Le Conseil œcuménique des Églises — Peut-il faire l’unité du monde?
IL Y A EU un an au mois de juillet, près d’un millier de délégués ont envahi le campus de l’université de Colombie britannique à Vancouver, au Canada. Venus des quatre coins du monde, ils représentaient les plus de trois cents Églises membres, notamment protestantes, coptes et orthodoxes, qui regroupent aujourd’hui environ 400 millions de fidèles. Des représentants de l’Église catholique, de l’islam, du judaïsme et des Indiens d’Amérique du Nord, étaient aussi présents, bien qu’ils ne fassent pas partie du COE.
Pendant 18 jours, la foule colorée des délégués s’est trouvée réunie pour débattre d’une multitude de sujets, depuis le désarmement nucléaire jusqu’à la protection de l’enfance, pour préparer et réviser des déclarations communes, pour prononcer des discours ou les entendre, et, entre ces moments forts, pour regarder des pièces de théâtre et des spectacles de musique et de danses. Un thème solennel, “Jésus-Christ, vie du monde” était censé relier ces différentes manifestations.
On attendait beaucoup de cette réunion. Un éditorial paru dans un journal de Vancouver (Sun) souligna que l’assemblée se tenait à “une période cruciale de l’histoire des religions”. L’article expliquait ce qui suit: “À aucun moment les hommes n’ont disposé d’un tel pouvoir de destruction totale sur l’humanité, et jamais autant d’humains n’ont craint l’éventualité d’une telle destruction.” De toute évidence, on pensait que les Églises apporteraient leur aide pour prévenir pareille catastrophe. D’ailleurs, l’un des conférenciers du COE avait expliqué précédemment à des journalistes que “les principaux sujets de l’assemblée” porteraient sur “la question du désarmement nucléaire et sur la stratégie de l’Église pour conclure une paix mondiale”. — C’est nous qui soulignons.
Accords et désaccords
L’impuissance du COE à promouvoir la paix n’a pas tardé à se faire cruellement sentir. Les délégués se sont opposés pour déterminer sur quel pôle d’intérêt l’assemblée devait s’orienter. Le thème “Jésus-Christ, vie du monde” s’est évanoui dans l’ardeur des débats aux accents souvent amers. Pour les représentants des pays en voie de développement, toute l’attention de l’assemblée devait se porter, non sur le désarmement nucléaire, mais sur la question des droits de l’homme. C’est pourquoi les rédacteurs du texte de clôture de l’assemblée ont eu la difficile tâche de consacrer à ces deux questions une place d’égale importance.
De l’aveu d’un journal (The Globe and Mail), “l’orientation [du COE] qui vise à condamner avec fermeté les nations occidentales (...) et à réprimander du bout des lèvres les pays du bloc de l’Est” a fourni une cause supplémentaire de division. D’après certains observateurs, l’engagement des États-Unis en Amérique latine a fait l’objet d’attaques virulentes de la part du COE qui, en revanche, se serait montré singulièrement discret sur l’invasion soviétique en Afghanistan. Toutefois, Philip Potter, le secrétaire général du COE, prétend qu’un discours antisoviétique pourrait mettre en péril les rapports entre le COE et l’Union soviétique, pays qui jusqu’à présent a permis à l’Église orthodoxe russe d’être représentée au sein du COE. D’après un journal de Vancouver (Province), une telle politique relève de “la morale de circonstance”.
“Un obstacle de taille”
Les problèmes d’ordre politique ne furent pas les seuls à diviser les délégués. Jean Skuse, une vice-présidente du comité central du Conseil, a lancé cet avertissement: ‘Les femmes n’attendront pas encore un siècle qu’on leur rende la justice.’ Elle faisait allusion à l’épineuse question de l’ordination des femmes et soutenait qu’un grand nombre d’entre elles quitteraient les Églises si on tardait à leur conférer ce sacrement. Mais ce qui rend ce problème difficile pour le COE, c’est le fait que les Églises anglicane, catholique et orthodoxes, de même que des cercles réformés, s’opposent catégoriquement, pour ne pas dire d’une manière immuable, à l’idée de l’ordination des femmes. Selon Robert Runcie, l’archevêque de Cantorbéry, cette question représente un “obstacle de taille à l’unité de l’Église”.
Par contre, certains ont craint que l’effort en faveur de “l’unité” conduise à un compromis doctrinal. Après avoir noté une tendance en faveur de l’universalisme dans certaines des discussions, des délégués se sont montrés inquiets à l’idée que Jésus Christ ne soit plus considéré comme “l’unique Sauveur”. Un journaliste a même demandé comment “les congressistes conciliaient le dialogue œcuménique et la déclaration de Jésus selon laquelle il est le chemin, la vérité, la vie”.
Les Églises contre la guerre?
Les délégués ont néanmoins trouvé moyen de s’entendre pour appuyer un gel nucléaire total et contrôlé. Le Conseil a même encouragé “les membres des Églises à soutenir ceux qui se montrent réfractaires à la participation ou à la préparation à la guerre et à ‘explorer les actions de protestations non violentes possibles’, y compris ‘les actes de désobéissance civile’”. Voilà qui apparaît comme un revirement spectaculaire, puisque les Églises, de l’aveu même de Dirk Mulder, l’un des responsables du COE, ont derrière elles “une histoire de guerres et de génocides”. À dire vrai, cet homme a même ajouté que la “religion répand toujours de l’huile sur le feu de tous les conflits du monde”. Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure les Églises resteront fidèles à la déclaration du COE, surtout en temps de guerre.
Il convient aussi de noter que ce changement d’attitude vis-à-vis de la guerre peut nuire au COE en compromettant les bonnes relations que la religion a entretenues depuis longtemps avec les gouvernements laïcs. À ce sujet, on pouvait lire dans un éditorial du Sun de Vancouver: “Le nouvel activisme de l’Église engendre une confrontation que les sociétés modernes se sont toujours efforcées d’éviter: ‘une confrontation entre l’Église et l’État.’”.
Peut-on parler d’unité religieuse?
Ainsi, il est évident que les questions politiques et temporelles prédominent au sein du COE et sont une source de désunion. Mais que dire des accords de Lima qui ont abouti à la communion œcuménique dont il a été question au début de cette série d’articles? Selon la presse canadienne, un historien catholique aurait dit de ces accords “qu’ils étaient de toute première importance pour parvenir à l’unification chrétienne”. De son côté, R. Runcie, l’archevêque de Cantorbéry qui présida cette communion œcuménique, a déclaré qu’elle laissait présager “une unité chrétienne totale”.
Mais en a-t-il été réellement ainsi? Certes, la liturgie de Lima a été élaborée conjointement par des théologiens anglicans, catholiques, orthodoxes et protestants. Toutefois, lorsqu’elle a été inaugurée à Vancouver, les délégués catholiques et ceux des Églises orthodoxes d’Orient et des pays de l’Est ont dû refuser leur participation. Leur attitude s’explique par la doctrine de leurs Églises qui leur interdit de recevoir la communion de quelqu’un d’autre que leurs prêtres. Par ailleurs, les accords de Lima sont loin d’avoir apporté la solution à d’autres problèmes qui divisent les Églises, à savoir, la croyance à la succession apostolique et à l’infaillibilité du pape.
Si le spectacle des délégués réunis en prière et en chants a suscité quelques moments d’émotion fugaces, il n’en demeure pas moins que la fissure qui a divisé la chrétienté depuis la Réforme apparaît plus grande que jamais. Un éditorialiste a fait cette remarque: “Si les Églises trouvent des raisons de se combattre autant entre elles, peut-on alors s’y fier pour expliquer ou même découvrir des relations véritables entre les hommes et Dieu?”
L’assemblée de Vancouver peut venir ainsi s’ajouter à la liste des échecs humains. En s’efforçant d’œuvrer au sein des systèmes politiques, les Églises ont été infectées par la corruption et l’esprit de division qui ont conduit le monde au bord de l’anéantissement. La Bible précise même que viendra le moment où les gouvernements excédés par l’intrusion de la religion prendront des mesures spectaculaires pour infléchir définitivement son influence — Révélation ou Apocalypse, chapitre 17.
L’incapacité des Églises à parvenir à l’unité se voit dans les efforts qui sont tentés pour accélérer la prédication de l’évangile dans le monde. Ce sujet fait l’objet de l’article qui suit.
[Entrefilet, page 6]
“Si les Églises trouvent des raisons de se combattre autant entre elles, peut-on s’y fier pour expliquer ou découvrir des relations véritables entre les hommes et Dieu?” — The Province, Vancouver, 28 juillet 1983.
[Illustration, page 5]
L’ordination des femmes — une question qui suscite des divisions