Les Tasadays vivent-ils à l’“âge de pierre” ?
De notre correspondant aux philippines
“UN VESTIGE de l’âge de pierre.” “Les humains les plus primitifs jamais découverts.” “Les premiers hommes des cavernes vivants que l’on connaisse.” De telles manchettes ont attiré l’attention du monde entier sur une tribu de vingt-cinq membres qui vit dans la jungle épaisse de Mindanao, dans le sud des Philippines. Cette découverte a conduit à la formation de plusieurs expéditions composées d’anthropologues philippins et américains, de correspondants de presse, d’équipes de télévision de la Société nationale de géographie, d’un ministre d’État philippin et d’un protecteur de la nature américain, Charles Lindbergh, aujourd’hui disparu.
Pourquoi un aussi petit groupe de gens, les Tasadays, suscite-t-il tant d’intérêt et attire-t-il une attention sans précédent ? En quoi sont-ils si particuliers ? La Société moderne civilisée peut-elle apprendre quelque chose de ces primitifs ?
La découverte
La découverte des Tasadays a été tout à fait accidentelle. Un chasseur habitant une ville située à la lisière de la forêt, tomba sur eux tandis qu’il disposait ses pièges à sangliers dans les montagnes situées au sud de Cotabato. Il suivit d’étranges empreintes de pas et découvrit trois petits hommes bruns portant seulement une ceinture de feuilles autour des reins. Avec des bâtons pointus ils étaient en train de déterrer une grosse racine. Effrayés, ils s’enfuirent, mais le chasseur les poursuivit en criant : “Je suis gentil ! Je suis gentil !” Finalement, tout tremblants, les hommes s’arrêtèrent dans le lit d’une rivière.
Bien que la langue parlée par le chasseur présentât certaines ressemblances avec celle des Tasadays, il se servit de signes pour communiquer plus facilement. La tribu de ce chasseur vivait pratiquement à côté de celle des Tasadays, mais leur langue différait autant de la sienne que l’allemand ancien de l’anglais moderne. Pour les hommes de science, cela suggère un isolement d’un millier d’années environ. Le nom même de Tasaday comprend le mot malais sadai (abandonné) et le mot mélano-polynésien tawo (homme). Tasaday est aussi le nom d’un sommet boisé qui s’élève au-dessus de la vallée cachée où vit cette tribu dont l’isolement était tel qu’elle ignorait totalement l’existence de la nation philippine.
Le bureau du gouvernement pour la protection des minorités culturelles, le Panamin, s’est efforcé de faire connaître les Tasadays au monde extérieur. Au cours de ses premières rencontres à la lisière de la forêt avec les hommes de la tribu, le chasseur n’avait pas appris que ces derniers vivaient dans des cavernes et il n’avait pas tenté de s’avancer plus loin dans la forêt pluviale. Quand on décida de visiter les cavernes, ce fut avec l’intention de protéger les Tasadays contre les bûcherons, les fermiers, les éleveurs et les prospecteurs qui grignotaient toujours davantage leur domaine. Peu après, le président des Philippines signait un décret réservant aux Tasadays 200 000 hectares de terre.
L’univers des Tasadays
Le 23 mars 1972 a marqué l’intrusion des premiers étrangers, et par eux, du vingtième siècle, dans l’univers des Tasadays. Seul l’hélicoptère pouvait amener les membres de l’expédition suffisamment près des cavernes pour qu’ils puissent finir le trajet à pied. L’épaisseur de la jungle rendant un atterrissage impossible, on fixa au sommet d’un arbre une plateforme en bois sur laquelle les membres de l’expédition durent sauter depuis l’hélicoptère, alors qu’elle se balançait dans le courant d’air formé par les pales du rotor. Ce saut, aux dires de Lindbergh, les précipita depuis notre époque moderne jusqu’aux temps les plus reculés.
Le groupe descendit alors jusqu’au sol, vingt-trois mètres plus bas, où il fut accueilli par un jeune Tasaday vêtu seulement d’un pagne de feuillage. Après une heure de descente le long d’une pente où coulait un cours d’eau scintillant, ils arrivèrent au village des Tasadays, en fait trois cavernes creusées dans la pierre calcaire à cinq mètres du sol et à une altitude de 1 370 mètres. Au cœur de cette forêt tropicale humide, la végétation était luxuriante. De tous côtés poussaient des fougères arborescentes et des orchidées géantes, des rotangs, des bambous grimpants, des palmiers et des bananiers sauvages ainsi que d’énormes diptérocarpes dont les cimes s’élevaient jusqu’à 30 mètres de haut.
À l’entrée des cavernes apparaissaient des visages curieux dont les yeux scrutaient les premiers étrangers qui foulaient le sol de cette vallée cachée. Un garçon sortit d’une des cavernes, enlaça de ses bras et de ses jambes un arbre mince à l’écorce blanchâtre et se laissa glisser sur le sol, cinq mètres plus bas. Il se joignit à d’autres indigènes qui criaient et bondissaient le long d’un sentier poussiéreux pour venir se grouper autour des visiteurs. Ceux-ci contemplaient le spectacle en silence. Les hommes, les femmes et les enfants, tous bien bâtis, à la peau bronzée et aux cheveux sombres et lisses, portaient pour tout vêtement des anneaux aux oreilles et des ceintures ou des jupes de feuilles d’orchidée. Ils ne ressemblaient en rien aux créatures simiesques, pataudes et velues que représentent les artistes pour illustrer la théorie de l’évolution. Ces hommes ne frappaient pas leur femme à coups de bâton et ne les traînaient pas par les cheveux. L’expédition venait sans doute de découvrir les gens les plus doux de la terre.
La vie des Tasadays
Quand on l’a découverte, la tribu se composait de cinq familles comportant treize enfants. Les Tasadays sont monogames et leurs coutumes ne prévoient pas le divorce. Les couples sont unis pour la vie, “jusqu’à ce que tous nos cheveux soient blancs”, déclarent Kulataw et Sikal, un des couples tasadays. Lors d’un mariage, la tribu se réunit à l’entrée de la caverne principale, puis un groupe se forme autour des nouveaux mariés et déclare simplement : “Mafeon, mafeon” (“Bon, bon”). Certaines épouses viennent également d’autres tribus montagnardes, les Tasafangs et les Sandukas, avec qui les Tasadays ont des relations limitées.
Un regard dans les cavernes, dont la plus grande mesure 9 mètres sur 11, est révélateur. Les murs ne portent ni dessin ni inscription. Sur le sol, balayé proprement avec des branches, aucun déchet ne traîne. Il n’y a pas de meubles ; tout juste quelques nattes en écorce. On aperçoit aussi du bois de chauffage et quelques outils de bambou, de bois et de pierre. La muraille brille comme du charbon luisant ; elle est couverte d’une suie déposée au cours des ans par tous les feux qui ont servi à cuire les aliments et à se chauffer pendant les soirées fraîches.
La recherche de nourriture constitue la principale activité de la journée et elle demande un travail d’équipe. Normalement, les Tasadays passent trois heures à la chercher et le menu dépend de ce qu’ils ont trouvé : des crabes, des poissons et des têtards, qu’ils attrapent en passant les mains sous les rochers des cours d’eau. Ils n’ont aucune notion d’agriculture et ne contentent de vivre de leur cueillette. Leur alimentation comprend des fruits, des baies, des fleurs, des pousses de bambou, des ignames et des cœurs de palmiers sauvages dont ils font un gâteau appelé natak. Pour cuire la nourriture, ils l’introduisent dans des bambous creux ou l’enveloppent dans des feuilles, puis ils la déposent directement sur des braises. Disons en passant que les Tasadays font du feu en faisant tourner rapidement entre leurs mains une baguette reposant sur un plan dur jusqu’à ce qu’elle commence à se consumer par la friction. Ils approchent alors un peu de mousse sèche et, quand celle-ci prend feu, ils soufflent dessus pour obtenir une flamme. L’opération ne prend en tout que cinq minutes.
L’abondance de nourriture est telle que les Tasadays n’ont pas besoin de s’éloigner de leur habitation, à l’inverse des nomades qui lèvent le camp lorsqu’ils ont épuisé la région. La forêt constitue leur “supermarché”. Il paraît qu’ils ne s’éloignent pas de plus de huit kilomètres de leurs demeures. “Nos pères et nos grands-pères, raconte l’un d’eux, nous ont dit que nous pouvions aller dans la forêt pendant la journée, mais que le soir, nous devions toujours rejoindre nos cavernes.” On pense que la mésentente, la guerre ou la crainte de la variole, ont éloigné les Tasadays des autres tribus manobos dont ils sont originaires.
Après le repas de midi, ils passent l’après-midi à se reposer, à dormir ou à se débarrasser mutuellement les cheveux des feuilles sèches, des brindilles ou des poux qui s’y sont mis. On a vu un jeune garçon faire voler un papillon au bout d’une ficelle comme s’il s’agissait d’un cerf-volant. Ces gens, qui n’ont guère de besoins, ne possèdent pas de mot pour désigner le riz, le sel, le sucre, les aiguilles ou le tabac. Bien que leur régime soit pauvre en calories (1 000 à 1 500 par jour), ils ne souffrent pas de sous-alimentation et ne connaissent pas les caries dentaires, le paludisme ou la tuberculose. Quand les visiteurs leur demandèrent de quoi ils avaient besoin, ils répondirent. “Que voulez-vous dire par là ?”
Le message des Tasadays
La langue des Tasadays ne comprend aucun mot signifiant “combattre”. Ils ignorent ce qu’est la guerre ou la violence. Manuel Elizalde, directeur du Panamin et ministre d’État qui conduisait l’expédition, déclara : “Ils ne connaissent pas tous les problèmes qui mènent les gens dans des asiles d’aliénés, déclenchent des guerres et créent des inimitiés. Toutes ces choses leur sont étrangères.”
Les évolutionnistes pensaient que la découverte des Tasadays consoliderait leur théorie branlante. Mais, bien qu’ils soient restés coupés de la civilisation pendant des siècles, la science et la droiture morale dont ils font preuve montrent que l’homme n’est pas un simple animal supérieur. Contrairement aux animaux, il possède une conscience et éprouve le besoin d’une religion. Ce sens religieux apparaît clairement par la façon dont les Tasadays considéraient le ministre d’État Elizalde. Ils croyaient que c’était le “dieu blanc” qui devait venir un jour leur rendre visite.
On notera avec intérêt qu’un peuple coupé de la technologie moderne et de ses commodités peut néanmoins jouir d’une bonne santé mentale et physique et posséder d’excellentes valeurs morales. En revanche, l’homme “civilisé” d’aujourd’hui souffre de maladies mentales et physiques, craint constamment la guerre et doit faire face aux problèmes de la pollution et de l’effondrement des mœurs.
Certains plaignent les Tasadays parce qu’ils ne connaissent ni le confort ni le raffinement du monde extérieur. Cependant, si nous envions la simplicité de leur mode de vie, nous pourrons nous rappeler cette pensée de la Parole de Dieu, la Bible : “Nous n’avons rien apporté dans le monde, et nous n’en pouvons non plus rien emporter. Si donc nous avons nourriture et vêtement, nous nous contenterons de cela.” — I Tim. 6:7, 8.