Chapitre 31
La haine acharnée du Québec contre Dieu et la liberté est démasquée et vaincue
JEAN: Quand on parle de 1950, les témoins de Jéhovah se rappellent en général qu’ils ont eu, cette année-là, leur premier congrès international au Yankee Stadium de New York. Mais 1950 a aussi été une année marquante en ce qui concerne le Canada. En effet, elle a apporté la première de toute une série de victoires juridiques qui devaient battre en brèche, au Canada, l’opposition des adversaires du culte pur, comme l’avaient fait les décisions mémorables rendues par la Cour suprême des États-Unis en faveur des témoins de Jéhovah.
Depuis plusieurs années, la lutte pour la liberté des cultes faisait rage dans toute la province du Québec, bastion de la Hiérarchie catholique romaine où on parle le français. C’était une lutte ardente et opiniâtre. C’est pourquoi je trouve que nous ferions bien d’évoquer ces événements avant de parler du congrès tenu au Yankee Stadium.
Remontons à l’année 1946. Cette année-là, le serviteur de la filiale du Canada insistait, dans le rapport annuel adressé au président de la Société, sur la nécessité d’accomplir un effort concerté pour atteindre les personnes affamées de vérité:
Dans les provinces du Québec et du Nouveau-Brunswick, de vastes territoires n’ont pas encore été touchés par notre action. Sur les onze millions et demi d’habitants que compte le pays, trois millions et demi peuplent ces deux provinces. Il est du plus haut intérêt de remarquer que près de 10 700 proclamateurs [visitent] les huit millions d’habitants du reste du Canada (...), tandis que (...) 500 proclamateurs [desservent] ces deux provinces. Montréal, dont la population dépasse le million, en a la plupart [300]. Le temps est venu où l’évangile doit être prêché à ceux qui dans ces provinces sont entourés de ténèbres. Les Canadiens français sont gens de loyauté et de sincérité et quand leurs yeux se dessillent pour voir la vérité, ils ont une grande joie à chanter le joyeux cantique nouveau. Notre travail rencontre une forte résistance dans ces régions, mais les proclamateurs de groupes et les pionniers ont une confiance absolue en Jéhovah; ils vont avec intrépidité de l’avant et ne désirent pas du tout travailler ailleurs.
Nous nous sommes opposés de toutes nos forces à tout ce qui a été tenté pour limiter la liberté d’adoration; et dans la catholique Québec la lutte se poursuivit avec une violence non diminuée. Les arrestations, les procédures et les actes de violence de la populace sont à l’ordre du jour. À Montréal et à Verdun, 800 citations en justice sont actuellement pendantes. (...) Dans ces villes, la lutte a pris un caractère si sérieux que tous se portent caution pour les frères et sœurs de Montréal pour plus de 100 000 dollars en nature, outre plus de 2 000 dollars versés en espèces. Dans ces provinces, il y a beaucoup de personnes qui appartiennent aux “autres brebis” du Seigneur et c’est pourquoi l’œuvre continuera à prospérer avec plus de solidité encore que jusqu’à présenta.
Or, la réponse à la question “Qu’allons-nous faire?” a été donnée à l’Assemblée théocratique tenue à Montréal, Québec, les 2 et 3 novembre 1946, soit peu avant la parution de ce rapport dans l’Annuaire (angl.) de 1947. La persécution n’avait pas réussi à décourager les 1 400 témoins qui se sont assemblés le samedi 2 novembre, ni les 1 800 personnes qui se serraient dans le local de réunion le dimanche 3 novembre. Au cours de la session de l’après-midi du dimanche, l’avocat de la Société, venu exprès du siège situé à Brooklyn, s’est adressé aux frères de langue française par le truchement d’un interprète. Il les a tous encouragés en insistant sur le fait que la loi garantissant la liberté des cultes dans la province du Québec est une garantie de la liberté tout aussi solide que la Constitution des États-Unis, et que les témoins de Jéhovah ont l’intention d’aller de l’avant dans la lutte pour cette liberté.
PARUTION D’UN TRACT “ARDENT”
Ensuite, toujours par le truchement d’un interprète, c’est le président de la Société qui s’est adressé à l’auditoire, attentif et curieux, en posant d’emblée cette question stimulante: “Qu’allons-nous faire?” Peu après, il a brandi un feuillet de quatre pages, imprimé en français, qu’il s’est mis à lire en grande partie d’après un manuscrit rédigé en anglais. Or, ce tract “ardent” portait le titre “La haine ardente du Québec pour Dieu, pour Christ et pour la liberté, est un sujet de honte pour tout le Canada”. Le premier paragraphe disait:
Avant que les dénégations, les protestations et les contre-accusations se mettent à gronder de la part des gardiens sacerdotaux de la province de Québec et soulèvent une frénésie absurde, veuillez raisonner calmement, sobrement et avec des facultés mentales lucides, sur l’évidence présentée à l’appui de l’accusation contenue dans l’en-tête ci-dessus. Les paroles provenant d’un service des lèvres fait à Dieu, à Christ et à la liberté, peuvent être aussi bon marché que le souffle libre employé à les prononcer, mais les actions parlent avec plus d’éloquence aux esprits bien-pensants. Et comme le dit la Parole de Dieu, “n’aimons pas seulement de paroles et de la langue, mais aimons en effet et en vérité”. (I Jean 3:18; Voir Bible catholique Crampon.) Votre esprit est-il assez raisonnable pour vous permettre de prêter l’oreille aux actions éloquentes qui parlent avec beaucoup plus de force que ne le font les mots faciles? Êtes-vous consentant et assez [intrépide] pour permettre que l’évidence soit pesée dans la juste balance de la Parole véridique de Dieu, et pour voir si le Québec apparaît sans amour pour Dieu, pour Christ et pour la liberté? Les quelques minutes ainsi employées par vous à réfléchir [vous laisseront le temps de] croire ensuite les dénégations violentes, les protestations et les contre-accusations fausses lancées par le Québec religieux, si vous le désirez encore. Mais pour le moment, faites une pause et considérez ceci (...)b.
Puis suivait une série de questions telles que celle-ci: “Est-ce l’amour pour Dieu qui anime la populace de Québec et lui fait déchirer des exemplaires de la Parole de Dieu, la Bible, la mettant en lambeaux et la livrant ensuite aux flammes?” Ces questions attiraient l’attention sur quelques-uns des actes scandaleux commis en raison de la haine du Québec pour la liberté des cultes. Plus loin, l’article relatait plusieurs cas où la populace s’était livrée à des voies de fait, comme par exemple dans le cas suivant:
Le 15 septembre 1945, à Lachine, une émeute [furieuse] éclata contre les témoins de Jéhovah qui annonçaient un discours biblique. Les assauts de la rue atteignirent toute leur ampleur lorsqu’un gros groupe de la population catholique établit le siège de la boutique et de la demeure de Joseph Letellier, lequel, avec trois autres témoins, était à l’intérieur. La glace de la devanture vola en éclats tandis que les pierres et les tomates étaient lancées à l’intérieur en une pluie constante. Le témoin Joyce fut frappé en pleine poitrine, et tandis que le témoin Letellier essayait de téléphoner à la police, un vandale se précipita à l’intérieur et frappa le vieillard à la figure, lui [faisant] une longue entaille au visage et [jetant] ses lunettes [sur le] plancher. Les témoins se barricadèrent à l’intérieur et durent subir la pluie de pierres pendant plus de cinq heures. Jusqu’à minuit, deux heures après que d’autres témoins eurent aidé les assiégés à s’évader sous le couvert de l’obscurité par un étroit passage de 25 pieds [8 mètres] à l’arrière, une populace en colère bombarda la bâtisse. La devanture entière fut [saccagée], et des horloges de prix à l’intérieur de la boutique furent détruitesc.
La responsabilité d’une conduite si odieuse a été franchement imputée au fait que l’État obéissait à l’Église, ainsi qu’à la domination exercée par les prêtres catholiques romains:
Un officier [de police] qui arrêtait un des témoins de Jéhovah dans la ville de Québec dit au témoin qu’il avait reçu l’ordre de le faire de M. Lavergne, le curé de la paroisse. [Le procureur de la ville, le greffier et le chef de police-adjoint déclarèrent à un avocat catholique français défendant un des témoins de Jéhovah] que les arrestations étaient illégales, mais qu’ils étaient tellement poussés par le clergé qu’il leur fallait rendre la chose le plus difficile possible pour les témoins. On déclara à quatre témoins arrêtés dans la ville de Québec, et cela venait de représentants du département de la police, que des délégations du palais épiscopal venaient quotidiennement, qu’elles prétendaient avec insistance que les témoins étaient une menace pour l’Église catholique, et que c’était le devoir de la police de s’en débarrasser, légalement ou non. [Un chef-adjoint de la police] admit une fois qu’il n’était jamais aussi ennuyé par les prêtres que lorsqu’il y avait des causes pendantes contre les témoins de Jéhovah. Et, très souvent, on remarque que l’officier [de police] sort par la porte de derrière l’église ou du couvent avant de procéder aux arrestations! Oui, la Hiérarchie catholique domine si complètement les tribunaux de Québec que dans les salles des palais de justice l’image du crucifix prend la place des armoiries britanniques qui sont en évidence dans les autres cours à travers tout le Dominiond!
Le tract terminait par cet émouvant appel:
Vous, Québec, vous vous êtes soumis en serviteurs obéissants aux prêtres, et vous avez produit des récoltes abondantes de mauvais fruits. Maintenant, pourquoi ne pas étudier la Parole de Dieu, la Bible, [obéir] à ses commandements, et [voir] combien abondante sera la récolte de bons fruits [preuve de votre amour pour Dieu, pour Christ et pour la liberté] que vous produirez? Les yeux du Canada sont sur vous, Québece.
LA CAMPAGNE EST MENÉE AVEC “LA HAINE ARDENTE DU QUÉBEC”
Ce tract annonçait dans l’en-tête qu’il était publié en anglais, en français et en ukrainien. Le président de la Société a fait savoir que 1 000 000 d’exemplaires en avaient été imprimés en anglais, 500 000 en français et 75 000 en ukrainien. Il était prévu que la distribution gratuite de ce tract commencerait le 15 novembre 1946. Mais ce n’était pas tout. Le président a en outre annoncé que cinquante pionniers, d’entre ceux inscrits dans la prochaine classe de l’école biblique de Galaad, étudieraient le français pour aller ensuite prêcher au Québec et dans les Provinces maritimes, toutes sous la férule des prêtres. Soixante autres étudiants fréquenteraient la classe suivante dans le même butf.
En une action fulgurante de seize jours, ce feuillet fut distribué en anglais, en français et en ukrainien d’une extrémité à l’autre du Canada. La Hiérarchie catholique hurla sa fureur et passa à la contre-attaque. Elle ne tenta pas de nier ses méthodes honteuses, préférant user de ses armes de prédilection, la calomnie, le mensonge, la violence, et de l’oppression exercée par les partis politiques corrompus sur les pouvoirs exécutifs. En l’espace de 16 jours, 260 proclamateurs furent arrêtés par la police dans le secteur de Montréal, alors que dans les autres provinces du Canada aucun ne fut appréhendé. Maurice Duplessis, premier ministre de Québec, esprit fasciste et instrument de l’“Église”, lança le 4 décembre 1946 une flèche qui porta la désolation dans ses propres rangs: de propos délibéré il ruina le commerce florissant d’un témoin de Jéhovah, homme dont l’unique délit était de se porter caution pour ses frères. Cet abus d’autorité politique pour appuyer une persécution manifestement “religieuse” suscita la colère de tous les Canadiens amis de la liberté. L’affaire fut commentée par le public et beaucoup de personnes influentes prirent la parole ou la plume pour défendre la cause des témoins de Jéhovah et réprouver le procédé du premier ministre. Des associations et des sociétés tinrent dans tout le pays des assemblées de protestation; des résolutions furent votées et adressées au gouvernement Duplessis. Des journalistes qualifièrent le premier [ministre] de “César volage”, d’“allié de Franco”, de “représentant général du fascisme”, etc. L’un d’eux déclara: “L’affaire des témoins de Jéhovah a indigné la population du Canada comme rien ne l’avait fait depuis longtemps.”
Les ennemis de la vérité, à Québec, prouvèrent par leur dureté que le titre du feuillet: “La haine ardente du Québec pour Dieu, pour Christ et pour la liberté” n’était pas encore assez précis. En effet, il devint indispensable, dans notre combat pour la liberté d’adorer Dieu, de faire connaître au public comment ils persécutaient les enfants de Dieu. C’était là un témoignage contre eux que devaient entendre tous les amis de la liberté. Le second feuillet, “Québec! vous avez manqué à votre peuple!”, fut distribué en janvier, par un très grand froid, dans le Canada tout entier et en trois langues comme le premier. Il s’ensuivit des arrestations quotidiennes (une trentaine de personnes étaient jetées en prison en un seul jour). Il suffisait souvent d’être monté dans un tramway pour se voir saisir. (...) De novembre à février, donc en quatre mois, 843 proclamateurs furent arrêtés, ce qui portait le nombre total des causes pendantes devant les tribunaux à plus de 1 300. La plupart des arrestations avaient pour prétexte le “colportage”. La haine des adversaires était si véhémente que 64 frères furent accusés de “sédition” et de “conspiration”g.
QUELQUES-UNES DES MÉTHODES EMPLOYÉES PAR LES ADVERSAIRES SONT PORTÉES À LA CONNAISSANCE DU GRAND PUBLIC
Ce second tract devait commenter d’autres aspects de la discrimination malveillante pratiquée par Duplessis:
Les premières arrestations faites durant la distribution de la feuille le furent pour manque de permis, mais les journaux déclarèrent que Duplessis allait faire arrêter de nouveau, sous de nouvelles accusations, celles de “conspiration et de distribution d’écrits diffamatoires et séditieux”, tous les témoins qui avaient été arrêtés durant les deux dernières semaines du mois de novembre. Deux semaines après avoir lancé la poussée contre les témoins, Duplessis, dont l’intolérance est avouée, déclara à la presse: “La propagande des témoins de Jéhovah ne peut pas être tolérée et il y a plus de 400 d’entre eux maintenant devant les tribunaux de Montréal, Québec, Trois-Rivières et d’autres centres.” Les arrestations s’élevèrent jusqu’à trente par jour, et à la fin de novembre il y avait plus de 1 000 causes pendantes devant les cours de Québec. Certains témoins avaient jusqu’à 43 causes contre eux. Des demandes de cautions exorbitantes s’élevèrent jusqu’à $500 comptant ou $950 sur propriété.
À travers toutes ces épreuves les témoins de Jéhovah prouvèrent leur amour inextinguible pour Dieu par l’obéissance à son commandement de prêcher. En demeurant fermes dans l’esprit de liberté, ils rendent plus assurées les libertés civiles de tous les hommes. Mal compris, diffamés, critiqués, houspillés, repoussés dans toute la province, poursuivis systématiquement et arrêtés abusivement, retenus ensuite à cause des demandes de cautions exorbitantes dans des prisons infestées de vermine et de microbes, ils ont cependant maintenu leur intégrité envers Dieu, et ils retournent à Son service dès qu’ils sont relâchés. Et c’est à se demander quelle est l’épreuve la plus dure, les prisons immondes ou le travail dans le champ. Quelquefois des jeunes gens catholiques précèdent les témoins de porte en porte, avertissant et prévenant les gens, ou encore, ils les suivent, ramassent les feuilles et les détruisent. Des personnes qui aimeraient les lire sont souvent craintives à cause de leurs voisins. Dans les districts plus arriérés où les gens ne sont que de simples marionnettes des prêtres, aussitôt que trois ou quatre maisons ont été visitées, [le maître de maison] de la première sort en criant des menaces et en soulevant le voisinage. Bientôt on peut voir beaucoup de personnes sur le seuil de leurs portes ou dans la rue remplissant l’air de propos insultants et de jurons, tandis que d’autres téléphonent à la police. Souvent les témoins doivent travailler une demi-douzaine de maisons, s’en aller dans un autre secteur et y travailler quelques minutes, et retourner ensuite finir le premier secteur commencé. Ce serait une épreuve navrante et insupportable s’il n’y avait pas la force réconfortante et l’esprit de Jéhovah Dieu.
Des chefs catholiques farouches coopèrent étroitement avec la police pour faire prendre ces ministres chrétiens. Dans la ville bien connue de Québec, les Ligues du Sacré-Cœur imprimèrent une feuille de 24 × 30 cm en français demandant à tous les catholiques de travailler avec la police pour courir après tous les témoins de Jéhovah. Imprimée en gros caractères noirs, suivant la mode des annonces tapageuses, elle contenait un message du chef de police. Elle annonçait avec fanfaronnade que “La chasse à l’homme contre les témoins de Jéhovah se poursuit avec plus d’intensité que jamais”, et elle plaçait la radio-police à la disposition de tous “pour libérer les rues des témoins de Jéhovah”. Le numéro de téléphone de la radio-police y était étalé en évidence. C’est là une des méthodes modernes de la Hiérarchie pour chasser les “hérétiques” en vue d’une autre inquisitionh.
UNE PÉTITION POUR UNE DÉCLARATION ÉCRITE FIXANT LES DROITS DU CITOYEN
De telles méthodes n’ont cependant pas réussi à arrêter la prédication de la bonne nouvelle. Écoutez ce que nous apprend encore le rapport rédigé par le serviteur de la filiale du Canada:
Cette furieuse et sauvage attaque de nos ennemis ne réussit pas à intimider les fidèles serviteurs du Tout-Puissant, ni à troubler leur paix. Ils supportèrent les tribulations en bons soldats de Christ en affirmant leur position. Et voici que les forces de la justice furent de nouveau appelées à combattre. Le 2 mars, chaque groupe de témoins au Canada fit une conférence publique sur ce thème: “La lutte pour la liberté d’adorer Dieu à Québec. Canadiens, réveillez-vous, ouvrez les yeux sur les réalités!” Les raisons de cette lutte y furent révélées. Les regards du peuple entier étaient fixés sur nous. Les journaux du pays accueillirent pratiquement le litige et beaucoup d’hommes de bonne volonté virent clair, tandis que les religionistes s’irritaient des rapports très favorables pour nous que la presse apportait. Nombre de journaux de Québec “écumaient de rage”. Cependant la lutte suivait son cours. Les conférences publiques du 2 mars n’étaient que les préliminaires d’une action s’étendant à tout le Canada aux fins d’inviter le peuple à signer une pétition réclamant au gouvernement un “Bill of Rights” [ou déclaration écrite] pour la garantie de la liberté de parole et d’adoration de Dieu. Cela faisait partie de la lutte engagée. Les citoyens canadiens ne jouissent de leurs droits et libertés qu’en vertu de tolérance ou d’accord tacite. Ils ne leur sont pas garantis. Une loi qui assurerait les droits civiques nous permettrait de poursuivre longtemps la lutte pour ladite liberté. L’action eut lieu au rude mois de mars, par une température de plusieurs degrés au-dessous de zéro. La pétition — la plus importante qu’ait reçue le Parlement — était signée par un demi-million de Canadiensi. Cette pétition et les milliers de lettres adressées aux membres du Parlement pour demander un “Bill of Rights” engagea le gouvernement à instituer un comité qu’il chargea d’étudier la question. Une partie des difficultés était redevable au fait qu’il n’existe pas de possibilité de recourir aux tribunaux [supérieurs]. À Québec on ne peut pas en appeler du jugement des magistrats d’une ville. On fit donc des démarches pour obtenir le droit de recourir à la Cour suprême. Ainsi, le litige relatif aux libertés civiques suscité par la conduite loyale des témoins de Jéhovah a amené des milliers de Canadiens amis de la liberté à reconnaître l’insuffisance des lois.
Nous avons usé de tous les moyens légaux connus ainsi que de méthodes pratiques inédites pour porter les affaires devant les tribunaux supérieurs. Chaque fois qu’un tribunal nous refusait la protection, nous en appelions à un autre et parvînmes finalement jusqu’à la Cour suprême. Mais on nous fit savoir que cette Cour même n’avait aucune compétence pour juger nos causes. Celles-ci revinrent donc aux tribunaux de première instance. Malgré tout cela, le zèle du peuple de Dieu ne se refroidit point et la lutte recommença. Ce furent procès, recours, requêtes, propositions, pourvois d’un genre spécial, dans chacun des innombrables cas. Aucune cause ne fut abandonnée avant que nous n’eussions épuisé toutes les possibilités de défense.
La haine frénétique de quelques fonctionnaires de Québec se manifesta de la façon suivante: la province promulgua une loi qui autorisait les communes à interdire la [distribution] d’écrits. Une peine d’emprisonnement de trois mois ou une amende de cent dollars pourraient être imposées pour une unique feuille volante. Ces ennemis pensaient que, désormais, les témoins de Jéhovah ayant perdu leur beau courage, ils pourraient s’abattre sur eux comme des vautours sur leur proie blessée; ils voyaient déjà les frères et sœurs sans défense. Mais nous fûmes dirigés d’une autre manière et eux, les adversaires, virent leur plan déjoué. Les proclamateurs suivirent les instructions qu’ils avaient reçues: ils allèrent de maison en maison, à Québec, prêcher la bonne nouvelle du Royaume par la seule parole, à l’aide de la Bible, de la version (catholique) de Douay, autant que possible. Ils purent consacrer tout leur temps à cette prédication de l’évangile au lieu de languir dans d’infectes geôles. Guidés par le Seigneur nous serons victorieux, car il n’y a pas de puissance au monde qui puisse se dresser avec succès contre le Tout-Puissant. Nous ne sommes pas au bout de la lutte pour la liberté d’adorer Jéhovah, loin de là; c’est plutôt maintenant qu’elle commencej.
UNE SECONDE PÉTITION POUR UNE DÉCLARATION DES DROITS DU CITOYEN
Les frères du Canada ont donc agi selon les paroles de ce rapport et ont continué leur vaillant combat pour la défense du vrai culte. Puis, deux ans plus tard, ils ont fait circuler une nouvelle pétition, car certains prétendaient que beaucoup de personnes auraient refusé de signer la première pétition si elles avaient su, à l’époque, que celle-ci était en faveur des témoins de Jéhovah. Dans cette seconde campagne, menée en septembre et en octobre 1948, la pétition attirait donc clairement l’attention sur les persécutions des témoins de Jéhovah; d’ailleurs, le nom de “témoins de Jéhovah” figurait deux fois dans le texte de cette pétition. De plus, avant d’être invité à signer, chaque maître de maison se voyait offrir un exemplaire du tract intitulé “Lutte pour la liberté”, lequel exposait de nombreux faits concernant les témoins de Jéhovah et insistait sur la nécessité d’une déclaration écrite fixant les droits du citoyen. Parmi une population de 9 000 000 d’habitants que comptait alors le Canada, il a été distribué 1 490 000 exemplaires de ce feuillet.
Quel a été le résultat de cette campagne en ce qui concerne le nombre des signatures recueillies? Eh bien, “le 8 février 1949, M. Alistair Stewart, membre du Parlement pour le Winnipeg-Nord, (...) a pu montrer une pile de feuilles de pétition haute de plus de trois mètres et sur lesquelles figuraient 625 510 nomsk”. Dans tout le Canada, la réaction du public a été extrêmement favorable envers les témoins de Jéhovah qui avaient pris l’initiative dans cette lutte dont devaient bénéficier tous les Canadiens.
Finalement, en 1950, le cas de l’un des témoins de Jéhovah — arrêté pour avoir distribué le tract La haine ardente du Québec — est parvenu jusque devant la Cour suprême du Canada. Ignominieusement accusé du crime d’avoir répandu un libelle séditieux et diffamatoire, les tribunaux du Québec l’avaient condamné. Voici un bref récit du procès qu’on lui a fait:
En décembre 1946, à Saint-Joseph de Beauce, province de Québec, s’ouvrit une instruction contre Aimé Boucher, accusé d’avoir distribué le fameux tract dit séditieux. Le coupable fut traduit devant le juge catholique français, Alfred Savard, et devant un jury non moins catholique siégeant dans une atmosphère lourde de haine et de suspicion. Ce juge inique fut cruel; il ne cessa d’interrompre la défense, et fit constamment appel aux préjugés religieux du jury contre les témoins de Jéhovah. Sa conduite fut à ce point illégale qu’elle servit de prétexte au défenseur pour demander à la Cour suprême la révision du procès. Les ténèbres inséparables à la bigoterie, qui obscurcissaient cette affaire, furent déchirées par quelques rayons d’espoir de voir le jugement rectifié lorsque M. Letourneau, président de la Cour d’appel de Québec, et M. Galipeault, juge à la même Cour, désapprouvèrent l’inique Savard. Leur désaveu permit de porter l’affaire devant la Cour suprême siégeant à Ottawal.
DÉCHARGÉ DE L’ACCUSATION D’AVOIR DISTRIBUÉ UN LIBELLE SÉDITIEUX
Puis, il y a eu une suite d’événements sans précédent. Le différend dont nous venons de parler a été porté devant les cinq juges de la Cour suprême du Canada, qui s’est réunie du 31 mai au 3 juin 1949a. Par trois voix contre deux, ceux-ci se sont prononcés contre les témoins de Jéhovah, le 5 décembre 1949b. Mais lorsque la Cour suprême a été saisie d’une demande de révision par la Cour entière composée de neuf juges, il s’est produit une chose rare et inhabituelle: la demande a été acceptée! Quand la décision a été rendue, le 18 décembre 1950, seuls deux juges qui entendaient la cause pour la première fois se sont déclarés en faveur de l’acquittement. Et pourtant, ce jour-là, la Cour s’est prononcée par cinq voix contre quatre pour l’acquittement, parce que l’un des cinq juges qui avaient primitivement instruit l’affaire, un catholique d’origine irlandaise, est revenu sur sa propre décision et a jeté le poids de sa voix dans la balance de la justice, la faisant ainsi pencher du côté du droit et de la liberté réclamés par la minorité méprisée connue sous le nom de témoins de Jéhovah. Voici d’ailleurs quelques “perles” relevées dans l’un des avis émis par les juges dans cette affaire Boucher contre la Couronne:
Les incidents, comme on les décrit, sont le fait de Canadiens paisibles qui ne manquent pas d’humilité mais qui, pour avoir distribué, manifestement sans autorisation, des Bibles et des tracts sur les enseignements chrétiens, conduit des services religieux en association chrétienne dans des maisons ou propriétés privées et fait des conférences publiques exposant des vérités religieuses en accord avec leur croyance chrétienne, ont été, dans l’exercice de ce qui est reconnu pour être les droits inaliénables des Canadiens, attaqués et battus par des personnes seules et par la foule qui ont déchiré et détruit leurs Bibles et leurs publications (...).
Le comportement de l’accusé semble avoir été irréprochable; d’après l’enquête, c’est un citoyen exemplaire qui manifeste de la sympathie pour les doctrines de la religion chrétienne, quoique celles-ci soient, de toute évidence, différentes des versions qu’en donnent les protestants et les catholiques romains; mais le fondement est le même chez tous: Christ et ses rapports avec Dieu et l’humanité (...).
(...) mais personne ne peut contester que tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait pacifiquement, comme ils le prétendent, et à leurs yeux, dans l’intention d’apporter la lumière et la paix de la religion chrétienne aux âmes des hommes et des femmes. Cela revient à dire que leurs actes étaient légauxc.
Cet arrêt a été appelé la décision la plus remarquable de l’histoire judiciaire du Canada. En effet, il a brisé, une fois pour toutes, les chaînes rouillées qu’on avait forgées en s’appuyant sur la doctrine moyenâgeuse de la “monarchie de droit divin”, formulée dans la loi désuète sur la sédition qui datait de l’époque de la chambre étoilée, soit autant de vieux souvenirs que le procureur de la Couronne et les juges du Québec sont allés déterrer dans les catacombes de la législation anglaise de l’âge des ténèbres.
Toutefois, la lutte était loin d’être terminée au Québec après cette décision mémorable. Duplessis a insisté sur des poursuites judiciaires dans une centaine d’autres cas où les accusations étaient basées exactement sur le même documentd. Mais quelle avance les vaillants combattants pour le vrai culte ont enregistrée au Québec, bastion des catholiques romains! Au début de cette campagne, soit à peine quatre ans auparavant, il n’y avait que dix-huit congrégations: huit de langue française et dix de langue anglaise. Elles prenaient soin de quelque trois cents frères. Or, voyez la récolte de bons fruits qui a été produite par les quatre années de prédication faite malgré une pareille opposition: en 1950, il y avait trente-six congrégations, soit vingt et une de langue française et quinze de langue anglaise, lesquelles servaient plus d’un millier de frères! Pour leur prêter main forte dans cette lutte pour la liberté d’adorer Dieu, il y avait 164 combattants de première ligne, comprenant quatre-vingt-trois pionniers ordinaires et quatre-vingt-un pionniers spéciaux. Soixante-trois d’entre ces derniers étaient diplômés de Galaade. Aucun doute n’était plus permis: les témoins de Jéhovah étaient en train de gagner du terrain!
LA LUTTE CONTRE L’ORDONNANCE SUR LA CENSURE PROMULGUÉE PAR LE QUÉBEC
Puis, 1953 a apporté une nouvelle victoire, marquant ainsi le point culminant d’une lutte de vingt ans menée contre la ville de Québec et la province du même nom. La ville de Québec avait en effet promulgué, en octobre 1933, une ordonnance sur la censure visant nettement à empêcher les témoins de Jéhovah de distribuer des Bibles et des écrits bibliques. Cette ordonnance stipulait:
Il est interdit de répandre dans les rues de Québec livres, brochures, prospectus ou tracts quelconques sans l’autorisation écrite du commissaire de policef.
En 1947, nos frères canadiens ont lancé une attaque contre cette ordonnance en intentant un procès à la ville de Québec dans le dessein d’obtenir une déclaration la qualifiant de suppression illégale de la liberté des cultes. Le juge de première instance a permis à la défense de faire venir à la barre des ecclésiastiques protestants, catholiques et juifs pour que ceux-ci exposent leur point de vue sur ce que les organisations religieuses devraient croire et faire. Ce procès a duré, en tout, une quinzaine de joursg. Le tribunal de première instance s’étant prononcé contre les témoins de Jéhovah, l’affaire a été portée devant la Cour d’appel du Québec où, le 13 mai 1952, la majorité des juges ont confirmé, malgré leur désaccord, la validité de ladite ordonnance sur la censure. Les frères ont alors interjeté appel devant la Cour suprême du Canada, où l’affaire a été débattue pendant sept jours à partir du 9 décembre 1952.
La question fondamentale portée devant la Cour suprême du Canada était de savoir s’il est permis de prêcher sans patente. Avant cette affaire qui devait faire date dans les annales judiciaires, la plupart des législateurs, avocats et juges canadiens étaient d’avis qu’il n’existait, au Canada, aucun document écrit garantissant la liberté de religion. Mais voilà qu’on a fait, au cours de ce procès, une découverte tout à fait exceptionnelle: on a retrouvé une loi sur la liberté des cultes qui était tombée dans l’oubli, mais toujours en vigueur. Cette loi avait été promulguée par le Parlement du Canada en 1852. Or, exactement cent ans plus tard, soit en 1952, les témoins de Jéhovah ont pu l’invoquer pour la première fois devant la Cour suprême du Canada pour leur défense.
LOÏS: Comment a-t-on pu faire une loi et ensuite la laisser tomber dans l’oubli? Pourquoi, en somme, a-t-elle été promulguée?
JEAN: C’est que, bien avant sa promulgation en 1852, il y avait eu, en Angleterre, une vive controverse religieuse entre les catholiques et les protestants pendant la guerre de Sept Ans. La loi canadienne était tout simplement une remise en vigueur d’une loi bien plus ancienne, la loi sur la liberté des cultes votée par le Parlement anglais à Londres après le traité de Paris (1763) dans le but de rendre effectives les dispositions dudit traité, de sorte que les Québécois catholiques de langue française soient à l’abri des persécutions religieuses infligées aux catholiques d’Angleterre pendant la guerre de Sept Ans. En 1867, lorsque les quatre premières provinces du Canada se sont unies pour former une confédération, cette loi est restée en vigueur. Depuis lors, il semble qu’elle soit tombée dans l’oubli faute d’être utilisée. C’est ainsi qu’elle n’avait plus été imprimée dans les codes de lois de l’Ontario depuis quarante ans, quand on l’a retrouvée. Par contre, dans le Québec, on l’avait réimprimée mais jamais utilisée. Cette ancienne loi stipule:
ATTENDU QUE la reconnaissance de l’égalité entre toutes les associations religieuses est un principe admis dans la législation coloniale; (...) qu’il soit déclaré (...) que le libre exercice et la pleine jouissance d’une croyance religieuse et d’un culte, sans distinction ni préférence, pourvu que cette liberté ne serve pas de prétexte à des actes de dérèglement ou à des pratiques incompatibles avec la paix et la sécurité de la Province, sont autorisés par la constitution et les lois de cette Province pour tous les sujets de Sa Majesté qui y habitenth.
VICTOIRE REMPORTÉE DANS L’AFFAIRE SAUMUR
Les avocats du Québec arguaient et soutenaient que les témoins de Jéhovah ne sont pas une dénomination religieuse, qu’on ne pouvait pas considérer leur façon de prêcher publiquement au moyen d’imprimés comme une pratique du culte protégée par la loi, que leurs critiques de la Hiérarchie catholique romaine constituaient des “actes de dérèglement”, et que leur refus de respecter la loi sur la censure était “incompatible avec la paix et la sécurité de la Province”; ils prétendaient enfin que l’ordonnance prise en 1933 au Québec n’était pas une mesure de censure mais simplement un règlement sur la circulation. Ces arguments ont été réfutés point par point par la majorité des juges de la Cour suprême qui, par cinq voix contre quatre, ont rendu un arrêt favorable aux témoins de Jéhovah, le 6 octobre 1953. Il s’agissait là d’une véritable victoire, remportée après une lutte de vingt ans et après une bataille juridique de six ans qu’il a fallu livrer dans une affaire dont la solution devait faire jurisprudence!
La presse canadienne a fait un accueil élogieux à cette décision. Voici quelques extraits empruntés à divers éditoriaux publiés à ce propos:
UN VERDICT EN FAVEUR DE LA LIBERTÉ DES CULTES
En soutenant le droit des témoins de Jéhovah de répandre des publications dans les rues sans restriction, la Cour suprême du Canada a libéré d’un fardeau la conscience de ce pays. Les citoyens des deux langues principales et de toute croyance, exempts de préjugés, s’inquiètent depuis longtemps de la tendance à persécuter indirectement certaines opinions. Au Québec notamment cette décision dans l’affaire Saumur devrait avoir comme résultat une déclaration de non-lieu dans les 800 cas analogues. Elle signifie que personne au Canada n’a besoin d’une autorisation pour adhérer à une doctrine religieuse. Ce verdict est une des quelques décisions judiciaires qui, durant ces dernières années, ont défini la liberté civile dans les provinces et le pays tout entier. (...) Dans un pays libre, on doit permettre à la minorité d’essayer de changer l’opinion de la majorité, quelle qu’en puisse être l’issue. Les Canadiens peuvent être fiers de la vigilance de leurs tribunaux qui ne permettent pas l’intolérance, laquelle supprimerait peu à peu toute libertéi.
LA LIBERTÉ DE CROYANCE
La majorité des juges de la Cour suprême du Canada a établi par une décision d’une portée considérable un principe important qui est à la base des libertés civiles du Canada. (...) Le jugement déclare qu’aucune juridiction inférieure, celle d’une Province ou d’une municipalité par exemple, ne peut restreindre les droits et les libertés que possède constitutionnellement tout citoyen du pays, où qu’il habite. (...) Le juge Kellock a fait ressortir un point très important en attirant l’attention sur le fait que l’ordonnance était conçue de telle sorte qu’on pouvait l’appliquer de diverses manières. Il a déclaré qu’elle n’établissait aucun règlement, si ce n’est que l’on ne peut répandre que les écrits autorisés par le censeur (car le commissaire de police remplit effectivement ce rôle). Le facteur décisif serait le contenu des écrits. On pourrait appliquer la même ordonnance contre certains partis politiques ou certains journaux. Il est évident qu’accorder des pouvoirs aussi étendus à un simple fonctionnaire municipal (que ce dernier s’en serve ou non) constituerait une atteinte flagrante aux droits civils élémentaires. Il est invraisemblable que ceux qui ont élaboré notre constitution aient eu pareille intentionj.
LA LIBERTÉ DE RELIGION
Par sa décision serrée dans un nouveau cas impliquant les témoins de Jéhovah, la Cour suprême a soutenu un principe important, à savoir qu’un homme doit pouvoir pratiquer librement ses croyances religieuses. (...) Il nous faut applaudir à cette décision. (...) Il est mal d’entraver le culte d’autrui. Le fait que la victime professe une croyance qui n’est pas populaire n’a aucune importancek.
THOMAS: Comment les autorités du Québec ont-elles réagi? Se sont-elles inclinées devant la décision rendue par la Cour suprême?
JEAN: Oh! non, surtout pas le premier ministre Duplessis. Voici, à ce propos, le rapport du serviteur de la filiale du Canada:
Le 6 octobre 1953 le Tribunal suprême du Canada rendit son jugement dans l’affaire relative à l’exercice de la censure et impliquant la ville et la province de Québec. Une grande publicité fut donnée à cet arrêt par la distribution spéciale, à travers tout le pays, de milliers et de milliers d’exemplaires de Réveillez-vous! du 22 novembre 1953. Cette décision avait pour effet de mettre un frein au zèle intempestif de M. Duplessis, premier ministre de Québec. Cependant, il soumit peu après à l’Assemblée législative de la province de Québec sa fameuse et injuste loi No 38 qui se moquait du verdict du Tribunal suprême et était dirigée directement et spécifiquement contre les témoins de Jéhovah. La loi passa rapidement les Chambres basse et haute et prit force de loi dans la province. On en éprouva probablement un sentiment de satisfaction dans le camp de nos ennemis, mais il fut de courte durée, car une action fut engagée devant les tribunaux tendant à obtenir qu’un ordre soit adressé à Duplessis lui enjoignant d’avoir à suspendre toute procédure fondée sur cette loi. Cette affaire est pendante. L’effet désiré a été obtenu car la loi ne peut être appliquée à présent et l’œuvre de la proclamation du Royaume progresse rapidement dans toute la province.
Les missionnaires et les pionniers spéciaux continuent à travailler durement en prêchant l’évangile, surtout dans la province de Québec. À la fin de l’année de service écoulée 56 missionnaires travaillant dans 19 localités de la province nous ont envoyé leurs rapports qui nous montrent qu’un excellent service est accompli par l’établissement solide de têtes de pont théocratiques dans cette partie du champ de travail. De temps à autre il faut soudain faire face à l’action violente de la populace et à l’intervention de fonctionnaires locaux. Nos adversaires usent aussi de menaces et d’intimidation à l’égard de ceux qui osent accorder l’hospitalité aux missionnaires. Il y a cependant beaucoup de personnes au cœur sincère qui prennent fermement position pour la véritél.
Tard dans l’année 1959, l’affaire de la loi No 38 se trouvait toujours devant les tribunaux du Québeca.
LE VENT TOURNE ENFIN
Voilà que l’atmosphère saturée d’intolérance religieuse s’est éclaircie brusquement dans le Québec. On pouvait apercevoir partout dans le ciel de grandes trouées bleues et, même dans quelques-uns des territoires qui avaient été très difficiles, le soleil commençait à percer. Écoutez le fait suivant relaté par le serviteur de la filiale du Canada dans une lettre qu’il a écrite au président de la Société:
Nous venons d’apprendre un cas intéressant que tu seras content de connaître à ton tour. Il montre comment la décision rendue par les tribunaux aide nos frères. La chose s’est produite dans l’une des unités de Montréal, ville très dure où les prêtres ont toujours l’œil sur les témoins de Jéhovah. Ceux-ci allaient de porte en porte un dimanche matin. Un prêtre rassembla des jeunes gens pour essayer de faire pression sur les témoins et de les forcer ainsi à quitter le territoire. L’un de nos frères s’empressa alors de dire au prêtre que nous avions le droit de faire cette œuvre et qu’il appellerait lui-même la police si on continuait de les molester. À quoi le prêtre répondit: “Bon, allez-y, appelez donc la police.” C’est ce que le frère fit. Et la police vint voir sur place. Le prêtre se mit alors à essayer de donner aux agents l’ordre de chasser les témoins du quartier. Mais le frère leur expliqua que nous avions le droit de prêcher, que les tribunaux s’étaient prononcés en notre faveur et que la police ne devrait pas intervenir contre nous. Sur ce, les agents de police répétèrent au prêtre que les témoins de Jéhovah étaient autorisés par la loi à faire leur œuvre. Mais le prêtre se mit à argumenter avec eux et à déclarer: “Qu’ils aient ce droit aux yeux des tribunaux ou non, ils agissent à l’encontre de nos dispositions.” Puis les agents essayèrent de raisonner avec le prêtre, mais rien n’y fit. Alors ils se fâchèrent et dirent au prêtre que s’il ne voulait pas être raisonnable, ils devraient l’emmener au commissariat. Cependant, cette menace n’eut aucun effet sur le prêtre. Celui-ci continua d’argumenter avec eux, si bien qu’ils finirent par lui dire: “Vous feriez mieux de monter dans notre voiture. Suivez-nous au commissariatb.”
LOÏS: J’aurais eu de la peine à imaginer qu’un changement aussi radical puisse intervenir un jour. Mais si les témoins de Jéhovah n’avaient pas insisté pour faire la volonté de Dieu plutôt que celle des hommes, une chose pareille ne se serait jamais réalisée, n’est-ce pas?
JEAN: Non, mais la victoire remportée au Québec par les témoins de Jéhovah devait encore avoir une plus grande portée. Leur persévérance, face à des forces bien supérieures, leur a non seulement apporté de nouvelles victoires qui allaient leur assurer la liberté pour leur activité de prédication, mais elle les a aussi justifiés d’avoir pris hardiment position pour le culte pur.
Vous vous rappelez sans doute l’un des exemples que nous avons cités tout à l’heure pour montrer comment la Hiérarchie catholique romaine avait essayé d’user de représailles contre les témoins à cause de la campagne avec le tract La haine ardente du Québec pour Dieu, pour Christ et pour la liberté. Nous l’avions emprunté au rapport annuel que le serviteur de la filiale du Canada avait adressé au président de la Société. Il y écrivait: “Maurice Duplessis, premier ministre de Québec, esprit fasciste et instrument de l’‘Église’, lança le 4 décembre 1946 une flèche qui porta la désolation dans ses propres rangs: de propos délibéré il ruina le commerce florissant d’un témoin de Jéhovah, homme dont l’unique délit était de se porter caution pour ses frèresc.”
Ce frère, un restaurateur bien connu à Montréal, s’était en effet porté caution dans 391 cas. Voilà la seule raison pour laquelle Duplessis lui a fait retirer la licence de débit de boissons alcooliques, mesure qui, à Montréal, ville de langue française, constituait pour cet homme un coup aussi dur que si Duplessis avait mis un cadenas à la porte de son restaurant. Or, ce boomerang inattendu lancé par le premier ministre, et que le serviteur de la filiale a mentionné, devait recevoir une telle publicité qu’il a soulevé un tollé général partout au Canada. Mais tout le poids de cet acte d’intolérance, commis par Duplessis, allait bientôt retomber sur lui-même et le frapper comme une gifle donnée en pleine figure.
Entre-temps, un autre incident s’est produit qui devait, lui aussi, avoir des conséquences d’une grande portée et infliger une défaite retentissante aux forces que Duplessis avait mobilisées contre Dieu et les vrais chrétiens. Cet incident s’est produit à peine trois jours après que les moyens d’existence du frère de Montréal avaient été ruinés. Écoutez le récit de ce qui est arrivé:
Le 7 décembre 1946 (...), Paul Benoit, officier de la police provinciale, arrêta à Verdun (Québec) Louise Lamb, ministre de l’Évangile. Benoit avait reçu l’ordre d’arrêter tout témoin de Jéhovah qu’il trouverait en train de répandre la feuille intitulée “La haine ardente du Québec”. Quoique Mlle Lamb n’eût en sa possession aucune de ces feuilles, elle fut néanmoins appréhendée de façon arbitraire.
L’arrestation eut lieu le samedi et la jeune femme fut détenue pendant tout le week-end sans qu’aucune accusation n’ait été formulée contre elle. On ne lui permit même pas de téléphoner à ses amis ou à son avocat. On la photographia et on lui prit les empreintes digitales comme s’il s’agissait d’une vulgaire criminelle. Le lieu de détention au poste de police était immonde. Mlle Lamb devait partager la cellule d’une prostituée rongée par la maladie, et utiliser les mêmes commodités qu’elle.
Le lundi, après lui avoir infligé un traitement aussi infâme, Benoit déclara à Mlle Lamb qu’il avait une “bonne nouvelle” à lui annoncer: il allait lui rendre la liberté. Cependant, il l’invita à signer une déclaration par laquelle elle s’engageait à ne pas intenter une action contre lui à cause de sa détention illégale de trois jours dans des conditions aussi révoltantes. Benoit menaça d’entamer des poursuites si elle ne signait pas. Bien que seule dans des circonstances aussi difficiles, Mlle Lamb resta fidèle aux principes justes et refusa de signer. Benoit engagea des poursuites, mais le tribunal rendit une ordonnance de non-lieu.
Mlle Lamb intenta une action judiciaire contre Benoit pour arrestation injustifiée et poursuites intentées par malveillance. L’affaire passa au tribunal de première instance, puis à la cour d’appel, mais ces deux tribunaux déboutèrent la plaignante en invoquant un vice de forme. C’est pourquoi la Cour suprême fut saisie de l’affaire, afin qu’elle soit mise au courant des mauvais traitements infligés aux témoins de Jéhovahd.
Cette affaire a été entendue par la Cour suprême en même temps que l’action en dommages et intérêts intentée par le frère de Montréal contre Duplessis. L’attention de tout le Canada s’est aussitôt portée sur l’issue de ce procès. La Cour suprême était elle-même mise sur la sellette. En effet, deux fonctionnaires, l’un du plus haut rang et l’autre d’un rang tout à fait inférieur, étaient accusés d’avoir abusé de l’autorité que leur conférait leur poste officiel pour causer de propos délibéré un préjudice à de simples citoyens. L’officier de police du Québec qui avait opéré l’arrestation arbitraire allait-il échapper au châtiment? La personnalité politique la plus puissante de la province du Québec, l’arrogant premier ministre et avocat de la Couronne, homme sans scrupule, allait-il pouvoir continuer d’affirmer en substance: “La loi, c’est moi”?
La situation était sans précédent dans l’histoire du Canada. Mais en prononçant ses deux arrêts mémorables, le 27 janvier 1959, la Cour suprême a fait honneur à l’administration de la justice au Canada. Les manchettes et les comptes rendus de la presse écrite exaltaient, à travers tout le pays, la victoire remportée par les témoins de Jéhovah grâce à leur persévérance: “La Cour suprême rend un verdict contre Duplessis”, “Duplessis perd son procès avec une secte”, “Duplessis condamné à payer”. Au témoin de Jéhovah de Montréal, qui s’était porté caution dans de nombreux cas, Duplessis a été condamné à payer 33 123 dollars, plus les intérêts et les frais de justice que le Star de Montréal a évalué entre 20 000 et 30 000 dollarse. C’est ainsi que Duplessis a dû payer plus de 50 000 dollars pour action vindicative inspirée par ses sentiments catholiques. Quant à son officier de la police provinciale, Paul Benoit, il a été condamné à payer 2 500 dollars à la femme témoin de Jéhovah qu’il a arrêtée arbitrairement, plus les intérêts et les frais de justice.
La radio et la télévision sont venues ajouter leur voix pour commenter la défaite de Duplessis dans leurs émissions. Ces victoires étourdissantes ont été acclamées par tous les Canadiens épris de justice qui n’approuvaient pas les méthodes dictatoriales de Duplessis, et grande a été leur joie de le voir réduit à ses justes proportions. Les journalistes et les caricaturistes ne lui ont épargné aucune critique, et de manière franche et mordante, ils ont montré que la leçon publique donnée par la Cour suprême lui était bien appliquée.
Le Telegram, quotidien de Toronto, écrivait dans un éditorial:
Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada contre le premier ministre Duplessis est moins important comme décision en faveur de l’appelant (..) que comme déclaration protégeant les droits de l’individu contre l’abus de l’autorité. (...) Aucun homme, aussi élevée que soit sa position, ne peut commettre une injustice même à l’égard du plus humble de ses concitoyens. Aucune autorité ne peut abuser de son pouvoir pour priver une personne de ses droits. Même l’autorité doit s’incliner devant la loi et rendre compte de ses actes. La justice qui fait triompher la cause du plus humble, parce que celle-ci est juste, est digne de ce nomf.
Dans le Daily Star de Toronto, on pouvait lire:
Le premier ministre Duplessis, du Québec, disait en substance: “La loi, c’est moi.” La Cour suprême du Canada en a décidé autrement. Elle refuse de permettre à M. Duplessis ou à n’importe quel autre homme politique de tyranniser les citoyens canadiens et de fouler aux pieds leurs droits légauxg.
Le Citizen d’Ottawa a récapitulé la lutte victorieuse menée par les témoins de Jéhovah en faveur de la liberté et contre les empiètements de Duplessis:
De nombreux Canadiens sont persuadés que justice a été faite (...). Les lois de M. Duplessis, destinées à étouffer toutes les opinions qu’il n’approuve pas, ont été sérieusement battues en brèche. En 1950, lors de l’affaire Boucher, la Cour suprême débouta la province du Québec qui prétendait qu’une certaine feuille, répandue par les témoins de Jéhovah, constituait un “libelle séditieux”. En 1953, lors de l’affaire Saumur, la Cour suprême décida qu’une ordonnance municipale de la ville de Québec, invoquée pour faire cesser la distribution des publications des témoins de Jéhovah, enfreignait la loi du Québec sur la liberté des cultes. (...) Certes, ces défaites ont lié les mains [à Duplessis], mais aussi longtemps que le gouvernement commet de tels actes, les libertés civiles ne seront pas sauvegardées au Québech.
En tout cas, ces deux autres décisions venaient consolider plus fermement encore le puissant bastion, fait de principes juridiques, qui devait désormais protéger les droits des minorités contre les flots d’oppression et de destruction déchaînés par des autorités agissant au mépris de la loi. En effet, les témoins de Jéhovah ont livré, dans le Québec catholique, un dur combat qui n’est d’ailleurs pas terminé. Mais c’est grâce à la bonté imméritée, manifestée par Jéhovah, qu’il a été possible d’ouvrir publiquement la voie de la vérité et du culte pur à toute personne bien disposée. Quant à ceux qui, au Québec, nourrissaient une haine farouche contre Dieu, le Christ et la liberté, ils ont connu la consternation et la défaite.
[Notes]
a a wF 1947, pp. 108, 109.
b b Pour le texte intégral de ce feuillet, voir Réveillez-vous!, 8 mai 1947, pp. 8-12.
c c Ibid., pp. 9, 10.
d d Ibid., p. 11.
e e Ibid., p. 12.
f f Ibid.
g g wF 1948, pp. 347, 348.
h h Réveillez-vous!, 8 juin 1947, p. 4.
i i La pétition portant 500 967 signatures fut présentée à la Chambre des communes le 9 juin 1947. Réveillez-vous! (angl.), Vol. XXX, 8 mai 1949, p. 4.
j j wF 1948, p. 348.
k k Réveillez-vous! (angl.), Vol. XXX, 8 mai 1949, p. 5.
l l Réveillez-vous!, 8 juil. 1951, p. 3.
a m Réveillez-vous!, 8 juil. 1950, pp. 3-5, 9.
b n Ibid., p. 5.
c o [1951] S.C.R. 265, 285, 291 [voir aussi Réveillez-vous!, 8 juil. 1950, p. 4].
d p Annuaire (angl.) 1952, p. 107.
e q Annuaire (angl.) 1951, p. 123.
f r Réveillez-vous!, 8 mars 1954, p. 3.
g s Réveillez-vous!, 8 juil. 1949, pp. 3-5; 8 août 1949, pp. 15, 16.
h t Loi de 1852 de l’ancienne Province du Canada, 14-15 Victoria, c. 175.
i u Evening Citizen d’Ottawa, Ontario, 7 oct. 1953.
j v Globe and Mail, quotidien de Toronto, Ontario, 8 oct. 1953.
k w Herald, Montréal, Québec, 7 oct. 1953. Compte rendu sur les délibérations dans l’affaire Saumur, [1953] 2 S.C.R. 299.
l x wF 1955, p. 59.
a y wF 1959, pp. 47, 48.
b z Lettre de la filiale du Canada, A/AS, 27 janv. 1959, No 259.
c aa wF 1948, p. 347.
d bb Réveillez-vous!, 8 juil. 1959, p. 9.
e cc Star, quotidien de Toronto, 27 janv. 1959, p. 1.
f dd Telegram, quotidien de Toronto, 28 janv. 1959.
g ee Daily Star de Toronto, 28 janv. 1959.
h ff Citizen d’Ottawa, 28 janv. 1959.
[Illustration, page 240]
FAC-SIMILÉ DU TRACT “LA HAINE ARDENTE DU QUÉBEC”, DIFFUSÉ AU CANADA EN 1946, HAUT DE LA PAGE 1.