Que reproche-t-on au métro de New York ?
“BEAUCOUP de choses !” répondront les innombrables usagers. Les personnes qui n’ont pas besoin d’utiliser souvent ce moyen de transport ne peuvent être considérées comme des autorités en la matière. Pour parler en connaissance de cause, il faut être de ceux qui prennent le métro tous les jours, qui ne peuvent faire autrement, et qui subissent journellement les désagréments de la bousculade épuisante des heures de pointe.
Les usagers ne seraient pas en peine de signaler quantité de défauts qui ne sont que trop évidents : la saleté des couloirs et des quais ; le manque d’éclairage moderne ; les vieux trains qui, dans d’autres villes pourvues d’un métro, auraient sans doute été mis au rebut il y a longtemps ; le bruit assourdissant et les secousses violentes ; les retards dus au mauvais entretien du matériel. On ne peut donc s’empêcher de penser que pour quelque raison obscure, les frais généraux sont de loin supérieurs à ce qu’ils devraient être.
L’humeur des usagers s’assombrit de plus en plus. Bon nombre d’entre eux se plaignent de devoir “rester debout dans des wagons archicombles, de dix minutes à une heure, pendant que les trains sont bloqués ou que les portes refusent de se fermer en raison de pannes de courant ou de mécanismes défectueux”.
Ces désagréments sont-ils inévitables ?
Peut-on affirmer honnêtement que ces désagréments sont inévitables ? Certainement pas lorsqu’on sait que Mexico, ville beaucoup moins riche que New York, vient de construire un métro silencieux, d’une propreté impeccable, agréable, rapide et, surtout, économique. Au son d’une musique douce, les Mexicains attendent une rame pendant quelques minutes dans une de leurs jolies stations, tandis que les Américains attendent bien plus longtemps dans une station mal éclairée et où d’ailleurs un meilleur éclairage ne servirait qu’à rendre la saleté plus évidente.
Tandis que les New-Yorkais se frayent péniblement un chemin à coups de coude pour entrer dans leurs stations et en sortir, les habitants de Mexico jouissent des bienfaits d’une circulation à sens unique, car leur métro est pourvu d’entrées et de sorties indépendantes les unes des autres. Souvent, à New York, on subit des retards à cause des gens qui arrivent en courant à la dernière minute et qui tiennent les portes du wagon ouvertes à l’intention de leurs amis qui les suivent. À Mexico, il est impossible d’agir de la sorte. Lorsque la rame entre en gare, des portes automatiques se ferment de manière que seules les personnes se trouvant déjà sur le quai puissent monter dans le train. L’arrêt ne dure que dix-sept secondes.
Quant à l’état des stations et des rames new-yorkaises, il est évident que l’entretien et le nettoyage laissent à désirer. La dernière fois que les quais ont été lavés remonte sûrement à bien longtemps. On voit parfois ramasser les détritus, il est vrai, mais la crasse accumulée depuis des années demeure. Faut-il en déduire que de nombreux ouvriers ne travaillent pas consciencieusement ou qu’il n’y en a pas assez pour entretenir convenablement les lieux ?
À propos de propreté, on peut se demander également : Le public fait-il sa part dans ce domaine ? Les passagers jettent souvent des papiers de toutes sortes sur la voie et les quais. Chaque jour, on ramasse trente tonnes de détritus dans le métro new-yorkais.
L’effort fait par la régie des transports de Mexico pour entretenir de bons rapports avec le public, souligne le fait qu’à New York il manque incontestablement quelque chose, que ce soit de l’imagination, de la prévoyance, de la fierté ou une attitude positive. Est-ce la faute des usagers du métro s’ils arrivent à la conclusion que personne ne se soucie de la propreté des lieux ? Lorsqu’une telle idée se généralise, la saleté, les détritus et le vandalisme ne peuvent qu’augmenter.
Le métro de Mexico possède au moins deux nettoyeurs par station. Le vandalisme n’y est pas toléré. Dans toutes les stations, des gardiens sont prêts à intervenir en cas d’abus ou de négligence. Des photographies panoramiques montrant les progrès du pays, remplacent la publicité sur les murs. Les stations portent le nom d’un personnage ou d’un événement historique rattaché à l’endroit, et la décoration rappelle le même personnage ou événement.
Tout le monde reconnaît que le métro new-yorkais est bruyant. À Mexico, les rames roulent sans bruit sur pneumatiques. Elles sont munies de roues de sécurité métalliques qui fonctionnent en cas de dégonflement du pneumatique.
Le point de vue des autorités
Que disent les fonctionnaires de la Transit Authority de New York ? Comme l’a souligné le New York Times, beaucoup d’entre eux pensent qu’il ne s’agit pas “d’une question d’incompétence ou de négligence, mais d’un manque d’expérience. Ils attribuent les difficultés (...) à une clause du contrat (de 1968) des ouvriers des transports publics, laquelle concerne la retraite et les pensions”. En effet, cette clause autorise les membres du personnel du métro à prendre leur retraite au bout de vingt ans de service.
Des milliers de travailleurs ont profité de cette disposition et, bien entendu, ceux qui les ont remplacés manquent d’expérience. Selon un chef du service des réparations, l’année dernière, sur les 4 000 ouvriers que compte ce service, 1 400 ouvriers qualifiés prirent leur retraite. Il déclara également qu’au cours des quinze mois écoulés, sur 326 chefs de service, 270 ont dû être remplacés. “Tout cela, ajouta-t-il, ne peut manquer d’avoir des conséquences fâcheuses.” Cependant, est-ce là le fond du problème ? Tous les ouvriers du nouveau métro de Mexico n’ont pas d’expérience, eux non plus.
Certains fonctionnaires sont toutefois optimistes. Une augmentation des subsides permettra d’affecter plus d’ouvriers aux réparations des wagons. On prévoit également l’installation d’ordinateurs pour inventorier tout le matériel et simplifier l’inspection et la révision des wagons. De nouvelles dispositions permettront l’embauche rapide de travailleurs. Ces changements résoudront-ils toutefois les problèmes ?
Des décisions “in extremis”
Chaque année, le contrat entre les ouvriers et la direction du métro new-yorkais expire et donne lieu à des décisions prises “in extremis” devant la menace d’une grève. Le terme “in extremis” décrit bien les dramatiques négociations que l’on engage au tout dernier moment et par lesquelles les représentants des syndicats espèrent qu’il sera fait droit à leurs revendications, tandis que les représentants de la Transit Authority essaient de trouver le moyen de rejeter celles-ci. Le public en est déconcerté.
C’est ce qui ressort d’une lettre adressée au New York Times et qui disait : “Pourquoi ne peut-on pas entamer ces négociations assez longtemps avant la date limite pour qu’un accord intervienne à temps ?” En effet, il est peu raisonnable de permettre à un groupe de citoyens, qu’il s’agisse des syndicats ou de la direction, d’imposer sa volonté en usant de menaces dont le public est la première victime. Pour beaucoup de gens, le chaos et les désagréments qui ont accompagné la dernière hausse du prix du voyage, sont injustifiables.
La question du prix du voyage
Il est vrai que le métro new-yorkais est déjà vieux. La construction du réseau souterrain commença vers 1900. Il s’agit aussi du réseau le plus grand du monde, car il comporte près de 440 kilomètres de voies, environ 7 000 wagons et des rames express et omnibus. Récemment, on a mis en service un certain nombre de wagons climatisés et on en a promis davantage. Néanmoins, les usagers qui se serrent dans les rames aux heures de pointe se demandent pourquoi, étant donné l’affluence, le métro new-yorkais est en déficit.
De plus, la récente augmentation du prix du jeton a indigné de nombreux usagers. Comme le disait dernièrement M. Beame, commissaire aux comptes, “il est évident que l’augmentation du prix fait du tort à ceux qui sont le moins en mesure de la supporter”. D’autres personnalités américaines, dont certaines sont intimement mêlées au problème du métro, se sont opposées à cette augmentation.
Les hommes politiques affirment s’inquiéter de l’inflation et de l’augmentation des salaires. Or, on trouverait difficilement une raison plus valable pour réclamer une augmentation des salaires que cette hausse du prix du jeton de métro. Les commerçants new-yorkais la condamnent également et s’attendent à ce qu’elle porte atteinte aux affaires.
À Mexico, le billet simple coûte environ 55 centimes français ; à New York le jeton coûte 1,65 fr. Il est vrai que le barème des salaires varie d’un pays à l’autre, mais n’est-il pas dans l’intérêt d’une administration municipale d’accorder à tous ses citoyens le moyen d’utiliser ses services publics et de favoriser ainsi le commerce ?
Des questions qui restent sans réponse
Par conséquent, la simple question “Que reproche-t-on au métro de New York ?”, soulève de nombreuses autres questions auxquelles on ne trouvera sans doute pas de réponse tant que durera le présent ordre de choses. Beaucoup d’Américains s’interrogent sur les mérites respectifs de l’exploitation publique et privée de tels services. D’autres pensent que l’on se sert du métro new-yorkais à des fins politiques.
Depuis 1965, le prix du jeton de métro a augmenté de cent pour cent et il n’y a probablement aucun moyen d’arrêter cette hausse continuelle. Les usagers se demandent toutefois s’ils peuvent s’attendre à un meilleur service. Sous ce rapport, les espoirs sont minces. Les statisticiens estiment que le salarié new-yorkais moyen dépensera 275 francs français par an de plus en raison de l’augmentation du prix du jeton de métro. Et pourtant, selon un fonctionnaire de la Transit Authority, il ne faut pas s’attendre à une amélioration du service à brève échéance. “Il n’y a aucun moyen de réaliser une telle amélioration du jour au lendemain, dit-il. Il faudra attendre l’année prochaine ou plus longtemps encore.” D’ici là cependant, le prix du voyage aura peut-être encore augmenté à cause d’une nouvelle hausse des salaires.
Il est évident qu’une situation aussi complexe n’est pas le résultat d’une évolution récente. Les fonctionnaires de la ville et de l’État de New York ont hérité d’un problème ardu dont l’origine remonte à quelques dizaines d’années. Manifestement, ce problème ne sera pas résolu de si tôt.
[Illustration, page 25]
GOOD FOR ONE FARE
NYC