La merveilleuse horloge des organismes vivants
AVEZ-VOUS prêté attention au remarquable sens du temps que possèdent les organismes vivants ? Chaque année les plantes germent, poussent et fleurissent suivant un calendrier bien précis, mais qui diffère selon les espèces. Les unes fleurissent au printemps, les autres en été et d’autres encore en automne ou au début de l’hiver. Chaque espèce connaît l’époque de l’année où elle doit effectuer ses diverses activités.
Il en va de même des animaux. Ils s’accouplent, mettent bas, hibernent, émigrent et se livrent à d’autres activités comme s’ils se conformaient à un calendrier précis. Prenons comme exemple les insectes qui passent l’hiver dans un état de torpeur appelé “diapause”. Vers la fin de l’été, alors qu’il fait encore chaud, ils interrompent leurs occupations habituelles, cessant de se nourrir et de se reproduire notamment. Ils commencent ainsi à se préparer en vue de leur repos hivernal. Mais comment savent-ils que l’hiver est proche ?
Que dire aussi des oiseaux qui émigrent vers les tropiques pour passer l’hiver ? Quand arrive le printemps dans les régions septentrionales, ils y retournent. Puisque la température sous les tropiques n’a guère changé depuis leur arrivée, comment savent-ils qu’elle monte dans le nord ? Nombreux sont ceux qui se posent de telles questions. Et vous, y avez-vous déjà pensé ?
Une horloge merveilleuse
On pense aujourd’hui que la principale horloge des organismes vivants est la lumière. On croyait jadis que les modifications de la température lors des changements de saison provoquaient les diverses réactions des plantes et des animaux. La température est variable cependant ; elle n’est pas uniforme d’année en année. Par contre, la lumière ne varie pas. À une date donnée chaque année, la durée du jour est toujours pareille ; elle ne change jamais. Elle fournit ainsi à l’organisme vivant des renseignements exacts sur la marche des saisons.
Sans doute la température et d’autres facteurs encore ont-ils un effet sur le rythme de l’activité des plantes et des animaux au fil des saisons, mais le fait que cette activité est surtout réglée par l’horloge merveilleuse qu’est la lumière, est une découverte relativement récente.
Des études importantes
En 1920, des chercheurs étudiaient une certaine variété de tabac dénommée Maryland Mammoth. Ils voulaient savoir pourquoi elle fleurissait plus tardivement quand on la cultivait près de Washington. Bien que la plante fût prête à fleurir, un facteur inconnu semblait empêcher la floraison pendant un certain temps. Quand finalement la plante fleurissait, la saison était trop avancée pour que ses graines mûrissent.
Les nombreuses expériences effectuées pour percer ce mystère ne révélaient pas la cause de ce phénomène. Finalement, on réduisit artificiellement la durée du jour pour les plantes cultivées dans une serre. On constata alors que celles-ci fleurissaient plus tôt que celles qui poussaient dehors. Le mystère était éclairci : cette espèce de tabac fleurissait tardivement dans la région de Washington parce que lorsque les jours avaient raccourci suffisamment pour provoquer la floraison, l’été était bien avancé.
La lumière a-t-elle un effet analogue sur l’activité d’autres plantes ? C’est ce que les chercheurs se demandaient et leurs études ont permis de répondre à cette question par l’affirmative. Ils ont découvert que l’on peut diviser les plantes en trois catégories suivant leur réaction à la durée du jour appelée “photopériode”.
La première catégorie comprend celles, comme les tomates et les concombres, sur lesquelles la photopériode n’exerce guère d’influence. La seconde catégorie, celle des espèces dites “de jour court”, comprend les plantes qui ne fleurissent pas aussi longtemps que la durée du jour dépasse un certain nombre d’heures. Les plantes de la troisième catégorie, les espèces dites “de jour long”, ne fleurissent par contre que lorsque la photopériode excède un nombre donné d’heures.
Les conséquences de ces découvertes
Ces études ont fourni la réponse à de nombreuses questions. Elles expliquent pourquoi les plantes d’une espèce donnée, semées à différentes époques de l’année, fleurissent toutes en même temps. Elles révèlent également pourquoi certaines plantes fleurissent dans une région mais refusent de fleurir dans une autre.
Aujourd’hui, les horticulteurs déterminent les besoins en lumière des différentes espèces de plantes, car certaines d’entre elles ont des besoins très particuliers. Plusieurs variétés d’oignons et de soja, par exemple, réussissent le mieux dans une bande de terrain de 240 kilomètres de large sous une latitude bien déterminée. Si on essaie de les cultiver au nord ou au sud de cette région, la récolte risque d’être beaucoup moins bonne.
Les besoins en lumière de certaines plantes expliquent la déception de bien des amateurs de fleurs. Lors d’un voyage, ces personnes font l’acquisition d’une jolie plante pour leur jardin, mais chez elles cette plante ne fleurit jamais. Sans aucun doute la photopériode dans leur région ne convient pas à cette espèce.
Il existe par exemple une jolie plante de rocaille, le Sedum telephium (un genre d’orpin), qui pousse dans le Sud du Vermont, aux États-Unis. Or, cette plante a besoin, pour fleurir, de seize heures de jour ou davantage, ce qu’elle reçoit dans le Vermont. Si on essayait de la cultiver dans un endroit beaucoup plus méridional elle ne fleurirait pas, car la durée du jour serait insuffisante.
Les habitants du Maine septentrional peuvent s’estimer heureux que leur région soit pour ainsi dire exempte d’ambrosie (plante dont le pollen provoque le rhume des foins automnal). L’ambrosie ne fleurit pas tant que la photopériode ne dépasse pas quatorze heures et demie. Cela arrive dans le Maine après le 1er août seulement, et il est trop tard alors pour que les graines viennent à maturité avant l’hiver.
Le mécanisme de détection des plantes
La découverte de ces faits relatifs à la réaction des plantes à la durée du jour a démontré qu’elles doivent nécessairement renfermer une substance sensible aux modifications de la photopériode et qui déclenche chez elles la réaction appropriée. Dernièrement, on a réussi à isoler cette substance : le “phytochrome”.
Le phytochrome est un pigment bleuâtre photosensible qui absorbe la lumière rouge. Des expériences ont démontré que de nombreuses plantes, exposées aux ondes rouges de la lumière, viennent plus rapidement à maturité. La lumière agit donc sur le phytochrome de manière à régler la croissance de la plante, c’est-à-dire les changements dans son développement depuis la germination de sa graine jusqu’à la pleine maturité. Cependant, on ne sait pas encore au juste comment ce mécanisme fonctionne.
La mise à profit de ces découvertes
Aujourd’hui, de nombreux horticulteurs mettent ces découvertes à profit. En exposant une plante plus ou moins longtemps à la lumière, ils peuvent la faire fleurir quand ils le désirent. C’est ainsi qu’en hiver on peut jouir de fleurs qui ne s’épanouissent normalement qu’en été et que l’on peut avoir dans d’autres saisons celles qui fleurissent habituellement en automne.
Le chrysanthème, par exemple, est une plante qui fleurit normalement en automne, mais on peut en provoquer la floraison en été. Il suffit de le recouvrir d’une grande boîte en carton vers la fin de l’après-midi et d’enlever cette boîte le matin. La période d’obscurité plus longue fera réagir la plante comme si l’automne était déjà arrivé et elle fleurira en même temps que les plantes d’été.
Peut-être désire-t-on avoir en hiver des fleurs qui n’apparaissent qu’en été. Si ces plantes reçoivent une dose quotidienne de lumière artificielle après la tombée du jour, elles réagiront comme si les longues journées d’été étaient déjà arrivées, et elles fleuriront en plein hiver.
L’effet sur les animaux
Par suite de la découverte des effets remarquables de la photopériode sur les plantes, on s’est livré à d’autres recherches pour voir si la durée du jour exerce une influence sur les animaux. On a ainsi constaté que l’activité saisonnière de nombreux animaux est également réglée par la photopériode.
Les premières expériences sur les oiseaux concernaient les étourneaux. Normalement les étourneaux s’accouplent au printemps, alors que les jours commencent à s’allonger. On a donc allongé artificiellement les journées de décembre en éclairant, après le coucher du soleil, le lieu où se trouvaient les oiseaux. Quelques jours plus tard, ceux-ci commencèrent à muer, à revêtir le plumage plus coloré de la saison des amours. L’époque de l’accouplement fut avancée de quatre mois grâce à cet allongement de la photopériode.
On effectua ensuite des expériences semblables sur les furets, qui se reproduisent normalement au printemps ou au début de l’été. Ces petites bêtes également s’accouplaient en hiver quand on les exposait à une photopériode plus longue. Les étourneaux et les furets sont des espèces “de jour long”. Ils sont parmi les animaux qui réagissent, sur le plan sexuel, à une durée plus longue du jour.
Nombre d’autres animaux, comme la chèvre, le mouton et le cerf, s’accouplent en automne. C’est une photopériode plus courte qui provoque chez eux la réaction sexuelle. C’est pourquoi, en juillet et en août, les éleveurs qui désirent avoir des agneaux très tôt au printemps, font entrer leurs bêtes dans des étables obscures vers la fin de la journée. En raccourcissant ainsi la durée du jour, ils déclenchent plus tôt le rut.
On s’est livré également à de nombreuses expériences intéressantes sur des insectes, et notamment sur le ver à soie. Les œufs de cet insecte qui sont pondus en automne, passent l’hiver dans un état de repos ; ils ne donnent naissance aux vers qu’au printemps. Les vers se transforment alors en chrysalides et les chrysalides en papillons. Les œufs pondus en été ne tardent pas à éclore ; ils n’ont pas de période de repos.
Les expériences ont révélé que c’est la photopériode qui détermine si les œufs écloront sans période de repos. Il suffit donc de modifier la photopériode artificiellement pour que les vers à soie se reproduisent, pendant des générations, beaucoup plus rapidement. Quand on raccourcit la période d’exposition à la lumière, les œufs attendent le printemps pour éclore.
De même que les plantes, les animaux sont donc dotés d’un mécanisme qui déclenche leur réaction à la lumière. On pense que ce mécanisme est d’ordre hormonal, mais en réalité on ne sait que peu de chose sur la manière dont le message de la lumière est reçu ou transmis.
L’homme a déjà appris à connaître de nombreuses merveilles de la création, mais il ne cesse de constater qu’il lui reste encore bien des mystères à percer. Une étude des effets de la lumière sur les organismes vivants le démontre une fois de plus.