BIBLIOTHÈQUE EN LIGNE Watchtower
Watchtower
BIBLIOTHÈQUE EN LIGNE
Français
  • BIBLE
  • PUBLICATIONS
  • RÉUNIONS
  • yb02 p. 118-255
  • Ukraine

Aucune vidéo n'est disponible pour cette sélection.

Il y a eu un problème lors du chargement de la vidéo.

  • Ukraine
  • Annuaire 2002 des Témoins de Jéhovah
  • Intertitres
  • Des graines de vérité sont semées en Ukraine
  • Les premières pousses
  • Les débuts de la prédication
  • Les premières assemblées
  • Construction de lieux de culte
  • Développement de la traduction
  • L’aide spirituelle arrive
  • Dieu attire toutes sortes d’hommes
  • Un rayon de lumière dans l’est de l’Ukraine
  • Une période de dures épreuves
  • Des graines germent sur le champ de bataille
  • Une belle terre porte du fruit dans les camps de concentration
  • Les épreuves de la guerre
  • Un soulagement temporaire
  • La persécution reprend
  • Témoignage devant les tribunaux
  • Des sœurs persécutées en Ukraine
  • De l’aide pour les frères de Moldavie
  • Tentative d’enregistrement légal en URSS
  • Des chefs religieux coopèrent avec les autorités
  • Exilés en Russie
  • L’unité demeure
  • La situation s’améliore
  • L’amour ne disparaît jamais
  • Un extraordinaire exemple de foi
  • Une division temporaire
  • Retour à l’organisation théocratique
  • La fidélité dans les camps
  • De l’aide pour endurer
  • “ L’aide ” des gardiens de prison
  • Un travail constant d’unification
  • Vivre sa foi chrétienne sous l’interdiction
  • La célébration du Mémorial
  • Comment cacher les publications
  • Des imprimeries clandestines
  • L’importance de l’enseignement parental
  • Vers une amélioration
  • Fermes malgré les pressions
  • Améliorations et changements en matière d’organisation
  • La protection de Jéhovah durant les poursuites
  • “ Des voyages missionnaires ” organisés par les services de sécurité
  • Les dernières années d’interdiction
  • Le triomphe de la théocratie
  • Assemblée à Varsovie
  • Enfin libres de pratiquer leur religion !
  • La belle terre produit en abondance
  • Des assemblées de district
  • Une assemblée internationale mémorable
  • De l’aide pour progresser
  • L’apport d’une aide spirituelle
  • Reconnaissants pour les publications bibliques
  • Un enseignement de qualité accélère la croissance spirituelle
  • Un accroissement rapide rend nécessaires des changements
  • La construction d’un Béthel et de Salles du Royaume
  • En avant dans l’œuvre de la moisson !
Annuaire 2002 des Témoins de Jéhovah
yb02 p. 118-255

Ukraine

Jésus s’est servi d’une illustration pour décrire ceux qui développent une profonde reconnaissance pour la Parole de Dieu : il les a comparés à une semence plantée sur de la belle terre. Ces derniers “ portent du fruit avec endurance ” en continuant fidèlement à proclamer le message de Dieu en dépit des épreuves et des souffrances (Luc 8:11, 13, 15). Il existe peu d’endroits dans le monde où cela s’est vérifié davantage qu’en Ukraine ; malgré plus de 50 années d’interdiction et de rude persécution, les Témoins de Jéhovah ont survécu et ont vu leur nombre augmenter.

Durant l’année de service 2001, ce pays a enregistré un maximum de 120 028 proclamateurs. Plus de 56 000 d’entre eux ont appris la vérité biblique au cours des cinq années écoulées. Ces deux dernières années, les Témoins ont distribué plus de 50 millions de périodiques, chiffre qui correspond à celui de la population du pays. Chaque mois, la filiale reçoit en moyenne un millier de lettres de la part de personnes qui désirent obtenir davantage de renseignements. Tout cela aurait semblé impossible il n’y a pas si longtemps. Quelle victoire pour le culte pur !

Avant d’examiner quelques pages de l’histoire de l’Ukraine, jetons un coup d’œil sur le pays lui-​même. En plus de la belle terre symbolique mentionnée par Jésus, l’Ukraine possède un excellent sol au sens littéral. Presque la moitié du pays consiste en une plaine de terre noire fertile que les Ukrainiens appellent tchernoziom, ce qui signifie “ terre noire ”. Cette terre, qui jouit d’un climat tempéré, a fait de l’Ukraine une des régions agricoles les plus productives du monde, avec, entre autres productions, la betterave à sucre, le blé, l’orge et le maïs. Depuis des siècles, l’Ukraine porte le surnom de “ grenier à blé ” de l’Europe.

S’étendant sur 1 300 kilomètres d’est en ouest et sur 900 kilomètres du nord au sud, l’Ukraine est légèrement plus grande que la France. Comme vous pouvez le voir sur la carte à la page 123, le pays se situe en Europe de l’Est, au nord de la mer Noire. Le nord de l’Ukraine est couvert de forêts. Vers le sud s’étendent des plaines fertiles qui mènent aux magnifiques montagnes de Crimée. À l’ouest débutent les contreforts des montagnes abruptes des Carpates, où vivent des lynx, des ours et des bisons.

L’Ukraine compte environ 50 millions d’habitants. Ce sont des gens humbles, hospitaliers et travailleurs. Nombre d’entre eux parlent aussi bien l’ukrainien que le russe. Si vous êtes invité dans un foyer, on vous servira probablement du bortsch (soupe de betterave) et des vareniki (boulettes de pâte bouillies). Après un agréable repas, on vous chantera peut-être des chansons folkloriques, car beaucoup d’Ukrainiens aiment chanter et jouer d’un instrument.

Les Ukrainiens ont eu l’occasion d’entendre parler de toutes sortes de croyances religieuses. Au Xe siècle, la religion orthodoxe s’est implantée dans le pays. Plus tard, l’Empire ottoman a introduit l’islam dans le sud. Au Moyen Âge, des nobles polonais ont propagé le catholicisme. Et au XXe siècle, nombre d’Ukrainiens sont devenus athées sous le régime communiste.

On trouve des Témoins de Jéhovah partout en Ukraine. Cependant, avant la Deuxième Guerre mondiale, la plupart d’entre eux vivaient dans l’ouest du pays, qui était divisé en quatre territoires : la Volhynie, la Galicie, la Transcarpatie et la Bucovine.

Des graines de vérité sont semées en Ukraine

Les Étudiants de la Bible, nom que portaient autrefois les Témoins de Jéhovah, pratiquent leur culte en Ukraine depuis plus d’un siècle. Lors de son premier voyage à l’étranger, en 1891, Charles Russell, qui dirigeait l’œuvre des Étudiants de la Bible, s’est rendu dans de nombreux pays d’Europe et du Moyen-Orient. En chemin vers ce qui était alors Constantinople, en Turquie, il s’est arrêté à Odessa, dans le sud de l’Ukraine. Plus tard, en 1911, il a donné une série de discours bibliques dans de grandes villes d’Europe, y compris Lvov, dans l’ouest de l’Ukraine.

Frère Russell est arrivé par le train à Lvov, où une grande salle, la Maison du Peuple, avait été louée à l’occasion de sa conférence prévue pour le 24 mars. Neuf annonces publiées dans sept journaux locaux, ainsi que de grandes affiches, avaient invité la population à venir écouter le discours “ Le Sionisme dans la prophétie ”, présenté par le “ célèbre et honorable conférencier de New York ”, le pasteur Russell. Il était prévu que frère Russell présente son discours à deux reprises ce jour-​là. Toutefois, un rabbin juif des États-Unis qui s’opposait violemment à l’activité de frère Russell a envoyé un télégramme à ses homologues de Lvov, dans lequel il dénigrait les Étudiants de la Bible. Cela a incité certains d’entre eux à tenter d’empêcher frère Russell de prendre la parole.

Bien que la salle ait été bondée l’après-midi comme le soir, des opposants étaient présents. Un journal local, le Wiek Nowy, a écrit : “ Lorsque l’interprète [de Russell] a traduit ses premiers mots, les sionistes se sont mis à vociférer et ont empêché le missionnaire de parler par leurs cris et leurs sifflets. Le pasteur Russell a été obligé de quitter l’estrade. [...] Les émeutiers étaient même plus nombreux lors de la conférence du soir, à 20 heures. ”

Cependant, de nombreuses personnes désiraient entendre ce que frère Russell avait à dire. Son message les intéressait et elles ont demandé des publications bibliques. Plus tard, frère Russell a fait part de son sentiment au sujet de son passage à Lvov : “ Dieu seul sait dans quelle mesure cet épisode est le fruit de sa volonté. [...] L’agitation [des Juifs] relative au thème traité amènera peut-être certaines personnes à demander plus de renseignements que si elles nous avaient entendus dans une ambiance convenable et dans l’ordre. ” Bien que le message soit resté sans écho au début, des graines de vérité avaient été semées, et plus tard de nombreux groupes d’Étudiants de la Bible ont été formés, non seulement à Lvov, mais également dans d’autres régions d’Ukraine.

En 1912, le bureau allemand des Étudiants de la Bible a publié une annonce dans un calendrier diffusé en Ukraine. Ce message encourageait la lecture des Études des Écritures, dont les volumes avaient été traduits en allemand. De ce fait, le bureau d’Allemagne a reçu une cinquantaine de lettres d’Ukrainiens qui demandaient à la fois les Études des Écritures et un abonnement à La Tour de Garde. Le bureau a gardé contact avec ces personnes intéressées par la vérité jusqu’à ce que la guerre éclate, en 1914.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, quatre pays limitrophes se sont partagé l’Ukraine. Les territoires du centre et de l’est de l’Ukraine ont été saisis par la Russie communiste et incorporés dans l’Union soviétique, tandis que l’ouest de l’Ukraine a été réparti entre trois autres pays. Les régions de la Galicie et de la Volhynie ont été rattachées à la Pologne, la Bucovine à la Roumanie, et la Transcarpatie à la Tchécoslovaquie. Ces trois pays garantissaient une certaine liberté religieuse et ont permis aux Étudiants de la Bible de poursuivre leur prédication. Ainsi, de nombreuses graines de vérité, qui allaient porter du fruit ultérieurement, ont été d’abord semées dans l’ouest de l’Ukraine.

Les premières pousses

Très tôt au cours du XXe siècle, de nombreux Ukrainiens ont émigré aux États-Unis avec leur famille, à la recherche d’une vie meilleure. Certains ont lu nos publications et les ont envoyées à leurs proches en Ukraine. D’autres familles ont découvert les enseignements des Étudiants de la Bible, sont retournées dans leur pays d’origine et se sont mises à prêcher dans leur village natal. Plusieurs groupes d’Étudiants de la Bible ont vu le jour et sont plus tard devenus des congrégations. Au début des années 20, des graines de vérité ont été semées en Galicie et en Volhynie par des Étudiants de la Bible polonais. Dans le même temps, des frères de Roumanie et de Moldavie ont apporté la vérité en Bucovine.

Tout cela a posé un bon fondement pour une croissance ultérieure. La Tour de Garde du 15 décembre 1921 rapportait : “ Récemment, certains de nos frères se sont rendus en Bucovine. [...] Leur séjour de quelques semaines a permis d’organiser sept classes qui étudient à présent les volumes des Études des Écritures ainsi que Les Figures du Tabernacle. L’une de ces classes compte environ 70 personnes. ” En 1922, dans le village de Kolinkivtsi, en Bucovine, Stepan Koltsa a accepté la vérité, s’est fait baptiser et a commencé à prêcher. À notre connaissance, il s’agit du premier frère à s’être fait baptiser en Ukraine. Plus tard, dix familles se sont jointes à lui. On a enregistré une croissance semblable dans la région de Transcarpatie. En 1925, il y avait une centaine d’Étudiants de la Bible dans le village de Velyki Loutchki et les environs. Puis les premiers serviteurs à plein temps ont commencé à prêcher en Transcarpatie et ont tenu des réunions dans les foyers des Étudiants de la Bible. De nombreuses personnes se sont fait baptiser.

Alexeï Davidjouk, un Témoin de longue date, raconte comment, à l’époque, les gens avaient connaissance de la vérité : “ En 1927, un villageois a emporté l’une de nos publications dans le village de Lankov, dans la région de Volhynie. La lecture de cet imprimé relatif à l’enseignement de l’enfer de feu et de l’âme a piqué la curiosité de plusieurs habitants du village. Comme le livre contenait l’adresse du bureau des Étudiants de la Bible à Lodz, en Pologne, ces villageois ont écrit une lettre dans laquelle ils demandaient que quelqu’un vienne leur rendre visite. Un mois plus tard, un frère a fait le déplacement et a organisé un groupe d’étude de la Bible auquel 15 familles se sont jointes. ”

Cet enthousiasme pour la vérité était courant à l’époque. Notez ces mots de reconnaissance dans une lettre parvenue au siège des Étudiants de la Bible à Brooklyn et provenant de la région de Galicie : “ Les livres que vous publiez guérissent nombre des blessures de notre peuple et le mènent vers la lumière. Je vous prie de nous en envoyer davantage. ” Une autre personne réceptive à la vérité a écrit : “ Je me permets de vous demander de nous envoyer des livres, car je ne peux pas me les procurer ici. Un habitant de notre village a reçu certaines de vos publications, mais des voisins les lui ont prises, si bien qu’il n’a même pas pu les lire. En ce moment, il rend visite aux villageois dans l’espoir de récupérer ses livres. ”

L’intérêt manifesté a conduit à l’ouverture d’un bureau des Étudiants de la Bible dans la rue Pekarska, à Lvov. Ce bureau a reçu de nombreuses demandes de publications de Galicie et de Volhynie, et les a régulièrement transmises à Brooklyn pour qu’elles soient honorées.

Dans le milieu des années 20, les graines de la vérité ont incontestablement germé dans l’ouest de l’Ukraine. De nombreux groupes d’Étudiants de la Bible se sont organisés et certains sont plus tard devenus des congrégations. Bien que très peu d’archives des activités de l’époque aient été conservées, les rapports dont nous disposons montrent qu’en 1922, 12 personnes ont célébré le Mémorial en Galicie. En 1924, La Tour de Garde rapportait que 49 personnes avaient assisté au Mémorial dans la ville de Sarata, dans le sud de l’Ukraine. En 1927, plus de 370 personnes étaient présentes au Mémorial en Transcarpatie.

Au sujet de l’œuvre accomplie dans différents pays du monde, on pouvait lire dans La Tour de Garde du 1er décembre 1925 : “ Cette année, un frère a été envoyé des États-Unis en Ukraine ; [...] un bon travail a été effectué auprès des Ukrainiens de cette région contrôlée par la Pologne. On a enregistré à cet endroit une demande importante de publications, qui ne cesse de croître. ” Quelques mois plus tard, la revue L’Âge d’Or (aujourd’hui Réveillez-vous !) dressait ce rapport : “ En Galicie, il y a déjà 20 classes [congrégations]. [...] Certaines d’entre elles [...] tiennent des réunions dans la semaine ; d’autres se réunissent uniquement le dimanche, et d’autres encore sont sur le point de s’organiser. On espère former d’autres classes ; il manque simplement un responsable pour les diriger. ” Tout cela prouvait qu’au sens spirituel la terre d’Ukraine était très fertile.

Les débuts de la prédication

Vojtek Tchehy, de Transcarpatie, s’est fait baptiser en 1923 et s’est plus tard mis à prêcher à plein temps dans la région de Berehov. Il partait généralement avec un sac de publications dans une main, un autre accroché à sa bicyclette, et un plein sac à dos d’imprimés. “ On nous avait attribué un territoire de 24 villages, raconte-​t-​il. Nous étions 15 proclamateurs et nous devions parcourir ces villages deux fois par an pour y proposer des publications. Nous avions rendez-vous chaque dimanche à 4 heures du matin dans l’un de ces villages. De là, nous couvrions les environs sur 15 à 20 kilomètres, à pied ou en autobus. Nous commencions généralement notre ministère de porte en porte à 8 heures, et nous nous arrêtions vers 14 heures. Nous rentrions souvent à la maison à pied, et le soir, une fois arrivés à la réunion, nous racontions tous avec joie ce que nous avions vécu. Il nous arrivait de prendre des raccourcis à travers les bois et les rivières, par beau temps comme par mauvais temps, mais jamais personne parmi nous ne s’en plaignait. Nous étions heureux de servir et de glorifier notre Créateur. Les gens pouvaient constater que les frères vivaient comme de vrais chrétiens, prêts à marcher même 40 kilomètres pour assister aux réunions ou prêcher.

“ Dans notre ministère nous rencontrions toutes sortes de personnes. Un jour, j’ai proposé la brochure Le Royaume, l’Espérance du Monde à une femme qui se disait intéressée mais qui n’avait pas d’argent pour se la procurer. Comme j’avais faim, je lui ai dit qu’elle pouvait échanger un œuf cuit contre la brochure. Ainsi, elle a obtenu la brochure et je me suis nourri d’un œuf. ”

À Noël, les habitants de Transcarpatie se rendaient de maison en maison et chantaient la naissance de Jésus Christ. Les frères ont mis à profit cette tradition. Ils emportaient des publications dans leur sac et se rendaient chez les gens pour chanter des cantiques exprimant leur foi ! Comme de nombreuses personnes en appréciaient les mélodies, les frères étaient souvent invités à entrer pour chanter d’autres cantiques. Parfois, pour leur prestation on leur donnait même de l’argent, en contrepartie duquel ils offraient des publications bibliques. De ce fait, à l’époque de Noël, le stock de publications était souvent épuisé. Ces campagnes de chant duraient deux semaines, car les catholiques romains et les catholiques grecs célébraient la fête de Noël au cours de semaines différentes. Cependant, dans la deuxième moitié des années 20, comme les Étudiants de la Bible s’étaient rendu compte de l’origine païenne de Noël, les campagnes de chant ont cessé. Les frères ont connu une grande joie dans leur activité intense de prédication, et de nouveaux groupes de proclamateurs ont continué à se former en Transcarpatie.

Les premières assemblées

En mai 1926, la première assemblée des Étudiants de la Bible organisée dans la région de Transcarpatie s’est tenue dans le village de Velyki Loutchki. Cent-cinquante personnes y étaient présentes et 20 s’y sont fait baptiser. L’année suivante, 200 personnes ont assisté à une assemblée organisée en plein air dans le parc d’Oujgorod, ville de la même région. D’autres assemblées n’ont pas tardé à être organisées dans différentes villes de Transcarpatie. En 1928, on a tenu pour la première fois une assemblée à Lvov. Plus tard, d’autres assemblées ont également eu lieu en Galicie et en Volhynie.

Au début de l’année 1932, le village de Solotvyno, en Transcarpatie, a accueilli une assemblée, dans la cour de la maison où les Étudiants de la Bible tenaient régulièrement leurs réunions. Environ 500 personnes y ont assisté, y compris des frères qui assumaient des responsabilités en Allemagne. Mykhaïlo Tilniak, un frère de la congrégation locale, raconte : “ Nous avons vraiment apprécié les discours bien préparés présentés par les frères qui sont venus d’Allemagne et de Hongrie. Les larmes aux yeux, ils nous ont encouragés à rester fidèles face aux épreuves à venir. ” Et des épreuves pénibles sont effectivement survenues avec le début de la Deuxième Guerre mondiale.

En 1937, un train entier a été loué pour que des délégués puissent se rendre à une importante assemblée à Prague, en Tchécoslovaquie. Il est parti du village de Solotvyno et a parcouru toute la Transcarpatie, s’arrêtant dans chaque gare pour permettre aux délégués de monter à bord. Dans chaque wagon figurait un écriteau “ Assemblée des Témoins de Jéhovah — Prague ”. C’était un excellent témoignage pour les gens de la région, et les plus âgés s’en souviennent encore.

Construction de lieux de culte

Les premiers groupes d’Étudiants de la Bible s’étant formés, ils ont ressenti le besoin de bâtir leur propre lieu de culte. La première salle de réunion a été construite dans le village de Dibrova (Transcarpatie), en 1932. Plus tard, deux autres salles ont été bâties dans les villages voisins de Solotvyno et Bila Tserkva.

Bien que certaines de ces salles aient été détruites durant la guerre et d’autres saisies, les frères ont entretenu le désir d’avoir leurs propres Salles du Royaume. Aujourd’hui, il y en a 8 dans le village de Dibrova et 18 autres dans les six villages voisins.

Développement de la traduction

Vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, de nombreux Ukrainiens ont émigré avec leur famille vers les États-Unis et le Canada. Certains d’entre eux ont embrassé la vérité dans leur pays d’accueil, et plusieurs groupes de langue ukrainienne ont été formés. Dès 1918, Le divin Plan des Âges a été publié en ukrainien. Toutefois, il restait encore beaucoup à faire pour fournir la nourriture spirituelle aux Ukrainiens vivant dans leur pays et à l’étranger. Au début des années 20, il est devenu évident qu’un frère qualifié devrait traduire les publications bibliques de façon régulière. En 1923, Emil Zarysky, qui vivait au Canada, a accepté l’invitation d’entreprendre le service à plein temps. Il s’agissait principalement pour lui de traduire les publications bibliques en ukrainien. Il a également rendu visite aux groupes ukrainiens, polonais et slovaques du Canada et des États-Unis.

Emil Zarysky est né près de la ville de Sokal, dans l’ouest de l’Ukraine, et plus tard il a émigré au Canada avec ses parents. Là, il a épousé Maria, une jeune fille originaire d’Ukraine. Ensemble, ils ont élevé cinq enfants. Même chargés de lourdes responsabilités familiales, Emil et Maria ont réussi à accomplir leurs activités théocratiques. En 1928, la Société Watch Tower a acheté à Winnipeg (Canada) une maison qui a servi de local pour l’activité de traduction en ukrainien.

À cette époque, dans le ministère de porte en porte, les frères utilisaient des phonographes portatifs sur lesquels ils passaient des discours bibliques enregistrés. Frère Zarysky a été invité à Brooklyn pour l’enregistrement de ces discours en ukrainien. Dans les années 30, plusieurs émissions d’une demi-heure ont été préparées en ukrainien pour la station de radio de Winnipeg. Dans ces émissions, Emil Zarysky et d’autres frères d’expérience présentaient des discours publics profonds. Ces discours étaient accompagnés de chants à quatre voix extraits du recueil de cantiques publié en 1928. Des centaines d’auditeurs ont exprimé par lettre et par téléphone leur gratitude pour cette disposition.

Pendant 40 ans, Emil Zarysky et sa femme, Maria, ont accompli fidèlement leur activité de traducteurs. Durant cette période, chaque numéro de La Tour de Garde a été traduit en ukrainien. Puis en 1964, Maurice Sarantchouk, qui, en compagnie de sa femme, Anne, avait aidé frère Zarysky pendant de nombreuses années, a été chargé d’organiser le travail de traduction.

L’aide spirituelle arrive

Bien que des proclamateurs zélés aient, à titre individuel, semé et arrosé des graines de vérité dans toute l’Ukraine, il a fallu attendre 1927 pour que commence une prédication vraiment organisée, d’abord en Transcarpatie, et plus tard en Galicie. Auparavant, un grand nombre de livres et de brochures avaient été distribués en roumain, en hongrois, en polonais et en ukrainien, mais l’activité de prédication n’avait pas été rapportée. Des groupes isolés ont commencé à s’organiser en congrégations, et des proclamateurs se sont mis à prêcher régulièrement de maison en maison. De nombreuses publications bibliques ont été laissées à cette époque. En 1927, le premier dépôt de publications a été ouvert dans la ville d’Oujgorod, en Transcarpatie. En 1928, on a demandé au bureau de Magdebourg, en Allemagne, de s’occuper des congrégations et des colporteurs du territoire de Transcarpatie, qui à l’époque faisait partie de la Tchécoslovaquie.

En 1930, un bureau a été ouvert dans la ville de Berehov, près d’Oujgorod, pour superviser l’œuvre des Étudiants de la Bible en Transcarpatie. Vojtek Tchehy en était le surveillant. Cette nouvelle disposition s’est révélée très avantageuse pour l’œuvre de prédication.

Plusieurs frères des bureaux de Prague et de Magdebourg ont fait preuve d’esprit de sacrifice en n’hésitant pas à parcourir de longues distances dans les montagnes des Carpates pour porter la bonne nouvelle du Royaume de Dieu jusque dans les parties les plus reculées de cette magnifique région. L’un des ces frères zélés était Adolf Fitzke, de la filiale de Magdebourg. On l’a envoyé prêcher dans la région de Rakhiv, dans les Carpates. Beaucoup de Témoins locaux gardent de ce frère fidèle, modeste et accommodant un souvenir affectueux. En 2001, il y avait quatre congrégations à cet endroit.

Au cours des années 30, le “ Photo-Drame de la Création ” a été projeté dans beaucoup de villes et de villages de Transcarpatie. D’une durée de huit heures, le “ Photo-Drame ” consistait en une projection de diapositives et de films, synchronisés avec des commentaires bibliques enregistrés sur disque. Erich Frost, d’Allemagne, a été envoyé pour aider les frères locaux à organiser les projections. Au préalable, les frères distribuaient des feuillets et collaient des affiches pour inviter les gens. Cela suscitait beaucoup d’intérêt. Dans la ville de Berehov, il y avait tellement de monde que plus d’un millier de personnes ont dû attendre dans la rue. Quand les policiers ont vu cette énorme foule, ils ont eu peur qu’elle se transforme en émeutiers incontrôlables, à tel point qu’ils ont songé un moment à annuler la présentation. Mais finalement ils s’en sont abstenus. Après la projection, de nombreuses personnes qui voulaient revoir le “ Photo-Drame ” ont communiqué leur adresse. L’intérêt manifesté a poussé les chefs religieux locaux à employer tous les moyens pour contrecarrer l’œuvre de prédication de la bonne nouvelle. Malgré cela, Jéhovah Dieu a continué de bénir l’œuvre.

Au cours des années 20 et 30, les régions de Volhynie et de Galicie ont été supervisées par la filiale de Pologne, située à Lodz. En 1932, les frères polonais ont concentré leurs efforts sur ces territoires, en retournant voir tous les abonnés à La Tour de Garde, dont ils avaient reçu les adresses de Brooklyn.

Wilhelm Scheider, alors surveillant du bureau de Pologne, a raconté : “ Les Ukrainiens embrassaient la vérité avec un grand enthousiasme. Dans les villes et les villages de Galicie apparaissaient tout d’un coup des groupes de personnes intéressées, comme des champignons après la pluie. Parfois, c’étaient des communes entières. ”

Même si la majorité des frères étaient pauvres, ils faisaient de grands sacrifices pour se procurer des publications et des disques pour phonographe, qui les aideraient à prêcher et à croître spirituellement. Mykola Volotchi, un Galicien qui s’est fait baptiser en 1936, a vendu l’un des deux chevaux qu’il avait pour s’acheter un phonographe. Imaginez ce que signifie vendre un cheval pour un fermier. Alors qu’il avait quatre enfants à nourrir à l’époque, il est parvenu à la conclusion qu’il pourrait se débrouiller avec un seul cheval. De nombreux nouveaux en sont venus à connaître Jéhovah et à le servir grâce à des discours bibliques et des cantiques du Royaume en ukrainien qu’ils avaient entendus sur ce phonographe.

Wilhelm Scheider a relaté l’important accroissement du nombre de proclamateurs en Galicie et en Volhynie dans les années 30 : “ En 1928 la Pologne comptait 300 proclamateurs, et en 1939 elle en totalisait plus de 1 100, dont la moitié étaient ukrainiens, alors que l’œuvre dans leur pays (en Galicie et en Volhynie) ne devait démarrer que bien plus tard. ”

Pour répondre à cet accroissement, Ludwik Kinicki a été nommé surveillant itinérant et envoyé par la filiale de Pologne en Galicie et en Volhynie pour développer l’œuvre de prédication. Sa famille, originaire de Tchortkiv (Galicie), avait émigré au début du XXe siècle aux États-Unis, où frère Kinicki a connu la vérité. Plus tard, il est retourné dans son pays natal pour y aider les personnes sincères. De nombreux frères et sœurs n’oublieront jamais l’aide spirituelle qu’ils ont reçue par l’intermédiaire de ce ministre zélé. Quand, à l’automne 1936, l’édition polonaise de L’Âge d’Or a été frappée d’interdiction et que le directeur de la publication a été condamné à un an de prison, frère Kinicki a été nommé directeur de la revue Jour nouveau, publiée en remplacement de L’Âge d’Or. En 1944, il a été arrêté par la Gestapo et emmené au camp de concentration de Mauthausen-Gusen, où il est mort fidèle à Jéhovah.

Dieu attire toutes sortes d’hommes

Au début des années 20, Rola, un Étudiant de la Bible, est retourné dans sa ville natale, Zolotyi Potik, en Galicie. Muni de sa bible, Rola s’est mis à prêcher la bonne nouvelle. Les gens le traitaient de fou parce qu’il avait détruit toutes ses images religieuses. Pour interrompre la prédication de Rola, le prêtre local est allé voir un policier et lui a dit : “ Si tu t’arranges pour que Rola ne puisse plus marcher, je te donnerai un litre de whisky. ” Le policier a répondu que ce n’était pas son rôle de battre les gens. Plus tard, Rola a commencé à recevoir des colis de publications, envoyés par des frères des États-Unis. Une fois encore, le prêtre est allé voir le policier pour lui dire cette fois-​ci qu’un colis rempli d’ouvrages communistes venait d’arriver à la poste. Le lendemain, le policier est allé attendre au bureau de poste pour voir qui viendrait retirer le colis. Il s’agissait bien entendu de Rola. Le policier l’a emmené au poste de police et a également convoqué le prêtre. Ce dernier s’est mis à crier que les livres en question provenaient du Diable. Pour déterminer si les publications contenaient des enseignements communistes, le policier en a envoyé au tribunal local, et a gardé le reste. En les lisant, il s’est aperçu qu’elles renfermaient la vérité. Peu de temps après, lui et sa femme ont commencé à assister aux réunions des Étudiants de la Bible. Plus tard, il s’est fait baptiser et il est devenu un prédicateur zélé. Ainsi, alors que le prêtre s’efforçait de mettre un terme à l’œuvre consistant à faire des disciples, il a involontairement encouragé Ludwik Rodak à embrasser la vérité.

À la même époque, un prêtre catholique grec de Lvov a émigré aux États-Unis avec sa femme. Peu de temps après, sa femme est décédée. Accablé de chagrin, il voulait savoir où l’âme de sa femme avait pu aller. Il s’est procuré l’adresse de spirites à New York, mais, tandis qu’il cherchait leur local dans un immeuble, il s’est trompé d’étage et s’est retrouvé en pleine réunion des Étudiants de la Bible. Là, il a appris la vérité sur la condition des morts. Plus tard il s’est fait baptiser et a travaillé pendant quelque temps à l’imprimerie du Béthel de Brooklyn. Puis il est reparti en Galicie, où il a continué de prêcher avec zèle la bonne nouvelle.

Un rayon de lumière dans l’est de l’Ukraine

Comme nous l’avons vu, une part importante de l’activité de prédication des débuts a eu lieu dans l’ouest de l’Ukraine. Comment la vérité a-​t-​elle touché le reste du pays ? Cette terre spirituelle produirait-​elle autant que celle de l’ouest ?

Au début des années 1900, frère Trumpi, un Étudiant de la Bible suisse, est allé travailler comme ingénieur dans une région houillère de l’est de l’Ukraine. Il était apparemment le premier Étudiant de la Bible dans cette région. Dans les années 20, son activité de prédication a conduit à la formation d’un groupe d’étude de la Bible dans le village de Liubymivskyi Post, près de la ville de Kharkov.

En 1927, un autre frère d’Europe de l’Ouest est venu travailler comme ingénieur dans une mine de charbon, dans le village de Kalynivka. Il a apporté avec lui une valise pleine de publications bibliques, qu’il a utilisées pour prêcher à un petit groupe de baptistes qui montraient un grand intérêt pour l’espérance du Royaume. Au bout de quelque temps, ce frère est reparti dans son pays, laissant derrière lui un petit groupe d’Étudiants de la Bible. La Tour de Garde de 1927 a rapporté que 18 personnes sont venues à Kalynivka pour célébrer le Mémorial. Dans le village voisin de Iepifanivka, on a compté 11 assistants. Enfin, 30 personnes ont commémoré la mort du Christ à Liubymivskyi Post cette année-​là.

Au siège de Brooklyn, les frères suivaient de près l’évolution de la situation en Union soviétique, cherchant à établir légalement l’œuvre de prédication du Royaume. C’est avec cet objectif que George Young, un frère canadien, s’est rendu en URSS en 1928. Durant son séjour, il a pu se rendre dans la ville de Kharkov, dans l’est de l’Ukraine, où il a organisé une petite assemblée de trois jours avec le groupe local d’Étudiants de la Bible. Plus tard, l’opposition des autorités l’a obligé à quitter le pays, mais il avait noté qu’à l’époque des groupes d’Étudiants de la Bible existaient également à Kiev et à Odessa.

Frère Young a transmis à Brooklyn un rapport sur la situation en Union soviétique. Sur la recommandation de frère Young, Danyil Staroukhine, un Ukrainien, a été chargé de représenter les Étudiants de la Bible non seulement en Ukraine, mais dans toute l’URSS. Plusieurs années avant la visite de George Young, frère Staroukhine avait été en mesure de défendre la Bible au cours d’un débat avec Anatoly Lounatcharski, alors commissaire du peuple à l’éducation. Dans une lettre adressée à Joseph Rutherford, au siège mondial à Brooklyn, frère Young a écrit : “ Danyil Staroukhine est zélé et courageux. À l’âge de 15 ans, il a eu une discussion avec un prêtre au sujet de la Bible. Le prêtre s’est mis tellement en colère qu’il a saisi sa croix et a frappé le jeune garçon sur la tête, au point que ce dernier est tombé sans connaissance sur le sol ; il en a gardé la marque à la tête. Danyil aurait pu être pendu, mais en raison de son âge il n’a été condamné qu’à quatre mois de prison. ” Frère Staroukhine a essayé de faire enregistrer la congrégation locale et d’obtenir la permission officielle d’imprimer des publications bibliques en Ukraine, mais les autorités soviétiques s’y sont opposées.

À la fin des années 20 et dans les années 30, les autorités soviétiques ont systématiquement encouragé l’athéisme. La religion était tournée en ridicule, et ceux qui prêchaient aux autres étaient considérés comme des “ ennemis de la patrie ”. Après une abondante récolte en 1932, les communistes ont confisqué toutes les denrées alimentaires des villageois ukrainiens. Plus de six millions de personnes sont mortes à cause de la famine artificielle qui a suivi.

Des rapports attestent que de petits groupes de serviteurs de Jéhovah ont gardé leur intégrité durant cette période difficile, même s’ils n’avaient aucun contact avec leurs frères de l’étranger. Certains d’entre eux ont passé de nombreuses années en prison en raison de leur foi. Les Trumpi, les Hauser, Danyil Staroukhine, Andreï Savenko et sœur Chapovalova ne sont que quelques-uns de ces serviteurs intègres. Nous avons confiance que Jéhovah n’‘ oubliera pas leur œuvre et l’amour qu’ils ont montré pour son nom ’. — Héb. 6:10.

Une période de dures épreuves

La fin des années 30 a été marquée par la redéfinition des frontières de nombreux pays d’Europe de l’Est. L’Allemagne nazie et l’URSS ont étendu leurs sphères d’influence pour engloutir les nations moins puissantes.

En mars 1939, la Hongrie, avec l’appui de l’Allemagne nazie, a occupé la Transcarpatie. L’activité des Témoins de Jéhovah a été frappée d’interdiction et toutes les Salles du Royaume ont été fermées. Les autorités ont fait preuve de brutalité à l’égard des frères et en ont envoyé beaucoup en prison. La plupart des Témoins des villages ukrainiens de Velykyi Bytchkiv et Kobyletska Poliana ont été incarcérés.

Quand les Soviétiques sont arrivés en Galicie et en Volhynie, en 1939, les frontières occidentales de l’Ukraine ont été fermées. De ce fait, tout contact avec le bureau de Pologne a été rompu. Après le début de la Deuxième Guerre mondiale, l’organisation est passée dans la clandestinité. Les frères se réunissaient en petits groupes appelés cercles et poursuivaient leur ministère avec davantage de prudence.

Par la suite, les armées nazies ont envahi l’Ukraine. Sous l’occupation allemande, le clergé a commencé à exciter les foules contre le peuple de Jéhovah. En Galicie, la persécution a fait rage. Les fenêtres des maisons des Témoins de Jéhovah ont été brisées et de nombreux frères ont été gravement battus. Durant l’hiver, certains frères ont été contraints à rester debout dans l’eau froide pendant des heures parce qu’ils refusaient de faire le signe de croix. Des sœurs ont reçu 50 coups de bâton. Beaucoup de frères ont perdu la vie, mais pas leur intégrité. Par exemple, la Gestapo a exécuté Illia Hovoutchak, un ministre à plein temps originaire des Carpates. Un prêtre catholique l’avait dénoncé parce qu’il prêchait le Royaume de Dieu. C’était un temps d’épreuve particulièrement difficile. Néanmoins, les serviteurs de Jéhovah ont continué de tenir ferme.

Les Témoins de Jéhovah s’entraidaient, même si cela se révélait souvent dangereux. À Stanislav (aujourd’hui Ivano-Frankovsk), une femme d’origine juive et ses deux filles sont devenues Témoins. Elles vivaient dans un ghetto juif. Ayant appris que les nazis prévoyaient d’exécuter tous les Juifs de la ville, les frères ont organisé la fuite des trois sœurs. Au prix de leur vie, les Témoins ont caché ces sœurs juives tout au long de la guerre.

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, les frères de l’ouest de l’Ukraine ont perdu temporairement le contact avec l’organisation et n’ont pas été sûrs de la direction à prendre. Certains pensaient que le début de la Deuxième Guerre mondiale correspondait au début d’Har-Maguédôn. Pendant quelque temps cet enseignement a créé des malentendus parmi les frères.

Des graines germent sur le champ de bataille

La Deuxième Guerre mondiale a apporté à l’Ukraine chagrin et ruine. Pendant trois ans, le pays a été transformé en un gigantesque champ de bataille. Étant donné que le front se déplaçait sur le territoire ukrainien, d’abord vers l’est, puis de nouveau vers l’ouest, nombre de villes et de villages ont été complètement détruits. Près de 10 millions de citoyens ukrainiens ont été tués durant cette période, dont 5,5 millions de civils. Devant les horreurs de la guerre, nombreux sont ceux qui ont perdu tout espoir et se sont mis à ignorer tout principe moral. Toutefois, même dans ces conditions, certains ont appris la vérité.

En 1942, Mykhaïlo Dan, un jeune homme originaire de Transcarpatie qui aimait écouter les Témoins de Jéhovah avant la Deuxième Guerre mondiale, a été appelé sous les drapeaux. Au cours de manœuvres militaires, un prêtre catholique a distribué aux soldats une brochure religieuse qui promettait la vie au ciel à quiconque tuerait au moins un communiste. Le jeune homme en est resté abasourdi. Au cours de la guerre, il a également vu un ecclésiastique tuer des gens. Cela a contribué à le convaincre que les Témoins de Jéhovah détenaient la vérité. Après la guerre, il est rentré chez lui, a trouvé les Témoins de Jéhovah et s’est fait baptiser vers la fin de l’année 1945.

Plus tard, frère Dan a connu l’horreur des prisons soviétiques. Après sa libération, il a été nommé ancien et à présent il est surveillant-président de l’une des congrégations de Transcarpatie. En repensant à la brochure mentionnée précédemment, il déclare avec une pointe d’ironie : “ Je ne m’attends pas à aller au ciel puisque je n’ai tué aucun communiste, mais j’espère vivre éternellement dans un paradis terrestre. ”

Une belle terre porte du fruit dans les camps de concentration

Comme cela a été dit dans l’introduction, une belle terre est en mesure de produire des récoltes exceptionnelles. C’est pourquoi, sous l’occupation allemande, la belle terre noire a été emportée d’Ukraine. Des wagons étaient continuellement remplis de la bonne terre du centre de l’Ukraine, puis envoyés en Allemagne.

Toutefois, d’autres wagons contenaient ce qui, plus tard, deviendrait pour ainsi dire une terre fertile. Environ 2,5 millions de jeunes hommes et de jeunes femmes ont été arrachés à l’Ukraine pour aller effectuer un travail forcé en Allemagne. Un nombre considérable d’entre eux ont fini dans des camps de concentration. Là, ils ont fait la connaissance des Témoins allemands, qui étaient emprisonnés à cause de leur neutralité chrétienne. Même dans les camps, les Témoins ne cessaient de prêcher la bonne nouvelle, tant verbalement que par leur conduite. Un ancien prisonnier se souvient : “ Les Témoins se démarquaient du reste du camp. Ils avaient une attitude amicale et optimiste. Leur comportement montrait qu’ils avaient quelque chose de très important à dire aux autres prisonniers. ” Durant ces années, de nombreux Ukrainiens ont appris la vérité auprès de Témoins allemands qui étaient leurs codétenus.

Anastasia Kazak a connu la vérité en Allemagne, dans le camp de concentration du Stutthof. À la fin de la guerre, plusieurs centaines de prisonniers, y compris Anastasia et 14 Témoins, ont été transportés par barge au Danemark, où des frères danois les ont recherchés et ont pris soin d’eux physiquement et spirituellement. Au cours de la même année, à l’âge de 19 ans, Anastasia s’est fait baptiser à l’assemblée de Copenhague, puis elle est rentrée chez elle, dans l’est de l’Ukraine, où elle s’est dépensée avec zèle pour semer des graines de vérité. Par la suite, à cause de sa prédication, sœur Kazak a encore été emprisonnée, pendant 11 ans.

Voici le conseil qu’elle donne aux jeunes : “ Quoi qu’il arrive dans votre vie — tribulation, opposition ou d’autres problèmes — n’abandonnez jamais. Continuez de demander à Jéhovah son aide. Comme j’ai pu l’apprendre, il n’abandonne jamais ceux qui le servent. ” — Ps. 94:14.

Les épreuves de la guerre

La guerre, pénible et cruelle, charrie son lot d’épreuves et de souffrances, et cause la mort des civils comme des militaires. Les Témoins de Jéhovah ne sont pas épargnés. Et pourtant, bien qu’ils vivent dans le monde, ils n’en font pas partie (Jean 17:15, 16). À l’exemple de leur chef, Jésus Christ, ils observent une stricte neutralité politique. Par cette position, les Témoins d’Ukraine comme partout ailleurs se sont démarqués et montrés de vrais chrétiens. Et tandis que le monde honore ses héros de guerre, les vivants comme les morts, Jéhovah honore ceux qui démontrent courageusement leur fidélité envers lui. — 1 Sam. 2:30.

Vers la fin de l’année 1944, les troupes soviétiques ont repris l’ouest de l’Ukraine aux Allemands et ont décrété la conscription militaire obligatoire pour tous. Dans le même temps, des groupes de nationalistes ukrainiens combattaient à la fois les Allemands et les Soviétiques, et incitaient les habitants de l’ouest de l’Ukraine à rejoindre leurs rangs. Tout cela suscitait de nouvelles épreuves pour les serviteurs de Jéhovah, qui voulaient garder leur neutralité. Parce qu’ils refusaient de se battre, de nombreux frères ont été exécutés.

Ivan Maksymiouk et son fils Mykhaïlo avaient appris la vérité grâce à Illia Hovoutchak. Pendant la guerre ils ont refusé de prendre les armes, si bien qu’ils ont été emprisonnés par les nationalistes. Quelque temps plus tôt, ces nationalistes avaient également fait prisonnier un soldat soviétique. Ils ont alors ordonné à Ivan Maksymiouk de l’exécuter, en lui promettant de le libérer s’il obéissait. Comme frère Maksymiouk refusait, ils l’ont tué avec sadisme. Son fils Mykhaïlo a connu le même sort, tout comme Youri Freyouk et Mykola, son fils de 17 ans.

D’autres frères ont été exécutés parce qu’ils refusaient d’entrer dans l’armée soviétique (Is. 2:4). D’autres encore ont été condamnés à dix ans de prison. Les frères emprisonnés avaient très peu de chances de survivre, car durant la période d’après-guerre, même ceux qui étaient libres mouraient de faim en Ukraine. En 1944, Mikhaïl Dasevitch a été emprisonné en raison de sa neutralité. Avant de purger sa peine de dix ans, il a été interrogé pendant six mois, ce qui l’a laissé dans un état d’épuisement total. La commission médicale de la prison a prescrit pour lui un “ régime riche en calories ”. Le personnel de la cuisine a alors commencé à ajouter une cuillerée à café d’huile dans sa portion de porridge — la seule nourriture qu’on lui accordait. Frère Dasevitch a survécu et a fait partie du comité responsable de l’URSS pendant 23 ans, et plus tard du comité chargé de l’Ukraine.

En 1944, sept frères d’une congrégation de Bucovine ont refusé d’entrer dans l’armée et ont tous été condamnés à trois ou quatre ans d’emprisonnement. Quatre sont morts de faim en prison. Cette même année, cinq frères d’une congrégation voisine ont été condamnés à passer dix ans dans un camp en Sibérie. Seul un d’entre eux en est revenu, les autres étant décédés pendant leur captivité.

À ce sujet, l’Annuaire de 1947 a fait ce commentaire : “ Lorsqu’en 1944 le monstre nazi fut repoussé vers l’ouest, on ordonna en Ukraine occidentale une mobilisation de tous les hommes [...] afin de terminer la guerre d’une façon aussi favorable que possible pour la Russie. Nos frères ont une fois de plus respecté l’intangibilité de l’alliance éternelle, et maintenu leur attitude de neutralité. Quelques-uns payèrent de leur vie leur fidélité au Seigneur, et d’autres — cette fois-​ci, il y en avait plus de mille — firent, eux aussi, le grand voyage vers l’est dans les immenses plaines de ce pays gigantesque. ”

En dépit de cet important bouleversement, les Témoins de Jéhovah ont continué à croître en nombre. En 1946, 5 218 personnes, parmi lesquelles quatre chrétiens oints, ont assisté au Mémorial dans l’ouest de l’Ukraine.

Un soulagement temporaire

Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les frères, qui avaient enduré toutes les épreuves et étaient demeurés fidèles à Dieu, ont prêché un vibrant message d’espérance et d’encouragement à ceux qui revenaient du front. Les soldats ainsi que les prisonniers de guerre qui rentraient chez eux avaient perdu leurs illusions, mais ils étaient profondément désireux de trouver un sens à leur vie. De ce fait, nombre d’entre eux ont accepté la vérité biblique avec joie. Par exemple, vers la fin de l’année 1945, dans le village de Bila Tserkva, en Transcarpatie, 51 personnes se sont fait baptiser dans la rivière Tisza. À la fin de l’année, la congrégation comptait 150 proclamateurs.

À cette époque, les Ukrainiens et les Polonais dans l’ouest de l’Ukraine et l’est de la Pologne se vouaient une haine réciproque. De nombreux gangs ukrainiens et polonais se sont formés. Il est arrivé que ces gangs assassinent les habitants de villages entiers où vivaient des ressortissants de l’autre pays. Malheureusement, des frères sont morts dans ces massacres.

Plus tard, à la suite d’un accord entre l’Union soviétique et la Pologne, près de 800 000 Polonais d’Ukraine de l’ouest ont été relogés en Pologne, et environ 500 000 Ukrainiens de l’est de la Pologne ont été renvoyés en Ukraine. De nombreux Témoins faisaient partie des émigrants. Des congrégations entières ont été déplacées, et les frères ont reçu de nouvelles affectations théocratiques, considérant leur rapatriement comme une occasion de prêcher dans de nouveaux territoires. On peut lire dans l’Annuaire de 1947 : “ Tout ceci contribue à faire rapidement pénétrer la vérité dans des régions où elle ne serait guère parvenue en temps normaux. Ainsi, ces circonstances concourent aussi à la glorification du nom de Dieu. ”

Lorsque les frontières occidentales de l’Ukraine ont été fermées, les frères ont pris des mesures pour organiser les activités des Témoins de Jéhovah en Ukraine et dans le reste de l’URSS. Pavlo Ziatek avait auparavant été nommé serviteur responsable de l’Ukraine et du reste de l’Union soviétique. Plus tard, deux autres frères zélés, Stanislav Bourak et Petro Tokar, lui ont été adjoints. Ils habitaient en secret chez une sœur chrétienne de Lvov et imprimaient des publications afin que la nourriture spirituelle puisse être distribuée dans l’ensemble de l’URSS. Les publications étaient importées de Pologne au prix de grands risques pour être traduites et imprimées à Lvov. De temps à autre, quelques frères et sœurs parvenaient à obtenir la permission de rendre visite à des parents en Pologne et au retour ils rapportaient clandestinement des publications. Pendant un temps, un ingénieur des chemins de fer a transporté des publications dans une boîte en métal qu’il cachait dans une chaudière à vapeur.

À la fin de l’année 1945, frère Ziatek a été arrêté et condamné à 10 ans de prison. Frère Bourak est alors devenu le serviteur responsable de l’Ukraine à sa place.

La persécution reprend

En juin 1947, un frère qui allait livrer des publications à d’autres chrétiens a été arrêté dans une rue de Lvov. Les services de sécurité se sont engagés à enregistrer légalement notre organisation s’il leur communiquait les adresses des Témoins auxquels il livrait régulièrement les publications. Confiant, il leur a donné les adresses de près de 30 frères, y compris celle de frère Bourak, le serviteur responsable du pays à l’époque. Tous ont été arrêtés. Le frère en question s’est repenti sincèrement et a admis qu’il avait manqué de clairvoyance en faisant confiance aux services de sécurité.

Les frères qui avaient été arrêtés ont été emmenés dans une prison de Kiev pour être interrogés plus longuement et être jugés devant un tribunal. Peu de temps après, frère Bourak est mort en prison. Avant son arrestation, frère Bourak avait réussi à entrer en contact avec le serviteur de district, Mykola Tsiba, originaire de Volhynie, et à lui déléguer la surveillance de l’œuvre en Ukraine et dans le reste de l’Union soviétique.

C’était la première fois qu’en un coup de filet les services de sécurité soviétiques arrêtaient autant de frères responsables ou servant dans les imprimeries clandestines. Les autorités de l’URSS considéraient que nos publications étaient antisoviétiques. Les Témoins étaient accusés à tort de troubler l’ordre public, et beaucoup d’entre eux ont été condamnés à mort. Cependant, les condamnations à mort ont été commuées en peines de 25 ans d’emprisonnement dans un camp.

Les frères ont dû purger leur peine en Sibérie. Quand ils ont demandé à un avocat pourquoi ils étaient envoyés si loin, il leur a répondu pour plaisanter : “ Sans doute parce que vous devez y prêcher votre Dieu. ” Ces paroles se sont révélées exactes par la suite.

Au cours de la période allant de 1947 à 1951, de nombreux frères chargés de responsabilités ont été arrêtés. Les Témoins étaient incarcérés non seulement parce qu’ils imprimaient des publications, mais aussi parce qu’ils refusaient d’entrer dans l’armée, de voter lors des élections, d’inscrire leurs enfants dans l’organisation des Pionniers ou dans les organisations du Komsomol (Union communiste de la jeunesse). Le simple fait d’être Témoin de Jéhovah était suffisant pour être emprisonné. Souvent des gens déposaient de faux témoignages lors des audiences. En règle générale, il s’agissait de voisins ou de collègues que les services de sécurité avaient soit intimidés, soit payés.

Parfois, les représentants de l’État étaient bienveillants, même s’ils ne le montraient pas publiquement. Ivan Simtchouk a été arrêté et placé en isolement pendant six mois. Dans sa cellule régnait un silence total ; il n’entendait même pas le bruit de la rue. Ensuite on l’a jugé. Toutefois, l’enquêteur l’a aidé en lui expliquant comment répondre : “ Ne dis pas d’où viennent les machines à écrire et les publications ni qui te les a données ! Ne réponds pas à ces questions ! ” Et lorsqu’on l’a emmené à l’interrogatoire, l’enquêteur lui a dit : “ Ivan, tiens bon. N’abandonne pas, Ivan. ”

Dans certains villages, on interdisait aux Témoins de Jéhovah d’accrocher des rideaux à leurs fenêtres, afin que leurs voisins et la police puissent facilement voir s’ils lisaient leurs publications ou tenaient des réunions. Néanmoins, les frères trouvaient des moyens de se nourrir spirituellement. Parfois, l’“ estrade ” sur laquelle se tenait le frère qui dirigeait l’étude de La Tour de Garde était plus qu’originale. Ainsi, un frère dirigeait l’étude de La Tour de Garde et lisait les paragraphes accroupi sous une table recouverte d’une nappe qui touchait le sol. Les “ assistants ”, quant à eux, étaient assis autour de la table pour écouter attentivement et donner leurs commentaires. Personne ne pouvait soupçonner que les personnes autour de la table assistaient à une réunion religieuse.

Témoignage devant les tribunaux

Mykhaïlo Dan, dont nous avons parlé précédemment, a été arrêté à la fin de l’année 1948. À l’époque, il était marié et avait un fils âgé de un an, et sa femme attendait un autre enfant. Lors du procès, le procureur a requis une peine de 25 ans d’emprisonnement. Dans les dernières paroles qu’il a adressées aux juges, frère Dan a cité les paroles de Jérémie 26:14, 15 : “ Me voici en votre main. Faites-​moi selon ce qui est bon et selon ce qui est droit à vos yeux. Seulement vous devez bien savoir que, si vous me faites mourir, c’est du sang innocent que vous mettez sur vous, sur cette ville et sur ses habitants, car en vérité Jéhovah m’a envoyé vers vous pour prononcer à vos oreilles toutes ces paroles. ” Cet avertissement a influencé les juges qui, après avoir délibéré, ont rendu leur décision : dix ans d’emprisonnement et cinq ans d’exil aux confins de la Russie.

Frère Dan a été reconnu coupable de trahison envers la patrie. Il a alors rétorqué aux juges : “ Je suis né en Ukraine sous un gouvernement tchécoslovaque, puis j’ai vécu sous la domination hongroise ; aujourd’hui, l’Union soviétique s’est emparée de notre territoire, et en ce qui me concerne je suis de nationalité roumaine. Quelle patrie ai-​je trahie ? ” Évidemment, sa question est restée sans réponse. Après le procès, frère Dan a eu la joie d’apprendre qu’il avait eu une fille. Cela l’a aidé à endurer toutes les humiliations dans les prisons et les camps de Russie orientale. À la fin des années 40, de nombreux frères d’Ukraine, de Moldavie et de Biélorussie sont morts de faim dans les prisons soviétiques. Frère Dan a, quant à lui, perdu 25 kilos.

Des sœurs persécutées en Ukraine

Les frères n’étaient pas les seuls à être persécutés et condamnés à de longues peines sous le régime soviétique ; les sœurs étaient traitées avec tout autant de brutalité. Maria Tomilko, par exemple, a connu la vérité dans le camp de concentration de Ravensbrück durant la Deuxième Guerre mondiale. Plus tard, elle est retournée en Ukraine et a prêché dans la ville de Dniepropetrovsk. En 1948, en raison de son activité de prédicatrice, elle a été condamnée à passer 25 ans dans un camp de prisonniers.

Une autre sœur, condamnée à passer 20 ans dans le même genre de camp, se souvient : “ Au cours de l’enquête, j’ai été placée dans une cellule en compagnie de nombreuses criminelles. Toutefois, je n’avais pas peur d’elles et je leur ai donné le témoignage. À ma grande surprise, elles m’ont écoutée attentivement. La cellule était pleine à craquer. Nous dormions toutes sur le sol, serrées comme des sardines. Pendant la nuit, la seule façon de changer de côté était de le faire toutes ensemble, au même moment, et sur ordre donné. ”

En 1949, un responsable baptiste de la ville de Zaporožje a fourni aux services de sécurité locaux des renseignements concernant cinq de nos sœurs, qui ont alors été arrêtées. Inculpées pour propagande antisoviétique, toutes ont été condamnées à 25 ans de détention dans un camp de prisonniers. Tous leurs biens ont été confisqués. Pendant sept ans elles ont purgé leur peine dans l’extrême nord de la Russie, jusqu’à ce qu’une amnistie soit décrétée. L’une d’elles, Lydia Kourdas, se rappelle : “ On nous permettait d’écrire à notre famille seulement deux fois par an, et nos lettres étaient sévèrement censurées. Pendant tout ce temps nous n’avions aucune publication. ” Et pourtant, elles sont restées fidèles à Jéhovah et elles ont continué de prêcher la bonne nouvelle du Royaume.

De l’aide pour les frères de Moldavie

Même dans ces époques difficiles, les Témoins se manifestaient de l’amour les uns aux autres. En 1947, la Moldavie, un pays voisin, a connu une grave famine. Malgré leur pauvreté, les frères d’Ukraine ont immédiatement subvenu aux besoins de leurs frères et sœurs moldaves en leur envoyant de la farine. Des Témoins d’Ukraine de l’ouest ont invité plusieurs Témoins moldaves à venir habiter chez eux.

Un frère qui vivait en Moldavie à l’époque se souvient : “ Étant orphelin, je devais recevoir du gouvernement 200 grammes de pain par jour. Mais comme je ne faisais pas partie de l’organisation des Pionniers, je ne recevais rien. Nous avons été très heureux lorsque les frères d’Ukraine occidentale nous ont envoyé de la farine, d’autant plus que chaque proclamateur a pu en recevoir quatre kilos. ”

Tentative d’enregistrement légal en URSS

En 1949, trois anciens de la région de Volhynie (Mykola Pyatokha, Ilya Babijtchouk et Mykhaïlo Tchoumak) ont déposé une demande d’enregistrement légal de notre œuvre. Peu de temps après, frère Tchoumak a été arrêté. L’un des deux autres frères, Mykola Pyatokha, se souvient que lorsque la demande a été envoyée la première fois, il n’y a eu aucune réponse. Par conséquent, ils ont envoyé une deuxième demande à Moscou. Les documents ont été transmis à Kiev. Là, des représentants des autorités ont accordé aux frères un entretien et leur ont dit que l’enregistrement serait possible à condition que les Témoins de Jéhovah acceptent de coopérer avec eux. Évidemment, les frères ont refusé de transiger avec leur position de neutralité. Peu après, les deux frères ont également été arrêtés et condamnés à 25 ans d’emprisonnement dans un camp.

Dans un mémorandum spécial envoyé de Moscou aux autorités locales de Volhynie, il était expressément mentionné que la “ secte ” religieuse des Témoins de Jéhovah était “ un mouvement antisoviétique déclaré qui ne saurait en aucun cas être enregistré ”. Le chef du Bureau local des affaires religieuses a reçu l’ordre d’espionner les Témoins de Jéhovah et de tout rapporter aux services de sécurité de l’État.

Des chefs religieux coopèrent avec les autorités

En 1949, un responsable baptiste de Transcarpatie s’est plaint aux autorités de ce que les Témoins faisaient des adeptes parmi ses ouailles. Mykhaïlo Tilniak, un ancien d’une congrégation locale, a de ce fait été arrêté et condamné à dix ans d’emprisonnement. Sa femme s’est trouvée alors seule à la maison avec deux enfants en bas âge.

Ce genre de comportement de la part des chefs religieux a aidé des personnes sincères à comprendre et à apprécier l’œuvre des Témoins de Jéhovah. En 1950, une jeune baptiste de Transcarpatie, Vasylyna Biben, a appris que le pasteur de son église avait renseigné les autorités au sujet de l’activité de deux Témoins de sa commune. Ces Témoins ont été arrêtés et condamnés à six ans d’emprisonnement. Une fois libérés, ils sont rentrés chez eux, mais n’ont manifesté aucune animosité à l’égard de l’ecclésiastique. Vasylyna a compris que ces Témoins aimaient réellement leur prochain. Impressionnée, elle a étudié la Bible avec les Témoins et s’est fait baptiser. “ Je remercie Jéhovah de m’avoir montré le chemin qui conduit à la vie éternelle ”, dit-​elle.

Exilés en Russie

Les vérités bibliques proclamées par les Témoins de Jéhovah étaient incompatibles avec l’idéologie athée du régime communiste. Bien organisés, les Témoins imprimaient et distribuaient en secret des publications qui soutenaient le Royaume de Dieu. En outre, ils communiquaient les enseignements de la Bible à leurs voisins et à leur famille. Entre 1947 et 1950, les autorités ont arrêté plus de 1 000 Témoins. Néanmoins, les frères n’ont cessé de croître en nombre. Par conséquent, en 1951, les autorités ont préparé en secret un plan destiné à réduire à néant le peuple de Dieu. Il fallait exiler le reste des Témoins en Sibérie, à 5 000 kilomètres de là, vers l’est.

Le 8 avril 1951, plus de 6 100 Témoins ont été exilés d’Ukraine occidentale en Sibérie. Tôt le matin, des soldats sont arrivés en camion et ont frappé à la porte du domicile de chaque Témoin, ne laissant aux familles que deux heures pour empaqueter leurs affaires en vue du voyage. Ne pouvaient être emportés que les effets personnels et les objets de valeur. Tous ceux qui étaient trouvés chez eux étaient exilés — les hommes, les femmes et les enfants. Personne n’était épargné en raison de son âge ou de sa mauvaise condition physique. Rapidement, en l’espace d’une seule journée, ils ont été parqués dans des wagons de marchandises et envoyés en Sibérie.

Ceux qui n’étaient pas chez eux à ce moment-​là ont été laissés de côté, et les autorités ne se sont pas mises à leur recherche. Certains d’entre eux ont demandé officiellement aux autorités la permission de rejoindre leur famille exilée, mais les autorités n’ont pas répondu à leur demande, ni même révélé où leurs proches avaient été envoyés.

Des Témoins de Moldavie, de Biélorussie occidentale, de Lituanie, de Lettonie et d’Estonie ont également été exilés. Au total, environ 9 500 Témoins de ces cinq républiques ont été contraints à l’exil, transportés sous escorte militaire dans des wagons de marchandises que les gens appelaient des étables, car en temps normal ces wagons servaient exclusivement au transport du bétail.

Aucun des Témoins ne savait où ils étaient emmenés. Tout au long de leur périple, ils ont prié, chanté des cantiques et se sont entraidés. À l’extérieur des wagons, certains ont accroché des vêtements sur lesquels ils avaient écrit : “ Nous sommes des Témoins de Jéhovah de Volhynie ” ou “ Nous sommes des Témoins de Jéhovah de Lvov ”. Lors des arrêts dans les gares, ils pouvaient constater que d’autres trains portaient le même genre d’inscriptions. Cela a permis aux frères de comprendre que des Témoins d’autres régions de l’Ukraine occidentale étaient également exilés. Ces “ télégrammes ” les ont fortifiés pendant leurs deux à trois semaines de voyage en train jusqu’en Sibérie.

Ce déplacement de population était censé être un exil définitif. Le plan prévoyait que les Témoins de Jéhovah ne soient jamais autorisés à quitter la Sibérie. Même s’ils n’étaient pas en prison, ils devaient régulièrement se présenter au bureau local d’enregistrement. Quiconque manquait à l’appel était condamné à plusieurs années d’emprisonnement.

À leur arrivée, certains ont simplement été débarqués dans la forêt. Puis on leur a donné des haches pour couper des arbres, se bâtir un logement et se procurer les moyens de subsistance. Afin de survivre aux premiers hivers, les Témoins ont souvent dû creuser dans le sol des abris de fortune qu’ils recouvraient de mottes de terre et d’herbe.

Gregori Melnyk, qui est aujourd’hui ancien en Crimée, se rappelle : “ Après l’arrestation de ma sœur en 1947, j’ai souvent été convoqué par les autorités pour être interrogé. Ils me frappaient avec un bâton. À plusieurs reprises ils m’ont fait rester debout face au mur pendant seize heures, tout ça pour m’obliger à raconter des mensonges sur ma sœur aînée qui était Témoin. J’avais 16 ans à l’époque. Comme je refusais de témoigner contre elle, les autorités locales ne m’aimaient pas et voulaient se débarrasser de moi.

“ Par conséquent, au début de l’année 1951, nous avons été exilés en Sibérie, bien que mes deux jeunes frères, ma jeune sœur et moi étions orphelins. Nos parents étaient déjà morts, et mon frère et ma sœur aînés purgeaient une peine de dix ans d’emprisonnement. À l’âge de 20 ans, il fallait que j’assume la responsabilité de veiller sur mes deux petits frères et ma petite sœur.

“ Je me rappelle souvent les deux premières années que nous avons passées en Sibérie, où nous avons survécu en mangeant des pommes de terre et en buvant du thé. Nous buvions notre thé dans des assiettes à soupe, car les tasses étaient un luxe en ce temps-​là. Par contre, je me sentais très bien spirituellement. Au cours des premiers jours qui ont suivi notre arrivée, j’ai commencé à diriger des réunions publiques. Plus tard, nous avons également organisé l’École du ministère théocratique. Ce n’était pas facile pour moi d’assumer ces responsabilités, en raison de l’épuisant travail physique que je devais effectuer pour subvenir aux besoins de mes jeunes frères et sœur. ” Malgré ces épreuves, la famille Melnyk est demeurée fidèle à Jéhovah et à son organisation.

Souhaitant empêcher toute communication entre les Témoins qui devaient arriver sous peu et la population locale, les autorités sibériennes ont fait courir la rumeur que des cannibales allaient venir s’installer en Sibérie. Une fois parvenus à destination, des Témoins ont dû attendre quelques jours avant d’être logés dans les villages. Par conséquent, ils se sont assis en plein air sur la berge du Tchoulim, un fleuve encore gelé. Alors qu’on était déjà à la mi-​avril, le sol était encore couvert de neige. Les frères ont allumé un grand feu, se sont réchauffés, ils ont chanté des cantiques, prié et raconté des faits survenus durant leur voyage. Curieusement, aucun villageois ne venait à leur rencontre. Au contraire, les habitants fermaient les portes et les fenêtres de leur maison et n’invitaient pas les Témoins à entrer. Le troisième jour, les plus courageux d’entre les villageois, munis de haches, se sont approchés des Témoins et ont commencé à discuter avec eux. Au départ, ils pensaient vraiment que des cannibales étaient arrivés ! Mais ils ont rapidement constaté que cela n’était pas vrai.

En 1951, les autorités ont également prévu d’exiler les Témoins de Transcarpatie. Des wagons vides avaient même été acheminés. Toutefois, la décision d’exiler les frères a été annulée pour une raison indéterminée. La Transcarpatie est devenue l’une des régions principales où l’on produisait les publications destinées à l’ensemble de l’Union soviétique sous l’interdiction.

L’unité demeure

Comme la plupart des frères avaient été exilés en Sibérie, nombre de ceux qui étaient passés au travers des mailles du filet ont perdu le contact avec l’organisation. Par exemple, Maria Hretchina, de Tchernovtsi, a vécu plus de six ans sans avoir de nouvelles de l’organisation ni de ses compagnons chrétiens. Malgré cela, elle a continué de s’appuyer sur Jéhovah et elle est demeurée fidèle. De 1951 au milieu des années 60, la majorité des frères étant emprisonnés ou exilés, il est devenu nécessaire que des sœurs assument la direction de nombreuses congrégations.

Mikhaïl Dasevitch, qui a été témoin de ces événements, raconte : “ Je n’ai pas été directement touché par l’exil en Sibérie parce que, lorsque les listes de ceux qui allaient être exilés ont été préparées, j’étais encore en Russie à purger une peine de prison. Peu de temps après mon retour en Ukraine, la plupart des frères de ma région ont été envoyés en Sibérie. Il me fallait donc rechercher les Témoins isolés qui avaient perdu le contact avec l’organisation et les rassembler en groupes d’étude de livre et en congrégations. J’ai ainsi commencé à effectuer l’œuvre d’un surveillant de circonscription, bien que personne n’ait pu à l’époque me nommer à cette fonction. Chaque mois, je rendais visite à toutes les congrégations pour récupérer les rapports d’activité, et je transférais d’une congrégation à une autre les publications encore en notre possession. Il n’était pas rare que nos sœurs assument les responsabilités de serviteur de congrégation et même, dans certaines régions, de serviteur de circonscription en raison du manque de frères. Pour des raisons de sécurité, nous tenions toutes les réunions de serviteurs de congrégation pour notre circonscription la nuit, dans des cimetières. Comme nous savions qu’en général les gens avaient peur des morts, nous étions sûrs que personne ne viendrait nous déranger. La plupart du temps, nous discutions à voix basse lors de ces rassemblements. Une fois, nous avons chuchoté trop fort, et deux hommes qui passaient près du cimetière ont pris leurs jambes à leur cou. Ils ont sans doute cru que les morts parlaient ! ”

À la suite de l’exil de 1951, Mykola Tsiba, à l’époque serviteur pour le pays, a continué d’imprimer en secret des publications bibliques dans un bunker. En 1952, les services de sécurité ont découvert où il se trouvait et l’ont arrêté. Il a alors passé de nombreuses années en prison. Frère Tsiba est demeuré fidèle jusqu’à sa mort en 1978. Beaucoup d’autres frères qui avaient aidé frère Tsiba ont également été arrêtés.

En ce temps-​là, les frères n’avaient aucun contact avec l’étranger, si bien qu’il ne leur était pas possible de recevoir les publications courantes à temps. En une occasion, quelques frères ont réussi à se procurer des numéros de La Tour de Garde en roumain des années 1945 à 1949. Les frères de l’endroit les ont traduits en ukrainien et en russe.

Les Témoins d’Ukraine qui n’avaient pas été exilés ou emprisonnés se souciaient énormément de leurs compagnons dans la foi. Ils ont redoublé d’efforts pour établir une liste de ceux qui avaient été emprisonnés, afin de leur envoyer des vêtements chauds, de la nourriture et des publications. Par exemple, les Témoins de Jéhovah de Transcarpatie ont gardé le contact avec des frères internés dans 54 camps disséminés dans toute l’Union soviétique. De nombreuses congrégations ont créé une autre boîte à offrandes pour les “ Bonnes Espérances ”. L’argent collecté dans cette boîte servait à aider ceux qui se trouvaient en prison. Il était très encourageant, pour les frères fidèles et pleins d’abnégation qui étaient en liberté, de recevoir des prisons et des camps de chaleureuses lettres de reconnaissance ainsi que des rapports d’activité.

La situation s’améliore

Après la mort de Joseph Staline, chef de l’État soviétique, la politique à l’égard des Témoins s’est adoucie. À partir de 1953, une amnistie a été proclamée en URSS, qui a entraîné la libération de certains frères. Plus tard, la Commission d’État a été formée et a procédé au réexamen de sentences prononcées par le passé. De ce fait, de nombreux frères ont été libérés, tandis que d’autres ont vu leur peine réduite.

Au cours des années suivantes, la plupart des Témoins emprisonnés ont été relâchés. Mais l’amnistie ne s’appliquait pas à ceux qui avaient été exilés en 1951. Dans certains camps et certaines prisons, le nombre de ceux qui étaient devenus Témoins de Jéhovah dépassait le nombre de Témoins qui y avaient été envoyés au départ. Cet accroissement encourageait les frères et leur donnait la conviction que Jéhovah les avait bénis en raison de leur attitude ferme durant cette période.

Après leur libération, beaucoup de frères ont pu rentrer chez eux. Des efforts soutenus ont été faits pour trouver les Témoins qui avaient perdu le contact avec l’organisation. Volodymyr Volobuyev, qui vivait dans la région de Donetsk, se souvient : “ Jusqu’à ce que je sois de nouveau arrêté en 1958, j’ai pu retrouver et aider environ 160 Témoins qui avaient été séparés de l’organisation. ”

La proclamation de l’amnistie n’a pas entraîné une plus grande liberté de prêcher. Nombre de frères et sœurs qui avaient été libérés ont été de nouveau condamnés à de longues peines peu de temps après. Par exemple, en raison de l’amnistie de mars 1955, Maria Tomilko, originaire de Dniepropetrovsk, n’a accompli que huit ans de prison sur les 25 qu’elle devait purger. Toutefois, trois ans plus tard elle a été condamnée à nouveau à dix ans d’emprisonnement et à cinq ans d’exil. Pourquoi ? Dans les attendus de son jugement on pouvait lire : “ Elle a conservé et lu des publications et des manuscrits jéhovistes. ” Et elle a “ participé activement à la diffusion des enseignements jéhovistes auprès de ses voisins ”. Sept ans plus tard elle a été libérée parce qu’elle était invalide. Sœur Tomilko a enduré toutes sortes d’épreuves et elle est demeurée fidèle jusqu’à ce jour.

L’amour ne disparaît jamais

Les autorités s’efforçaient tout particulièrement de séparer les familles de Témoins de Jéhovah. Souvent, les services de sécurité s’évertuaient à placer les Témoins devant un choix : Dieu ou la famille. Cependant, dans la plupart des cas les serviteurs de Jéhovah ont démontré leur fidélité à Jéhovah en dépit des épreuves les plus difficiles.

Hanna Bokotch, de Transcarpatie, dont le mari, Noutsou, a été arrêté à cause de sa prédication zélée, se souvient : “ Durant son séjour en prison, mon mari a enduré de nombreuses humiliations malveillantes. Il a passé six mois en isolement, avec pour seul meuble une chaise, pas même un lit. On l’a cruellement battu et privé de nourriture. En l’espace de quelques mois il a énormément maigri et ne pesait plus que 36 kilos, la moitié de son poids normal. ”

Sa femme, fidèle, est demeurée seule avec leur fille encore jeune. Les représentants des autorités ont fait pression sur frère Bokotch pour qu’il transige avec sa foi et coopère avec eux. On lui a demandé de choisir entre sa famille et la mort. Frère Bokotch n’a pas renié ses croyances et il est resté fidèle à Jéhovah et à son organisation. Il a passé 11 ans en prison et, après sa libération, il a continué à exercer ses activités chrétiennes en tant qu’ancien et, plus tard, comme surveillant de circonscription, jusqu’à sa mort en 1988. Il puisait souvent de la force dans les paroles de Psaume 91:2 : “ Je veux dire à Jéhovah : ‘ Tu es mon refuge et ma forteresse, mon Dieu en qui je veux mettre ma confiance. ’ ”

Considérons un autre exemple remarquable d’endurance. Youri Popcha était surveillant itinérant en Transcarpatie. Dix jours après son mariage, il a été arrêté. Au lieu de partir en voyage de noces, il a passé dix ans en prison, en Mordovie (Russie). Fidèle, sa femme Maria lui a rendu visite 14 fois, parcourant chaque fois environ 1 500 kilomètres à l’aller comme au retour. Aujourd’hui, frère Popcha est ancien dans une des congrégations de Transcarpatie, et Maria, sa femme bien-aimée, le soutient fidèlement et avec amour.

Oleksi et Lydia Kourdas, qui vivaient dans la ville de Zaporožje, ont également laissé un bel exemple d’endurance dans les épreuves. En mars 1958, 17 jours après la naissance de leur fille Halyna, ils ont été arrêtés. Quatorze autres frères et sœurs ont aussi été interpellés dans la région. Frère Kourdas a été condamné à passer 25 ans dans un camp et sa femme a été condamnée à une peine de 10 ans. Ils ont été séparés, Oleksi étant envoyé en Mordovie et Lydia en Sibérie avec leur petite fille.

Voici comment sœur Kourdas décrit le voyage de trois semaines d’Ukraine en Sibérie : “ C’était terrible. Il y avait ma fille et moi, Nadia Vitchniak avec son bébé né en prison juste quelques jours auparavant tandis qu’elle était soumise à un interrogatoire, et deux autres sœurs. On nous a fait monter toutes les six dans un wagon et poussées dans une cellule destinée à ne recevoir que deux prisonniers. Nous avons allongé nos enfants sur la couchette du bas, et pendant tout le voyage nous sommes restées assises, serrées, sur la couchette du haut. Nous avions du pain, du hareng salé et de l’eau. La nourriture était fournie pour seulement quatre adultes. Nous n’avions rien pour nourrir nos enfants.

“ Quand nous sommes arrivées à destination, on m’a envoyée à l’hôpital de la prison avec mon bébé. J’y ai rencontré plusieurs sœurs à qui j’ai raconté que l’inspecteur m’avait menacée de prendre ma fille et de la mettre à l’orphelinat. Les sœurs ont réussi à informer les frères locaux de ma situation. Plus tard, Tamara Bouriak (aujourd’hui Ravliouk), qui avait 18 ans, est venue à l’hôpital pour prendre ma fille, Halyna. C’était la première fois que je rencontrais Tamara. Il était très pénible de laisser ma petite fille chérie à une personne que je n’avais jamais vue auparavant, même s’il s’agissait de ma sœur spirituelle. Néanmoins, j’ai été grandement réconfortée lorsque des sœurs du camp m’ont parlé de la fidélité de la famille Bouriak. Ma fille avait 5 mois et 18 jours quand je l’ai laissée aux soins de Tamara. Je n’allais la revoir que sept ans plus tard !

“ En 1959, une nouvelle amnistie a été décrétée en URSS. Elle s’appliquait aux femmes qui avaient des enfants de moins de sept ans. Mais les responsables de la prison m’ont dit que je devais d’abord renoncer à ma foi. Ayant refusé cette condition, j’ai dû rester dans le camp. ”

Frère Kourdas a été libéré en 1968, à l’âge de 43 ans. Au total, il a passé, pour la vérité, 15 ans en prison, dont huit dans une prison de haute sécurité. Finalement, il est retourné en Ukraine retrouver sa femme et sa fille. Leur famille était enfin réunie. Halyna s’est assise sur les genoux de son père et lui a dit : “ Papa ! Je n’ai jamais pu m’asseoir sur tes genoux, alors maintenant je rattrape le temps perdu. ”

Par la suite, la famille Kourdas a déménagé plusieurs fois, car les autorités ne cessaient de les expulser. Au départ ils ont vécu dans l’est de l’Ukraine, puis dans l’ouest de la Géorgie et le nord du Caucase. Finalement ils se sont installés à Kharkov, où ils vivent encore aujourd’hui, heureux. Halyna est à présent mariée, et tous continuent de servir fidèlement leur Dieu, Jéhovah.

Un extraordinaire exemple de foi

Parfois, nos frères enduraient de dures épreuves pour la foi pendant des mois, des années, voire des décennies. Youri Kopos, par exemple, est né et a grandi près de la magnifique ville de Khoust, en Transcarpatie. En 1938, à l’âge de 25 ans, il est devenu Témoin de Jéhovah. En 1940, pendant la Deuxième Guerre mondiale, il a été condamné à huit mois d’emprisonnement parce qu’il refusait de rejoindre l’armée hongroise, qui soutenait le régime nazi. À l’époque, en Transcarpatie, la loi n’autorisait pas l’exécution des objecteurs de conscience. Par conséquent, les frères étaient envoyés au front, où la loi nazie appliquait ce genre d’exécution. En 1942, frère Kopos a été emmené sous escorte militaire sur le front russe, près de Stalingrad, avec d’autres prisonniers parmi lesquels figuraient 21 autres Témoins. On les envoyait là pour être exécutés. Toutefois, peu de temps après leur arrivée, l’armée soviétique a lancé une attaque et s’est rendue maître des troupes allemandes, ainsi que des frères. Les Témoins ont été envoyés dans un camp de prisonniers soviétique, où ils sont restés jusqu’en 1946, date de leur libération.

Frère Kopos est rentré chez lui et a pris une part active à l’œuvre de prédication dans sa région natale. C’est pour cette raison qu’en 1950, les autorités soviétiques l’ont condamné à passer 25 ans dans un camp de travail. Cependant, à la suite d’une amnistie, il a été relâché au bout de six ans.

Après sa libération, frère Kopos, alors âgé de 44 ans, a décidé d’épouser Hanna Chichko. Elle aussi était Témoin et avait récemment été libérée de prison après avoir purgé une peine de dix ans. Tous deux ont rempli une demande d’enregistrement de leur mariage. Mais la veille au soir de leur mariage, on les a de nouveau arrêtés et condamnés à dix ans d’emprisonnement dans un camp. Malgré cela, ils ont survécu à toutes ces épreuves et leur amour a enduré toutes ces choses, même le report de dix ans de leur mariage (1 Cor. 13:7). Après leur libération, en 1967, ils se sont finalement mariés.

Leur histoire ne s’arrête pas là. En 1973, alors âgé de 60 ans, frère Kopos a une fois encore été arrêté et condamné à cinq ans d’emprisonnement dans un camp et à cinq ans d’exil. Avec sa femme, Hanna, il a purgé cette peine en Sibérie, à 5 000 kilomètres de Khoust, sa ville natale. Cette région ne bénéficiait d’aucune voie de communication routière ou ferroviaire ; on n’y accédait que par avion. En 1983, frère Kopos est rentré chez lui à Khoust avec sa femme. Hanna est morte en 1989, et frère Kopos a continué de servir fidèlement Jéhovah jusqu’à sa mort en 1997. En tout, frère Kopos a passé 27 ans dans différentes prisons et 5 ans en exil, soit un total de 32 ans.

Cet homme modeste et humble a passé près d’un tiers de siècle dans les prisons soviétiques et les camps de travail. C’est un extraordinaire exemple de foi qui montre clairement que les ennemis ne peuvent venir à bout de l’intégrité des fidèles serviteurs de Dieu.

Une division temporaire

L’ennemi de l’humanité, Satan le Diable, utilise de nombreuses méthodes pour combattre ceux qui pratiquent le vrai culte. La persécution physique mise à part, il s’efforce d’instiller le doute et de susciter des dissensions chez les frères. Cela ressort particulièrement de l’histoire des Témoins de Jéhovah d’Ukraine.

Au cours des années 50, les Témoins de Jéhovah ont été harcelés sans relâche. Les autorités recherchaient constamment les endroits où l’on imprimait des publications. Les frères ayant des responsabilités étaient régulièrement arrêtés. De ce fait, ceux qui assuraient la direction de l’œuvre étaient souvent remplacés au bout de quelques mois.

Constatant qu’ils ne pouvaient réduire les Témoins de Jéhovah au silence par l’exil, l’emprisonnement, la violence et la torture, les services de sécurité ont employé de nouvelles tactiques. Ils ont tenté de diviser l’organisation de l’intérieur en semant la suspicion parmi les frères.

Dans le milieu des années 50, les services de sécurité ont cessé d’arrêter tous les frères actifs et responsables de l’œuvre, et se sont mis à les espionner. Ces frères étaient régulièrement convoqués aux bureaux des services de sécurité. On leur promettait alors de l’argent et une carrière importante s’ils coopéraient. S’ils refusaient, ils étaient mis en prison et soumis à des traitements humiliants. Quelques-uns, manquant de foi en Dieu, ont cédé par crainte ou par appât du gain. Ils sont restés dans les rangs de l’organisation pour informer les services de sécurité des activités des Témoins de Jéhovah. Ils appliquaient scrupuleusement les instructions des autorités, faisant passer des frères innocents pour des traîtres aux yeux de nombreux frères.

Pavlo Ziatek a beaucoup souffert de ces suspicions non fondées. Ce frère humble et zélé a passé de nombreuses années dans des camps, et a consacré sa vie entière au service de Jéhovah.

Dans le milieu des années 40, frère Ziatek a été serviteur responsable pour le pays. Arrêté, il a passé dix ans dans une prison de l’ouest de l’Ukraine. En 1956 il a été libéré, puis en 1957 il a retrouvé ses fonctions. Le comité de pays comprenait huit frères en plus de frère Ziatek : quatre de Sibérie et quatre d’Ukraine. Ces frères assuraient la surveillance de l’œuvre de prédication dans toute l’URSS.

En raison des importantes distances à parcourir et de la persécution constante, ces frères ne pouvaient entretenir une bonne communication entre eux ni se réunir régulièrement. Au fil du temps, des rumeurs et des commérages se sont répandus au sujet de frère Ziatek et d’autres membres du comité. On prétendait que frère Ziatek coopérait avec les services de sécurité, qu’il s’était fait construire une grande maison en se servant des fonds destinés à l’œuvre de prédication, et qu’on l’avait aperçu en uniforme militaire. Ces allégations ont été réunies dans un cahier et envoyées aux surveillants de district et de circonscription en Sibérie. Aucune de ces accusations n’était fondée.

Finalement, en mars 1959, certains surveillants de circonscription de Sibérie ont cessé d’envoyer leurs rapports d’activité au comité. Ceux qui se sont séparés l’ont fait sans consulter le bureau. Ils n’ont pas suivi les instructions des surveillants de leur région. Tout cela a provoqué une division dans les rangs des Témoins de Jéhovah de l’URSS pendant quelques années.

Les frères dissidents ont persuadé d’autres surveillants de circonscription d’adopter une position semblable. De ce fait, les rapports d’activité de certaines circonscriptions étaient envoyés aux frères qui avaient fait scission alors que c’est le comité du pays qui aurait dû les recevoir. La plupart des frères des congrégations ne savaient pas que leurs rapports de service n’avaient pas été transmis au comité, de sorte que l’activité des congrégations n’en était pas affectée. Frère Ziatek a effectué plusieurs voyages en Sibérie, après quoi différentes circonscriptions ont recommencé à envoyer leurs rapports de service au comité.

Retour à l’organisation théocratique

Le 1er janvier 1961, tandis qu’il revenait d’une tournée de service en Sibérie, frère Ziatek a été arrêté dans le train. Il a de nouveau été condamné à une peine de 10 ans de prison, cette fois dans un camp “ spécial ” en Mordovie (Russie). Qu’est-​ce que ce camp avait de si “ spécial ” ?

Les frères, qui purgeaient leur peine d’emprisonnement dans différents camps, avaient l’occasion de prêcher à d’autres prisonniers, dont beaucoup sont devenus Témoins. Cela contrariait les autorités, qui ont décidé de rassembler les Témoins les plus actifs dans un camp, afin qu’ils ne puissent plus prêcher aux autres. Vers la fin des années 50, plus de 400 frères et environ une centaine de sœurs, qui étaient dispersés dans différents camps de l’URSS, ont été regroupés dans deux camps en Mordovie. Parmi les prisonniers figuraient des frères du comité du pays ainsi que des surveillants de circonscription et de district qui s’étaient séparés du canal de communication choisi par Jéhovah. Quand ces derniers ont vu que frère Ziatek était également emprisonné, ils ont compris qu’ils n’avaient pas de raison valable de croire qu’il avait coopéré avec les services de sécurité.

Par ailleurs, en prévision de l’arrestation de frère Ziatek, des dispositions avaient déjà été prises pour que Ivan Pachkovski assume la charge de serviteur responsable pour le pays. Vers le milieu de l’année 1961, frère Pachkovski a rencontré les frères responsables de l’œuvre en Pologne et leur a expliqué qu’il y avait des divisions parmi les frères de l’URSS. Il a demandé si Nathan Knorr, du siège mondial à Brooklyn, accepterait de rédiger une lettre dans laquelle il apporterait son soutien à frère Ziatek. Plus tard, en 1962, frère Pachkovski a reçu un exemplaire de la lettre adressée aux Témoins de Jéhovah de l’URSS, datée du 18 mai 1962. En voici un extrait : “ Régulièrement, j’entends dire que vous, frères de l’URSS, vous entretenez toujours le profond désir d’être des serviteurs fidèles de Jéhovah Dieu. Mais certains parmi vous ont eu des difficultés à rester unis à leurs frères. Je pense que cela est dû au peu de moyens de communication et à la propagation délibérée de mensonges orchestrée par ceux qui s’opposent à Jéhovah Dieu. C’est pourquoi je vous écris pour vous rappeler que la Société considère frère Pavlo Ziatek et les frères qui coopèrent avec lui comme les surveillants chrétiens responsables de l’œuvre en URSS. Refusez tout compromis et tout point de vue extrémiste. Nous devons être sains d’esprit, raisonnables, disposés à nous adapter, mais également fermes quant aux principes divins. ”

Cette lettre, associée au fait que frère Ziatek avait été condamné à 10 ans d’emprisonnement, a contribué à unifier les serviteurs de Jéhovah en URSS. De nombreux frères dissidents qui se trouvaient en prison et dans des camps se sont de nouveau associés à l’organisation. Ils ont compris que frère Ziatek n’avait pas trahi l’organisation et que le siège mondial lui accordait pleinement son soutien. Quand ils écrivaient à leur famille et à leurs amis, les frères emprisonnés encourageaient les anciens de leur congrégation à prendre contact avec les frères qui étaient demeurés fidèles et à rapporter leur activité de prédication. Au cours de la décennie suivante, la majorité des frères dissidents ont suivi ce conseil même si, comme nous le verrons, il était difficile de rester unis.

La fidélité dans les camps

La vie en prison était difficile. Pourtant, par rapport aux autres prisonniers, les Témoins s’en sortaient souvent mieux, grâce à leur spiritualité. Ils avaient des publications et discutaient avec des compagnons chrétiens mûrs. Tout cela contribuait à maintenir un bon état d’esprit et concourait à leur croissance spirituelle. Dans un camp, les sœurs enterraient si habilement les publications dans le sol que personne ne pouvait les trouver. Un jour, un inspecteur a dit que, pour débarrasser le territoire de toutes les “ publications antisoviétiques ”, il faudrait retourner le sol autour de la prison jusqu’à deux mètres de profondeur et passer la terre au tamis. Des sœurs incarcérées ont étudié des Tour de Garde si attentivement que, 50 ans plus tard, certaines d’entre elles peuvent encore en réciter des passages.

Malgré cette période difficile, les frères et sœurs ont maintenu leur fidélité à Jéhovah et n’ont pas transigé sur les principes bibliques. Maria Rechina, qui a passé cinq ans dans un camp en raison de son activité de prédicatrice, raconte ce qui suit : “ Quand nous avons reçu La Tour de Garde qui contenait l’article ‘ Maintenir son innocence en respectant la sainteté du sang ’, nous avons décidé de ne pas nous rendre à la salle à manger du camp lorsqu’il y avait de la viande au menu. Souvent, la viande servie dans les camps n’avait pas été correctement saignée. Quand le directeur de la prison a découvert pourquoi les Témoins ne mangeaient pas à certains repas, il a décidé de nous forcer à transgresser nos principes. Il a ordonné que de la viande soit servie tous les jours, le matin, le midi et le soir. Pendant deux semaines nous n’avons mangé que du pain. Nous nous sommes appuyées totalement sur Jéhovah, convaincues qu’il voit tout et qu’il sait jusqu’à quel point nous pouvons endurer. À la fin de la deuxième semaine de ce ‘ régime ’, le directeur a changé d’avis et s’est mis à nous servir des légumes, du lait et même du beurre. Nous avons constaté que Jéhovah se souciait réellement de nous. ”

De l’aide pour endurer

En comparaison des autres prisonniers, les frères gardaient un point de vue confiant et très positif sur la vie. Cela leur a permis d’endurer les atrocités des prisons soviétiques.

Frère Oleksi Kourdas, qui a passé de nombreuses années en prison, raconte : “ Ce qui m’a aidé à endurer c’est une foi profonde en Jéhovah et en son Royaume, la participation aux activités théocratiques en prison et la prière régulière. Une autre chose m’a aidé : la conviction d’agir d’une manière qui plaît à Jéhovah. J’ai également veillé à rester actif. L’ennui est quelque chose de terrible en prison. Il peut détruire la personnalité et conduire à la folie. C’est pourquoi je m’efforçais de rester occupé à des activités théocratiques. J’empruntais aussi à la bibliothèque de la prison tous les livres traitant de l’histoire mondiale, de la géographie et de la biologie. Je consultais les passages qui soutenaient mes opinions sur la vie. De cette façon, je pouvais fortifier ma foi. ”

En 1962, Sergeï Ravliouk a passé trois mois en isolement. Il ne pouvait parler à personne, même pas aux gardes de la prison. Afin de ne pas perdre la raison, il a tâché de se remémorer tous les versets qu’il connaissait. Il s’est ainsi souvenu de plus de mille versets bibliques qu’il a écrits sur des morceaux de papier avec une mine de crayon. Il cachait la mine dans une rainure. Il s’est également rappelé plus d’une centaine d’articles de La Tour de Garde qu’il avait étudiés par le passé. Il a calculé la date du Mémorial pour les 20 années à venir. Tout cela l’a aidé à conserver sa santé mentale, mais aussi spirituelle. Sa foi en Jéhovah est ainsi restée vivante et forte.

“ L’aide ” des gardiens de prison

Malgré l’opposition des services de sécurité, nos publications franchissaient toutes les barrières et parvenaient à nos frères emprisonnés. Les gardiens en étaient conscients et, de temps à autre, ils procédaient à une fouille approfondie de toutes les cellules, examinant littéralement jusqu’à chaque fissure. Afin de mettre la main sur les publications, les gardes déplaçaient régulièrement les prisonniers d’une cellule à une autre, et en profitaient pour les fouiller des pieds à la tête. Toute publication trouvée était confisquée. Comment les frères ont-​ils réussi à faire en sorte que des publications ne soient pas découvertes ?

En général, les frères les cachaient dans leur oreiller, dans leur matelas, dans leurs chaussures ou sous leurs vêtements. Dans certains camps, ils recopiaient manuellement La Tour de Garde en caractères minuscules. Parfois, quand les prisonniers étaient transférés d’une cellule à une autre, les frères recouvraient de plastique un périodique miniature et le cachaient sous la langue. Ils réussissaient ainsi à préserver leur maigre ration spirituelle et à continuer de se nourrir spirituellement.

Vasyl Bounha a passé de nombreuses années en prison pour la vérité. Son codétenu, Petro Tokar, et lui ont pris une boîte à outils et l’ont aménagée d’un double fond. À l’intérieur, ils cachaient des originaux de publications qu’ils introduisaient clandestinement dans la prison. Ces frères étaient les charpentiers de la prison, et la boîte à outils leur était confiée lorsqu’ils procédaient à des travaux de charpente dans l’enceinte de l’établissement. Avant de rendre la boîte, ils ôtaient le périodique pour le copier. Après leur journée de travail, le périodique était replacé dans la boîte à outils. Le directeur de la prison fermait la boîte avec trois cadenas et la conservait derrière deux portes fermées à clé, car les scies, les ciseaux à bois et les autres outils de charpentier pouvaient servir d’armes aux prisonniers. De ce fait, lors des fouilles, les gardiens ne pensaient pas à vérifier la boîte à outils cadenassée, qui demeurait avec les affaires du directeur de la prison.

Frère Bounha a trouvé un autre endroit pour cacher les textes originaux des publications. Comme il avait une mauvaise vue, il possédait plusieurs paires de lunettes. Chaque prisonnier était autorisé à n’en garder qu’une paire. Les autres devaient être stockées dans un endroit particulier, et les prisonniers pouvaient les demander s’ils en avaient besoin. Frère Bounha a fabriqué des étuis spéciaux pour ses lunettes et il y dissimulait des copies miniatures de publications. Quand les frères avaient besoin de recopier les périodiques, frère Bounha demandait simplement aux gardiens de lui apporter une autre paire de lunettes.

Il semble qu’en certaines occasions seuls les anges ont pu empêcher les gardes de mettre la main sur les publications. Frère Bounha se souvient d’une fois où Tcheslav Kazlaukas a apporté 20 savonnettes à la prison. La moitié étaient remplies de publications. Un des gardes de la prison en a choisi une dizaine pour les percer, mais aucune de celles qui contenaient des publications.

Un travail constant d’unification

À partir de 1963, les membres du comité ont été en mesure de transmettre régulièrement les rapports de prédication à Brooklyn. Il a également été possible pour les frères de recevoir les publications sur microfilm. À l’époque, il y avait 14 circonscriptions pour toute l’URSS, dont quatre en Ukraine. Comme le nombre de serviteurs de Dieu s’était accru, on a formé sept districts en Ukraine. Pour des raisons de sécurité, chaque district portait le nom d’une femme. On surnommait Alla l’est de l’Ukraine, Oustina la Volhynie, Liouba la Galicie ; en Transcarpatie, les districts portaient les noms de Katia, Kristina et Macha.

Pendant ce temps, le KGB (Comité pour la sécurité d’État) s’efforçait toujours de briser l’unité des Témoins. Le responsable d’un bureau du KGB a écrit ce qui suit à son supérieur : “ En vue d’accentuer l’éclatement de la secte, nous nous efforçons de supprimer l’activité hostile des dirigeants jéhovistes, de les discréditer aux yeux de leurs coreligionnaires et de créer en leur sein une ambiance de suspicion. Les agences du KGB ont fait en sorte de diviser la secte en deux groupes antagonistes. L’un est constitué de partisans du dirigeant jéhoviste Ziatek, qui purge actuellement une peine de prison, et l’autre groupe est composé de partisans de la présumée opposition. Cette situation a créé les conditions favorables et posé le fondement d’une dissension idéologique chez les militants de base et d’une détérioration plus profonde des unités d’organisation. ” La lettre admettait ensuite que les efforts du KGB rencontraient une résistance : “ Les responsables jéhovistes les plus réactionnaires prennent des mesures pour contrer nos actions et s’efforcent de toutes les manières possibles de consolider l’unité de leur organisation. ” Effectivement, les frères ont poursuivi leur travail d’unification et Jéhovah a béni leurs efforts.

Le KGB a envoyé aux frères dissidents une lettre, présentée comme venant de frère Knorr, qui soutenait l’idée de former une organisation séparée et indépendante des Témoins de Jéhovah. Cette lettre, qui prenait le cas d’Abraham et de Lot comme un exemple justifiant la séparation possible d’avec le canal de l’organisation, a été distribuée dans toute l’URSS.

Des frères fidèles ont envoyé une copie de la lettre à Brooklyn, et en 1971 ils ont reçu une réponse qui dénonçait la lettre comme étant un faux. Dans une lettre adressée aux frères qui demeuraient séparés du reste des serviteurs de Dieu, frère Knorr déclarait : “ La seule voie de communication utilisée par la Société est celle des surveillants nommés dans votre pays. Personne, en dehors de ces surveillants nommés, n’est autorisé à vous donner des directives. [...] Les véritables serviteurs de Jéhovah sont un groupe uni. J’espère donc et je prie pour que tous vous retrouviez l’unité de la congrégation chrétienne sous la direction des surveillants nommés et que vous puissiez tous unis participer à l’œuvre de témoignage. ”

Cette lettre a grandement contribué à unifier les frères. Néanmoins, certains s’efforçaient encore d’établir de manière indépendante le contact avec le siège mondial, car ils n’avaient toujours pas confiance dans le canal de communication existant. Ces frères dissidents ont donc décidé de faire un test. Ils ont envoyé un billet de dix roubles à Brooklyn, en demandant aux frères de le déchirer en deux et de renvoyer les deux parties en Ukraine : une moitié aux frères dissidents par courrier, et l’autre moitié par le moyen de communication utilisé par le siège mondial.

Conformément aux instructions, une moitié a été envoyée par courrier. La deuxième moitié a été confiée à un messager qui l’a remise aux membres du comité du pays. Ces derniers l’ont, à leur tour, transmise aux frères de Transcarpatie qui sont allés à la rencontre des frères dissidents. Cependant, parmi eux, certains persistaient à croire que les membres du comité étaient de mèche avec les services de sécurité et ne leur faisaient toujours pas confiance.

Reste que la plupart des frères dissidents sont revenus à l’organisation. Les efforts de Satan et du KGB en vue de réduire à néant l’organisation des Témoins de Jéhovah en URSS par la division n’ont pas abouti. Le peuple de Jéhovah s’est accru et fortifié, effectuant consciencieusement l’œuvre d’unification et de propagation des graines de vérité dans de nouveaux territoires.

Vasyl Kaline a déclaré : “ Ils ont utilisé de nombreuses méthodes pour tenter de supprimer notre désir de mener une vie chrétienne. Pourtant, nous avons continué de prêcher à nos compagnons d’exil qui étaient athées. Ces derniers avaient été exilés pour différentes raisons et pour différents délits. Nombre d’entre eux ont manifesté de l’intérêt pour notre message. Plusieurs ont fini par devenir Témoins de Jéhovah, tout en étant conscients de la persécution dont nous étions l’objet tant de la part de la sécurité d’État que de l’administration locale. ”

Vivre sa foi chrétienne sous l’interdiction

À présent, examinons brièvement comment nos frères accomplissaient leur activité chrétienne au cours des premières décennies d’interdiction. L’œuvre des Témoins de Jéhovah a été interdite dans toute l’Ukraine à partir de 1939. Pourtant, la prédication et les activités des congrégations ont connu un essor, même si les frères devaient se montrer très prudents lorsqu’ils donnaient le témoignage. Au départ, les frères ne se présentaient jamais comme Témoins de Jéhovah quand ils discutaient avec des personnes intéressées par la vérité. Ils dirigeaient souvent des études bibliques en se servant uniquement de la Bible. De nombreuses personnes ont appris la vérité de cette façon.

Les réunions de la congrégation se déroulaient dans des conditions semblables. Dans de nombreux endroits, les frères se réunissaient plusieurs fois par semaine en fin de soirée ou tard dans la nuit. Ils mettaient aux fenêtres des rideaux en tissus épais pour ne pas être découverts et étudiaient à la lueur d’une lampe à pétrole. En général, chaque congrégation recevait un exemplaire seulement de La Tour de Garde, qui avait été recopié à la main. Plus tard, les frères ont commencé à recevoir des périodiques imprimés sur des machines à polycopier. D’habitude, les frères se réunissaient deux fois par semaine dans un appartement pour étudier La Tour de Garde. Le KGB n’avait de cesse de rechercher les lieux de réunion des Témoins de Jéhovah pour punir les frères responsables.

Les frères profitaient également des mariages et des enterrements pour se rassembler et s’encourager mutuellement au moyen de discours bibliques bien préparés. Lors des mariages, de nombreux jeunes frères et sœurs lisaient des poèmes traitant de sujets bibliques ou jouaient des drames bibliques en costume d’époque. Tout cela donnait un bon témoignage à tous les non-Témoins qui étaient présents.

Au cours des années 40 et 50, nombre de frères et sœurs ont été arrêtés et emprisonnés pour avoir simplement assisté à ces réunions. Cependant, dans les années 60 la situation a changé. Quand des agents des services de sécurité surprenaient une réunion, ils dressaient généralement une liste des personnes présentes et condamnaient le propriétaire de la maison à payer une amende d’un mois de salaire. Parfois, cette mesure frisait l’absurdité. Un jour, Mykola Kostiouk et sa femme ont rendu visite à leur fils. Aussitôt la police est arrivée et a dressé une liste de “ tous ceux qui étaient présents ”. Par la suite, le fils de frère Kostiouk a été convoqué pour payer une amende sous prétexte d’avoir tenu “ une réunion illégale de Jéhovistes ”. La famille Kostiouk a déposé une plainte à propos de cet incident, car il n’y avait eu aucune réunion. Les autorités ont finalement annulé la contravention.

La célébration du Mémorial

Il n’était pas facile d’affronter constamment des difficultés. Toutefois, les frères ne se décourageaient pas et continuaient à se réunir régulièrement. Célébrer le Mémorial était le défi le plus grand. Les agents du KGB étaient particulièrement vigilants à l’époque du Mémorial, car ils savaient toujours approximativement à quelle date il aurait lieu. Ils espéraient, en gardant l’œil sur les Témoins, découvrir les lieux de réunion pour le Mémorial. Ils pourraient ainsi “ faire la connaissance ” de nouveaux Témoins.

Comme les frères étaient au courant de ces tactiques, ils se montraient extrêmement prudents le jour du Mémorial. Ils organisaient la célébration dans des endroits difficiles à trouver. On ne communiquait pas à l’avance la date et le lieu du Mémorial aux personnes intéressées par la vérité. Généralement, des Témoins passaient à leur domicile le jour prévu et les emmenaient directement au lieu de réunion.

Une fois, les frères de Transcarpatie ont célébré le Mémorial dans la cave de la maison d’une sœur. Comme l’endroit était inondé, personne ne pouvait songer que des gens se rassembleraient là, avec de l’eau jusqu’aux genoux. Les frères ont construit un plancher au-dessus du niveau de l’eau et ont rendu l’endroit convenable pour le Mémorial. Ils ont dû s’accroupir car, du fait que le plancher était surélevé, le plafond était devenu bas, mais au moins personne ne les a dérangés tandis qu’ils célébraient joyeusement le Mémorial.

En une autre occasion, dans les années 80, les membres d’une famille chrétienne ont quitté leur maison tôt le matin pour assister au Mémorial. À la tombée du jour ils ont retrouvé d’autres frères dans une forêt. Comme il pleuvait à verse, tous les frères et sœurs ont dû se regrouper en cercle sous des parapluies, à la lueur des bougies. Après la prière de conclusion, tous se sont séparés. À leur retour, les membres de cette famille ont trouvé le portail de la cour ouvert. Il ne faisait aucun doute que la police, ou les services de sécurité, les avait cherchés. Bien que fatigués et trempés, tous étaient heureux d’avoir quitté la maison le matin et d’être venus au Mémorial, ce qui leur avait permis d’éviter une confrontation avec les autorités.

À Kiev, il était extrêmement difficile pour les frères de trouver un lieu sûr pour le Mémorial. Une année, ils ont décidé d’observer le Mémorial dans un autocar. Étant donné qu’un frère travaillait comme chauffeur dans une société de transport, les frères ont loué un car, qui n’a pris que des Témoins de Jéhovah, puis a quitté la ville pour se rendre dans une clairière en forêt. Dans le car, les frères ont dressé une petite table sur laquelle ils ont disposé les emblèmes du Mémorial. Ils avaient également apporté de la nourriture. Tout d’un coup, la police a surgi. Cependant, les agents n’avaient aucune raison de déranger les frères, car ces derniers semblaient juste être en train de souper dans le car après une journée de travail.

Dans d’autres régions d’Ukraine, des descentes de police avaient lieu au domicile des frères le jour du Mémorial. Dès le coucher du soleil, trois ou quatre agents s’arrêtaient en voiture devant les maisons où habitaient des Témoins. Ils vérifiaient alors si les frères étaient chez eux ou sur le point de se rendre à une célébration religieuse. Les Témoins se préparaient toujours à cette éventualité. Ils revêtaient de vieux habits de travail par-dessus leur tenue de réunion et vaquaient à leurs occupations domestiques. De cette manière, ils donnaient l’impression de rester à la maison et de n’avoir prévu aucune activité religieuse. Dès que la police était partie, ils enlevaient leurs vieux habits et étaient prêts pour se rendre au Mémorial. Les autorités locales avaient le sentiment d’avoir fait leur travail, et les frères pouvaient alors célébrer le Mémorial en paix.

Comment cacher les publications

Rappelez-​vous qu’à la fin des années 40, les Témoins de Jéhovah étaient condamnés à 25 ans d’emprisonnement pour le simple fait d’avoir possédé des publications bibliques. Après la mort de Staline en 1953, les peines de prison pour détention de publications ont été réduites à 10 ans. Par la suite, la possession d’ouvrages des Témoins a été punie d’amendes, et les publications étaient confisquées et détruites. C’est pourquoi durant toute la période de l’interdiction, les frères ont réfléchi attentivement à la manière de stocker les publications en toute sécurité.

Certains laissaient leurs publications chez les membres de leur famille qui n’étaient pas Témoins ou chez leurs voisins ; d’autres les enterraient dans leur jardin, protégées dans des boîtes en métal ou des sacs en plastique. Vasyl Gouzo, un ancien de Transcarpatie, se souvient que dans les années 60, il utilisait une forêt des montagnes des Carpates comme “ bibliothèque théocratique ”. Il plaçait ses publications dans des bidons de lait qu’il enterrait dans la forêt de manière à ce que le couvercle soit au niveau de la surface du sol.

Un frère qui a passé 16 ans en prison en raison de ses activités chrétiennes raconte : “ Nous cachions des publications dans tous les endroits possibles : dans des bunkers, dans le sol, dans les murs des immeubles, dans des boîtes à double fond et dans des niches au plancher double. Nous cachions également des publications dans des manches à balai et dans des rouleaux à pâtisserie creux (où nous gardions généralement les rapports d’activité de prédication). D’autres endroits servaient aussi de cachettes : des puits, des toilettes, des portes, des toits et des tas de bois de chauffage. ”

Des imprimeries clandestines

Malgré l’œil vigilant des espions communistes et des autorités, la nourriture spirituelle continuait de parvenir à ceux qui étaient affamés et assoiffés de justice. Les ennemis de la vérité avaient du mal à empêcher que les publications pénètrent en URSS et se voyaient contraints de les tolérer. À la fin de l’année 1959, Goudok, le journal des ouvriers du rail soviétique, a même affirmé que les Témoins de Jéhovah se servaient de ballons pour faire entrer des publications bibliques en Union soviétique !

Évidemment, nos publications n’entraient pas en Ukraine par ballon. Elles étaient reproduites sur place, dans des foyers privés. Avec le temps, les frères ont compris que le lieu le plus pratique et le plus sûr pour imprimer des publications était un bunker bien camouflé. Ils en construisaient dans les caves et dans les collines.

Dans les années 60, on a bâti un bunker de ce genre dans l’est de l’Ukraine. Il était équipé d’un système de ventilation et de l’électricité. L’entrée était tellement bien dissimulée que des policiers ont passé toute une journée sur le haut du bunker à sonder le sol avec des tiges en métal, sans rien trouver.

À un moment donné, une imprimerie clandestine était surveillée de près par les services de sécurité. Ils suspectaient l’impression de publications dans une maison et voulaient appréhender les responsables. Cela constituait un problème pour les frères. Comment allaient-​ils fournir le papier et faire sortir les publications ? Ils ont finalement trouvé une solution. Un frère enveloppait des blocs de papier dans une couverture pour bébé et faisait comme s’il amenait un bébé à la maison. Une fois à l’intérieur, il y laissait le papier, enveloppait de nouveaux périodiques dans la couverture et ressortait avec son “ bébé ”. Les agents du KGB observaient les allées et venues du frère mais n’ont rien suspecté.

Les frères de la région de Donetsk (Crimée), de Moscou et de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) recevaient des publications imprimées dans ce bunker. Quelques jeunes frères ont construit un bunker semblable dans la ville de Novovolynsk, en Volhynie. Ils étaient si déterminés à garder secret l’endroit de ce bunker que ce n’est que neuf ans après la reconnaissance légale de notre œuvre en Ukraine qu’ils ont permis à d’autres frères de le voir.

Une imprimerie du même genre fonctionnait dans le tréfonds des montagnes des Carpates. Les frères acheminaient l’eau d’un petit ruisseau dans le bunker grâce à une conduite, et l’eau alimentait un petit générateur qui fournissait de l’électricité pour la lumière, tandis que la presse était actionnée à la main. Une grande quantité de publications sortait de ce bunker. Quand les agents du KGB se sont aperçus qu’on trouvait davantage de publications dans la région, ils se sont mis à la recherche de l’imprimerie. La police a procédé à des fouilles importantes pour trouver le bunker. Des agents se sont même déguisés en géologues pour parcourir les montagnes.

Lorsque les frères ont suspecté les autorités de n’être pas loin de découvrir le bunker, Ivan Dziabko s’est porté volontaire pour assurer la surveillance de l’imprimerie, car il n’était pas marié et de ce fait, en cas d’arrestation, aucun enfant ne se trouverait privé de père. À la fin de l’été 1963, le bunker a été découvert et frère Dziabko a été immédiatement exécuté à proximité. Ravies, les autorités locales ont organisé des excursions gratuites pour que les adultes et les enfants puissent visiter “ l’endroit où les Témoins de Jéhovah communiquaient avec l’Amérique par radio ”. C’était un mensonge, mais ce triste incident a donné un témoignage à tous les habitants de la région. Nombre d’entre eux ont commencé à éprouver un grand intérêt pour notre message. Aujourd’hui, il y a plus de 20 congrégations dans cette partie des Carpates.

L’importance de l’enseignement parental

Outre la confiscation de leurs publications, les amendes, les peines d’emprisonnement, la torture et les exécutions, certains Témoins ont vécu l’expérience déchirante de se voir retirer leurs enfants. Lydia Perepiolkina, qui vivait dans l’est de l’Ukraine, avait quatre enfants. En 1964, son mari, un officier du ministère de l’Intérieur, a demandé le divorce parce qu’elle était Témoin. La cour a refusé à sœur Perepiolkina le droit de garde des enfants. Ses jumeaux de sept ans — un garçon et une fille — ont été confiés à son mari, qui a déménagé avec eux à 1 000 kilomètres de là, dans l’ouest de l’Ukraine. La cour a jugé que ses deux autres enfants seraient envoyés dans un orphelinat. Quand Lydia a été autorisée à prendre la parole, elle a dit à la cour : “ Je suis convaincue que Jéhovah a le pouvoir de me rendre mes enfants. ”

Après le procès, Lydia a constaté que Jéhovah la guidait et la soutenait. Pour une raison qu’elle ignore, les autorités n’ont pas envoyé ses deux autres enfants à l’orphelinat, mais leur ont permis de rester avec leur mère. Sept ans de suite, pendant ses vacances, Lydia a fait l’aller et retour pour voir ses deux jumeaux. Même si son ex-mari ne lui a pas permis de les voir, elle n’a pas abandonné pour autant. Une fois arrivée dans la ville où demeuraient ses enfants, elle passait la nuit à la gare, puis elle allait à leur rencontre sur le chemin de l’école. Elle mettait à profit ces précieuses minutes pour leur parler de Jéhovah.

Les années ont passé et Lydia a fidèlement ‘ semé avec larmes ’ dans le cœur de ses enfants. Plus tard, elle a pu ‘ moissonner avec un cri de joie ’. (Ps. 126:5.) Quand ses jumeaux ont eu 14 ans, ils ont choisi de rejoindre leur mère. Lydia a redoublé d’efforts pour enseigner la vérité à ses enfants. Aujourd’hui, les jumeaux servent fidèlement Jéhovah avec leur mère, tandis que les deux autres enfants ont choisi une voie différente.

Vers une amélioration

En juin 1965, la Cour suprême d’Ukraine a jugé que les publications des Témoins de Jéhovah étaient de nature religieuse et non antisoviétiques. Bien que cette décision n’ait concerné qu’un seul procès, elle a influencé les décisions ultérieures des tribunaux de toute l’Ukraine. Les autorités ont cessé d’arrêter les gens qui lisaient les publications bibliques, mais ont continué d’emprisonner les Témoins en raison de leur activité de prédication.

Un autre changement marquant est survenu vers la fin de l’année 1965. Le gouvernement de l’URSS a émis un décret rendant leur liberté à tous les Témoins qui avaient été exilés en Sibérie en 1951. Désormais, ils pouvaient se déplacer sans contrainte dans toute l’Union soviétique, mais ne pouvaient exiger la récupération de leur maison, de leur bétail et de leurs autres biens. En raison de difficultés d’enregistrement, seul un petit nombre de frères ont pu retourner dans leur lieu d’origine.

Nombre de ceux qui avaient été envoyés en Sibérie en 1951 se sont installés dans différentes parties de l’URSS, telles que le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Géorgie et le nord du Caucase. D’autres se sont établis dans l’est et le sud de l’Ukraine, et y ont semé des graines de vérité.

Fermes malgré les pressions

Bien que les changements mentionnés ci-dessus aient amélioré la situation des Témoins de Jéhovah, le KGB n’a pas changé d’attitude à leur égard. Il a utilisé toutes sortes de techniques pour intimider les Témoins et les forcer à renoncer à leur foi. Les agents allaient par exemple chercher un frère sur son lieu de travail et le gardaient pendant quelques jours dans un bureau du KGB ou un hôtel. Pendant sa détention, une équipe de trois ou quatre agents le réprimandaient, l’interrogeaient, l’amadouaient ou le menaçaient. Ils procédaient ainsi à tour de rôle, de sorte que le frère était privé de sommeil. Puis ils le libéraient, pour lui faire subir encore le même traitement un ou deux jours plus tard. Le KGB agissait de la même manière avec des sœurs, mais plus rarement.

Les frères étaient sans cesse convoqués dans les bureaux du KGB. En faisant pression sur eux pour qu’ils renoncent à leur foi, les services de sécurité espéraient s’adjoindre de nouveaux collaborateurs à l’intérieur de l’organisation. Et quand les frères refusaient de transiger, les agents exerçaient une pression morale et affective sur eux. Mykhaïlo Tilniak, qui a été pendant de nombreuses années surveillant de circonscription en Transcarpatie, se souvient : “ Au cours d’un entretien, les officiers de la sécurité, en uniforme, se sont montrés bienveillants et positifs. Ils m’ont invité à venir avec eux dans un restaurant du coin. Je me suis contenté de leur sourire, j’ai mis 50 roubles (l’équivalent d’un demi-salaire mensuel) sur la table et je leur ai dit qu’ils pouvaient aller manger sans moi. ” Frère Tilniak avait bien conscience qu’ils essaieraient certainement de prendre une photo de lui pendant qu’il mangeait et buvait avec des gens en uniforme militaire. Une telle photo pouvait plus tard être utilisée comme “ preuve ” qu’il avait transigé avec sa foi, ce qui sèmerait des graines de suspicion parmi les frères.

Pour nombre de frères, les pressions visant à les faire renoncer à leur foi ont duré des dizaines d’années. Bela Meysar, de Transcarpatie, en est un exemple. Arrêté pour la première fois en 1956, ce jeune frère inexpérimenté a signé par mégarde des déclarations au sujet de notre œuvre, ce qui a fait que des frères ont été convoqués par les services de sécurité. Plus tard, frère Meysar a compris son erreur et a prié Jéhovah pour qu’aucun de ces frères ne soit condamné. Finalement, aucun d’entre eux n’a été arrêté, mais frère Meysar, lui, a été condamné à huit ans de prison.

De retour dans son village, il n’a pas été autorisé à le quitter avant deux ans. Chaque lundi, il devait se présenter au bureau de police pour confirmer sa présence. En 1968, comme il refusait d’accomplir son service militaire, on l’a condamné à un an de prison. À sa sortie, il est rentré chez lui et a continué de servir Jéhovah avec zèle. En 1975, à l’âge de 47 ans, il a de nouveau été condamné.

Quand frère Meysar a eu fini de purger ses cinq ans d’emprisonnement, on l’a exilé pour cinq ans dans la région de Iakoutsk, en Russie. On l’y a envoyé par avion, car il n’y avait pas de route menant à cette région. Pendant le vol, les jeunes soldats qui avaient reçu la mission de l’escorter lui ont demandé : “ Eh, le vieux, qu’est-​ce que t’as fait pour être jugé aussi dangereux ? ” En réponse, frère Meysar a expliqué son mode de vie et leur a donné un bon témoignage au sujet du dessein de Dieu concernant la terre.

Après son arrivée, les policiers de l’endroit ont dans un premier temps craint ce “ criminel particulièrement dangereux ”, comme on le décrivait dans son dossier. Plus tard, en raison de la belle conduite chrétienne de frère Meysar, ils ont dit à l’officier des services de sécurité : “ Si vous avez d’autres criminels de ce genre, n’hésitez pas à nous les envoyer. ”

Frère Meysar a regagné son foyer en 1985, à l’âge de 57 ans. Au cours des 21 ans qu’il a passés en prison, sa femme, Régina, qui l’a fidèlement soutenu, est restée sous le toit familial, en Transcarpatie. Malgré la longue distance et la dépense considérable que cela représentait, elle a souvent rendu visite à son mari en prison, cumulant ainsi un total de 140 000 kilomètres.

Même après sa libération, frère Meysar a souvent eu la visite de policiers et d’officiers de la sécurité à son domicile, dans le village de Rakochino. L’une de ces descentes de police a entraîné une scène assez comique. Au début des années 90, Theodore Jaracz, du Collège central, ainsi que des frères du Comité de la filiale d’Ukraine sont passés par la ville d’Oujgorod, en Transcarpatie. Sur le chemin du retour vers Lvov, ils ont décidé de rendre une petite visite à frère Meysar. Une sœur qui vivait dans le quartier a vu trois voitures s’arrêter devant la modeste demeure de frère Meysar et neuf hommes en sortir. Elle a tellement eu peur qu’elle a couru chez un autre frère pour, à bout de souffle, l’avertir que le KGB était revenu arrêter frère Meysar. Elle a été soulagée d’apprendre qu’elle s’était trompée.

Améliorations et changements en matière d’organisation

En 1971, Mikhaïl Dasevitch a été nommé serviteur responsable pour le pays. Le comité de l’époque comprenait trois frères de l’ouest de l’Ukraine, deux de Russie et un du Kazakhstan. Chacun d’eux était également surveillant itinérant. En outre, ils exerçaient tous un travail profane pour subvenir aux besoins de leur famille. Les territoires sous la surveillance des frères de l’ouest de l’Ukraine se trouvaient assez loin de leur domicile. Stepan Kojemba desservait la Transcarpatie, tandis qu’Alexeï Davidjouk parcourait le reste de l’Ukraine occidentale ainsi que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Frère Dasevitch s’est rendu dans l’est de l’Ukraine, dans l’ouest et le centre de la Russie, dans le nord du Caucase et en Moldavie. Les frères du comité parcouraient régulièrement les territoires mentionnés précédemment, organisaient des rencontres avec les surveillants de circonscription et de district, encourageaient les Témoins des environs et collectaient les rapports de service.

Ces frères restaient également en contact avec des messagers de l’étranger qui passaient pour des touristes et qui apportaient des publications et du courrier. De la fin des années 60 jusqu’au décret sur la liberté de religion en 1991, nos opposants n’ont jamais réussi à empêcher la transmission des courriers.

En 1972, le Collège central a donné l’instruction de faire par écrit les recommandations pour la nomination d’éventuels anciens. Certains se montraient hésitants, craignant que ces listes de frères recommandés ne tombent aux mains de la police. Jusqu’alors ce genre de liste n’avait jamais existé dans aucune congrégation. Souvent, les frères ne connaissaient même pas le nom de famille des membres de leur congrégation. Dans un premier temps, peu de frères ont été recommandés comme anciens parce que beaucoup ne voulaient pas que leur nom apparaisse sur une liste. Mais après que cette disposition a été suivie sans conséquences fâcheuses, plusieurs ont changé d’avis, ont été recommandés et ont fidèlement assumé la responsabilité d’ancien dans leur congrégation.

La protection de Jéhovah durant les poursuites

Un matin, des policiers sont venus perquisitionner au domicile de Vasyl et Nadia Bounha. Sœur Bounha était à la maison avec son fils de quatre ans encore endormi lorsque, soudain, quelqu’un a frappé énergiquement à la porte. Comprenant qu’il s’agissait de la police, sœur Bounha s’est dépêchée de jeter dans le poêle les rapports de service et les autres documents relatifs à l’activité de prédication. Puis elle a ouvert la porte aux policiers, qui se sont rués vers la cuisinière. Ils ont ôté du feu les rapports et les ont étalés sur un journal posé sur la table. On pouvait encore lire ce qui était écrit sur le papier brûlé. Quand la perquisition de la maison a été terminée, tous les policiers sont allés fouiller la grange, emmenant sœur Bounha avec eux. Dans l’intervalle, le jeune garçon s’est réveillé, a vu les papiers brûlés sur la table et a décidé de tout ranger. Il a pris tous les rapports et les a jetés dans la poubelle. Puis il est retourné dans son lit. Quand les policiers sont revenus, ils ont été consternés de voir que leurs maigres “ preuves ” avaient complètement disparu.

En 1969, la maison des Bounha a de nouveau fait l’objet d’une perquisition. Cette fois, frère Bounha était chez lui et les policiers ont trouvé le rapport de service de la congrégation. Toutefois, ils l’ont négligemment laissé sur la table, ce qui a permis à frère Bounha de le détruire. De ce fait, il a été condamné à 15 jours de prison. Par la suite, les services de sécurité ont forcé frère Bounha à déménager, de sorte que pendant quelque temps il a vécu et prêché en Géorgie et au Daghestan. Plus tard il est revenu en Ukraine et il est resté fidèle jusqu’à sa mort, en 1999.

“ Des voyages missionnaires ” organisés par les services de sécurité

Dans les années 60 et 70, de nombreux frères actifs ont été contraints par les services de sécurité à déménager d’un lieu à un autre. Pour quelle raison ? Les autorités locales ne voulaient pas remettre à Kiev un rapport sur l’activité antireligieuse dans leurs districts qui leur soit défavorable. Selon leurs observations, le nombre de Témoins de Jéhovah augmentait chaque année. Toutefois, dans leurs rapports, ils souhaitaient montrer que le nombre de Témoins n’augmentait pas. Par conséquent, ils obligeaient les frères à quitter le territoire afin de pouvoir affirmer que les Témoins ne connaissaient pas d’accroissement dans leur région.

Ce mouvement de Témoins d’un territoire à un autre a contribué à répandre les graines de vérité. Il s’agissait en général de Témoins qui prenaient la direction de l’œuvre. En réalité, ces frères et sœurs zélés étaient “ encouragés ” par les autorités à déménager où, comme on le dit aujourd’hui, “ le besoin était grand ”. Ils se sont dépensés dans ces régions et, avec le temps, de nouvelles congrégations ont vu le jour.

Par exemple, on a ordonné à Ivan Malitski, qui habitait près de la ville de Ternopol, de quitter son domicile. Il est allé en Crimée, dans le sud de l’Ukraine, où ne vivaient que quelques frères. En 1969, il n’y avait qu’une seule congrégation en Crimée, alors qu’aujourd’hui il y en a plus de 60 ! Ivan Malitski est toujours ancien dans l’une d’elles.

Les dernières années d’interdiction

En 1982, à la suite de changements politiques en URSS, une nouvelle vague de persécution a balayé l’Ukraine pendant deux ans. Il semble que cette persécution n’a pas été cautionnée par les dirigeants de l’URSS. Au contraire, les nouveaux dirigeants soviétiques demandaient des changements et des réformes dans les républiques. Pour démontrer leur zèle et leur empressement à opérer ces réformes, les autorités locales de certaines parties de l’Ukraine ont emprisonné quelques Témoins investis de responsabilités. Bien que cette vague de persécution n’ait pas touché la majorité des frères, certains d’entre eux en ont souffert affectivement et physiquement.

En 1983, Ivan Migali, originaire de Transcarpatie, a été condamné à quatre ans de prison. Les autorités soviétiques ont confisqué tous les biens de cet ancien de 58 ans. Au cours de leur perquisition au domicile de frère Migali, les services de sécurité ont trouvé 70 périodiques. Cet homme humble et pacifique était bien connu dans sa commune pour être un prédicateur de la Bible. Ces deux faits — la possession de publications et la prédication — ont servi de prétexte à son arrestation.

En 1983 et 1984, une série de procès collectifs a eu lieu dans l’est de l’Ukraine. De nombreux Témoins ont été condamnés à quatre ou cinq ans de prison. La plupart ont dû purger leur peine, non pas dans le froid de la Sibérie ou du Kazakhstan, mais en Ukraine. Certains d’entre eux ont été persécutés même en prison, après avoir été faussement accusés d’outrepasser le règlement intérieur. L’objectif était de trouver des prétextes pour prolonger leur peine d’emprisonnement.

Nombre de directeurs de prison ont également envoyé des frères dans des hôpitaux psychiatriques soviétiques, souhaitant qu’ils sombrent dans la folie et cessent de servir Dieu. Mais l’esprit de Jéhovah les a soutenus, et ils lui sont restés fidèles ainsi qu’à son organisation.

Le triomphe de la théocratie

Durant la seconde moitié des années 80, l’opposition au culte pur s’est un peu calmée. Les congrégations locales ont enregistré un accroissement du nombre de proclamateurs et les frères ont disposé de davantage de publications. De leurs voyages à l’étranger, durant lesquels ils rendaient visite à des membres de leur famille, des Témoins rapportaient des publications et des livres. C’était la première fois que les frères, et en particulier ceux qui avaient été incarcérés dans des camps de prisonniers soviétiques, pouvaient avoir dans les mains l’original d’une publication biblique. Malgré cela, certains n’arrivaient pas à croire qu’ils vivraient suffisamment longtemps pour voir un jour un original de La Tour de Garde passer à travers le rideau de fer.

Après avoir lutté pendant de nombreuses années contre les Témoins de Jéhovah, les autorités ont finalement commencé à s’adoucir. Les frères étaient désormais invités à rencontrer des représentants civils des bureaux locaux des Affaires religieuses. Certains d’entre eux ont exprimé le désir d’avoir une entrevue avec des Témoins de Jéhovah du siège mondial à Brooklyn. Au début, les frères soupçonnaient un piège, ce qui est compréhensible. Mais le peuple de Jéhovah vivait à coup sûr une époque de changement. En 1987, les autorités se sont mises à relâcher des Témoins emprisonnés. En 1988, de nombreux Témoins ont cherché à assister à l’assemblée de district organisée en Pologne, le pays voisin. Sur leur demande officielle, ils déclaraient vouloir rendre visite à des amis et à des parents. À leur grande surprise, on leur a permis de se déplacer à l’étranger. Les frères polonais ont généreusement fait des dons de publications à leurs visiteurs d’Ukraine. Sur le chemin du retour, à la frontière, les frères d’Ukraine ont été fouillés, mais la plupart des officiers des douanes n’ont pas confisqué les publications bibliques. Ainsi, les frères ont pu rapporter des bibles et d’autres publications dans leur pays.

Hospitaliers, les Témoins polonais ont invité davantage d’Ukrainiens à venir les voir l’année suivante. C’est ainsi qu’en 1989 des milliers de frères et sœurs ont discrètement assisté à trois assemblées internationales en Pologne et ont rapporté chez eux encore plus de publications. La même année, avec l’accord du bureau des Affaires religieuses, les Témoins de Jéhovah ont été autorisés à recevoir par courrier des publications religieuses de l’étranger, mais seulement deux exemplaires de chaque publication par envoi. Les frères d’Allemagne ont commencé à envoyer régulièrement des colis de livres et de périodiques. Au lieu d’effectuer clandestinement des photocopies de périodiques dans des bunkers ou tard le soir dans la cave de leur maison, les frères recevaient désormais officiellement des publications par la poste. Ils avaient l’impression de rêver. De nombreux Témoins de longue date ont éprouvé les mêmes sentiments que les Juifs après leur retour d’exil à Jérusalem : “ Nous sommes devenus comme ceux qui rêvent. ” (Ps. 126:1). Pourtant, ce n’était que le début d’un “ rêve ” magnifique.

Assemblée à Varsovie

En 1989, les frères de Brooklyn ont recommandé au comité responsable pour le pays d’entamer des négociations avec les autorités en vue de l’enregistrement de notre ministère public. En outre, Milton Henschel et Theodore Jaracz, du Béthel de Brooklyn, ont rendu visite aux frères d’Ukraine. L’année suivante, les autorités ont officiellement autorisé des milliers de Témoins de Jéhovah à assister à l’assemblée en Pologne. Au moment de faire enregistrer leurs papiers pour le voyage, les frères déclaraient — avec fierté et les yeux brillants — qu’ils voulaient aller en Pologne, non pas pour rendre visite à des amis et à des membres de leur famille, mais pour assister à l’assemblée des Témoins de Jéhovah.

L’assemblée de Varsovie a été vraiment particulière pour ceux qui venaient d’Ukraine. Ils ont versé des larmes de joie : la joie de rencontrer des compagnons chrétiens, la joie de recevoir dans leur langue maternelle leurs propres exemplaires de publications en quatre couleurs, et la joie de se réunir librement. Les Témoins polonais ont manifesté leur amour et leur hospitalité en subvenant aux besoins des frères ukrainiens.

De nombreux anciens prisonniers qui partageaient la même foi se sont rencontrés pour la première fois à l’assemblée de Varsovie. Plus d’une centaine de frères qui avaient connu le camp “ spécial ” de Mordovie — où des centaines de Témoins avaient été emprisonnés — se sont revus à cette occasion. Nombre d’entre eux se contentaient de se regarder, en pleurant de joie. Un Témoin de Moldavie qui avait passé cinq ans dans une cellule avec Bela Meysar ne l’a pas reconnu. Pourquoi ? “ Je me souviens de toi habillé en prisonnier, et aujourd’hui je te vois en costume et cravate ! ” s’est-​il exclamé.

Enfin libres de pratiquer leur religion !

À la fin de l’année 1990, les institutions judiciaires ont commencé à disculper certains Témoins de Jéhovah et à les rétablir dans leurs droits. À la même époque, le comité responsable pour le pays a désigné des frères pour représenter les Témoins de Jéhovah dans leurs rencontres avec les porte-parole du gouvernement. Willi Pohl, de la filiale d’Allemagne, a été chargé de diriger ce groupe.

Au bout du compte, ces rencontres avec les représentants de l’État à Moscou et à Kiev ont permis aux Témoins d’obtenir la liberté tant attendue. Le 28 février 1991, on a procédé à l’enregistrement officiel de l’organisation religieuse des Témoins de Jéhovah en Ukraine, le premier du genre sur le territoire de l’URSS. Un mois plus tard, le 27 mars 1991, cette organisation a également été enregistrée par la fédération de Russie. Ainsi, après plus de 50 ans d’interdiction et de persécution, les Témoins de Jéhovah ont finalement obtenu la liberté de pratiquer leur religion. Peu de temps après, à la fin de l’année 1991, l’Union soviétique a cessé d’exister et l’Ukraine a proclamé son indépendance.

La belle terre produit en abondance

En 1939, dans ce qui est aujourd’hui l’Ukraine, il y avait environ 1 000 proclamateurs du Royaume de Dieu qui semaient des graines de vérité sur une terre fertile, le cœur des gens. Au cours des 52 années d’interdiction, les frères ont connu les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale, l’exil en Sibérie, la brutalité, la torture et les exécutions. Néanmoins, tout au long de cette période “ la belle terre ” a produit plus de 25 fois autant (Mat. 13:23). En 1991, il y avait en Ukraine 25 448 proclamateurs dans 258 congrégations, et environ 20 000 proclamateurs dans les autres républiques de l’ex-URSS qui, pour la plupart, avaient connu la vérité par l’intermédiaire de leurs frères ukrainiens.

Cette terre avait besoin de “ fertilisants ”, de publications bibliques. Par conséquent, après l’enregistrement légal de notre œuvre, des dispositions ont été prises pour recevoir des livraisons de publications en provenance de Selters, en Allemagne. Le premier chargement de publications est arrivé le 17 avril 1991.

Les frères ont ouvert un petit dépôt à Lvov, à partir duquel ils ont envoyé les publications par camion, par train et même par avion aux congrégations de toute l’Ukraine, du Kazakhstan et d’autres pays de l’ex-Union soviétique. La croissance spirituelle a dès lors été stimulée. Au début de 1991, il n’y avait qu’une seule congrégation à Kharkov, une ville de deux millions d’habitants. À la fin de l’été 1991, cette congrégation de 670 proclamateurs a été scindée en huit congrégations. Il y a aujourd’hui 40 congrégations dans cette ville.

Bien que l’URSS ait cessé d’exister en 1991, le comité responsable pour le pays s’est occupé des 15 républiques de l’ex-Union soviétique jusqu’en 1993. Cette année-​là, lors d’une réunion avec des frères du Collège central, il a été décidé que deux comités seraient formés : un pour l’Ukraine et un autre pour la Russie et les 13 autres républiques de l’ex-Union soviétique. En plus de Mikhaïl Dasevitch, d’Alexeï Davidjouk, de Stepan Kojemba et d’Anani Hrohoul, trois autres frères ont été ajoutés au comité responsable pour l’Ukraine : Stepan Hlinski, Stepan Mikevitch et Roman Yourkevitch.

Il est alors devenu nécessaire de constituer une équipe de traducteurs pour faire face à la demande croissante de publications en ukrainien. Comme nous l’avons vu précédemment, les frères canadiens Emil Zarysky et Maurice Sarantchouk, ainsi que leurs femmes, ont participé à ce travail. Cette petite équipe de travailleurs dévoués a traduit de nombreuses publications. Toutefois, à partir de 1991, une équipe plus importante de traducteurs ukrainiens s’est attelée à la tâche en Allemagne. En 1998 ils ont déménagé en Pologne où ils ont poursuivi leur activité avant de s’installer finalement en Ukraine.

Des assemblées de district

À la suite d’une réunion avec des frères de Lvov en 1990, frère Jaracz a examiné le stade de la ville et a dit : “ Il se pourrait que nous utilisions ce stade pour l’assemblée de district l’an prochain. ” Les frères n’ont pu s’empêcher de sourire, se demandant comment cela serait possible étant donné que notre organisation n’avait pas encore été enregistrée et que les frères n’avaient jamais organisé d’assemblée auparavant. Pourtant, l’année suivante, l’organisation était enregistrée. En août 1991, 17 531 personnes ont assisté à l’assemblée de district dans ce stade, et 1 316 frères et sœurs se sont fait baptiser. Des Témoins polonais ont été invités en Ukraine pour participer à l’organisation de l’assemblée.

Au cours de ce même mois d’août, une autre assemblée devait être organisée à Odessa. Mais en raison de troubles politiques survenus en Russie au début de la semaine durant laquelle l’assemblée devait avoir lieu, des responsables de l’endroit ont informé les frères qu’ils ne pourraient la tenir dans cette ville. Les frères ont tout de même renouvelé leur demande auprès de la municipalité et ont poursuivi les derniers préparatifs, en s’appuyant entièrement sur Jéhovah. Finalement, on a dit aux frères responsables de prendre contact avec les autorités le jeudi pour connaître leur décision. Le jeudi après-midi, les frères ont obtenu le feu vert pour tenir leur assemblée.

Il était extraordinaire et particulièrement beau de compter 12 115 assistants et 1 943 baptisés ce week-end-​là. Deux jours après l’assemblée, les frères ont de nouveau rendu visite aux responsables municipaux et les ont remerciés d’avoir autorisé la tenue de l’assemblée. Ils ont offert au maire de la ville un exemplaire du livre Le plus grand homme de tous les temps. Ce dernier a alors dit : “ Je n’ai pas assisté à l’assemblée, mais je suis au courant de tout ce qui s’y est passé. Je n’ai jamais rien entendu de mieux. Je vous promets qu’à chaque fois que vous aurez besoin d’une autorisation pour tenir vos rassemblements, je serai toujours disposé à vous l’accorder. ” Depuis lors, les frères organisent régulièrement des assemblées de district dans la magnifique ville d’Odessa.

Une assemblée internationale mémorable

L’assemblée internationale “ L’enseignement divin ” tenue à Kiev en août 1993 a constitué un autre événement très important. L’assistance, qui s’est élevée à 64 714 personnes parmi lesquelles figuraient des milliers de délégués originaires de 30 pays, est la plus importante qui ait jamais été enregistrée en Ukraine. Les parties du programme présentées en anglais ont été traduites simultanément en 16 langues.

On a été impressionné de voir et d’entendre les frères et sœurs de cinq sections du stade se lever et répondre oui aux deux questions posées aux candidats au baptême. Pendant les deux heures et demie qui ont suivi, 7 402 personnes se sont fait baptiser, dans six piscines. C’est le nombre de baptêmes le plus élevé de l’histoire moderne du peuple de Dieu jamais enregistré à une assemblée. Les Témoins de Jéhovah se rappelleront toujours avec beaucoup de joie cet événement remarquable.

Comment a-​t-​il été possible d’organiser une telle assemblée sachant qu’il n’y avait que 11 congrégations dans la ville ? Comme lors des années précédentes, les frères de Pologne sont venus aider le service logement, qui a passé des contrats avec le plus possible d’hôtels et de résidences universitaires, allant même jusqu’à louer des bateaux de croisière.

La tâche la plus compliquée consistait à obtenir l’autorisation de louer le stade. Outre les compétitions sportives, ce stade accueillait un immense marché le week-end, et personne n’avait jamais eu la permission d’en changer le jour. Cependant, l’autorisation a été accordée.

Même les autorités municipales ont constitué un comité spécial pour aider les frères dans leurs préparatifs. Des chefs de différents services municipaux, tels que les services de police, de transport et de tourisme y ont participé. Une disposition particulière a été prise pour transporter les délégués de l’assemblée d’un bout à l’autre de la ville. Les transports publics ont été payés à l’avance pour que ceux qui porteraient un badge n’aient pas à acheter leur ticket dans le bus ; les frères remboursaient l’avance sur le lieu de l’assemblée. De cette manière, ils pouvaient monter rapidement dans le métro, les tramways et les autobus quand ils se rendaient au Stade de la République (aujourd’hui Stade olympique) — l’un des plus grands stades d’Europe de l’est — et en revenaient. Pour le confort des délégués, davantage de boulangeries dans les environs du stade ont ouvert leurs portes afin que les frères puissent facilement se procurer de la nourriture pour le lendemain.

Le chef de la police a été si surpris de l’ordre qui régnait lors de l’assemblée qu’il a dit : “ Tout ce que vous avez fait, ainsi que votre belle conduite, m’a impressionné beaucoup plus que votre prédication. Les gens oublieront peut-être ce qu’ils ont entendu, mais ils n’oublieront jamais ce qu’ils ont vu. ”

Plusieurs femmes qui travaillaient dans une station de métro voisine sont venues dans les bureaux de l’administration de l’assemblée pour remercier les délégués de leur bonne conduite. Ces femmes ont déclaré : “ Nous avons travaillé ici pour de nombreux événements politiques et sportifs, mais c’est la première fois que nous voyons des visiteurs aussi polis et joyeux qui s’intéressent à nous. Ils nous ont tous saluées. D’habitude, lors des autres événements, les gens ne nous disent même pas bonjour. ”

Les congrégations de Kiev ont continué d’être bien occupées après l’assemblée, car près de 2 500 personnes, qui voulaient en savoir plus, ont laissé leur adresse. Il y a à présent plus de 50 congrégations de Témoins zélés à Kiev.

Un groupe de frères qui se rendaient à l’assemblée ont été dépossédés de tous leurs biens. Cependant, comme ils étaient déterminés à s’enrichir spirituellement, ils ont décidé de poursuivre leur voyage vers Kiev. Ils sont arrivés à l’assemblée avec pour seuls vêtements ceux qu’ils portaient. Des frères de l’ex-Tchécoslovaquie avaient apporté des habits en plus pour quiconque serait dans le besoin. Quand les membres de l’administration de l’assemblée en ont eu connaissance, ils ont rapidement fait le nécessaire pour que les frères qui avaient été volés reçoivent ce dont ils avaient besoin.

De l’aide pour progresser

Ces exemples d’amour désintéressé ne sont pas des cas isolés. En 1991, le Collège central a invité plusieurs filiales d’Europe de l’Ouest à envoyer de la nourriture et des vêtements aux Témoins d’Europe de l’Est. Les frères ont été heureux de pouvoir apporter leur aide, et leur élan généreux a dépassé toutes les espérances. Nombre d’entre eux ont offert de la nourriture et des vêtements usagés, tandis que d’autres ont acheté des vêtements neufs. Les filiales d’Europe de l’Ouest ont réceptionné des cartons, des valises et des sacs remplis de ces dons. Des tonnes de nourriture et de vêtements ont été envoyés d’Allemagne, d’Autriche, du Danemark, d’Italie, des Pays-Bas, de Suède et de Suisse jusqu’à Lvov par des convois de camions. Souvent, les frères ont même offert leurs camions pour qu’ils servent à l’œuvre du Royaume en Europe de l’Est. Aux frontières, les autorités se sont montrées très coopératives pour délivrer les documents nécessaires afin que les livraisons se fassent sans trop de difficultés.

Tous ceux qui ont livré les dons ont été impressionnés par l’accueil qu’ils ont reçu. Un groupe qui s’est rendu des Pays-Bas jusqu’à Lvov a fait ce rapport : “ Il y avait 140 frères sur place pour décharger les camions. Avant de se mettre à l’œuvre, ces frères humbles ont montré qu’ils s’appuyaient sur Jéhovah en le priant tous unis. Quand tout a été déchargé, ils se sont de nouveau rassemblés pour prononcer une prière de remerciement à Jéhovah. Après avoir bénéficié de l’hospitalité des frères locaux, qui nous ont offert pratiquement tout du peu qu’ils avaient, nous avons été escortés jusqu’à la route principale, où ils ont prononcé une prière sur le bord de la route avant de nous quitter.

“ Pendant le trajet du retour, nous avions beaucoup de choses sur lesquelles méditer : l’hospitalité des frères d’Allemagne et de Pologne, celle de nos frères de Lvov ; leur foi forte et leur recours à la prière ; l’hospitalité qu’ils ont manifestée en nous offrant le logement et le couvert alors qu’ils sont eux-​mêmes dans le dénuement ; leur unité et leur entraide, ainsi que leur reconnaissance. Nous avons également pensé aux frères et sœurs de notre pays, qui ont été si généreux dans leurs contributions. ”

Un autre chauffeur, du Danemark, a dit : “ Nous nous sommes aperçus que nous rapportions plus que ce que nous avions apporté. L’amour et l’esprit de sacrifice que nos frères ukrainiens ont manifestés ont grandement fortifié notre foi. ”

Bon nombre de choses ont été distribuées en Moldavie, dans les pays baltes, au Kazakhstan, en Russie et dans d’autres régions où il y avait également d’importants besoins. Certaines cargaisons ont été envoyées par conteneur en Sibérie et à Khabarovsk, à plus de 7 000 kilomètres à l’est. Des frères et sœurs qui ont bénéficié de cette aide ont écrit des lettres de remerciement touchantes, encourageantes et qui attestent l’unité du peuple de Dieu. Tous ceux qui ont participé à l’opération ont ainsi pu constater la véracité de ces paroles de Jésus : “ Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. ” — Actes 20:35.

Vers la fin de l’année 1998, une catastrophe a touché la Transcarpatie. Selon des sources officielles, 6 754 maisons ont été inondées et 895 foyers totalement détruits par des coulées de boue ; 37 appartenaient à des Témoins. Immédiatement, la filiale de Lvov a envoyé sur place un camion transportant de la nourriture, de l’eau, du savon, des lits et des couvertures. Plus tard, des frères du Canada et d’Allemagne ont envoyé des vêtements et des accessoires ménagers. Des Témoins de Hongrie, de Pologne, de République tchèque et de Slovaquie ont fourni de la nourriture et ont également expédié des matériaux de construction pour rebâtir les habitations. De plus, nombre de frères de l’endroit ont participé au travail de reconstruction. Des Témoins ont fourni de la nourriture, des vêtements et du bois de chauffage non seulement à leurs compagnons, mais également à d’autres personnes. Ils ont nettoyé des cours et des champs, et aidé à réparer les maisons de non-Témoins.

L’apport d’une aide spirituelle

Toutefois, le soutien fourni n’était pas seulement d’ordre matériel. Après plus de 50 ans d’interdiction, les Témoins ukrainiens manquaient d’expérience pour organiser l’œuvre dans un contexte de liberté. C’est pourquoi, en 1992, la filiale d’Allemagne a envoyé des frères prêter leur concours dans ce domaine, ce qui a posé le fondement pour le fonctionnement du futur Béthel. Plus tard, d’autres frères venus d’Allemagne, du Canada et des États-Unis ont apporté leur aide pour superviser l’activité consistant à faire des disciples.

Il y avait également grand besoin de prédicateurs expérimentés. Au début, de nombreux diplômés de l’École de formation ministérielle sont venus de Pologne pour assurer la direction des congrégations et, plus tard, des circonscriptions et des districts dans tout le pays. Par ailleurs, des couples venus du Canada et des États-Unis se dépensent actuellement dans le service de la circonscription. D’autres frères, originaires de Hongrie, d’Italie, de République tchèque et de Slovaquie servent comme surveillants de circonscription. Ces dispositions ont aidé de nombreuses congrégations locales à appliquer les normes bibliques et à apporter les changements nécessaires dans de nombreux aspects du ministère.

Reconnaissants pour les publications bibliques

La seconde moitié des années 90 a été marquée par des campagnes spéciales de diffusion de publications. À la suite de la distribution des Nouvelles du Royaume no 35, en 1997, près de 10 000 personnes ont renvoyé un coupon-réponse pour recevoir soit une brochure Ce que Dieu attend de nous, soit la visite d’un Témoin.

Nos publications sont appréciées partout dans le pays. Lorsque des frères ont visité une maternité, on leur a demandé d’apporter chaque semaine 12 exemplaires du livre Le secret du bonheur familial pour l’hôpital. Pourquoi ? Le personnel désirait offrir à chaque couple un exemplaire du livre avec le certificat de naissance de son nouveau-né.

Au cours de ces dernières années, de nombreuses personnes ont découvert nos périodiques et en sont venues à les apprécier. Par exemple, tandis qu’ils prêchaient dans un parc, des Témoins ont proposé un numéro de Réveillez-vous ! à un monsieur. Cet homme les a remerciés et leur a demandé : “ Combien vous dois-​je ? ”

“ Notre œuvre est soutenue par des offrandes volontaires ”, ont expliqué les frères. Le monsieur leur a donné un billet d’une grivna — l’équivalent de 60 cents à l’époque — s’est assis sur un banc du parc et s’est immédiatement mis à lire le périodique. Pendant ce temps, les frères ont prêché à d’autres personnes dans le parc. Moins d’un quart d’heure après, le monsieur est venu à la rencontre des frères et leur a fait don d’une autre grivna pour le périodique qu’ils lui avaient laissé. Puis il est retourné s’asseoir et a continué sa lecture pendant que les frères poursuivaient leur prédication. Au bout d’un moment, le monsieur est revenu voir les frères pour leur offrir à nouveau une grivna. Il leur a dit qu’il avait trouvé le périodique extrêmement intéressant et qu’il voulait le lire régulièrement.

Un enseignement de qualité accélère la croissance spirituelle

Après que notre œuvre a été légalement enregistrée, les choses ont avancé, mais non sans obstacle. Dans les premiers temps, certains ont eu des difficultés à s’habituer au ministère de maison en maison, car pendant plus d’un demi-siècle le témoignage avait été donné de manière informelle. Mais avec l’aide de l’esprit de Jéhovah, les frères et sœurs ont réussi à s’adapter à ce qui était pour eux une nouvelle manière de prêcher.

Il est également devenu possible d’organiser les cinq réunions hebdomadaires dans chaque congrégation. Cela a grandement contribué à unir les proclamateurs et à les inciter à se préparer à accomplir une plus grande activité. Les frères ont appris rapidement et ont progressé dans de nombreuses facettes de leur ministère. De nouvelles écoles ont assuré aux Témoins ukrainiens une bonne formation. Par exemple, en 1991 l’École du ministère théocratique a été instaurée dans toutes les congrégations pour former les Témoins dans l’œuvre de prédication. À partir de 1992, l’École du ministère du Royaume, destinée aux anciens et aux assistants ministériels, a grandement aidé les frères à prendre la tête dans le ministère, à assurer l’enseignement dans les congrégations et à prendre soin du troupeau.

En 1996, l’École des pionniers a débuté en Ukraine. Au cours des cinq premières années, plus de 7 400 pionniers permanents ont bénéficié de ce cours de deux semaines. Dans quelle mesure cela leur a-​t-​il été profitable ? Un pionnier a écrit : “ J’ai été heureux d’être comme de l’argile entre les mains de Jéhovah et d’être façonné par l’intermédiaire de cette école. ” Un autre pionnier a déclaré : “ Après l’École des pionniers, j’ai commencé à ‘ briller ’. ” Une classe a écrit : “ Cette école s’est révélée être une vraie bénédiction pour tous ceux qui y ont assisté. Elle nous a donné l’envie de nous intéresser sincèrement aux gens. ” L’école a grandement contribué à l’enregistrement de 57 maximums consécutifs pour ce qui est du nombre de pionniers permanents.

Étant donné la situation économique difficile, nombreux sont ceux qui se demandent comment les pionniers arrivent à subvenir à leurs besoins. Un pionnier, qui est assistant ministériel et a trois enfants à nourrir, explique : “ Ma femme et moi gérons scrupuleusement nos besoins et nous nous contentons des choses vraiment indispensables à la vie. Nous menons une vie modeste et nous nous appuyons sur Jéhovah. En ayant un bon point de vue, nous sommes nous-​mêmes étonnés de constater que nous avons parfois besoin de bien peu pour joindre les deux bouts. ”

L’École de formation ministérielle a été inaugurée en 1999. Près d’une centaine de frères en ont suivi les cours durant la première année. Pour beaucoup, assister à ces deux mois de formation dans un contexte économique difficile était un véritable défi. Il ne fait cependant aucun doute que Jéhovah les a soutenus.

Un frère qui a reçu une invitation à assister à l’École de formation ministérielle était pionnier permanent dans un territoire éloigné. Son compagnon de service et lui avaient économisé assez d’argent pour acheter de la nourriture et du charbon en prévision de l’hiver. Lorsqu’il a reçu l’invitation, tous deux ont dû choisir entre acheter du charbon ou un billet de train pour pouvoir assister aux cours. Ils en ont discuté ensemble et ont finalement décidé que le frère se rendrait à l’école. Peu de temps après, la sœur de ce frère, qui vit à l’étranger, lui a envoyé de l’argent, suffisamment pour faire le voyage jusqu’au lieu où devait se tenir l’école. À la fin des cours, ce frère a été nommé pionnier spécial.

Ce genre de programme de formation prépare les serviteurs de Jéhovah à être plus efficaces dans leur ministère et dans les activités de la congrégation. Les proclamateurs apprennent à prêcher avec plus d’habileté, les anciens et les assistants ministériels à être une plus grande source d’encouragement dans leur congrégation. En conséquence, ‘ les congrégations continuent de s’affermir dans la foi et de croître en nombre ’. — Actes 16:5.

Un accroissement rapide rend nécessaires des changements

Depuis l’enregistrement légal de nos activités, le nombre de Témoins de Jéhovah en Ukraine a plus que quadruplé. On a connu un accroissement extraordinaire dans de nombreuses régions du pays, ce qui a suscité un énorme besoin en anciens expérimentés. Il n’est pas rare qu’une congrégation soit scindée dès qu’on dispose d’un deuxième ancien. Certaines congrégations comptent jusqu’à 500 proclamateurs. Devant cet accroissement rapide, il a été nécessaire d’opérer des changements en matière de gestion.

Jusque dans les années 60 la filiale de Pologne a participé à la direction de l’œuvre en Ukraine, puis la filiale d’Allemagne a pris le relais. En septembre 1998, l’Ukraine disposait de sa propre filiale sous la direction du siège mondial à Brooklyn. Un comité de filiale a alors été formé pour traiter les questions d’organisation.

L’accroissement rapide a également rendu nécessaire l’agrandissement des bâtiments de la filiale. À partir de 1991, Lvov a servi de centre de distribution des publications pour les 15 républiques de l’ex-URSS. L’année suivante, deux couples de la filiale d’Allemagne sont arrivés. Peu de temps après, un petit bureau a été ouvert à Lvov. Un an plus tard, on a acheté une maison qui servirait de centre administratif. Au début de 1995, le nombre de volontaires travaillant pour le bureau d’Ukraine a augmenté rapidement, ce qui a entraîné un nouveau déménagement du bureau, cette fois dans un complexe de six Salles du Royaume, dans lesquelles se réunissaient 17 congrégations. Pendant tout ce temps, les frères se demandaient : “ Quand et où allons-​nous construire notre Béthel ? ”

La construction d’un Béthel et de Salles du Royaume

Dès 1992, les frères se sont mis à la recherche d’un terrain pour construire les bâtiments de la filiale. Plusieurs années ont passé durant lesquelles on a examiné divers endroits susceptibles de convenir. Les frères ont fait de cette question l’objet de leurs prières à Jéhovah, confiants qu’en temps voulu ils trouveraient un lieu approprié.

Au début de l’année 1998, on a trouvé un terrain dans une pittoresque forêt de pins, dans la petite ville de Brioukhovitchi, à cinq kilomètres au nord de Lvov. C’est près de cet endroit que, durant l’interdiction, deux congrégations avaient tenu leurs réunions. Un frère s’est exclamé : “ Je n’aurais jamais pensé que, dix ans après notre dernière réunion dans la forêt, je reviendrais à ce même endroit — où se trouve notre nouvelle filiale —, mais dans des circonstances complètement différentes ! ”

Fin 1998, les premiers serviteurs internationaux sont arrivés sur place. Les frères du Bureau d’ingénierie régional à Selters, en Allemagne, ont travaillé d’arrache-pied pour préparer les plans. Au début de janvier 1999, après avoir reçu l’autorisation du gouvernement, les frères ont commencé les travaux. Plus de 250 volontaires, de 22 nationalités, travaillaient sur le chantier, et jusqu’à 250 volontaires du pays venaient également apporter leur aide le week-end.

Nombreux sont ceux qui ont été très heureux de travailler sur ce projet. Des congrégations entières ont loué des autobus pour se rendre à Brioukhovitchi et se porter volontaires le week-end. Souvent, les frères et sœurs voyageaient toute la nuit pour être sur le chantier à temps et participer à la construction. Après une journée de dur travail, ils passaient une autre nuit sur la route et rentraient chez eux fatigués, mais heureux et désireux de revenir. Un groupe de 20 frères a voyagé en train pendant 34 heures depuis la région de Lougansk, dans l’est de l’Ukraine, pour travailler huit heures à la construction du Béthel. Pour ces huit heures de travail, chaque frère a pris deux jours de congé et dépensé plus de la moitié d’un mois de salaire pour l’achat des billets de train. Cet esprit de sacrifice a encouragé toute l’équipe de construction et la famille du Béthel. Les travaux ont progressé rapidement, ce qui a permis d’inaugurer la filiale le 19 mai 2001. À cette occasion 35 pays étaient représentés. Lors des réunions spéciales du lendemain, Theodore Jaracz s’est adressé à une foule de 30 881 personnes à Lvov, et Gerrit Lösch a pris la parole devant 41 142 personnes à Kiev, soit un total de 72 023 assistants.

Qu’en est-​il des Salles du Royaume ? Depuis 1939, année où plusieurs salles de Transcarpatie ont été détruites, l’Ukraine ne disposait d’aucune Salle du Royaume... jusqu’en 1993. Cette année-​là, en seulement huit mois, un magnifique complexe de quatre Salles du Royaume a été construit dans le village de Dibrova, en Transcarpatie. Peu de temps après, six autres salles ont été construites dans d’autres régions d’Ukraine.

En raison de l’important accroissement du nombre de proclamateurs, il y avait grand besoin de Salles du Royaume. Toutefois, à cause de la complexité des procédures administratives, de l’inflation et de l’augmentation du coût des matériaux de construction, seulement 110 salles ont pu être construites dans les années 90. Il en fallait des centaines d’autres ! C’est pourquoi, en 2000, on a établi un nouveau programme de construction de Salles du Royaume, qui contribue d’ores et déjà à combler ces besoins.

En avant dans l’œuvre de la moisson !

En septembre 2001, il y avait en Ukraine 120 028 Témoins de Jéhovah dans 1 183 congrégations, desservies par 39 surveillants de circonscription. Les graines de vérité semées sur une longue période ont produit une abondance de bons fruits. Certaines familles comptent cinq générations de Témoins de Jéhovah. Cela prouve que la “ terre ” est indiscutablement belle. “ Après avoir entendu la parole avec un cœur beau et bon ”, nombreux sont ceux qui “ la retiennent ”. Au fil des ans, les frères ont “ planté ” des graines, souvent avec larmes ; d’autres ont “ arrosé ” la terre fertile. Jéhovah fait croître et ses Témoins fidèles continuent de ‘ porter du fruit avec endurance ’ en Ukraine. — Luc 8:15 ; 1 Cor. 3:6.

Dans certains territoires, la proportion de Témoins par rapport à la population est saisissante. Par exemple, dans huit villages de Transcarpatie où l’on parle le roumain, il y a 59 congrégations réparties en trois circonscriptions.

Les efforts des opposants, religieux ou non, visant à déraciner les Témoins de Jéhovah d’Ukraine par l’exil et par une persécution implacable ont été vains. Le cœur des gens de ce pays s’est révélé fertile pour les graines de la vérité biblique. Aujourd’hui, les Témoins de Jéhovah récoltent une moisson abondante.

Le prophète Amos a annoncé une époque de moisson où “ le laboureur rejoindra le moissonneur ”. (Amos 9:13.) La bénédiction de Jéhovah rend la terre si productive que la moisson se poursuit alors même qu’arrive le moment de labourer pour la saison suivante. Les Témoins de Jéhovah d’Ukraine ont constaté la véracité de cette prophétie. Lorsqu’ils envisagent l’avenir, ils estiment que les perspectives d’accroissement sont des plus encourageantes, compte tenu des plus de 250 000 personnes qui ont assisté au Mémorial en 2001.

En Amos 9:15 Jéhovah promet : “ À coup sûr je les planterai sur leur sol, et ils ne seront plus déracinés de dessus leur sol que je leur ai donné. ” Tout en continuant de semer des graines de vérité et de moissonner d’abondantes récoltes, les serviteurs de Dieu attendent avec impatience le jour où Jéhovah accomplira complètement sa promesse. Dans l’intervalle, quand ‘ nous levons les yeux et que nous regardons les champs, nous constatons qu’ils sont effectivement blancs pour la moisson ’. — Jean 4:35.

[Entrefilet, page 140]

“ Danyil aurait pu être pendu, mais en raison de son âge il n’a été condamné qu’à quatre mois de prison. ”

[Entrefilet, page 145]

“ Les Témoins se démarquaient du reste du camp. Leur comportement montrait qu’ils avaient quelque chose de très important à dire aux autres prisonniers. ”

[Entrefilet, page 166]

Le 8 avril 1951, plus de 6 100 Témoins ont été exilés d’Ukraine occidentale en Sibérie.

[Entrefilet, page 174]

“ Il n’était pas rare que nos sœurs assument les responsabilités de serviteur de congrégation et même, dans certaines régions, de serviteur de circonscription. ”

[Entrefilet, page 183]

Au lieu de partir en voyage de noces, il a passé dix ans en prison.

[Entrefilet, page 184]

“ Il était très pénible de laisser ma petite fille chérie à une personne que je n’avais jamais vue auparavant. ”

[Entrefilet, page 193]

Constatant qu’ils ne pouvaient réduire les Témoins de Jéhovah au silence par l’exil, l’emprisonnement, la violence et la torture, les services de sécurité ont employé de nouvelles tactiques.

[Entrefilet, page 207]

Le KGB a envoyé aux frères dissidents une lettre, présentée comme venant de frère Knorr.

[Entrefilet, page 212]

Les agents du KGB étaient particulièrement vigilants à l’époque du Mémorial, car ils savaient toujours approximativement à quelle date il aurait lieu.

[Entrefilet, page 231]

C’était la première fois que les frères pouvaient avoir dans les mains l’original d’une publication biblique.

[Entrefilet, page 238]

“ Tout ce que vous avez fait, ainsi que votre belle conduite, m’a impressionné beaucoup plus que votre prédication. Les gens [...] n’oublieront jamais ce qu’ils ont vu. ”

[Entrefilet, page 241]

“ L’amour et l’esprit de sacrifice que nos frères ukrainiens ont manifestés ont grandement fortifié notre foi. ”

[Entrefilet, page 249]

Pour ces huit heures de travail, chaque frère a pris deux jours de congé et dépensé plus de la moitié d’un mois de salaire pour l’achat des billets de train.

[Encadré/Illustrations, page 124]

La traduction de la Bible au cours des siècles

Durant un certain temps, les Ukrainiens ont utilisé la Bible en vieux slavon d’église, version qui avait été traduite au IXe siècle. Au fil du temps la langue a évolué, si bien que cette version a été révisée. Vers la fin du XVe siècle, l’archevêque Gennadius a supervisé une révision complète de la Bible en slavon. Cette édition a elle-​même été révisée, ce qui a donné en fin de compte la première Bible imprimée en slavon. Cette traduction, connue sous le nom de Bible d’Ostrog, a été imprimée en Ukraine en 1581. Encore aujourd’hui, les spécialistes la considèrent comme un excellent exemple en matière d’impression. Elle a servi de base pour les traductions ultérieures de la Bible en ukrainien et en russe.

[Illustration]

Ivan Fedorov a imprimé la Bible d’Ostrog en Ukraine en 1581.

[Encadré/Illustration, page 141]

Entretien avec Vasyl Kaline

Date de naissance : 1947

Date de baptême : 1965

Parcours : Exilé de 1951 à 1965. A imprimé des publications en utilisant la méthode photographique de 1974 à 1991. Sert à la filiale de Russie depuis 1993.

Mon père a connu différentes formes de gouvernement et plusieurs régimes politiques. Par exemple, sous l’occupation nazie, les Allemands l’ont battu croyant qu’il était communiste. En fait, un prêtre avait dit aux officiers allemands que les Témoins de Jéhovah étaient des communistes parce qu’ils n’allaient pas à l’église. Puis le régime soviétique a fait son apparition. Une fois encore, mon père, ainsi que beaucoup d’autres, a été victime de l’oppression. Parce que les croyances des Témoins de Jéhovah différaient de celles de la religion qui prévalait à l’époque, on l’a pris pour un espion américain. C’est la raison pour laquelle mon père a été exilé avec sa famille en Sibérie, où il est resté jusqu’à sa mort.

[Encadré/Illustration, pages 147-151]

Entretien avec Ivan Lytvak

Date de naissance : 1922

Date de baptême : 1942

Parcours : Emprisonné de 1944 à 1946. Envoyé dans des camps de travail de 1947 à 1953, dans l’extrême nord de la Russie.

En 1947 j’ai été arrêté parce que je ne faisais pas de politique. On m’a interné dans une prison de très haute sécurité à Loutsk, en Ukraine, où je devais rester assis et droit, les mains sur les genoux ; je ne pouvais pas étendre les jambes. J’ai dû endurer cette position pendant trois mois. Un homme en manteau noir m’interrogeait. Il voulait que je lui dise quels étaient les frères qui dirigeaient l’œuvre. Il savait que je les connaissais, mais j’ai refusé de lui donner leur nom.

Le 5 mai 1947, le tribunal militaire m’a condamné à dix ans d’internement dans un camp isolé de très haute sécurité. Comme j’étais jeune à l’époque, on m’a classé dans ce qu’on appelait la première catégorie. Tous ceux qui en faisaient partie étaient des jeunes garçons, Témoins ou non. On nous a transportés dans des fourgons à bestiaux jusqu’à Vorkouta, dans l’extrême nord de la Russie. Là, on nous a fait monter à bord d’un bateau à vapeur et nous avons navigué pendant quatre jours jusqu’au détroit de Kara.

Il y avait peu de traces de vie à cet endroit ; rien que de la toundra et des bouleaux nains arctiques. De là, on nous a forcés à marcher pendant quatre jours et quatre nuits. Nous étions jeunes. On nous a donné des croûtons de pain sec et de la viande de renne fumée, ainsi que des bols et des couvertures chaudes. Il pleuvait à verse. Les couvertures étaient tellement trempées qu’il devenait impossible de les transporter. Alors deux par deux nous prenions une couverture et nous l’essorions, de sorte qu’elle redevenait plus légère.

Nous sommes finalement parvenus à destination. Je n’arrêtais pas de me dire : ‘ Encore un peu et j’aurai un toit pour m’abriter ! ’ Mais nous sommes arrivés dans une étendue de mousse épaisse. Les gardes nous ont dit : “ Installez-​vous. Vous êtes chez vous. ”

Des prisonniers pleuraient ; d’autres maudissaient le gouvernement. Je n’ai jamais maudit personne là-bas. Je priais silencieusement : “ Jéhovah, mon Dieu, tu es mon refuge et ma forteresse. Sois mon refuge ici aussi. ”

Les gardes ont entouré l’endroit d’une corde, car ils n’avaient pas de fil de fer, et certains se sont postés en sentinelles. Comme d’habitude, les gardes passaient leur temps à lire et nous avertissaient que si nous nous approchions d’eux à moins de deux mètres, nous serions abattus. Nous avons passé la nuit couchés dans la mousse. La pluie ruisselait sur nous. Je me suis réveillé en pleine nuit et j’ai regardé les 1 500 corps allongés au-dessus desquels s’élevait de la vapeur. Quand je me suis de nouveau réveillé, le matin, j’avais tout un côté dans l’eau ; la mousse n’absorbait plus. Il n’y avait rien à manger. On nous a ordonné d’aménager un terrain d’atterrissage afin qu’un avion puisse se poser et nous apporter de la nourriture. Les gardes disposaient d’un tracteur spécial, équipé d’énormes pneus qui l’empêchaient de s’embourber. Il transportait des provisions à leur intention, mais il n’y avait rien pour nous.

Nous avons travaillé pendant trois jours et trois nuits à préparer le terrain d’atterrissage. Il nous fallait arracher la mousse pour que l’avion puisse se poser. Un petit avion a apporté de la farine. Les gardes ont mélangé la farine à de l’eau bouillie, et nous l’ont donnée à manger.

Le travail nous cassait les reins. Nous avons construit une route et posé des rails de chemin de fer. Nous ressemblions à un tapis roulant humain, transportant d’énormes cailloux. L’hiver, il faisait toujours nuit et très froid.

Nous dormions à la belle étoile, sans rien au-dessus de nos têtes. La pluie nous transperçait. Nous étions trempés, affamés et gelés. Mais comme nous étions jeunes, nous avions quand même de l’énergie. Les gardes nous disaient de ne pas nous inquiéter, que nous aurions bientôt un toit. Finalement, un tracteur militaire a apporté suffisamment de toile pour abriter 400 personnes. Nous avons tendu la toile en hauteur, mais nous ne pouvions toujours dormir que sur de la mousse. Nous avons tous ramassé de l’herbe et l’avons étalée sous nos tentes de fortune ; en pourrissant elle a formé une sorte de compost. C’est là-dessus que nous dormions.

Nous avons fini par avoir des poux. Ils nous mordaient pratiquement à mort. Nous n’en avions pas seulement sur le corps, mais partout sur nos vêtements : des gros et des petits ; c’était terrible. Lorsque nous revenions du travail et que nous nous allongions, ils nous dévoraient et alors nous ne cessions de nous gratter. Ils se régalaient pendant que nous dormions. Nous avons alors dit au contremaître : “ Les poux sont en train de nous dévorer vivants. ” Ce à quoi il a répondu : “ Bientôt nous vous en débarrasserons. ”

Les autorités carcérales étaient obligées d’attendre que le temps soit plus clément parce qu’il faisait régulièrement − 30 °C. Finalement le temps s’est quelque peu radouci, et les gardes ont sorti un système de désinfection portatif. Toutefois, il faisait encore − 20 °C et la tente était toute déchirée. “ Déshabillez-​vous ! nous a-​t-​on ordonné. Vous allez vous laver. Déshabillez-​vous ! Nous allons désinfecter vos vêtements. ”

Nous étions donc là, par − 20 °C, en train d’enlever nos vêtements sous une tente tout en lambeaux. On nous a apporté des cartons que nous avons utilisés comme plancher. Une fois assis, j’ai regardé mon corps. C’était horrible ! J’ai alors regardé mon voisin. Il était dans le même état. Plus un seul muscle. Nous n’avions plus que la peau sur les os. Je n’arrivais même plus à grimper dans un camion. J’étais épuisé. Et pourtant, je faisais partie de la première catégorie : un jeune travailleur en pleine santé.

Je commençais à penser que j’allais bientôt mourir. Beaucoup de jeunes mouraient. À présent je priais intensément Jéhovah de m’aider, car il semblait n’y avoir aucune issue. Certains, qui n’étaient pas Témoins, laissaient volontairement une main ou une jambe geler, puis la coupaient pour ne plus avoir à travailler. C’était atroce.

Un jour, je me tenais près d’un des postes de garde quand j’ai aperçu un médecin. J’avais voyagé avec lui après mon arrestation et je lui avais donné le témoignage au sujet du Royaume de Dieu. Il était prisonnier, puis on l’avait amnistié. Je me suis approché de lui, je l’ai observé, et effectivement il semblait libre. Je l’ai appelé — je crois qu’il s’appelait Sacha. Il m’a regardé et m’a dit : “ Ivan, c’est bien toi ? ” À ces mots, je me suis mis à pleurer comme un petit garçon. “ Va immédiatement au poste médical ”, m’a-​t-​il ordonné.

Je me suis rendu au poste médical, et on m’a enlevé de la première catégorie de travailleurs. Cependant j’étais toujours dans le camp. Comme je faisais désormais partie de la troisième catégorie, on m’a envoyé dans la zone réservée à ceux qui avaient besoin de repos. Le commandant m’a dit : “ Je ne t’ai pas demandé de venir ici. C’est toi qui l’as voulu. Tiens-​toi à carreau et fais ton travail. ” Alors, petit à petit, j’ai commencé à m’habituer à ma nouvelle vie. Je n’étais plus astreint à la même besogne éreintante.

J’ai été libéré le 16 août 1953. “ Tu es libre de partir et d’aller où bon te semble ”, m’a-​t-​on dit. Avant toute chose, je suis allé dans la forêt pour remercier Jéhovah de m’avoir sauvegardé. Je me suis avancé dans cette petite forêt, je me suis agenouillé et j’ai remercié Jéhovah de m’avoir gardé en vie pour me permettre à l’avenir de glorifier son saint nom.

[Entrefilet]

“ Encore un peu et j’aurai un toit pour m’abriter ! ”

[Entrefilet]

“ Je me suis avancé dans cette petite forêt, je me suis agenouillé et j’ai remercié Jéhovah de m’avoir gardé en vie. ”

[Encadré/Illustration, pages 155, 156]

Entretien avec Volodymyr Levtchouk

Date de naissance : 1930

Date de baptême : 1954

Parcours : Emprisonné pour activisme politique de 1946 à 1954. A rencontré les Témoins de Jéhovah dans un camp de travail en Mordovie.

J’étais un nationaliste ukrainien. Pour cette raison, en 1946 les communistes m’ont condamné à purger 15 ans dans un camp. Il s’y trouvait des Témoins de Jéhovah. Ils m’ont donné le témoignage et j’ai immédiatement reconnu la vérité. Nous n’avions pas de bible, car nous étions dans un camp de haute sécurité. Je me suis donc mis à rechercher des petits morceaux de papier que j’ai mis de côté. Après en avoir récupéré quelques-uns, je me suis constitué un petit carnet. Je demandais aux frères de me citer tous les versets dont ils se souvenaient et à quel endroit on les trouvait dans la Bible, puis je les inscrivais sur mon carnet. J’ai également interrogé ceux qui sont arrivés plus tard. Si quelqu’un connaissait les grandes lignes d’une prophétie biblique, j’en prenais également note. J’ai réuni de nombreux textes bibliques, et j’ai commencé à m’en servir dans le cadre de ma prédication.

Lorsque j’ai commencé à prêcher, il y avait un certain nombre de jeunes comme moi. Âgé de 16 ans, j’étais le benjamin. Je me suis adressé à eux en disant : “ Nous avons souffert pour rien. Nous et bien d’autres avons risqué notre vie pour rien. Aucune idéologie politique ne nous apportera quoi que ce soit de bon. Vous devez prendre le parti du Royaume de Dieu ! ” J’ai cité les versets que j’avais mémorisés grâce à mon carnet. J’avais une très bonne mémoire à l’époque. Je n’ai pas mis longtemps à les convaincre, et ils ont commencé à s’associer à nous, aux Témoins de Jéhovah. Ils sont devenus des frères.

[Encadré/Illustration, page 157]

Peines infligées aux Témoins de Jéhovah

Exil interne : Les exilés étaient envoyés dans une région reculée, généralement en Sibérie, où ils devaient travailler et habiter. Ils n’étaient pas autorisés à quitter leur lieu de résidence. Une fois par semaine ou une fois par mois, ils devaient se présenter à la police locale.

Internement : Trois à dix prisonniers étaient confinés dans une cellule. On leur servait de la nourriture deux ou trois fois par jour. Une fois par jour ou une fois par semaine, on les autorisait à marcher dans la cour de la prison. Aucun travail ne leur était demandé.

Camps de prisonniers : La plupart étaient situés en Sibérie. Des centaines de prisonniers s’entassaient dans des baraquements (qui pouvaient en général accueillir entre 20 et 100 détenus). Ils travaillaient au moins huit heures par jour dans l’enceinte du camp ou en dehors. Le travail était pénible et consistait à construire des usines, à poser des rails de chemin de fer ou à abattre des arbres. Les détenus étaient constamment escortés par des gardes. À l’intérieur du camp, les prisonniers pouvaient se déplacer librement après les heures de travail.

[Illustration]

Sibérie (Russie) : Des enfants de Témoins ukrainiens exilés coupent du bois pour se chauffer (1953).

[Encadré/Illustration, pages 161, 162]

Entretien avec Fyodor Kaline

Date de naissance : 1931

Date de baptême : 1950

Parcours : Exilé de 1951 à 1965. Emprisonné de 1962 à 1965.

Un jour, tandis que j’étais en prison et soumis à un interrogatoire, Jéhovah a accompli ce qui, pour moi, équivaut à un miracle. Le directeur du KGB (Comité pour la sécurité d’État) est venu muni d’un document. L’enquêteur était assis, et le directeur du KGB s’est assis à côté de lui en lui disant : “ Donnez-​lui ça ! Qu’il voie que ses frères d’Amérique sont malhonnêtes ! ”

Ils m’ont tendu le papier. Il s’agissait d’une résolution adoptée à l’occasion d’une assemblée. Je l’ai lue une première fois, puis une seconde fois attentivement. Le directeur du KGB a fini par s’impatienter : “ M. Kaline ! Vous voulez l’apprendre par cœur ? ”

Je lui ai répondu : “ C’est-à-dire que la première fois je l’ai juste parcourue. Je veux comprendre ce que cela signifie. ” Intérieurement, je pleurais de joie. Quand j’ai eu fini de lire la résolution, je la leur ai rendue et je leur ai dit : “ Je vous suis vraiment reconnaissant et je remercie Jéhovah Dieu de vous avoir poussés à faire cela. Aujourd’hui, grâce à la lecture de cette résolution, ma foi est devenue beaucoup plus forte. Je partage l’opinion de ces Témoins et je veux louer le nom de Dieu sans réserve. Je parlerai de lui aux prisonniers du camp et en prison, et partout où je me trouverai. C’est ma mission.

“ Peu importent les tortures que vous me ferez subir, vous ne me ferez pas taire. Dans cette résolution, les Témoins ne disent pas qu’ils sont prêts à organiser une sorte de révolte. Ils déclarent simplement qu’ils sont déterminés à servir Jéhovah, sachant qu’il peut les aider à demeurer fidèles, quoi qu’il leur arrive, même la plus dure des persécutions. Je prie Jéhovah Dieu de me fortifier dans cette période difficile afin de rester ferme dans la foi.

“ Mais je ne me laisserai pas ébranler ! Cette résolution m’a énormément fortifié. Maintenant, si vous me mettez contre un mur pour me fusiller, je ne tremblerai pas. Jéhovah sauve, même si ce doit être par la résurrection ! ”

Je voyais bien que les enquêteurs étaient contrariés. Ils se rendaient compte qu’ils avaient commis une grossière erreur. La résolution m’avait galvanisé, alors qu’elle était censée affaiblir ma foi.

[Encadré/Illustration, pages 167-169]

Entretien avec Maria Popovitch

Date de naissance : 1932

Date de baptême : 1948

Parcours : A passé six ans en prison et dans des camps de travail. A aidé plus de dix personnes à connaître la vérité.

Lorsque j’ai été arrêtée le 27 avril 1950, j’étais enceinte de cinq mois. Le 18 juillet, on m’a condamnée à dix ans d’emprisonnement pour avoir prêché, pour avoir exposé la vérité à d’autres. Sept d’entre nous ont été condamnés, quatre frères et trois sœurs. On nous a infligé à tous une peine de dix ans. Mon fils est né le 13 août.

En prison je ne me suis pas découragée. J’avais appris dans la Parole de Dieu, la Bible, que l’on était heureux si l’on souffrait comme chrétien, et non pas comme meurtrier ou voleur. Et j’étais effectivement heureuse. J’éprouvais de la joie dans mon cœur. On m’a mise en isolement cellulaire, où j’ai fait les cent pas en chantant.

Un soldat a ouvert le judas et m’a dit : “ Tu arrives à chanter dans cette situation ? ”

“ Je suis heureuse parce que je sais que je n’ai fait de mal à personne ”, ai-​je répondu. Il a alors refermé le judas. Personne ne m’a battue.

On me disait : “ Renonce à ta foi. Regarde dans quel état tu es. ” C’était pour me rappeler que j’allais donner naissance à mon bébé en prison. Mais j’étais heureuse parce que j’avais été condamnée en raison de ma foi dans la Parole de Dieu. Cela me réjouissait. Je savais que je n’étais pas une criminelle, et que je supportais tout cela à cause de ma foi en Jéhovah. C’est ce qui m’a aidée à garder ma joie durant tout ce temps. Voilà tout.

Plus tard, alors que je travaillais dans le camp, mes mains ont gelé. On m’a alors envoyée à l’hôpital. Là, la doctoresse s’est prise d’affection pour moi. Elle m’a dit : “ Vous n’êtes pas en bonne santé. Pourquoi ne viendriez-​vous pas travailler pour moi ? ”

Évidemment, cette idée n’a pas enchanté le directeur du camp. “ Pourquoi voulez-​vous que cette femme travaille pour vous ? a-​t-​il demandé. Choisissez quelqu’un d’un autre groupe. ”

Elle lui a répondu : “ Je ne veux pas quelqu’un d’autre. J’ai besoin de gens honnêtes et bons dans mon service. Et c’est elle qui va venir travailler dans cet hôpital. Je sais qu’elle ne volera rien et qu’elle ne se mettra pas à prendre de la drogue. ”

Nous inspirions confiance. Nos gardiens avaient une considération particulière pour les gens de foi. Ils voyaient le genre de personnes que nous étions. Cela nous était profitable.

Finalement, la doctoresse a réussi à persuader le directeur. Lui aussi voulait me garder parce que j’étais habile dans l’abattage des arbres. Quel que soit l’endroit où ils travaillaient, les serviteurs de Jéhovah étaient toujours des travailleurs honnêtes et consciencieux.

Note : Le fils de Maria est né en prison à Vinnitsa, en Ukraine. Les deux années suivantes, on l’a gardé à l’orphelinat de la prison. Ensuite, des membres de sa famille l’ont remis à son père, qui avait déjà été exilé en Sibérie. Quand sœur Popovitch a été libérée de prison, son fils avait six ans.

[Entrefilet]

“ Je suis heureuse parce que je sais que je n’ai fait de mal à personne. ”

[Encadré/Illustration, page 175]

Entretien avec Maria Fedoun

Date de naissance : 1939

Date de baptême : 1958

Parcours : Exilée de 1951 à 1965.

Une fois installés dans le train, une fois calmés et en route vers l’exil, que nous restait-​il à faire ? Comme nous connaissions des cantiques, nous nous sommes mis à chanter. Nous avons chanté tous les cantiques dont nous nous souvenions, ceux du recueil.

Au début nous n’entendions chanter que dans notre wagon, mais plus tard, quand le train s’est arrêté pour en laisser passer d’autres, nous nous sommes aperçus que d’autres trains transportaient des frères. Leurs chants parvenaient jusqu’à nous. Certains étaient de Moldavie ; ils étaient suivis par les frères roumains de Bucovine. Il y avait beaucoup de trains. Ils se dépassaient en divers endroits. Nous avons pris conscience qu’ils étaient remplis de frères et sœurs.

Nous nous souvenions de nombreux cantiques. Beaucoup d’autres ont été composés dans ces wagons. Ils nous ont encouragés et mis dans la bonne disposition d’esprit. Ces cantiques ont vraiment dirigé nos pensées vers Jéhovah.

[Encadré/Illustration, page 177]

Entretien avec Lydia Stachtchychine

Date de naissance : 1960

Date de baptême : 1979

Parcours : Fille de Maria Pilipiv, dont le témoignage figure aux pages 208-9.

Lorsque j’étais enfant, mon grand-père était ancien et dirigeait la congrégation. Je me souviens de son programme : le matin il se levait, il faisait sa toilette, puis il priait. Ensuite il ouvrait la Bible, et nous nous asseyions tous pour lire le texte du jour et le chapitre d’où il était extrait. Mon grand-père me demandait régulièrement de porter des documents importants — empaquetés ou mis dans un sac — à un autre ancien, qui habitait en bordure de la ville. Pour me rendre chez lui il fallait que je grimpe une colline. Je ne l’aimais pas, cette colline. Elle était escarpée, et la gravir était pénible. Je répondais souvent : “ Papy, non, je n’ai pas envie d’y aller ! Je peux rester là ? ”

Mais mon grand-père me disait : “ Non, il faut que tu y ailles. Prends les documents. ”

Je me disais : “ Non je n’irai pas ! Je n’irai pas ! ” Puis : “ Non, il faut que j’y aille, car il y a peut-être des choses importantes en jeu. ” C’est toujours à cela que je pensais. Je n’avais vraiment pas envie d’y aller, mais je finissais toujours par partir. Je savais que personne d’autre ne pouvait le faire. Et cela arrivait très souvent. C’était mon travail, ma responsabilité.

[Encadré/Illustration, pages 178, 179]

Entretien avec Pavlo Rourak

Date de naissance : 1928

Date de baptême : 1945

Parcours : A passé 15 ans en prison et dans des camps. Il est aujourd’hui surveillant-président d’une congrégation d’Artemovsk, dans l’est de l’Ukraine.

En 1952, je me trouvais dans un camp à la discipline de fer, à Karaganda, en URSS. Nous étions dix Témoins dans ce camp. Le temps passait si lentement que ça devenait dur pour nous. Nous gardions notre joie et ne perdions pas espoir, mais nous n’avions pas de nourriture spirituelle. Nous nous réunissions après le travail et discutions ensemble, nous remémorant ce que nous avions appris auparavant par l’intermédiaire de “ l’esclave fidèle et avisé ”. — Mat. 24:45-47.

J’ai décidé d’écrire à ma sœur pour lui faire part de notre situation dans le camp et lui expliquer que nous n’avions pas de nourriture spirituelle. Comme les prisonniers n’étaient pas autorisés à envoyer ce genre de lettre, il m’a été difficile de la poster. Malgré tout, ma sœur a finalement reçu la lettre. Elle a préparé un colis, y a placé du pain scandinave ainsi qu’un Nouveau Testament, puis elle a expédié le tout.

Le règlement était très strict. Les autorités ne transmettaient pas toujours les colis aux prisonniers. Souvent, les responsables en brisaient le contenu. Tout était soigneusement examiné. Par exemple, ils vérifiaient les boîtes en fer-blanc pour voir s’il n’y avait rien de caché dans un double fond ou sur les côtés. Ils examinaient même les petits pains.

Un jour, j’ai vu que mon nom figurait sur la liste de ceux qui avaient reçu un colis. J’étais extrêmement heureux, même si je n’imaginais pas que ma sœur m’ait envoyé un Nouveau Testament. C’était le garde le plus sévère qui était chargé de l’inspection ce jour-​là ; les prisonniers l’appelaient Tête brûlée. Lorsque je me suis présenté pour retirer mon colis, il m’a demandé : “ Tu attends un colis de quel endroit ? ” Je lui ai donné l’adresse de ma sœur. Il a pris une pince et a ouvert le carton.

Quand il a ôté le couvercle, j’ai aperçu le Nouveau Testament coincé entre le côté du carton et la nourriture. J’ai juste eu le temps de prier silencieusement : “ Jéhovah, donne-​le-​moi. ”

À ma grande surprise, le garde m’a dit : “ Allez, débarrasse-​moi vite de ce carton ! ” Stupéfait de ce qui venait de se passer, j’ai refermé le carton et je l’ai emporté jusqu’au baraquement. J’ai sorti le Nouveau Testament et je l’ai caché dans mon matelas.

Quand j’ai raconté aux frères que j’avais reçu un Nouveau Testament, aucun ne m’a cru. C’était un miracle de Jéhovah ! Il nous soutenait spirituellement parce que, dans notre situation, il était impossible de se procurer quoi que ce soit. Nous avons remercié notre Père céleste Jéhovah pour sa miséricorde et son soutien. Nous nous sommes mis à lire et à nous fortifier spirituellement. Nous lui en étions vraiment reconnaissants.

[Encadré/Illustration, pages 180, 181]

Entretien avec Lydia Bzovi

Date de naissance : 1937

Date de baptême : 1955

Parcours : Exilée de 1949 à 1965.

Adolescente, l’absence de papa m’était très pénible. Nous aimions notre père, comme la plupart des enfants. Je n’ai pas pu lui dire au revoir. Ivan et moi ne l’avons pas vu partir parce que nous étions aux champs, à récolter du millet.

Lorsque nous sommes revenus, maman nous a dit que papa avait été arrêté. J’ai éprouvé un sentiment de vide, de douleur, mais aucune panique, aucune haine. Il fallait s’y attendre. On nous rappelait constamment les paroles de Jésus : “ S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi. ” (Jean 15:20). Très tôt dans notre vie nous avons appris ce verset. Nous le connaissions aussi bien que le Notre Père. Nous savions également que le monde ne nous aimerait pas, car nous n’en faisions pas partie. Les autorités agissaient par ignorance.

Comme nous étions sous administration roumaine en Moldavie, papa savait qu’il pourrait se défendre devant les tribunaux. Nous avons été autorisés à assister au procès. Cela a été un grand jour pour nous.

Papa a donné un témoignage extraordinaire. Personne ne prêtait attention aux accusations du procureur. Tout le monde écoutait bouche bée le témoignage de papa. Il a parlé pendant une heure quarante en faveur de la vérité et a donné un témoignage très clair. Des fonctionnaires du tribunal en pleuraient.

Nous étions fiers que papa ait pu témoigner au tribunal pour défendre publiquement la vérité. Nous n’éprouvions aucun découragement.

Note : En 1943, les autorités allemandes ont arrêté les parents de sœur Bzovi et les ont condamnés à 25 ans de prison pour leur prétendue coopération avec les Soviétiques. Moins d’un an après, les troupes soviétiques sont arrivées et les ont libérés. Par la suite, ces mêmes autorités soviétiques ont arrêté le père de sœur Bzovi. Au total, il a passé 20 ans en prison.

[Entrefilet]

Nous aimions notre père, comme la plupart des enfants. Je n’ai pas pu lui dire au revoir.

[Encadré/Illustrations, pages 186-189]

Entretien avec Tamara Ravliouk

Date de naissance : 1940

Date de baptême : 1958

Parcours : Exilée en 1951. A aidé une centaine de personnes à connaître la vérité.

Ceci est l’histoire d’Halyna. En 1958, lorsqu’elle avait 17 jours, ses parents ont été arrêtés. Sa mère et elle ont été envoyées dans un camp de prisonniers en Sibérie. Tant que sa mère a été en mesure de l’allaiter — jusqu’au cinquième mois —, Halyna a pu rester avec elle. Ensuite, sa mère a dû aller travailler, et le bébé a été placé dans un orphelinat. Notre famille vivait dans la province voisine de Tomsk. Des frères ont écrit une lettre à notre congrégation pour demander si quelqu’un pourrait aller retirer le bébé de l’orphelinat et l’élever jusqu’à la libération de ses parents. Inutile de dire que lorsque la lettre a été lue, tout le monde en a été ému. Pour un enfant, une telle situation était triste, voire dramatique.

Les frères nous ont accordé un peu de temps pour y réfléchir. Une semaine est passée, mais personne ne s’est proposé pour prendre l’enfant. Les conditions de vie étaient dures pour nous tous. La deuxième semaine, mon frère aîné a dit à ma mère : “ Prenons cette petite fille. ”

Maman a répondu : “ Tu n’y penses pas, Vasia ? Je suis déjà âgée et malade. Tu sais, s’occuper du bébé de quelqu’un d’autre est une lourde responsabilité. Il ne s’agit pas d’un animal. Ce n’est pas une génisse. C’est un bébé. Et de quelqu’un d’autre en plus. ”

“ C’est pour cela que nous devrions le prendre, maman, a dit mon frère. Ce n’est pas un animal. Imagine un bébé dans ces conditions, dans un camp ! Elle est encore si petite, si fragile. ” Puis il a ajouté : “ Ne penses-​tu pas qu’un jour elle pourrait nous dire : ‘ J’étais malade, j’étais en prison, j’avais faim, mais vous ne m’avez pas aidée ’ ? ”

“ C’est vrai, cela pourrait arriver, a concédé maman, mais c’est une énorme responsabilité d’accepter le bébé de quelqu’un d’autre. Que se passera-​t-​il si quelque chose lui arrive pendant que nous l’avons avec nous ? ”

“ Et s’il lui arrive quelque chose alors qu’elle se trouve là-bas ? ” a renchéri mon frère. Puis, se tournant vers moi : “ Il y a Tamara. Elle peut se déplacer sans problème et ramener le bébé. Nous travaillerons tous pour subvenir aux besoins de cette enfant. ”

Nous y avons réfléchi, nous en avons discuté et finalement nous avons décidé que j’irais chercher le bébé. Je me suis donc rendue aux camps de Mariinski. Des frères m’ont confié des publications pour que je les apporte là-bas. Ils m’ont également donné un appareil photo pour prendre une photo de la maman, parce que nous ne la connaissions pas. Je n’ai pas été autorisée à pénétrer dans le camp avec l’appareil photo, mais j’ai pu y faire entrer les publications. J’ai acheté une marmite dans laquelle j’ai placé les publications, puis j’ai mis des bouteilles d’huile par-dessus. Quand j’ai passé la porte d’entrée du camp, le garde n’a pas vérifié s’il y avait quelque chose en dessous de l’huile. J’ai pu ainsi faire pénétrer des publications dans le camp.

J’ai pu faire la connaissance de la mère du bébé, Lydia Kourdas, et j’ai même passé la nuit dans le camp, le temps de préparer des documents pour que le bébé puisse m’être remis. J’ai finalement ramené Halyna à la maison. Quand nous sommes arrivées, elle avait cinq mois et quelques jours. Nous nous sommes tous bien occupés d’elle. Malgré tout, elle est tombée très malade. Des médecins sont venus, mais ils ne lui ont rien trouvé.

Pensant qu’il s’agissait de ma fille, ils m’ont prise à partie : “ Quel genre de mère êtes-​vous ? Pourquoi ne la nourrissez-​vous pas ? ” Nous avions peur de dire que le bébé était né en prison, et nous ne savions pas comment agir. Je me suis mise à pleurer et je n’ai rien répondu. Les médecins me réprimandaient ; ils ont crié contre ma mère, en disant que j’étais trop jeune quand on m’avait donnée en mariage, qu’à moi aussi, c’était du lait qu’il me fallait. J’avais alors 18 ans.

Halyna était très malade, et elle respirait difficilement. Je suis allée sous l’escalier et j’ai prié : “ Jéhovah Dieu, Jéhovah Dieu, si cette enfant doit mourir, prends ma vie à la place de la sienne ! ”

Halyna a commencé à suffoquer, juste devant les médecins, qui ont dit : “ C’est sans espoir, elle ne survivra pas, elle ne survivra pas. ” Ils ont dit ça devant moi, devant ma mère. Maman pleurait. Je priais. Mais finalement la petite a survécu. Elle est restée avec nous jusqu’à la libération de sa mère. Elle a passé sept ans avec nous, et elle n’est plus jamais tombée malade, pas une seule fois.

Halyna vit aujourd’hui à Kharkov, en Ukraine. Elle est notre sœur et sert comme pionnière permanente.

[Entrefilet]

“ Jéhovah Dieu, Jéhovah Dieu, si cette enfant doit mourir, prends ma vie à la place de la sienne ! ”

[Illustration]

De gauche à droite : Tamara Ravliouk (anciennement Bouriak), Sergeï Ravliouk, Halyna Kourdas, Mykhaïlo Bouriak, Maria Bouriak.

[Illustration]

De gauche à droite : Sergeï et Tamara Ravliouk, Mykola et Halyna Kuibida (anciennement Kourdas), Oleksi et Lydia Kourdas.

[Encadré, page 192]

Rapport d’un surveillant de circonscription, en 1958

“ La situation est très difficile. Les frères peuvent être saisis d’apprendre qu’une dizaine de membres d’une organisation de jeunes communistes les espionnent presque tous. Sans oublier les voisins qui les dénoncent, les faux frères, l’omniprésence de la police, les condamnations à passer 25 ans dans un camp ou une prison, l’exil en Sibérie, le travail forcé à vie et la détention parfois interminable dans une cellule obscure. Tout cela peut arriver à quiconque prononce ne serait-​ce que quelques mots à propos du Royaume de Dieu.

“ Et pourtant, les proclamateurs n’ont pas peur. Ils débordent d’amour pour Jéhovah Dieu. Leur comportement fait penser à celui des anges et ils ne pensent en aucun cas à abandonner le combat. Ils savent que l’œuvre est celle de Jéhovah et qu’elle se poursuivra jusqu’à la victoire. Les frères savent pour qui ils gardent leur intégrité. Ils sont joyeux de souffrir pour Jéhovah. ”

[Encadré/Illustration, pages 199-201]

Entretien avec Sergeï Ravliouk

Date de naissance : 1936

Date de baptême : 1952

Parcours : A passé 16 ans en prison et dans des camps ; a été obligé de déménager à sept reprises. A aidé près de 150 personnes à connaître la vérité. L’entretien avec sa femme, Tamara, se trouve aux pages 186-9. Sergeï est aujourd’hui ancien dans la congrégation de Rohan, près de la ville de Kharkov.

J’ai vécu sept ans en Mordovie. Je me trouvais dans un camp de sécurité maximale, ce qui n’a pas empêché que de nombreuses publications y soient distribuées durant mon incarcération. Des gardiens emportaient des publications chez eux, les lisaient puis les donnaient aux membres de leur famille.

Parfois, au moment de la relève, un gardien venait me voir pour me demander : “ As-​tu quelque chose, Sergeï ? ”

“ Qu’est-​ce que vous voulez ? ” répondais-​je.

“ Juste quelque chose à lire. ”

“ Est-​ce qu’il y aura une fouille demain ? ”

“ Oui. Il y en aura une demain au bloc cinq. ”

“ D’accord. Sur un lit, sous une serviette, il y aura une Tour de Garde. Vous pourrez la prendre. ”

On procédait à la fouille et il récupérait la Tour de Garde. Mais les gardiens ne trouvaient pas d’autres publications parce que nous savions à l’avance qu’il y aurait une perquisition. C’est ainsi que certains gardiens nous aidaient. Ils étaient attirés par la vérité, mais ils avaient peur de perdre leur travail. Au cours des nombreuses années que des frères ont passées là, les gardiens ont vu comment nous vivions. Les gens raisonnables pouvaient constater que nous n’étions coupables d’aucun crime. Ils n’osaient pas cependant exprimer leur avis, sinon on les aurait pris pour des sympathisants des Témoins de Jéhovah et ils auraient perdu leur emploi. Alors ils soutenaient notre œuvre dans une certaine mesure. Ils prenaient des publications et les lisaient. Tout cela a contribué à limiter le feu de la persécution.

En 1966, nous étions environ 300 frères en Mordovie. Les responsables du camp connaissaient la date à laquelle le Mémorial devait être célébré cette année-​là et ils ont décidé de restreindre notre liberté. “ Vous étudiez déjà votre Tour de Garde, mais nous allons mettre un terme à ce Mémorial, nous ont-​ils dit. Vous ne pourrez rien faire. ”

Les gardes des différentes unités devaient rester dans leur bureau jusqu’à la fin de la période d’alerte. Tous étaient à leur poste : le personnel de surveillance, le personnel administratif et le commandant du camp.

Nous sommes donc tous sortis sur le chemin, vers la place où nous faisions l’appel chaque jour, le matin et le soir. Alors, rassemblés par congrégations ou par groupes, nous avons marché autour de la place. Dans chaque groupe, un frère prononçait le discours tout en marchant, tandis que les autres écoutaient.

Comme nous n’avions pas d’emblèmes, nous avons juste prévu un discours. À l’époque, il n’y avait pas de membre oint dans le camp. À 21 h 30, tout était fini, tous les groupes avaient achevé la célébration en parcourant le chemin de retour.

Le cantique, nous voulions le chanter tous ensemble. Nous nous sommes donc réunis près du bâtiment des sanitaires, qui se trouvait dans le coin le plus éloigné de l’entrée du camp. Imaginez 300 hommes, dont 80 à 100 chantent à la nuit tombée dans la taïga. Imaginez l’écho de ce cantique ! Je me souviens que nous avons chanté le cantique numéro 25, intitulé “ Je suis mort pour vous ”, extrait de l’ancien recueil. Tout le monde le connaissait. Parfois, même les soldats du haut des miradors nous criaient : “ Chantez le cantique 25 ! ”

Quand nous avons commencé à chanter cette nuit-​là, tous les membres du personnel sont sortis des bureaux et se sont dirigés vers les sanitaires pour nous arrêter. Mais lorsqu’ils sont arrivés, ils n’ont pas réussi à interrompre notre chant parce que tous les frères qui ne chantaient pas avaient formé une barrière solide autour des chanteurs, si bien que les gardiens n’ont pu que tourner autour de nous jusqu’à ce que nous ayons fini. À la fin du cantique, nous nous sommes tous dispersés. Les gardiens ne savaient pas qui avait chanté ou pas. Ils ne pouvaient pas tous nous mettre en isolement !

[Encadré/Illustration, pages 203, 204]

Entretien avec Victor Popovitch

Date de naissance : 1950

Date de baptême : 1967

Parcours : Né en prison, fils de Maria Popovitch, dont il est question aux pages 167-9. Arrêté en 1970, a passé quatre ans en prison à cause de son activité de prédication. Au cours de trois journées d’audience judiciaire, 35 personnes ont attesté que frère Popovitch leur avait prêché.

Il ne faut pas analyser la situation dans laquelle les Témoins de Jéhovah se sont trouvés d’un point de vue strictement humain. On ne peut attribuer au gouvernement l’entière responsabilité de la persécution du peuple de Dieu. La plupart des fonctionnaires n’ont fait que leur travail. Lorsque le gouvernement changeait, ils suivaient le mouvement, tandis que nous restions les mêmes. Nous avons compris que la Bible révélait d’où venaient en réalité nos difficultés.

Nous ne nous considérions pas seulement comme d’innocentes victimes de l’oppression humaine. Ce qui nous a aidés à endurer c’est d’avoir une claire compréhension de la question soulevée dans le jardin d’Éden, celle du droit qu’a Dieu de gouverner. C’était une question encore en suspens. Nous savions que nous avions là l’occasion de prendre fait et cause pour la souveraineté de Jéhovah. Nous avons adopté une position sur une question liée non seulement aux intérêts des humains, mais également aux intérêts du Souverain de l’univers. Nous avions une compréhension beaucoup plus profonde des véritables questions en jeu. Cela nous a rendus forts et nous a permis de garder notre intégrité même dans les situations les plus extrêmes. Nous voyions au-delà du simple aspect humain des choses.

[Entrefilet]

On ne peut attribuer au gouvernement l’entière responsabilité de la persécution du peuple de Dieu.

[Encadré/Illustration, pages 208, 209]

Entretien avec Maria Pilipiv

Date de naissance : 1934

Date de baptême : 1952

Parcours : S’est rendue en Sibérie en 1951 pour voir sa sœur qui avait été déportée là-bas. Maria a connu la vérité en Sibérie et a plus tard épousé un frère exilé.

Lorsque papa est mort, la police est venue à la maison, en renfort. Il y avait des agents de la ville, mais aussi du district. Ils nous ont avertis qu’ils ne voulaient ni cantique ni prière. Nous leur avons répondu qu’il n’y avait aucune loi contre la prière. Ils ont demandé quand l’enterrement aurait lieu. Nous leur avons répondu et ils sont partis.

Les frères sont arrivés tôt. Il était interdit de se réunir, mais on pouvait assister à un enterrement. Nous avons commencé de bonne heure, car nous savions que la police viendrait. Juste au moment où un frère commençait une prière, un camion rempli de policiers est arrivé. Le frère a terminé sa prière et nous avons pris la direction du cimetière.

Les policiers nous ont suivis et nous ont autorisés à entrer dans le cimetière. Quand le frère a prononcé une seconde prière, les policiers ont tenté de l’arrêter. Mais nous, les sœurs, nous avons décidé que nous ne les laisserions pas faire. Il y avait de nombreux policiers. Nous avons alors formé une barrière autour du frère. Dans l’agitation qui a suivi, une des sœurs a emmené le frère hors du cimetière, entre les maisons, puis dans le village. Tout d’un coup, un homme que nous connaissions s’est arrêté en voiture ; le frère est monté à bord et a ainsi pu s’échapper. La police l’a cherché partout, mais n’a pas réussi à le trouver. Alors les agents sont repartis.

Les sœurs protégeaient souvent les frères. En général, c’est le contraire qui se produit, mais à l’époque c’est ainsi que ça se passait. Les sœurs devaient protéger les frères, et cela s’est fait plus d’une fois.

[Entrefilet]

À l’époque c’est ainsi que ça se passait. Les sœurs devaient protéger les frères.

[Encadré/Illustration, pages 220, 221]

Entretien avec Petro Vlasiouk

Date de naissance : 1924

Date de baptême : 1945

Parcours : Exilé de 1951 à 1965. Peu de temps après que frère Vlasiouk a été exilé, son fils est tombé malade et est décédé. L’année suivante, après avoir donné naissance à un autre fils, sa femme a eu des complications et a fini par mourir. Frère Vlasiouk s’est retrouvé seul avec un bébé. En 1953 il s’est remarié, et sa seconde femme s’est occupée de l’enfant.

Je faisais partie de ceux qui ont été exilés d’Ukraine en Sibérie en 1951. Nous n’avions pas peur, vous savez. Jéhovah a insufflé un tel esprit aux frères qu’ils avaient la foi, une foi qui transparaissait dans leurs propos. Personne n’aurait jamais choisi de faire un tel voyage pour prêcher en Sibérie. À coup sûr, Jéhovah a laissé le gouvernement nous déplacer là-bas. Plus tard, les autorités ont déclaré : “ Nous avons fait une grossière erreur. ”

“ Comment cela ? ” ont demandé les frères.

“ Nous vous avons amenés ici, et maintenant vous faites des disciples ici aussi ! ”

Les frères ont rétorqué : “ Vous en commettrez d’autres. ”

Leur deuxième grossière erreur, c’est de ne pas nous avoir autorisés à rentrer chez nous après qu’une amnistie a permis notre libération. “ Allez où vous voulez, mais ne retournez pas chez vous. ” Par la suite, ils ont pris conscience que c’était une mauvaise décision. À cause de cette mesure, la bonne nouvelle s’est répandue dans toute la Russie.

[Encadré/Illustration, page 227]

Entretien avec Anna Vovtchouk

Date de naissance : 1940

Date de baptême : 1959

Parcours : Exilée de 1951 à 1965. Envoyée en Sibérie à l’âge de 10 ans. A imprimé clandestinement des publications bibliques de 1957 à 1980.

Les agents du KGB essayaient souvent de nous obliger à donner le nom des frères. Ils nous montraient des photos. En général, je leur disais : “ Je ne sais rien qui puisse vous intéresser. Pour vous je ne connais personne. ” C’est ce que nous leur répondions systématiquement. Plus tard, peu de temps après mon mariage, je me suis rendue à pied en ville et j’ai rencontré le responsable local du KGB à Angarsk. Il m’avait souvent convoquée pour me faire subir un interrogatoire et me connaissait bien.

Il m’a dit : “ Pour en revenir à Stepan Vovtchouk, vous m’avez affirmé que vous ne le connaissiez pas. Comment se fait-​il qu’à présent vous soyez mariée avec lui ? ”

Je lui ai répondu : “ N’est-​ce pas vous qui me l’avez présenté avec vos photos ? ”

“ Voyez-​vous ça ! a-​t-​il dit en claquant des mains. C’est encore de notre faute ! ”

Nous avons ri tous les deux. Ça reste un moment très amusant de ma vie.

[Encadré/Illustration, pages 229, 230]

Entretien avec Sofia Vovtchouk

Date de naissance : 1944

Date de baptême : 1964

Parcours : Exilée de 1951 à 1965. Envoyée en Sibérie à l’âge de sept ans avec sa mère, sa sœur et son frère.

Quand on nous a emmenés en Sibérie, on nous a dit que nous y resterions pour toujours. Nous n’imaginions pas être libérés un jour. Lorsque nous lisions dans La Tour de Garde que des assemblées avaient lieu dans d’autres pays, nous priions Jéhovah pour qu’au moins une fois dans notre vie nous ayons l’occasion d’assister à une assemblée comme celles-là. Il ne fait aucun doute que Jéhovah nous a bénis. En 1989, nous avons pu assister à l’assemblée internationale des Témoins de Jéhovah en Pologne. La joie que nous avons éprouvée est indescriptible.

Les frères de Pologne nous ont accueillis très chaleureusement. Nous sommes restés quatre jours avec eux. Nous assistions à une assemblée ! C’était un pur bonheur que d’en apprendre davantage au sujet de Jéhovah et de recevoir l’instruction de la Parole de Dieu. Nous étions si heureux. Nous faisions part de nos expériences à tout le monde. Quoique de nationalités si différentes, tous étaient nos frères et sœurs ! En nous promenant autour du stade nous avons ressenti une merveilleuse ambiance de paix. Après tout ce que nous avions vécu — l’interdiction pendant si longtemps — nous avions l’impression d’être déjà dans le monde nouveau. Nous n’entendions aucune grossièreté et tout était propre et magnifique. Nous avons passé du temps avec des frères et sœurs une fois le programme terminé. Nous ne sommes pas partis aussitôt ; nous nous sommes joints aux autres et nous avons discuté ensemble. Il y avait également des interprètes quand nous ne comprenions pas la langue. Même lorsque nous ne nous comprenions pas, nous nous embrassions. Nous étions heureux.

[Encadré/Illustration, pages 243, 244]

Entretien avec Roman Yourkevitch

Date de naissance : 1956

Date de baptême : 1973

Parcours : A passé six ans dans des camps de prisonniers à cause de sa neutralité. Membre du Comité de la filiale d’Ukraine depuis 1993.

La vérité pousse à aider et à soutenir les autres. Nous l’avons particulièrement constaté en 1998 lorsque d’importantes inondations ont touché la Transcarpatie, où des centaines, oui, des centaines de personnes ont perdu leur maison et tous leurs biens en l’espace d’une nuit.

En moins de deux jours un groupe de frères étaient sur les lieux et formaient des comités de secours. Ces derniers planifiaient le genre d’aide à apporter à chaque famille, à chaque village. Deux villages en particulier ont été durement touchés : Vari et Vitchkov. En seulement deux ou trois jours, on avait déterminé comment porter assistance à telle ou telle famille et qui leur viendrait en aide. Des frères sont alors arrivés en camion et ont commencé à déblayer les tonnes de boue.

Ils ont apporté du bois sec, ce qui a étonné tout le monde dans cette zone. Les non-Témoins étaient stupéfaits. Une sœur de Vitchkov se trouvait sur les lieux où une équipe de frères étaient en train de pelleter la boue. Un correspondant de presse s’est adressé à elle pour lui demander : “ Connaissez-​vous ces gens ? ”

“ Je ne les connais pas bien, a-​t-​elle répondu, parce que nous parlons des langues différentes — le roumain, le hongrois, l’ukrainien et le russe. Mais je sais une chose : ce sont mes frères et sœurs, et ils m’aident. ”

En l’espace de deux ou trois jours les frères ont envoyé des secours ; ils ont pris soin de toutes les familles, qui ont été relogées à d’autres endroits. Toutefois, au bout de six mois, presque toutes les maisons des frères et sœurs avaient été reconstruites, et les Témoins étaient les premiers de la région à aller vivre dans leurs nouveaux foyers.

[Graphique, page 254]

(Voir la publication)

Pionniers permanents en Ukraine (1990-​2001)

10 000

8 000

6 000

4 000

2 000

0

1990 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2001

[Graphique, page 254]

(Voir la publication)

Témoins de Jéhovah en Ukrainea (1939-​2001)

120 000

100 000

80 000

60 000

40 000

20 000

0

1939 1946 1974 1986 1990 1992 1994 1996 1998 2001

[Note du graphique]

a Les chiffres des années 1939-​1990 sont approximatifs.

[Cartes, page 123]

(Voir la publication)

RUSSIE

BÉLARUS

POLOGNE

VOLHYNIE

GALICIE

Lvov

TRANSCARPATIE

BUCOVINE

UKRAINE

KIEV

Kharkov

Dniepropetrovsk

Lougansk

Zaporožje

Donetsk

Odessa

CRIMÉE

MOLDAVIE

ROUMANIE

BULGARIE

TURQUIE

MER NOIRE

[Illustrations pleine page, page 118]

[Illustration, page 127]

Vojtek Tchehy.

[Illustration, page 129]

La première assemblée dans la ville de Borislav (Galicie), en août 1932.

[Illustration, page 130]

Assemblée à Solotvyno (Transcarpatie), en 1932.

[Illustration, page 132]

Pendant 40 ans, Maria et Emil Zarysky ont accompli fidèlement leur activité de traducteurs.

[Illustration, page 133]

Le premier dépôt de publications en Ukraine se trouvait dans cette maison, à Oujgorod, de 1927 à 1931.

[Illustration, page 134]

Un groupe prêt à monter dans un autocar pour aller prêcher dans la région de Rakhiv, dans les Carpates (1935) : 1) Vojtek Tchehy.

([Illustration, page 135]

Un vieux disque pour phonographe, “ La religion et le christianisme ”, en ukrainien.

[Illustration, page 136]

La congrégation de Kosmak, en 1938 : 1) Mykola Volotchi a vendu l’un de ses deux chevaux pour acheter un phonographe.

[Illustration, page 137]

Ludwik Kinicki, un ministre zélé qui est mort fidèle à Jéhovah dans un camp de concentration nazi, et dont beaucoup se souviennent avec affection.

[Illustrations, page 142]

Illia Hovoutchak (en haut à gauche) se rendant à cheval dans les montagnes, avec Onoufri Ryltchouk, pour prêcher ; (à droite) avec sa femme, Paraska. Frère Hovoutchak a été exécuté par la Gestapo après avoir été dénoncé par un prêtre catholique.

[Illustration, page 146]

Anastasia Kazak (1) avec d’autres Témoins libérés du camp de concentration du Stutthof.

[Illustrations, page 153]

Ivan Maksymiouk (à gauche avec sa femme Ievdokia) et son fils Mykhaïlo (à droite) ont refusé de renoncer à leur fidélité.

[Illustration, page 158]

Premières publications bibliques en ukrainien.

[Illustration, page 170]

À l’âge de 20 ans, Gregori Melnyk devait s’occuper de ses deux petits frères et de sa sœur.

[Illustration, page 176]

Maria Tomilko est demeurée fidèle malgré 15 années d’emprisonnement.

[Illustration, page 182]

Noutsou Bokotch lors d’une courte entrevue avec sa fille, en 1960.

[Illustrations, page 185]

Lydia et Oleksi Kourdas (en haut) ont été arrêtés et envoyés dans des camps différents quand leur fille, Halyna, avait 17 jours ; Halyna Kourdas, à l’âge de trois ans (à droite) : cette photo a été prise en 1961, alors que ses parents étaient toujours en prison.

[Illustration, page 191]

La veille au soir de leur mariage, Hanna Chichko et Youri Kopos ont été arrêtés et condamnés à dix ans d’internement dans un camp. Ils se sont mariés dix ans plus tard.

[Illustration, page 191]

Youri Kopos a passé près d’un tiers de siècle dans les prisons et les camps de travail soviétiques.

[Illustration, page 194]

Pavlo Ziatek a consacré sa vie entière au service de Jéhovah.

[Illustration, page 196]

Lettre de Nathan Knorr, datée du 18 mai 1962, à l’intention des frères de l’URSS.

[Illustration, page 214]

Les publications pour l’Ukraine et les autres parties de l’Union soviétique étaient imprimées dans des bunkers comme celui-ci, dans l’est de l’Ukraine.

[Illustration, page 216]

En haut : La colline boisée, au cœur des Carpates, où Ivan Dziabko travaillait dans un bunker dont l’emplacement était tenu secret.

[Illustration, page 216]

Ci-dessus : Mykhaïlo Dioloh, assis près de ce qui servait d’entrée au bunker où il fournissait du papier à Ivan Dziabko.

[Illustration, page 216]

À droite : Ivan Dziabko.

[Illustration, page 223]

Au cours des 21 années que Bela Meysar a passées en prison, sa femme, Régina, a parcouru au total plus de 140 000 kilomètres pour lui rendre de fréquentes visites.

[Illustration, page 224]

Mikhaïl Dasevitch a été nommé serviteur responsable pour le pays en 1971.

[Illustration, page 233]

L’enregistrement des Témoins de Jéhovah en Ukraine, le 28 février 1991, a été le premier du genre sur le territoire de l’URSS.

[Illustrations, page 237]

Lors de l’assemblée internationale à Kiev, en 1993, 7 402 personnes se sont fait baptiser — le nombre de baptêmes le plus élevé de l’histoire moderne du peuple de Dieu jamais enregistré à une assemblée.

[Illustration, page 246]

La remise des diplômes de la première classe de l’École de formation ministérielle à Lvov, au début de l’année 1999.

[Illustration, page 251]

En haut : Le complexe de Salles du Royaume où la famille du Béthel a effectué son activité de 1995 à 2001.

[Illustration, page 251]

Au milieu : La maison utilisée par la famille du Béthel de 1994 à 1995.

[Illustration, page 251]

En bas : La Salle du Royaume de la ville de Nadvornaja — la première construite dans le cadre du nouveau programme de construction de Salles du Royaume en Ukraine.

[Illustrations, pages 252, 253]

1-3) Les bâtiments de la filiale d’Ukraine, récemment inaugurés.

[Illustration, page 252]

4) Le Comité de la filiale (de gauche à droite) : (assis) Stepan Hlinski, Stepan Mikevitch ; (debout) Andreï Semkovitch, Roman Yourkevitch, John Didur et Jurgen Keck.

[Illustration, page 253]

5) Theodore Jaracz, s’exprimant lors de l’inauguration de la filiale d’Ukraine, le 19 mai 2001.

    Publications françaises (1950-2025)
    Se déconnecter
    Se connecter
    • Français
    • Partager
    • Préférences
    • Copyright © 2025 Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania
    • Conditions d’utilisation
    • Règles de confidentialité
    • Paramètres de confidentialité
    • JW.ORG
    • Se connecter
    Partager