L’inflation augmente son emprise
“IL NOUS faut admettre que nous sommes en guerre (...) avec l’inflation”, déclara la revue Business Week, avant d’ajouter: “Et cette guerre, nous sommes en train de la perdre.”
Ladite “guerre” est perdue en ce sens que, malgré les mesures déjà prises, l’inflation augmente son emprise sur l’économie mondiale.
Il s’ensuit que les gens n’ont plus confiance dans l’argent, c’est-à-dire dans le papier-monnaie. Le cours de l’or en est la preuve. Dans l’Histoire, l’or a toujours été la “monnaie” de dernier recours, c’est-à-dire la plus précieuse en temps de trouble. Il sert donc de “baromètre” des conditions économiques. Il y a moins de 10 ans, l’or valait 35 dollars l’once. L’an dernier, il avait grimpé à plus de 444 dollars l’once, ce qui montre à quel point les gens ont perdu confiance dans la monnaie fiduciaire et les proportions prises par l’inflation.
Pendant tout le siècle dernier, les prix étaient restés relativement stables. Mais, après la Première Guerre mondiale, ils sont devenus plus anarchiques. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’inflation fait partie intégrante de la vie quotidienne. Ces dernières années, elle s’est aggravée plus que jamais, si bien que, même pendant les périodes de récession, elle persiste.
Au cours d’un seul mois de l’année dernière, l’inflation américaine a dépassé de 12 pour cent celle de l’année précédente. Elle était de 15 pour cent au Japon, de 18 pour cent en Grande-Bretagne et de plus de 10 pour cent en France. La République fédérale d’Allemagne, qui a pourtant l’une des économies les plus stables du monde, a connu une inflation de 10 pour cent.
Aux Philippines, le prix des aliments, des vêtements et du combustible a quadruplé depuis 1966. Au Japon, le prix du riz, l’aliment de base, a augmenté de 500 pour cent en 20 ans. Le Brésil a reconnu que l’inflation atteindrait 40 pour cent en 1979, comme l’année précédente. La revue Administração e Serviçcos a déclaré que “68 millions de Brésiliens ne peuvent même pas envisager l’achat d’un simple fer électrique”, parce qu’ils doivent garder leur argent pour le strict nécessaire.
Certains pays d’Afrique ont un taux d’inflation supérieur à 100 pour cent par an. L’État d’Israël a connu à peu près la même situation l’an dernier, et, depuis sa fondation, il y a plus de 30 ans, l’indice des prix a grimpé de 5 000 pour cent.
La situation qui sévit aux États-Unis démontre ce qui peut arriver au cours des années à venir à cause de l’inflation. Le dollar, qui valait 100 cents en 1898, n’en vaut plus à présent que 12.
Mais, dira-t-on, les salaires ont augmenté également. C’est vrai. Pour beaucoup de travailleurs, les augmentations de salaire ont été supérieures au taux de l’inflation, si bien que leur niveau de vie s’est amélioré.
Ce n’est pas le cas de tous. Rien qu’aux États-Unis, par exemple, près de la moitié des ouvriers estiment que l’inflation s’accroît plus vite que leurs revenus, ce qui signifie une baisse de leur niveau de vie.
En outre, beaucoup de pauvres et de personnes aux revenus fixes se trouvent dans une situation critique. Citons l’exemple de cet enseignant New-Yorkais à la retraite qui dit:
“La ville me verse une retraite de 4 439 dollars par an [ce qui est inférieur au seuil de pauvreté aux États-Unis]. Vous ne serez pas étonnés d’apprendre que nous avons de la peine à nous en sortir, malgré nos efforts héroïques pour faire des économies.
“Nous n’avons pas de voiture. Nous ne sommes pas propriétaires de notre logement. Nous louons le même petit appartement depuis plus de 35 ans. Nous ne prenons jamais de vacances et ne voyageons pas. Nous ne sortons pas au restaurant. Et, naturellement, nous n’achetons qu’au moment des soldes, et encore, des articles de première nécessité.
“Nous ne fumons pas. Nous ne buvons jamais d’alcool ni même une bière de temps à autre. Nous ne sommes plus allés au théâtre ou au cinéma depuis que je suis à la retraite, c’est-à-dire depuis plus de 21 ans.
“Nous ne recevons personne. Nous ne dépensons pas d’argent en cadeaux pour nos parents et amis. Nous nous contentons d’envoyer une carte pour les grandes occasions. Nous n’achetons plus régulièrement les quotidiens.
“Ma femme et moi avons plus de 70 ans. Nous ne sommes pas en bonne santé ni capables de travailler.”
Les travailleurs dont les salaires sont indexés sur l’inflation sont eux aussi lésés. En effet, l’inflation les attaque sur deux plans. Non seulement l’augmentation des prix diminue la valeur de l’argent qu’ils ont durement gagné, mais l’élévation de leur salaire les fait passer dans des tranches d’impôts supérieures, si bien qu’ils risquent de devoir payer plus d’impôts. Il s’ensuit que leur pouvoir d’achat diminue.
En outre, l’inflation fait souvent du tort aux gens économes qui mettent leur argent à la Caisse d’épargne. Il y a par exemple des pays où les intérêts payés par les Caisses d’épargne n’atteignent que la moitié du taux d’inflation. À la fin de l’année, le compte en banque, majoré de ses intérêts, a donc moins de valeur qu’au début de l’année. Pire encore, ces intérêts sont parfois imposables.
Cette diminution de la valeur de l’argent entraîne un accroissement considérable de l’endettement individuel. L’une des raisons en est que le public ne veut pas économiser avant d’acheter ce qu’il désire. Il préfère s’endetter.
Mais une autre cause importante de l’endettement provient de ce que, face à la montée implacable de l’inflation, de plus en plus de gens empruntent simplement pour maintenir leur niveau de vie. L’annuaire précité ajoutait: “Ceux qui empruntaient jadis rarement, et seulement pour des achats importants, ont à présent parfois besoin d’emprunter pour acheter des articles indispensables.”
Il y a aussi ceux qui voient leur avenir bouché et qui choisissent de profiter de la vie au maximum avant qu’il ne soit trop tard. L’un d’eux déclara: “Ma philosophie, c’est ‘après moi le déluge’.” D’autres encore s’endettent lourdement sans avoir l’intention de rembourser, ce qui équivaut à du vol.
La revue U.S.News & World Report qualifie de “raz-de-marée” cette tendance à s’endetter qui “sème une nouvelle panique chez les économistes”. Cette revue ajoute: “Jamais auparavant les gens n’ont tant dépendu de leurs emprunts.” La moindre crise économique tant soit peu sérieuse risquerait de causer la faillite de millions de ces gens.
Pourquoi cette inflation sévit-elle dans le monde entier? Les spécialistes ne s’entendent pas sur tous les aspects du problème. La plupart d’entre eux pensent néanmoins que c’est avant tout parce qu’on dépense plus d’argent qu’il n’en rentre et que l’on s’endette pour financer ces dépenses. Le Times de Londres a dit: “Après tout, qu’est-ce que l’inflation? (...) C’est un mot qu’emploient les économistes pour désigner la surconsommation, le fait de vivre au-dessus de ses moyens, de prendre plus dans la cagnotte que ce que l’on y a mis.”
Quand l’État dépense plus d’argent que les impôts n’en font entrer, il doit “fabriquer” de l’argent pour éponger son déficit. Citons la revue Harper’s: “Les dettes de l’État que les impôts ne peuvent payer sont réglées en fabriquant de nouveaux dollars.” Le quotidien The Wall Street Journal ajoutait:
“La principale cause de la flambée des prix (...) est de loin l’inflation au sens littéral. C’est-à-dire qu’elle est occasionnée par l’augmentation de la masse monétaire consécutive à des années de déficit de l’État. Ces déficits ont été comblés en émettant de la monnaie et en recourant au crédit, ce qui revient à (...) faire tourner la planche à billets.”
Comme exemple de cause d’inflation, on peut mentionner celui de la dette intérieure des États-Unis. Sur les 18 années passées, le gouvernement a été 17 fois en déficit. Alors qu’il a fallu 167 ans pour que cette dette atteigne 100 milliards de dollars, elle s’accroît à présent de cette somme tous les ans. Elle dépassera bientôt 1 000 milliards de dollars. Le loyer de cet argent s’élève actuellement à 60 milliards de dollars par an, soit la troisième dépense dans le budget de l’État. Cela revient à dire qu’il faut davantage d’argent pour obtenir des marchandises et des services. Leurs prix montent comme lors d’une vente aux enchères.
Le problème du pétrole n’arrange pas la situation. Seule une poignée de nations produisent plus de pétrole qu’elles n’en utilisent. Elles forment l’Organisation des pays exportateurs de pétrole ou OPEP. L’OPEP a tellement augmenté le prix du pétrole qu’il est aujourd’hui 10 fois plus cher qu’il y a dix ans. Comme quantité de produits sont dérivés du pétrole, notamment l’essence, le mazout, les plastiques, nombre de produits chimiques et autres, leurs prix s’élèvent en proportion.
Par suite des différentes raisons qui précèdent, certains pays ont un tel endettement qu’ils ne survivent que par un recours massif au crédit. Quelques-uns n’ont même pas les moyens de payer les intérêts de leur dette, encore moins son principal.
Comment porter remède à l’inflation? Nombre d’économistes craignent qu’elle ne soit devenue irréversible. Ils prennent l’exemple d’un héroïnomane qui est allé trop loin et qui a besoin de quantités de plus en plus importantes de drogue pour un résultat de moins en moins sensible. Si cet héroïnomane continue, la drogue le tuera. D’un autre côté, le sevrage risque également d’abréger ses jours.
Pour mettre fin à l’inflation, il faudrait tailler des coupes sombres dans les dépenses de l’État, des industries et des particuliers. Cela suppose que les gens achètent moins et que les industries produisent moins. Il y aurait donc encore plus de chômeurs ainsi qu’une grave récession. Or, le système économique mondial repose sur la surproduction et le crédit, si bien que, de l’avis de plusieurs observateurs, il est déjà trop tard pour revenir en arrière sans causer à peu près autant de mal qu’en laissant jouer l’inflation.
[Entrefilet, page 7]
Les travailleurs dont le salaire est indexé sur l’inflation sont lésés deux fois.
[Entrefilets, page 8]
Les gens font de plus en plus de dettes.
Pourquoi y a-t-il une telle inflation aujourd’hui?
[Entrefilet, page 9]
Certains économistes se demandent si l’inflation est devenue irréversible.
[Schéma, page 7]
(Voir la publication)
1898 1979
$1 = $.12
Le dollar a perdu sa valeur.