Ma vie de polygame
Récit recueilli par notre correspondant au Dahomey
J’AI grandi dans l’enceinte de mon père au Dahomey. Cette enceinte était très peuplée, car mon père avait douze femmes et, évidemment, beaucoup d’enfants. Pendant notre jeunesse, nous menions une vie heureuse et insouciante, car nous avions de nombreux camarades de jeux dans notre propre famille. En sa qualité de chef de l’enceinte, mon père exigeait le respect de tout le monde.
Sans doute vous demandez-vous si la pratique de la polygamie ne pose pas de nombreux problèmes. Eh bien, oui. Je vais d’ailleurs vous en parler puisque je suis devenu moi-même polygame.
Pour comprendre notre mode de vie, il vous faut savoir que l’enceinte africaine consiste en un terrain entouré d’un mur fait de terre argileuse rouge cuite au soleil. Dans cette enceinte s’élèvent de nombreuses petites cases construites également avec de la terre ou des blocs de béton. Il n’y a qu’une seule cuisine, généralement un abri n’ayant que deux ou trois murs. Quand il fait beau, on prépare les repas dehors.
À mesure que le propriétaire de l’enceinte multiplie le nombre de ses femmes, il construit de nouvelles cases — une pour chacune d’elles — s’ouvrant sur le milieu de l’enceinte qui finit par ressembler à un petit village. Le fait de partager une cuisine commune ne pose guère de problèmes, car on ne mange pas à heures fixes, mais lorsqu’on a faim. Or, tout le monde n’a pas faim au même moment.
De bonnes intentions
Arrivé à l’âge du mariage, j’étais décidé à n’épouser qu’une seule femme. En effet, chez nous j’avais souvent l’occasion de comparer les avantages de la polygamie avec ses inconvénients. Elle possédait effectivement certains avantages. De nombreuses épouses et une grande famille, par exemple, étaient un signe de prospérité et d’influence. Non seulement le chef de famille était respecté par les siens, mais il jouissait de beaucoup d’estime dans la localité. On croyait que les dieux fétiches l’avaient béni et rendu fécond.
Et pourtant, l’enceinte était loin d’être un lieu paisible. Je me souviens des nombreuses querelles violentes qui éclataient entre les épouses de mon père. S’il avait l’air de préférer l’une d’elles aux autres, la préférée le payait souvent cher. La jalousie des autres femmes pouvait être très dangereuse. J’avais même entendu parler de cas où une femme jalouse avait empoisonné sa rivale ou même son mari.
Je me suis donc marié avec la ferme intention de rester monogame. Ma femme et moi étions très heureux ensemble, mais malheureusement elle était stérile. Mon désir d’avoir des enfants était si fort qu’au bout de deux ans j’ai quand même décidé de prendre une seconde femme qui me donnerait des enfants.
Je deviens polygame
À certains moments, on organisait des danses qui donnaient aux villageois l’occasion de se réunir pour boire et festoyer pendant plusieurs nuits. En même temps, on faisait des offrandes aux dieux fétiches pour s’assurer leur bénédiction et une année productive. Ce fut lors d’une de ces fêtes que j’ai jeté mon dévolu sur deux autres femmes.
Après avoir fait mon choix, j’ai envoyé un ami, selon la coutume locale, chez les parents de ces jeunes filles, pour qu’il prenne les dispositions voulues en vue du mariage. Il fallait entre autres décider de la dot qu’elles apporteraient. Mon ami devait également vanter mes qualités auprès des parents. Comme je deviendrais membre de leur famille, mes futurs beaux-pères auraient droit à ma soumission. Ils donnaient bien une dot à leur fille, mais ils pouvaient exiger que je travaille pour eux et même que je subvienne à leurs besoins le cas échéant.
Toutes les dispositions utiles ayant été prises, la date de la cérémonie du mariage fut fixée. Dans beaucoup de cas, c’est seulement alors que les parents mettent leur fille au courant. Très souvent celle-ci n’apprend qu’elle est promise en mariage que quelques jours avant les noces. Elle ne soulève aucune objection toutefois, car elle désire un mari et des enfants et est contente de laisser à ses parents le soin de lui choisir un époux. Cette coutume tend à disparaître dans les grandes villes, mais elle persiste dans les villages. Les jeunes gens ne font pas la cour directement à une jeune fille et il n’y a pas de fiançailles.
Bientôt, ma famille et mon enceinte ressemblèrent à celles de mon père. Étant donné l’accroissement de mon influence et de mon prestige, j’ai jugé insuffisant d’avoir trois femmes. Je m’en suis donc procuré deux autres. J’ai commencé à constater alors moi-même combien il est difficile de traiter plusieurs épouses avec impartialité. La jalousie suscitait de nombreuses querelles, souvent à propos de vétilles.
Par exemple, si un parent de l’une de mes femmes décédait, la coutume voulait que j’achète une chèvre afin de l’offrir en sacrifice. Il ne fallait pas cependant que cette bête soit plus belle que celle que j’avais achetée lors de la mort d’un parent d’une autre épouse. Si je montrais la moindre préférence pour une femme, les autres lui rendaient la vie intolérable. Souvent, les disputes et les querelles me portaient sur les nerfs. Comme il n’y avait guère de paix chez moi, j’ai commencé à fréquenter d’autres femmes, ligne de conduite qui allait me poser un véritable problème plus tard.
Personne dans notre village ne considérait la polygamie comme une pratique immorale. On ne voyait même aucun mal à avoir des relations avec des jeunes filles. Beaucoup de jeunes filles avaient un ou deux enfants avant de se marier. Loin de les empêcher de trouver un mari, ces maternités étaient plutôt un avantage, car elles prouvaient qu’elles étaient capables d’avoir des enfants.
Peut-être vous demandez-vous ce que devenaient ces enfants. Il suffit de se rappeler que tout le monde souhaite une nombreuse descendance pour comprendre pourquoi les parents de la jeune fille sont contents de voir leur famille augmenter. Une fois que la femme est mariée cependant, la situation change. Son mari ne tolère pas qu’elle fréquente d’autres hommes.
La religion et la polygamie
Il y avait plusieurs religions dans notre région : le fétichisme, le catholicisme (qui possédait une grande église) et de nombreuses petites sectes protestantes, mais elles ne parlaient jamais de la polygamie. D’ailleurs, la plupart des adeptes des religions “chrétiennes” étaient polygames et pratiquaient encore le fétichisme, tout en étant des membres estimés de leur Église.
J’avais beaucoup de respect pour la Bible, mais pendant longtemps je n’ai fréquenté aucune Église. Un jour cependant le prêtre m’a dit que je n’irais pas au ciel parce que je n’étais pas baptisé. Cette idée me tourmentait et j’ai fini par me faire baptiser. Pendant plusieurs années j’ai été un membre respecté de l’Église catholique tout en restant polygame et fétichiste.
En 1947, j’ai vu pour la première fois une publication des témoins de Jéhovah. L’un de mes amis s’était procuré le livre “La vérité vous affranchira”, et comme il voulait bien me le céder, je lui ai donné autre chose en échange, car je désirais accroître mes connaissances de la Bible. Après avoir lu cet ouvrage, j’étais convaincu qu’il était en harmonie avec la Bible. Je comprenais aussi que les Églises ne différaient pas du fétichisme pour ce qui est de mettre en pratique les enseignements bibliques.
J’ai donc cessé d’assister aux offices et je me suis désintéressé de plus en plus du culte fétichiste. Mais j’en suis resté là ; car je comprenais que si je mettais en pratique tout ce que la Bible enseignait j’aurais besoin d’opérer de grands changements dans ma vie. Or, je ne voulais pas rompre avec les femmes que je fréquentais. C’est ainsi que plusieurs années encore se sont écoulées.
La vraie liberté
Un jour cependant quelques témoins chrétiens de Jéhovah qui prêchaient de maison en maison dans notre localité furent arrêtés et incarcérés, et cet incident a fait sur moi une impression profonde. Je me suis dit que ces gens devaient être de vrais chrétiens puisqu’ils étaient prêts à subir des persécutions pour annoncer le message de la Bible. J’ai décidé qu’il était grand temps pour moi d’agir, même si je devais apporter des changements dans mon mode de vie.
Les témoins de Jéhovah sont donc venus étudier la Bible avec moi et toute ma famille. Un peu plus tard, en 1960, j’ai renvoyé toutes mes femmes à l’exception d’une, et j’ai pris la décision de me vouer à Dieu. Quand je m’étais affilié à l’Église catholique, personne ne m’avait parlé du fétichisme, mais je n’ai pas tardé à constater qu’il n’en allait pas de même chez les témoins de Jéhovah. Je devais à présent conformer ma vie aux lois divines, mais la joie de savoir que je servais réellement le vrai Dieu m’a donné de la force.
Que sont devenus les quatre femmes que j’ai renvoyées ainsi que mes enfants ? Je suis heureux de pouvoir dire que deux de mes anciennes épouses sont également devenues témoins de Jéhovah et se sont vouées à Dieu. Tous les enfants sont restés avec moi. Deux d’entre eux sont des prédicateurs à plein temps et six autres sont également voués à Dieu et servent les intérêts de son Royaume dans le cadre de la congrégation locale des témoins de Jéhovah. J’ai été très heureux de pouvoir aider la plus jeune de mes anciennes femmes à épouser un ministre chrétien à plein temps. Aujourd’hui, ils servent Dieu ensemble en qualité de représentants itinérants de la Société Watch Tower.
Sans conteste, la vérité m’a affranchi. Je ne suis plus esclave de superstitions religieuses ou d’enseignements qui édulcorent les lois divines consignées dans la Bible. De plus, j’ai la conscience tranquille parce que j’obéis à l’ordre de Jésus prescrivant de n’avoir qu’une seule femme (Marc 10:6-9). Je sais que ma ligne de conduite est celle que le Seigneur exige des chrétiens mûrs. — I Tim. 3:2.
J’ai constaté également que le Seigneur Jésus a réalisé à mon égard sa promesse contenue dans Marc 10:29, 30. Ma famille est bien plus grande que je n’aurais jamais pu l’espérer, car j’ai quantité de frères, de sœurs, de pères, de mères et d’enfants. Comment cela ? Parce que Jéhovah Dieu a fait preuve de miséricorde envers moi en m’intégrant à sa grande famille terrestre qui demeure ensemble dans la vraie paix.
Aujourd’hui, je vis avec une seule femme. Il m’est toujours agréable de rentrer à la maison, car la paix règne chez moi, la paix que connaissent tous ceux qui se conforment à la Parole de Dieu. Il est vrai que je ne suis plus un membre influent de la société, jouissant d’un grand prestige, mais je suis heureux de me servir de l’influence que je possède encore pour aider mes semblables à connaître et à servir le vrai Dieu et à trouver la liberté spirituelle.
Partager mon bonheur avec mes concitoyens me procure de la joie et la paix de l’esprit. Certains d’entre eux ont déjà commencé à connaître pour leur part le bonheur d’appartenir à la grande famille de Jéhovah au sein de laquelle il n’y a ni jalousie ni mœurs relâchées. Je désire sincèrement aider de nombreuses autres personnes à trouver la vraie liberté dans la congrégation chrétienne avant que Dieu ne détruise tous ceux qui restent attachés aux coutumes incompatibles avec sa volonté parfaite.
[Illustration, page 13]
Le polygame ne tarde pas à constater qu’il est très difficile de traiter ses femmes avec impartialité. Les jalousies sont inévitables.