Victorieux face à la mort
“Pourtant, à leur grande surprise, les nazis ne parvenaient pas à éliminer les Témoins. Plus on les pressait et plus ils resserraient leurs rangs, formant un noyau de résistance dur comme le diamant. Hitler les avait catapultés dans une guerre eschatologique, et ils gardaient la foi. (...) Pour tous les sociologues qui étudient le phénomène de survie dans des conditions de tension extrême, l’expérience des Témoins constitue une précieuse source d’information; car, pour survivre, ils ont survécu!” — Propos recueillis dans la revue Together et attribués à l’historienne Christine King.
DANS l’histoire du XXe siècle, les Témoins de Jéhovah devraient figurer comme le groupe religieux le plus universellement calomnié et persécuté. Ils ont été incompris et souvent maltraités pour le simple fait qu’ils optent pour la neutralité chrétienne et refusent d’apprendre et de faire la guerre. Se tenant strictement à l’écart de la politique, ils se sont attiré dans de nombreux pays les foudres de dirigeants totalitaires. Pourtant, par leur stricte neutralité et leur intégritéa indéfectible, ils ont apporté une contribution à l’histoire moderne.
L’historien britannique Arnold Toynbee a écrit en 1966: “De nos jours en Allemagne il y a eu des martyrs chrétiens qui donnèrent leur vie plutôt que de rendre hommage au nationalisme effréné représenté ici par le dieu humain Adolf Hitler.” Les faits attestent que les Témoins de Jéhovah occupent une place importante parmi ces martyrs. Les récits qui suivent montrent qu’en raison de leur intégrité ils ont affronté les persécutions, voire la mort, et ce pas seulement durant la période nazie. Dans de nombreuses régions du monde, ils ont remporté une victoire constante et sans égale face à la mort.
Le récit de l’Ukrainien Ananii Grogul
“Mes parents sont devenus Témoins de Jéhovah pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1942. J’avais 13 ans. Peu après, mon père a été arrêté, emprisonné, et transféré plus tard dans les camps soviétiques des monts Oural. À l’âge de 15 ans, en 1944, j’ai été convoqué pour la préparation militaire. J’avais déjà une foi solide en Jéhovah; aussi ai-je refusé d’apprendre la guerre. C’est ainsi que, très jeune, j’ai été condamné à cinq ans de prison.
“L’année 1950 est arrivée. Elle a été très dure. On m’a de nouveau arrêté, puis condamné à 25 ans d’emprisonnement en raison de mes activités de Témoin. J’avais 21 ans. J’ai survécu sept ans et quatre mois dans les camps, au cours desquels j’ai vu beaucoup de détenus mourir, gonflés par la faim et épuisés par le travail.
“Après la mort de Staline en 1953, les conditions ont commencé à changer. En 1957, les autorités m’ont relâché. Je redécouvrais la ‘liberté’. Mais cette fois-ci on m’a exilé en Sibérie pour dix ans.”
Ma sœur subit la torture
“En Sibérie, j’ai retrouvé ma sœur, qui était déjà devenue invalide. Elle avait été arrêtée exactement deux semaines après moi en 1950. L’enquête à son sujet s’est déroulée au mépris de la loi. On l’a mise en isolement, puis on a lâché des rats dans sa cellule. Ceux-ci lui rongeaient les pieds et grimpaient sur elle. Finalement, ses tortionnaires l’ont forcée à se tenir debout dans de l’eau froide jusqu’à la poitrine tandis qu’ils observaient son supplice. Elle a été condamnée à 25 ans d’emprisonnement en raison de ses activités de prédicatrice. Paralysée des deux jambes, elle pouvait cependant se servir de ses bras et de ses mains. Pendant cinq ans on l’a gardée à l’hôpital d’un camp avant de la renvoyer, la considérant comme morte. On l’a donc transférée chez nos parents, condamnés, en 1951, à l’exil à vie en Sibérie.”
Retour en Ukraine... et de nouveau persécutés
“En Sibérie, j’ai rencontré Nadia, qui est devenue ma femme, la mère de mes enfants. Même en Sibérie nous avons continué de prêcher. On m’a confié la responsabilité de produire et de dupliquer des publications bibliques. Toutes les nuits, mon frère Jacob et moi nous activions à reproduire La Tour de Garde dans une cache creusée en sous-sol. Nous possédions deux machines à écrire et une machine à polycopier de fortune. La police perquisitionnait régulièrement à notre domicile, mais chaque fois elle repartait les mains vides.
“Mon exil s’est achevé. Avec toute ma famille, je me suis installé en Ukraine, mais les persécutions nous ont suivis. J’ai été nommé surveillant itinérant. Pour subvenir aux besoins des miens, j’ai dû trouver un emploi. Plusieurs fois par mois, des agents du KGB venaient sur mon lieu de travail pour me persuader de transiger avec ma foi. Un jour, j’ai tout particulièrement ressenti l’aide de Jéhovah. On m’avait arrêté et amené aux bureaux du KGB de Kiev, où l’on m’a gardé six jours. Pendant tout ce temps, on a essayé, par une propagande athée, de semer la confusion dans mon esprit. Mes tortionnaires faisaient des remarques grossières sur La Tour de Garde et d’autres publications de la Société Watch Tower. L’épreuve est devenue presque insupportable. Dans les toilettes, je tombais à genoux et j’éclatais en sanglots en invoquant Jéhovah. Je ne lui demandais pas de me libérer, mais de me donner la force d’endurer l’épreuve et de ne pas trahir mes frères.
“Puis le chef de la police est venu me voir. S’asseyant en face de moi, il m’a demandé si j’étais réellement convaincu de ce que je défendais. Je lui ai donné un bref témoignage et lui ai dit que j’étais prêt à mourir pour la vérité. ‘Vous êtes heureux, m’a-t-il répondu. Si seulement j’étais convaincu que c’est bien là la vérité, je serais prêt, non pas à passer 3 ou 5 ans en prison, mais à y rester 60 ans debout sur une jambe.’ Il est demeuré pensif quelques instants, avant d’ajouter: ‘C’est une question de vie éternelle. Est-ce que vous vous imaginez ce que ça signifie vraiment, la vie éternelle?’ Après une brève pause, il m’a dit: ‘Rentrez chez vous!’ Ces mots m’ont donné une force inattendue. Je n’avais plus faim; je voulais seulement partir de là. J’étais convaincu que c’était Jéhovah qui m’avait fortifié.
“Ces dernières années, la situation a changé dans l’ex-Union soviétique. Aujourd’hui, nous avons une abondance de publications bibliques, nous pouvons assister à des assemblées de circonscription et de district et participer à toutes les formes de la prédication, y compris le ministère de maison en maison. Assurément, Jéhovah nous a donné la victoire face à de nombreuses épreuves!”
L’intégrité mise à l’épreuve en Afrique
Vers la fin des années 60, le Nigeria a sombré dans une horrible guerre civile. Devant les pertes de plus en plus lourdes qui leur étaient infligées, les soldats de la région en sécession, alors rebaptisée Biafra, enrôlaient de force les jeunes hommes. Les Témoins de Jéhovah étant politiquement neutres et refusant de participer à la guerre, nombre d’entre eux ont été chassés, brutalisés ou assassinés. “Nous étions comme des rats, se souvient un Témoin. Chaque fois que nous entendions venir des soldats, nous devions nous cacher.” Souvent, ils n’en avaient pas le temps.
Un vendredi matin de 1968, Philip, 32 ans, évangélisateur à plein temps, prêchait à un vieil homme à Umuimo quand des soldats biafrais ont fait irruption dans l’enceinte du village à la recherche de recrues.
“Que faites-vous?” a demandé le chef à Philip. Celui-ci lui a répondu qu’il était en train de parler de la venue prochaine du Royaume de Jéhovah.
“Ce n’est pas le moment de prêcher! a crié un soldat. Nous sommes en guerre, et nous ne voulons pas voir d’homme en bonne santé se promener sans rien faire.” Les soldats ont alors déshabillé Philip, lui ont ligoté les poignets et l’ont emmené. Israel, 43 ans, ancien dans la congrégation, n’a pas eu non plus le temps de se cacher. Il a été fait prisonnier alors qu’il préparait à manger à ses enfants. À 2 heures de l’après-midi, les soldats avaient regroupé plus de cent hommes. Ils les ont forcés à courir pendant 25 kilomètres jusqu’au camp militaire d’Umuacha Mgbedeala. Tous ceux qui ne suivaient pas étaient fouettés.
On a dit à Israel qu’il aurait à porter une mitrailleuse. Philip, lui, devait être entraîné au maniement d’un fusil mitrailleur. Quand ils ont expliqué qu’ils ne pouvaient pas se joindre à l’armée parce que Jéhovah l’interdit, le commandant a ordonné qu’ils soient enfermés. À 4 heures de l’après-midi, tous les conscrits, y compris ceux qui étaient dans la salle de police, ont dû se mettre en ligne. Les soldats ont alors demandé à chaque homme de signer un papier par lequel il déclarait avoir consenti à s’enrôler. Quand son tour est arrivé, Philip, faisant référence aux paroles de 2 Timothée 2:3, 4, a dit: “Je suis déjà ‘un excellent soldat de Christ’. Je ne peux pas me battre à la fois pour Christ et pour quelqu’un d’autre. Si je le fais, Christ va me considérer comme un traître.” Le commandant l’a frappé à la tête en criant: “Ta mission de soldat de Christ est terminée! Maintenant, tu es un soldat du Biafra.”
“Jésus ne m’a pas encore notifié la fin de ma mission, a répondu Philip. Elle continue tant que je n’ai rien reçu.” À ces mots, les soldats ont soulevé Philip et Israel et les ont jetés par terre. Étourdis, saignant des yeux, du nez et de la bouche, tous deux ont été traînés hors de la place.
Devant le peloton d’exécution
Plus tard dans la journée, Israel et Philip se sont retrouvés devant un peloton d’exécution. Mais les soldats n’ont pas ouvert le feu. Au lieu de cela, ils les ont battus à coups de poing et de crosse de fusil. Puis le commandant du camp a décidé de les faire flageller à mort. Il a chargé 24 soldats de la besogne. Six devaient s’occuper de Philip, et six autres d’Israel. Les 12 soldats restants fourniraient des verges neuves et remplaceraient les 12 premiers quand ils seraient fatigués.
Philip et Israel ont eu les poignets et les chevilles ligotés. “Je ne sais pas combien de coups nous avons reçus cette nuit-là, dit Israel. Quand un soldat était fatigué, un autre prenait la relève. Ils nous ont battus encore longtemps après que nous avons perdu connaissance.” “Le texte de Matthieu 24:13, qui parle de l’endurance jusqu’à la fin, m’est venu à l’esprit durant cette torture, raconte Philip. Cela m’a affermi. Je n’ai ressenti la douleur que quelques secondes. On aurait dit que Jéhovah avait envoyé un de ses anges pour nous aider, comme il l’a fait au temps de Daniel. Sans cela, nous n’aurions peut-être pas survécu à cette nuit terrible.”
Une fois leur tâche accomplie, les soldats ont laissé Israel et Philip pour morts. Il pleuvait. Ce n’est que le lendemain matin que les deux chrétiens sont revenus à eux. Quand les soldats ont vu qu’ils étaient encore vivants, ils les ont traînés de nouveau jusqu’à la salle de police.
“Vous sentez déjà le cadavre”
Sur tout le corps, ils présentaient des plaies sanglantes. “Nous n’avons pas eu le droit de laver nos blessures, se souvient Israel. Au bout de quelques jours, nous étions dévorés par les mouches. Torturés comme nous l’avions été, nous ne pouvions pas manger. C’est seulement après une semaine que nous avons pu avaler autre chose que de l’eau.”
Tous les matins, les soldats leur administraient 24 coups de fouet. Dans leur sadisme, ils appelaient cela “le petit déjeuner” ou “le thé chaud du matin”. Le midi, ils les faisaient sortir et les obligeaient à se tourner en direction du soleil tropical pendant une heure. Après quelques jours de ce traitement, le commandant les a fait venir pour leur demander s’ils avaient renoncé à leur position. “Non”, ont-ils répondu.
“Vous mourrez dans votre cellule. D’ailleurs, vous sentez déjà le cadavre.”
“Même si nous mourons, a répondu Philip, nous savons que Christ, pour lequel nous combattons, nous ressuscitera.”
Comment ont-ils survécu à ces moments? “Philip et moi nous sommes encouragés l’un l’autre tout au long de ces épreuves, explique Israel. Au début, je lui ai dit: ‘N’aie pas peur. Quoi qu’il en soit, Jéhovah nous aidera. Pour ma part, rien ne me fera m’enrôler dans l’armée. Même si je dois mourir, mes mains ne manieront pas de mitrailleuse.’” Philip a dit à Israel qu’il avait pris la même résolution. Ensemble, ils se remémoraient divers textes bibliques et en discutaient.
Un nouveau commandant a décidé de transférer une centaine de conscrits à Ibema, un camp d’entraînement de la région de Mbano, dans ce qui est aujourd’hui l’État d’Imo. Israel raconte ce qui est arrivé alors: “Le grand camion était prêt, et toutes les recrues étaient montées. Ma femme, June, a couru vers les soldats et, avec courage, les a suppliés de ne pas nous emmener. Rabrouée, elle s’est agenouillée près du camion et s’est mise à prier, en terminant par un ‘Amen’ audible. Puis le véhicule a démarré.”
Un mercenaire compatissant
Le camion militaire a atteint le camp d’Ibema le lendemain après-midi. L’homme qui semblait en être le commandant était un mercenaire israélien. Quand il a vu les blessures et l’état de faiblesse de Philip et d’Israel, il s’est approché d’eux pour leur demander des explications. Ils lui ont répondu qu’ils étaient Témoins de Jéhovah et qu’ils avaient refusé de suivre la préparation militaire. Furieux, il s’est tourné vers les officiers présents. “Le Biafra est assuré de perdre cette guerre, a-t-il lâché. Tout pays en guerre qui harcèle les Témoins de Jéhovah va à la défaite. Vous ne devez pas enrôler les Témoins de Jéhovah. Si un Témoin accepte d’aller à la guerre, d’accord. Mais s’il refuse, laissez-le.”
Le médecin du camp a demandé si les deux Témoins avaient reçu leurs vaccins et leurs certificats médicaux. Comme ce n’était pas le cas, le mercenaire a ordonné le renvoi de toutes les recrues au camp d’Umuacha.
“Suivez votre voie, servez votre Dieu”
Plus tard, la femme d’Israel et la mère de Philip ont décidé de se rendre à Umuacha dans l’espoir d’obtenir des nouvelles. En approchant du camp, elles ont entendu un brouhaha. Le garde posté à l’entrée s’est écrié: “C’est vous, la femme Témoin de Jéhovah! Dieu a répondu à votre prière. Le groupe qu’on avait emmené il y a trois jours a été renvoyé ici.”
Le même jour, Philip et Israel ont été libérés. “Savez-vous que c’est votre prière qui a fait échouer la manœuvre?” a dit le commandant à June. Puis il s’est adressé à Israel et à Philip: “Suivez votre voie, servez votre Dieu Jéhovah et restez-lui fidèles.”
Israel et Philip se sont rétablis et ont poursuivi leurs activités chrétiennes. Après la guerre, Israel a été prédicateur à plein temps pendant deux ans et a continué d’assumer ses fonctions d’ancien. Philip, lui, a été surveillant itinérant pendant dix ans. Il est toujours prédicateur à plein temps et ancien dans sa congrégation.
Ils refusent de verser de l’argent pour l’achat d’armes
Zebulan Nxumalo et Polite Mogane sont deux jeunes évangélisateurs à plein temps d’Afrique du Sud. “Un dimanche matin, raconte Zebulan, un groupe d’hommes est venu à la maison et a exigé 20 rands (l’équivalent de 35 francs français environ) pour l’achat d’armes. Très respectueusement, nous leur avons demandé de repasser le soir, car notre programme du dimanche était trop chargé pour que nous puissions discuter de la question à ce moment-là. À notre grande surprise, ils ont accepté. Le soir, 15 hommes sont arrivés. L’expression de leur visage ne laissait aucun doute: ils n’étaient pas là pour plaisanter. Après nous être présentés poliment, nous nous sommes enquis de ce qu’ils voulaient. Ils nous ont expliqué qu’ils avaient besoin d’argent pour acheter des armes meilleures et de plus gros calibre pour combattre la faction politique rivale.
“‘Est-il possible d’éteindre un feu avec de l’essence?’ leur ai-je demandé.
“‘Non, ont-ils répondu, c’est impossible.’
“Nous leur avons alors expliqué que, pareillement, la violence ne ferait qu’encourager la violence et les actes de vengeance.
“Cette remarque a semblé en contrarier plusieurs. Leurs exigences tournaient maintenant à la menace. ‘Ces échanges de points de vue sont une perte de temps, grondaient-ils. La contribution est obligatoire. Soit vous la payez intégralement, soit vous subissez les conséquences de votre refus!’
“À ce moment-là, poursuit Zebulan, alors que la situation commençait à échapper à tout contrôle, leur chef est intervenu. Il voulait savoir ce qui n’allait pas. Nous lui avons expliqué notre position, et il nous a écoutés attentivement. Comme exemple, nous nous sommes servis de leur attachement à leurs opinions politiques. Nous leur avons demandé ce qu’ils attendraient d’un soldat de leur mouvement qui viendrait à être fait prisonnier et que l’on voudrait forcer à transiger avec sa position. ‘Il devrait être prêt à mourir pour ses convictions’, ont-ils dit. Lorsque nous les avons félicités pour leur réponse, ils ont souri, sans se rendre compte qu’ils venaient de nous donner l’occasion rêvée d’illustrer notre cas. Nous leur avons alors expliqué que nous sommes différents des religions de la chrétienté. Pour nous qui soutenons le Royaume de Dieu, notre ‘constitution’ est basée sur la Bible; or celle-ci condamne toute forme de meurtre. De ce fait, nous n’étions pas disposés à donner ne serait-ce qu’un centime pour l’achat d’armes.
“Tout au long de la discussion, d’autres personnes étaient entrées chez nous, si bien qu’arrivés au moment décisif, nous avions de nombreux auditeurs. Ils ne se doutaient guère que nous priions avec ferveur pour que l’issue soit favorable.
“Une fois notre position clairement énoncée, il y a eu un long silence. Finalement, le chef a dit au groupe: ‘Messieurs, je comprends la position de ces hommes. Si nous voulions de l’argent pour construire une maison de retraite ou si l’un de nos voisins avait besoin d’être hospitalisé, ils seraient prêts à donner de l’argent. Mais ils ne sont pas disposés à nous en donner pour tuer. Personnellement, je ne suis pas contre leurs croyances.’
“À ces mots, tous se sont levés. Nous leur avons serré la main et les avons remerciés de leur patience. Ce qui avait commencé par une situation dangereuse susceptible de nous coûter la vie s’était terminé par une grande victoire.”
Des émeutiers menés par les prêtres
Voici le récit de Jerzy Kulesza, un Témoin polonais:
“Pour ce qui est du zèle et de mettre les intérêts du Royaume à la première place, mon père, Aleksander Kulesza, était un exemple. À ses yeux, la prédication, les réunions chrétiennes et l’étude individuelle et familiale étaient vraiment des choses sacrées. Ni les tempêtes de neige, ni le gel, ni les vents violents, ni la chaleur n’étaient pour lui un obstacle. L’hiver, il chaussait ses skis, prenait un sac à dos rempli de publications bibliques et partait pendant deux ou trois jours dans des territoires isolés de Pologne. Il devait faire face à divers dangers, dont la violence des rebelles.”
Parfois, des prêtres suscitaient de l’opposition aux Témoins en provoquant des émeutes. On les tournait en ridicule, on leur lançait des pierres ou on les battait. Mais ils rentraient heureux d’avoir enduré les insultes pour Christ.
“Dans les premières années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les autorités étaient incapables de faire respecter la loi et de maintenir l’ordre. Le pays était plongé dans le chaos et la destruction. La police et les forces de sécurité étaient maîtres le jour, tandis que les rebelles et autres bandes opéraient la nuit. Les vols étaient devenus fréquents, de même que les lynchages. Les Témoins de Jéhovah, sans défense, constituaient des proies faciles, d’autant plus que certains groupes menés par des prêtres concentraient sur eux leurs attaques. Ils envahissaient nos maisons sous prétexte qu’ils défendaient la foi catholique de leurs pères. Dans ces occasions, ils brisaient les vitres, volaient le bétail et détruisaient vêtements, nourriture et publications. Les Bibles, ils les jetaient dans le puits.”
Un martyre inattendu
“Un jour de juin 1946, avant que nous nous réunissions pour partir à vélo dans un endroit isolé, un jeune frère, Kazimierz Kądziela, est venu chez nous et a parlé à mon père à voix basse. Mon père nous a envoyés prêcher, mais il ne s’est pas joint à nous, ce qui nous a surpris. Nous allions avoir l’explication plus tard. Quand nous sommes rentrés à la maison, nous avons en effet appris que cette nuit-là la famille Kądziela avait été sauvagement battue. Mon père était donc allé s’occuper d’eux, car ils étaient gravement blessés.
“Quand, plus tard, je suis entré dans la pièce où ils étaient allongés, je n’ai pu m’empêcher de pleurer. Les murs et le plafond étaient éclaboussés de sang. Des corps emmaillotés de bandages gisaient sur les lits, les chairs tuméfiées, enflées, des côtes et des membres brisés. On les reconnaissait à peine. Sœur Kądziela, la mère, avait été horriblement battue. Mon père était à leur chevet. Avant de les quitter, il a eu ces mots très graves: ‘Ô mon Dieu, moi qui suis un homme valide et en pleine santé [il avait 45 ans et n’avait jamais été malade], je n’ai pas eu le privilège de souffrir pour toi. Pourquoi fallait-il que tout cela arrive à cette sœur âgée?’ Il était loin de se douter de ce qui l’attendait.
“Au coucher du soleil, nous sommes rentrés chez nous, à trois kilomètres de là. Un groupe de 50 hommes armés avait encerclé la maison. La famille Wincenciuk a été amenée, si bien que nous étions neuf. On a posé à chacun de nous cette question: ‘Êtes-vous Témoin de Jéhovah?’ Quand nous avons répondu par l’affirmative, les hommes nous ont battus. Puis deux de ces bouchers ont frappé mon père à tour de rôle en lui demandant s’il allait s’arrêter de lire la Bible et de prêcher. Ils voulaient savoir s’il irait à l’église pour confesser ses péchés. ‘Aujourd’hui, nous allons t’ordonner évêque’, raillaient-ils. Mon père n’a pas dit un mot, n’a pas prononcé la moindre plainte. Il a supporté la torture, docile comme une brebis. À l’aube, un quart d’heure environ après le départ de nos tortionnaires religieux, il est mort des coups qu’il avait reçus. Toutefois, avant de s’en aller, ces persécuteurs m’ont choisi comme leur deuxième victime. J’avais 17 ans. Pendant qu’ils me battaient, j’ai perdu connaissance deux ou trois fois. Sur toute la partie supérieure du corps, j’avais la chair tuméfiée. Nous avons été maltraités pendant six heures. Tout cela parce que nous étions Témoins de Jéhovah!”
Le soutien d’une épouse fidèle
“J’étais du nombre des 22 Témoins qu’on a enfermés pendant deux mois dans une cellule obscure de moins de 10 mètres carrés. À la fin de ces deux mois, nos rations de nourriture ont été réduites. De toute la journée, nous ne recevions qu’un petit morceau de pain et une timbale de café amer. Nous ne pouvions nous allonger sur le sol froid en ciment que lorsque quelqu’un était emmené la nuit pour un interrogatoire.
“Mes activités chrétiennes m’ont valu cinq incarcérations, et huit ans d’emprisonnement au total. J’étais traité comme un prisonnier à part; dans mon dossier une note stipulait: ‘Tourmentez Kulesza jusqu’à lui faire perdre toute envie de reprendre ses activités.’ Pourtant, chaque fois qu’on me relâchait, je me proposais pour le service chrétien. Les autorités harcelaient également ma femme, Urszula, et nos deux petites filles. Ainsi, pendant dix ans, l’huissier a saisi une partie du salaire durement gagné par ma femme; c’était, disait-on, la taxe que je devais verser parce que j’éditais clandestinement des publications bibliques. On nous confisquait donc tout, sauf ce que l’on considérait comme les nécessités de la vie. Je suis reconnaissant à Jéhovah d’avoir une femme comme la mienne, qui a patiemment enduré à mes côtés tous ces tourments et qui s’est avérée pour moi un réel soutien pendant toutes ces années.
“Ici, en Pologne, nous assistons à une victoire spirituelle: une filiale de la Société Watch Tower fonctionne officiellement à Nadarzyn, près de Varsovie et, après plusieurs dizaines d’années de persécutions, le pays compte plus de 108 000 Témoins, dans 1 348 congrégations.”
Pourquoi de si nombreux martyrs?
On remplirait des livres entiers si l’on voulait citer le cas de tous les Témoins de Jéhovah qui, au XXe siècle, ont prouvé leur intégrité. Au Malawi, au Mozambique, dans l’Espagne fasciste, dans l’Europe nazie, dans l’Europe de l’Est communiste et aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, des milliers de Témoins sont morts en martyrs, ont été emprisonnés, ont subi des tortures indescriptibles, ont été violés ou dépouillés de leurs biens. Pourquoi toutes ces persécutions? Parce que des chefs politiques et religieux inflexibles ne sont pas disposés à respecter la conscience éduquée par la Bible de chrétiens sincères qui refusent d’apprendre à tuer et se tiennent à l’écart de toute activité politique. Le Christ l’avait prédit, comme le montre Jean 15:17-19: “Je vous ordonne ceci: que vous vous aimiez les uns les autres. Si le monde vous hait, vous savez qu’il m’a haï avant de vous haïr. Si vous faisiez partie du monde, le monde chérirait ce qui est sien. Mais parce que vous ne faites pas partie du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait.”
Bien que persécutés dans le monde entier, les Témoins de Jéhovah ont connu l’accroissement: alors qu’en 1943 ils étaient 126 000 répartis dans 54 pays, ils sont aujourd’hui près de 4 500 000 dans 229 pays. Ils ont goûté la victoire même face à la mort et sont déterminés à poursuivre leur œuvre unique d’enseignement et de proclamation de la bonne nouvelle du Royaume jusqu’à ce que Jéhovah en décrète la fin. — Ésaïe 6:11, 12; Matthieu 24:14; Marc 13:10.
[Note]
a L’intégrité a été définie comme “la ferme adhérence à un code moral ou éthique strict”.
[Encadré/Illustration, page 6]
Martyre en Allemagne
AUGUST DICKMANN avait 23 ans quand Heinrich Himmler, le chef des SS, a ordonné son exécution devant tous les autres Témoins dans le camp de concentration de Sachsenhausen. Gustav Auschner était présent. Il raconte: “Ils fusillèrent frère Dickmann et nous avertirent que nous serions tous passés par les armes si nous ne signions pas la déclaration par laquelle nous renoncions à notre foi. On nous emmènerait à la carrière par groupe de 30 ou 40, et nous serions tous abattus. Le lendemain, les SS nous donnèrent à chacun une feuille à signer sous peine d’être fusillés. Il fallait voir leurs visages déconfits lorsqu’ils sont repartis sans une seule signature! Ils avaient espéré que l’exécution publique nous ferait peur, mais la crainte de déplaire à Jéhovah était beaucoup plus forte que celle des balles. Ils n’ont plus jamais abattu l’un de nous en public.”
[Encadré/Illustration, page 9]
Le tribut suprême
PARFOIS, la victoire face à la mort exige le tribut suprême. C’est un événement tragique que nous relate ce courrier de la congrégation de Nseleni, dans le nord de la province sud-africaine du Natal: “Nous vous écrivons pour vous informer de la disparition de notre cher frère Moses Nyamussua. Il était soudeur et mécanicien. Un jour, un groupement politique lui a demandé de souder des fusils de fabrication artisanale. Il a refusé. Puis, le 16 février 1992, les membres de ce groupement ont tenu un rassemblement, lors duquel ils ont eu un accrochage avec une faction rivale. Ce soir-là, ils ont rencontré notre frère, qui allait faire des achats. Ils l’ont abattu avec leurs lances. Pour quel motif? ‘Tu as refusé de souder nos fusils, et nos compagnons sont morts au combat.’
“Les frères ont été profondément bouleversés”, raconte frère Dumakude, secrétaire de la congrégation. “Mais, ajoute-t-il, nous poursuivrons notre ministère.”
[Encadré/Illustration, page 11]
Martyre en Pologne
EN 1944, alors que les troupes allemandes se repliaient en catastrophe et que le front s’approchait d’une certaine ville de l’est de la Pologne, les forces d’occupation ont obligé des civils à creuser des tranchées antichars. Ce que les Témoins de Jéhovah ont refusé de faire. Stefan Kieryło, un jeune Témoin baptisé depuis seulement deux mois, a été enrôlé dans une brigade de travail, mais il a courageusement adopté la même position de neutralité. Divers moyens ont été utilisés pour briser son intégrité.
On l’a attaché nu à un arbre dans un marécage pour le livrer aux moucherons et autres insectes. Il a supporté cette torture et d’autres, si bien qu’on l’a laissé tranquille. Toutefois, quand un officier de haut rang a inspecté la brigade, on lui a dit qu’il y avait là un homme qui n’obéissait en aucune façon à ses ordres. Stefan s’est vu enjoindre par trois fois de creuser la tranchée. Il a même refusé de prendre la bêche dans ses mains. On l’a fusillé. Des centaines de ceux qui ont assisté à son exécution le connaissaient personnellement. Son martyre est devenu un témoignage de la grande force que Jéhovah peut communiquer.
[Illustration, page 7]
Ananii Grogul
[Illustration, page 10]
Jerzy Kulesza
[Photo d’August Dickmann, page 6]
[Photo de Moses Nyamussua, page 9]
[Photo de Stefan Kieryło, page 11]