privations. (...) Les trois années d’internement que nous avons subies nous affaiblirent considérablement. Il ne nous restait que la peau sur les os lorsque les forces américaines s’emparèrent du camp. Dans les derniers mois, la famine régnait. Chaque jour les prisonniers recevaient un bol de riz maigre à l’eau avec du sel. Tout ce qui nous tombait sous la main, comme des épluchures, de la mauvaise herbe et d’autres plantes, que nous pouvions ramasser dans la cour du camp, servait à remplir nos estomacs vides et atténuait un peu la sensation horrible de la faim. (...)
Au cours des années que dura la domination des militaires japonais, les frères en liberté firent progresser l’œuvre théocratique. En qualité d’ambassadeurs du Royaume, le seul espoir du monde, ils ne pouvaient attendre la fin de la guerre pour nourrir ceux qui étaient affamés et assoiffés de vérité et de justice, bien qu’ils fussent exposés à de nombreux dangers. Quand ils en avaient la possibilité, ils faisaient bon usage du peu d’équipement qui n’avait pas été confisqué, et commençaient des études modèles. (...) Durant la domination implacable des Japonais, ils formèrent trente et un nouveaux groupes réunissant environ 2 000 proclamateurs. Sous le bras protecteur du Roi sans cesse victorieux, sept assemblées de zone furent organisées dans différentes parties de l’île Luçon. L’assistance la plus élevée fut de 2 000 personnes.
Lorsque le faible stock de publications fut épuisé, les frères eurent recours à une méthode de diffusion qui s’avéra efficace: ils prêtaient pour une semaine des livres aux personnes bien disposées. Cela leur permit de faire un nombre impressionnant de nouvelles visites et d’études modèles, et de former de nouveaux groupes. De cette façon, ils furent à même de persévérer dans le témoignage de maison en maison, puisque les publications revenaient sans cesse.
Pendant la dernière année de l’occupation japonaise, lorsque l’armée américaine fondit sur Manille et que les Japonais commencèrent à massacrer des civils innocents, les proclamateurs de la province étaient toujours actifs, servant joyeusement Jéhovah, le Tout-Puissant. La prédication de maison en maison allait bon train. Un groupe de frères vécut une expérience intéressante, tandis qu’ils obéissaient au Seigneur. Au cours de leur activité de prédication, les témoins traversèrent un petit village habité par des guérilleros et leurs familles, auxquels ils avaient prêché précédemment. Les frères se dirigeaient vers la ville voisine, afin de s’occuper “des affaires de notre Père”. On les avertit que des soldats japonais se trouvaient dans la ville. Ils ne rebroussèrent pas chemin pour autant, et continuèrent leur prédication de porte en porte. Les témoins virent les soldats japonais et les guérilleros brandir des fusils et ils se demandaient pourquoi ils ne tiraient pas, alors qu’ils étaient censés être des ennemis. Ils se surveillaient simplement les uns les autres. Toutefois, les proclamateurs ne s’arrêtèrent pas, mais achevèrent de parcourir leur territoire. Tandis qu’ils s’en retournaient, ils trouvèrent le même petit village en feu et ses habitants tués à la baïonnette: hommes, femmes et enfants. Comment ces frères échappèrent-ils à une mort certaine alors que les Japonais auraient pu s’emparer d’eux? On ne peut le savoir, si ce n’est que Jéhovah a protégé son peuplea.
LA PRÉDICATION EST INTERDITE AU JAPON ET EN CORÉE
Pendant la guerre, l’œuvre de prédication fut interdite au Japon; dans ce pays essentiellement païen, elle avait progressé lentement depuis le moment où le message du Royaume de Dieu y avait retenti pour la première fois. C’était en 1912, quand C. T. Russell y débarqua en qualité de chef du comité de l’IBSA, afin de sonder le champ religieux en Orient. Frère Russell et ses compagnons entreprirent un voyage de 1 100 kilomètres à travers le Japon, de Yokohama à Nagasaki. Ayant remarqué que les missionnaires des Églises de la chrétienté étaient considérablement découragés, il en conclut que “ce dont les Japonais avaient besoin, c’était ‘l’évangile du Royaume’, annonçant la seconde venue de Jésus comme Messie glorieux, dans le but de régner, de guérir et d’instruire toutes les familles de la terre”.
Vers 1913, des colporteurs visitèrent le Japon et plantèrent d’autres graines de vérité. En 1927, un Japonais américain fut envoyé au Japon, afin d’y ouvrir une filialeb. C’est ce qui fut fait à Kobe. Toutefois, on ne tarda pas à transférer les locaux au Ginza, à Tokyo, et ensuite à Igikubo, dans la banlieue de Tokyo, où une imprimerie fut installée. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, un travail considérable fut accompli par un groupe de colporteurs japonais, dont le nombre atteignit un maximum de 110 en 1938. On mit l’accent sur les réunions et la diffusion dans les rues de l’édition japonaise du périodique L’Âge d’Or, dont on plaça, rien qu’en 1938, 1 125 817 exemplaires.
Tandis que s’amoncelaient les nuages menaçants de la guerre, les dictateurs japonais prirent des dispositions pour mettre un terme à l’activité des témoins de Jéhovah. Dès 1938, on arrêta et malmena les proclamateurs du Royaume, mais ceux-ci continuèrent de prêcher et se répandirent dans les pays voisins, à savoir Taïwan, la Corée et la Mandchourie. L’une des accusations portées contre les témoins était qu’ils “préconisaient le monothéisme, le culte de Jéhovah”. Il y eut des jugements à huis clos, accompagnés de tortures, dont la durée atteignit jusqu’à deux et trois ans. Ceux qui refusèrent de renoncer à leur croyance furent condamnés à cinq ans de prison ou plus, et les chrétiens qui restaient fidèles se voyaient recondamnés lorsque leur première peine était terminée.
En Corée également l’oppression impitoyable des Japonais se faisait sentir. La première œuvre de prédication rapportée dans ce pays fut celle d’une sœur venue d’Angleterre, et qui voyagea au Japon, en Chine et en Corée à ses propres frais, avec l’accord du premier président de la Société, frère Russell. Son activité de colporteur consistait à visiter les personnes parlant l’anglais en Corée, y compris un grand nombre de Coréens. Au cours de son voyage, en 1915, elle plaça plus de 600 volumes des Études des Écritures.
En 1926, la Société ouvrit en Corée un bureau de traduction et établit une petite imprimerie, afin de préparer des publications en langue coréenne pour le service du champ. D’autres publications furent imprimées dans cette langue à Brooklyn et envoyées en Corée. En 1931, deux frères travaillaient au dépôt, l’un traduisant et l’autre vérifiant l’activité des congrégations dans la diffusion des publications. Des représentants de la filiale de la Société à Tokyo firent une tournée de conférences en Corée et instruisirent les frères locaux. En 1933, le gouvernement japonais s’empara de certains biens que la Société possédait à Séoul, et le 17 juin 1933, il saisit 50 000 exemplaires de nos publications, y compris des livres cartonnés et des brochures. Pour tout évacuer, il fallut dix-huit charrettes tirées par des coolies, selon ce que rapporta le journal Tong-A Ilbo, no 4493. Le 15 août 1933, le gouvernement s’empara de 33 000 exemplaires de nos publications au domicile de l’un des témoins de Jéhovah de Pyongyang. Ce fait a été relaté dans le Tong-A Ilbo no 4452.
Les shogouns du Japon partirent à la conquête de l’Asie et se servirent du shintoïsme, religion nationale japonaise, pour unir les peuples du grand empire. On obligea tous les Coréens à se prosterner devant le sanctuaire shinto dédié à l’empereur. Le refus de s’adonner au culte des idoles opposé par les témoins de Jéhovah les fit entrer pour la première fois en conflit avec les autorités japonaises; toutefois, l’organisation fut à même de poursuivre ses activités jusqu’en 1939.
Le 18 juin 1938, on commença à arrêter les témoins de Jéhovah au Japon et en Corée. Le 29 juin 1939, les frères du bureau coréen furent emmenés, et en ce même jour les autorités saisirent des publications emmagasinées sur une surface de cent mètres carrés environ. Elles furent rassemblées sur les bords du fleuve Han et brûlées, d’après ce que rapporta la presse le lendemain. On arrêta nombre de témoins en Corée, et ceux qui refusaient de se prosterner devant le sanctuaire shinto étaient emprisonnés. Plus de trente témoins se virent infliger de longues peines et beaucoup moururent en prison. Une sœur âgée fut enchaînée à une pierre dans une position de continuelle prosternation, et cela pendant plus de deux ans. Notre œuvre fut alors interdite.
En ce qui concerne ce culte idolâtrique, les protestants de Corée eurent la tâche facilitée, car leurs Églises décrétèrent que se prosterner devant le sanctuaire shinto était une affaire laïque et non religieuse, qui pouvait être considérée comme “rendre à César” son dû. Même un grand nombre de membres de ces Églises se rendirent compte que la ligne de conduite préconisée incitait au compromis; cette décision provoqua des scissions au sein des Églises, par exemple dans l’Église presbytérienne, pour n’en citer qu’une.
RECHERCHE DES BREBIS DU SEIGNEUR EN POLOGNE ET EN GRÈCE
En Pologne, la recherche des “autres brebis” était très bien organisée et efficace, particulièrement pour ce qui était de l’activité des pionniers zélés:
En Pologne, il y eut aussi des pionniers pendant la guerre. À Varsovie, par exemple, des pionniers opéraient dans des quartiers entiers. Ils se présentaient comme commerçants. Munis d’une mallette, ils allaient de porte en porte et vendaient de la pâte dentifrice, de la crème pour chaussures et d’autres bagatelles. Il leur importait toutefois peu de vendre leur marchandise. Au contraire, ils étaient heureux de ne pas être obligés de la renouveler trop souvent. Ils cherchaient avant tout à nouer conversation avec les gens et à leur parler du Royaume. Le renchérissement et le manque d’argent étaient les meilleurs prétextes pour entamer une conversation. Quand quelqu’un se plaignait de cette [situation], il était alors facile d’en venir à parler (...) des temps en général. Puis, de fil en aiguille, on entretenait les gens d’un petit livre qu’on possédait avant la guerre et qui était si intéressant. Il leur était ensuite donné un témoignage. Quand on voyait que l’interlocuteur montrait de l’intérêt pour la vérité, on avait, “tout par hasard”, le petit livre sur soi et on lui prêtait le no 1. Les proclamateurs communiquaient alors l’adresse des intéressés à d’autres frères, qui venaient faire des visites complémentaires. On apprenait ainsi à connaître les gens et ceux qui faisaient vraiment preuve d’intérêt étaient, après quelques visites complémentaires, réunis en groupes de 5 à 10 personnes, avec lesquelles on procédait à des études modèles, selon un plan d’étude établi à cet effetc.
En Grèce également le manque de publications créa un problème qui fut heureusement résolu grâce à un emploi judicieux de ce qui était disponible. Les témoins de ce pays recoururent à la prédication occasionnelle:
Lorsque la guerre éclata entre l’Italie et la Grèce, en octobre 1940, beaucoup de frères refusèrent de faire du service, avec ou sans armes. Comme [la législation] était très sévère et qu’il n’existait aucune loi permettant d’exempter ceux qui refusaient le service par motif de conscience, les frères durent comparaître devant le tribunal militaire. Trois d’entre eux furent condamnés à mort, d’autres à des peines d’emprisonnement allant de sept à vingt ans, ou à la réclusion à perpétuité. Le Seigneur permit que ces condamnations servissent de vigoureux témoignage. La situation se développa de telle sorte qu’aucun arrêt de mort ne fut exécuté. Actuellement tous les frères condamnés sont hors de prison.
Après que les communications entre la Grèce et l’Amérique furent coupées, en 1941, nous mîmes tout en œuvre pour aider les “autres brebis” du Seigneur et les frères et sœurs en général. Les articles secondaires de La Tour de Garde furent traduits et envoyés aux frères et sœurs. Les livres Salut et Religion, et la brochure Réfugiés, furent également traduits, multipliés (2 500 exemplaires) et remis aux membres du peuple de Dieu dans tout le pays. De cette façon, les assemblées ne furent pas interrompues, mais constituèrent une bénédiction pour tous les frères et sœurs.
Comme notre stock de livres et de brochures menaçait de s’épuiser, nous cherchions à accomplir notre travail d’une autre manière, c’est-à-dire à entamer une conversation avec les gens assis dans les parcs et à leur rendre témoignage du Royaume. Lorsque les auditeurs manifestaient quelque intérêt, nous leur prêtions une brochure en leur disant que nous viendrions la chercher et parlerions des points qu’ils n’auraient pas compris. Lors de la visite suivante, nous offrions une autre brochure et leur proposions — si toutefois ils appréciaient ces vérités — de prendre part à des études avec d’autres intéressés. Après avoir traité deux ou trois brochures, ils furent invités à assister à l’étude de La Tour de Garde et des livres. De cette manière, grâce à la sollicitude du Seigneur, une méthode de visites complémentaires fut introduite, et, dès lors, en 1941, le nombre des “autres brebis” a considérablement augmentéd.
LES BREBIS SONT NOURRIES EN DÉPIT DES ARRESTATIONS
Les témoins de Jéhovah étant plus nombreux en Allemagne, une plus grande activité fut déployée dans ce pays. Il y eut par conséquent davantage d’arrestations. La cruauté et le sadisme des commandants des camps de concentration nazis et de leurs gardes étaient connus de tous, mais les témoins allemands ne se relâchèrent pas dans la crainte d’être internés. Ils ne firent pas non plus de compromis quant à leur neutralité chrétienne, pour des raisons d’opportunisme. Ces frères étaient résolus à trouver et à nourrir les brebis du Seigneur, tout en s’aidant spirituellement les uns les autres.
À partir de 1934, les témoins d’Allemagne commencèrent à être congédiés par leurs employeurs, non seulement parce qu’ils refusaient de voter et de faire le salut hitlérien, mais encore parce qu’ils ne participaient pas aux manifestations du 1er mai. En octobre 1936, l’Angriff (l’Attaque), organe du parti national socialiste, demanda le renvoi des témoins de Jéhovah de toutes les entreprises allemandese.
Des efforts spéciaux ont été faits pour découvrir et arrêter les témoins de Jéhovah lors de la célébration du “repas du Seigneur”. C’est ce qui ressort de cet ordre secret décrété en 1935:
Police secrète d’État. I R I 3637-35. Berlin, 20 mars 1935. D’après un écrit confisqué aux Étudiants de la Bible, La Bataille de Dieu, les groupes “des oints” se réuniront probablement le 17 avril 1935, après 6 heures du soir, pour une fête commémorative du sacrifice de Jésus-Christ, à la gloire de Jéhovah. Il se peut qu’une visite à l’improviste, au moment indiqué, chez les chefs de groupes des Étudiants de la Bible ait du succès. Prière de signaler les résultats. Sig.: Hardtmannf.
Lors de la célébration de la commémoration de la mort du Seigneur, on arrêta non seulement les “chefs de groupes”, mais encore quiconque assistait à l’une de ces réunions. Même là où deux ou trois seulement s’étaient réunis dans leur propre logement, ils ont été espionnés par la police secrète ou dénoncés par leurs voisins. Dans de tels cas, ils furent jugés par les tribunaux allemands pour avoir violé l’interdiction frappant les témoins de Jéhovah. Et on les punitg.
Les témoins qui refusèrent d’accomplir le service militaire se virent infliger de longues peines de prison, et les frères furent exilés dans des camps de concentration. De même, le refus de dire “Heil Hitler” était considéré comme un acte contre l’État, entraînant des condamnations sévères. Posséder l’une des publications de la Société signifiait l’emprisonnement certain. Les enfants de témoins de Jéhovah enlevés à leurs parents et confiés à des familles nazies qui les adoptèrent refusèrent d’entrer dans les mouvements de la Jeunesse hitlérienne et maintinrent leur intégrité en dépit des sévères pressions exercées sur eux. Malgré ses efforts et ses rafles, de 1933 à 1945, Hitler ne fut à même d’emprisonner ou de bannir à n’importe quel moment donné que la moitié environ des témoins. Cela voulait dire que près de 10 000 d’entre eux étaient incarcérés, alors que le même nombre de frères libres à l’extérieur poursuivaient leur activité clandestine, témoignant hardiment, mais avec prudence. Les enterrements étaient autant d’occasions pour les témoins encore en liberté de se rassembler publiquement, d’entendre des discours bibliques et de goûter quelques courts instants de compagnie fraternelle. De petites réunions secrètes avaient lieu le soir ou dans les forêts. En outre, des portions de nourriture spirituelle récente publiées dans le périodique La Tour de Garde leur parvenaient polycopiées par des moyens détournésh.
En dépit de toutes les tribulations qu’ils endurèrent dans ces pays affligés par la guerre, les frères n’ont jamais perdu de vue leur obligation primordiale de trouver et de nourrir les brebis. Cela signifiait non seulement qu’ils devaient rester intègres devant Jéhovah Dieu en raison de leur foi, mais également qu’il leur fallait faire face à l’ennemi, s’exposant à être arrêtés et poursuivis. Même les personnes bien disposées, que les témoins avaient trouvées et nourrissaient spirituellement, de sorte que la vérité les affermissait, reconnaissaient la nécessité de prêcher et de proclamer la bonne nouvelle du nouvel ordre juste de Dieu.
Un frère d’Allemagne rapporta que durant les années 1934 et 1935, il rencontra un couple qui manifesta un grand intérêt pour la vérité et avec qui il étudia dans son foyer. Il visitait ces personnes régulièrement chaque semaine pour étudier La Tour de Garde en leur compagnie. Quand ce frère fut arrêté en 1936, sa femme reprit et continua l’étude, mais elle ne tarda pas non plus à se faire arrêter et condamner à trois ans de réclusion.
Ce couple, nouvellement intéressé par la vérité et affamé de la Parole de Dieu, resta seul, ne possédant que l’adresse d’un frère habitant à quelque 400 kilomètres de là. La femme s’y rendit pour obtenir un exemplaire polycopié de La Tour de Garde et en prit quelques autres en supplément. Par la suite, quand elle se sentit plus forte, elle participa à la diffusion de ces périodiques dans de vastes territoires d’Allemagne, après l’arrestation de presque tous les frères connus. Le frère qui les contacta au début rapporte qu’après sa libération en 1945, il se rendit chez eux, mais leur maison avait été éventrée par une bombe et complètement brûlée. Il se renseigna donc et apprit que cette femme, qui avait coopéré avec tant de zèle, avait été poursuivie et arrêtée, ainsi que son mari. On les avait emmenés tous deux à la prison de la police de Munich, où le mari fut littéralement battu à mort à cause de sa position ferme, tandis que sa femme fut condamnée à mort et décapitée. Pour autant qu’on le sache, ces deux personnes fidèles n’avaient même pas eu l’occasion de symboliser l’offrande de leur personne à Jéhovah Dieu par le baptême d’eau. Toutefois, elles étaient animées du désir de servir Dieu et leurs semblables, au point même de donner leur vie pour cette œuvre.
LES FRÈRES CONTINUENT À ÊTRE NOURRIS SPIRITUELLEMENT
Le frère qui rapporta ce fait connut lui-même de nombreux dangers en apportant des publications et de la nourriture spirituelle aux témoins de Jéhovah. Sa responsabilité consistait à subvenir aux besoins spirituels de toutes les congrégations de l’Allemagne du Sud. En 1935, il fut arrêté deux fois, puis relâché à la condition de se présenter aux autorités tous les deux jours. Entre ces visites, il voyageait souvent, parcourant de neuf cents à douze cents kilomètres en train, visitant un certain nombre de congrégations pour être de retour dans les quarante-huit heures et se présenter à la police. Voici ce qu’il dit:
Je connus souvent des situations angoissantes, car à plusieurs reprises il me fallut fuir et changer immédiatement d’itinéraire, car j’étais suivi. Maintes fois j’échappai à l’arrestation comme par miracle. En une certaine occasion, je me trouvais déjà dans un immeuble, pris au piège comme un rat, car trois agents de police m’attendaient dans la maison; malgré cela je pus faire en sorte de leur échapper. Point n’est besoin de préciser qu’au cours de cette période, il ne m’a pratiquement pas été possible de dormir dans un lit; je dormais presque toujours dans les voitures de chemin de feri.
Finalement, ce frère fut arrêté en secret, mais la mère d’un témoin de Jéhovah se trouvait justement dans la rue pour voir ce qui se passait. Ainsi, les efforts de la police pour faire “disparaître” ce frère et semer le doute et la confusion dans l’esprit de ses proches et de ses compagnons furent vains. À partir de son arrestation jusqu’à la fin de la guerre, on le transféra de camp en camp; il fut sans cesse interrogé et persécuté dans le but de lui faire révéler le nom d’autres frères. En une certaine occasion, la Gestapo du sud-ouest de l’Allemagne l’interrogea et alla même jusqu’à lui interdire de changer de linge de corps pendant quatre mois et demi. Maintes fois on prit des dispositions pour “se débarrasser” de lui, mais il y eut des contrordres à la dernière minute. Pendant presque cinq ans, il n’eut pratiquement aucun contact avec les témoins; en outre, on lui avait retiré sa Bible, afin de le briser, mais son intégrité ne faillit pas.
Pourvoir à la nourriture spirituelle des frères était une phase difficile mais essentielle de l’activité clandestine des témoins. On faisait parvenir à la frontière un ou deux exemplaires à la fois de La Tour de Garde, que le responsable de l’organisation clandestine envoyait, par l’intermédiaire de messagers dignes de confiance, dans différents endroits équipés de machines à polycopier dissimulées soit dans des caves, soit dans des chambres mansardées ou encore dans des pièces spécialement aménagées et difficiles à découvrir. Plusieurs frères d’Allemagne accusés d’avoir préparé La Tour de Garde pour la diffuser furent condamnés à mort et exécutés.
En dépit du caractère clandestin de leur œuvre, les frères étaient bien organisés. Nous en avons pour preuve la diffusion de la résolution adoptée lors d’un congrès tenu à Lucerne, en Suisse, au mois de septembre 1936. Environ 2 500 témoins de Jéhovah venus d’Allemagne purent assister à ce congrès, et la résolution que les congressistes adoptèrent en cette occasion fut diffusée dans toutes les grandes villes d’Allemagne, le 12 décembre 1936. Chaque proclamateur reçut un paquet contenant une vingtaine d’exemplaires à répandre dans une certaine partie du territoire qui lui était assignée. Après avoir glissé le feuillet sous la porte ou dans la boîte aux lettres (car il était interdit de le remettre en mains propres), le témoin s’en allait rapidement dans une rue voisine pour déposer un exemplaire de la résolution dans un autre foyer. Ainsi, en ce samedi du mois de décembre, on en diffusa 300 000 en l’espace de deux heures, entre cinq heures et sept heures du soir.
Le frère responsable de l’activité clandestine en Allemagne à cette époque relata un fait intéressant à propos de la diffusion de cette résolution, fait qui lui a été rapporté par l’un des fonctionnaires qui l’avaient arrêté.
La diffusion commença à 17 heures; quinze minutes plus tard, les autorités en étaient informées. Quinze autres minutes passèrent et la police de Berlin était sur pied. C’est alors qu’on enregistra des appels téléphoniques de Hambourg, de Munich, de Leipzig, de Dresde, de la Ruhr et de nombreuses villes. La campagne n’avait pas commencé depuis une heure que la police et les patrouilles de SS passaient toutes ces villes au peigne fin en vue d’arrêter les diffuseurs. Ils n’en prirent aucun. (...)
La police visita minutieusement tous les pâtés de maisons et demanda à chaque habitant de lui remettre immédiatement le tract en question. Comme très peu de personnes l’avaient reçu et que la plupart d’entre elles n’étaient même pas au courant, les autorités eurent l’impression que tous les habitants s’étaient ligués contre elles pour se montrer solidaires à l’égard des Étudiants de la Bible et les protéger. Cette impression, compréhensible étant donné la mauvaise conscience du gouvernement et de son “bras puissant”, produisit un effet foudroyantj.
APPORT DE “MUNITIONS” POUR LA PRÉDICATION
Un frère d’Allemagne fut poursuivi par la police dans une grande partie du pays. Très souvent il fut sur le point de tomber entre ses mains, mais il réussit à lui échapper car aucun des agents ne connaissait sa physionomie. La tâche de ce frère consistait à réorganiser et à prendre soin des congrégations, afin de colmater les brèches causées par les arrestations constantes. Voici ce qu’il dit:
Un jour, je transportai deux lourdes caisses contenant des livres Préparation, qui avaient été amenées à la frontière près de Trèves, à destination de Bonn et de Cassel. J’arrivai à Bonn tard dans la soirée, et par mesure de précaution, je déposai les caisses dans la cave du serviteur de congrégation. Le lendemain matin, à 5h.30, la sonnette retentit. Qui était-ce? C’était la Gestapo et les SS qui venaient perquisitionner. Le [serviteur de congrégation] (...) frappa à la porte de ma chambre pour me dire qu’il y avait des visiteurs. Comme il n’y avait aucun moyen de nous échapper, il ne nous restait qu’à attendre et voir ce qui allait se produire. Quand ces hommes arrivèrent dans ma chambre, ils me demandèrent ce que je faisais là; je leur répondis brièvement que je faisais une excursion sur le Rhin et désirais visiter le jardin botanique de Bonn. Ils vérifièrent mes papiers et me les rendirent en me regardant pensivement, puis ils dirent au [serviteur de congrégation] de se vêtir et de les suivre.
Suivant ce que rapporta plus tard le [serviteur de congrégation], quand ils arrivèrent au poste de police, l’officier dit: “Il y avait quelqu’un d’autre; où est-il?” “Nous ne l’avons pas amené.” “Comment, vous ne l’avez pas amené? Vous êtes des incapables!” “Devons-nous aller le chercher?” “Le chercher? Pensez-vous qu’il vous a attendus?” En vérité, je n’avais pas attendu et j’étais parti pour Cassel en emportant une des caisses.
À Cassel, le serviteur de congrégation m’accueillit et me dit: “Tu ne peux rester ici; je t’en prie, va-t’en immédiatement. Depuis une huitaine de jours, la Gestapo me rend visite tous les matins.” Nous décidâmes qu’il marcherait devant moi, me précédant d’une cinquantaine de mètres, afin de m’indiquer l’endroit où je pourrais déposer les publications. Nous n’avions pas parcouru deux cents mètres, à travers la magnifique Allée des Marronniers, que des agents de la Gestapo venaient à notre rencontre. Ils se moquèrent du surveillant avec mépris, mais ne l’arrêtèrent pas, et je pus observer la scène à cinquante mètres de là. Les publications étaient donc sauvéesk.
Ce frère fut arrêté après avoir été trahi par un ancien témoin, et on le conduisit en voiture à Berlin. Au cours du voyage, qui dura entre trois et quatre heures, on le frappa constamment. Voici ce qu’il dit:
J’étais presque assommé quand j’arrivai dans la cave de la Gestapo située dans la rue Prinz-Albrecht à Berlin. Là, l’interrogatoire se poursuivit encore pendant deux jours et demi, au cours desquels je subis de cruels sévices corporels. Un homme me questionnait, deux autres me maintenaient tandis qu’un quatrième me frappait sans cesse avec une matraque en caoutchouc. Cette torture se poursuivit sans discontinuer pendant les deux jours et demi. Puis ils m’apportèrent du papier à écrire sur lequel je devais tout confesser et trahir les frères qui travaillaient avec moi. Quand ils revinrent et lurent ma déclaration dans laquelle je disais que ma responsabilité était exclusivement engagée envers Jéhovah et que je ne citerais aucun nom, les persécutions reprirent. On me ramena dans ma cellule, mais je fus incapable de me reposer tellement je souffrais. Un autre interrogatoire suivit; cette fois, une boîte crânienne trônait sur la table. Ils me battirent comme des déments pendant deux heures, puis cessèrent brusquement et jetèrent sur la table placée devant moi une pile de documents d’une épaisseur de dix centimètres, en me disant que j’étais un idiot pour me laisser battre ainsi, alors qu’ils connaissaient déjà tout ce qui les intéressait. Je parcourus rapidement ces pages et fus étonné de voir tout ce qu’ils avaient appris au sujet de mon activité. (...) Les interrogatoires durèrent en tout quarante jours. On me transféra ensuite à Francfort-sur-le-Main où je comparus devant un tribunal spécial qui me condamna à cinq ans de prison, la peine maximum.
Deux ans plus tard, le procureur général et un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire vinrent me voir, dans le but de me faire changer d’avis et renoncer à ma foi. Si j’acceptais, je serais relâché. Leurs efforts furent vains. Furieux, ils me quittèrent sur ces paroles: “Il mérite qu’on lui fende la tête avec une hache.” À la fin de mes cinq années de prison, je ne pesais que 51 kilosl.
Même si très souvent les frères se virent infliger des condamnations allant de deux à cinq ans de prison, cela ne signifie pas qu’ils furent relâchés à la fin de leur peine, particulièrement quand la guerre éclata. Berlin donna l’ordre de ne libérer aucun témoin de Jéhovah. Ainsi, on les envoya dans des camps de concentration ou d’extermination. Ce n’est que grâce à la puissance de Jéhovah qu’un si grand nombre d’entre eux en revinrent vivants.
[Notes]
a a Annuaire (angl.) 1946, pp. 176-178.
b b Annuaire (angl.) 1928, p. 104.
c c Annuaire (angl.) 1946, pp. 181, 182; wF 1946, p. 238.
d d Annuaire (angl.) 1946, pp. 140, 141; wF 1946, p. 124.
e e Croisade contre le Christianisme (Éditions Rieder, Paris, 1939), p. 55.
f f Ibid., p. 25.
g g Ibid., pp. 25, 26. Voir aussi L’Âge d’Or (angl.), Vol. XVII, 9 oct. 1935, p. 7.
h h Annuaire (angl.) 1942, pp. 167, 168.
i i D’après le fichier de la Société Tour de Garde.
j j D’après le fichier de la Société Tour de Garde.
k k D’après le fichier de la Société Tour de Garde.
l l Ibid.