Rapports contradictoires sur la catastrophe de l’Exxon Valdez
EN AVRIL dernier, quatre ans après le naufrage de l’Exxon Valdez dans le détroit du Prince William, les scientifiques de la société Exxon ont rendu publics les résultats de leurs travaux. Selon la revue New Scientist, Exxon affirme que “les dégâts causés par la marée noire n’ont duré que quelques mois et que le détroit du Prince William a presque entièrement retrouvé son état initial”. Mais les scientifiques mandatés par le gouvernement américain qui se sont penchés pendant quatre ans sur les conséquences de la catastrophe sont loin de souscrire à ces conclusions. “Il est absolument évident, écrivent-ils, que le retour à la normale n’est pas encore pour demain. Dans certains cas, il faudra attendre de nombreuses années.” Et d’accuser “Exxon [de] sélectionne[r] les renseignements qui l’intéressent quand elle évalue l’évolution de la situation”. L’extrait suivant des constatations du biologiste et marin pêcheur Rick Steiner fait la lumière sur l’état actuel du détroit:
“La rareté des loutres de mer, des garrots arlequins, des guillemots et des hûtriers-pies est particulièrement frappante. (...) Dans les zones intertidales, les bancs de moules retiennent le pétrole emprisonné il y a quatre ans. (...) Les pêcheurs ont dû attendre l’été dernier [1992] pour savoir si le pétrole avait nui aux jeunes saumons à bosse nés à l’époque de la marée noire. Sur le nombre de poissons attendus, un quart à un tiers seulement sont revenus; un vrai désastre. (...) Les scientifiques nommés par l’État et par le gouvernement ont constaté les effets du pétrole chez toutes sortes d’animaux, des poissons aux baleines: lésions cérébrales, défaillance des facultés reproductrices, atteintes génétiques, malformations structurelles (telles que la déviation de la colonne vertébrale), léthargie, retard de croissance, modification des habitudes alimentaires, réduction de la taille des œufs, tumeurs oculaires, prolifération des parasites, lésions du foie et troubles du comportement.
“S’il est une certitude, c’est que les effets de la marée noire sont toujours là. On ne rétablit pas un écosystème comme on répare une machine. Pour beaucoup, la pilule est amère.” — National Wildlife EnviroAction.
Un scientifique de la commission fédérale a fait cette remarque: “Les études ne sont pas réalisées de façon impartiale. La science est entre les mains des avocats, qui décident quelles études appuieront les demandes de dommages et intérêts... ou lesquelles permettront de les rejeter.” D’où cette question pertinente de New Scientist: “La science est-elle d’une quelconque utilité quand de puissants intérêts sont en jeu?”
[Crédit photographique, page 31]
Wesley Bocxe/Sipa Press