Parents kidnappeurs
APRÈS avoir subi pendant des années de graves violences physiques et psychologiques de la part d’un mari qui avait fini par s’en aller avec une autre, Christine avait demandé le divorcea. Ayant obtenu la garde de ses enfants, elle commençait à retrouver la tranquillité et à reconstruire sa vie quand, un jour, le téléphone a sonné. C’était son ex-mari. “Si tu veux revoir tes enfants, lui a-t-il dit, il faudra que tu te remaries avec moi.” Au terme d’un séjour d’un mois dans le pays de leur père, les enfants de Christine se voyaient empêchés de retourner chez eux. C’était un enlèvement.
Effondrée, Christine s’est adressée au ministère des Affaires étrangères, pour apprendre qu’elle n’avait aucun moyen légal de reprendre ses enfants dans ce pays étranger. L’intense sentiment d’impuissance qu’elle avait éprouvé pendant toutes les années où elle avait été battue a resurgi. “C’est presque pareil, explique-t-elle. On ne sait pas quoi faire pour arrêter tout ça.”
“Violence psychologique”
On a qualifié l’enlèvement d’un enfant par son père ou sa mère d’“acte suprême de violence psychologique” perpétré à l’encontre de l’enfant lui-même et de l’ex-conjoint. Selon Carolyn Zogg, directrice de Child Find of America, un organisme qui aide les parents à retrouver leurs enfants disparus, “nombre des parents [kidnappeurs] agissent par esprit de vengeance; ils se vengent de la pire des manières, en frappant [l’autre] au point vulnérable, en s’en prenant à ce qu’il a de plus précieux: ses enfants. (...) Ils ne pensent pas à l’enfant, mais uniquement à eux et à leur revanche: se venger est leur idée fixe”.
Outre la colère, l’angoisse, les sentiments de vide et d’impuissance qu’il suscite chez le père ou la mère, l’enlèvement perturbe toujours plus ou moins l’enfant. Il peut le contraindre à une vie de fugitif, le priver de ses proches et l’obliger à entendre des calomnies sur celui ou celle à qui il a été arraché. D’où l’apparition possible de toutes sortes de troubles: incontinence urinaire, insomnie, attachement maladif, phobie des portes et des fenêtres, terreur extrême. Même les enfants plus âgés peuvent éprouver du chagrin et de la fureur.
Aux États-Unis, on enregistre chaque année plus de 350 000 cas de non-présentation d’enfants ou d’enlèvement par une personne n’ayant pas le droit de garde. Dans plus de 100 000 de ces affaires, l’auteur du méfait agit dans l’intention de déposséder définitivement son ex-conjoint de son enfant. Pour ce faire, certains s’installent dans un autre État, quand ils ne s’enfuient pas à l’étranger.
Autres raisons
Est-ce toujours par volonté de réconciliation ou désir de vengeance que des parents enlèvent leurs enfants? Michael Knipfing, de l’organisme Child Find, explique que certains redoutent de perdre la bataille juridique qui les oppose à leur ex-conjoint pour la garde des enfants; aussi, “poussés par la peur, ils prennent les devants”. Il arrive aussi que la frustration s’installe quand celui qui a reçu le droit de garde prive l’autre de son droit de visite. “Si vous aimez votre enfant et qu’on vous empêche de le rencontrer, explique Michael Knipfing, il arrive un moment où vous ne voyez d’autre solution que de l’enlever et de vous sauver.”
Il ajoute que ‘la plupart des gens ne sont pas conscients de tout ce qu’implique le rapt d’un enfant. Ils ne se rendent pas compte qu’ils auront du mal à trouver du travail, qu’un mandat d’arrêt est lancé contre eux. Ils croient qu’il s’agit seulement d’un problème entre eux et leur ex-conjoint. Ils oublient que la police est sur l’affaire. Ce n’est plus d’un avocat qu’ils ont besoin, mais de deux, car outre la procédure civile relative à la garde de l’enfant, ils se retrouvent sous le coup d’une inculpation’.
Parfois, le père ou la mère soupçonne son ex-conjoint de maltraiter l’enfant. Que la justice tarde à agir, et le désespoir risque de l’amener à passer à l’action en faisant fi des conséquences. C’est ce qui s’est produit dans le cas d’Hilary Morgan, une petite fille de cinq ans. Un pédopsychiatre avait recommandé de suspendre les visites de l’enfant chez son père, car des indices “clairs et convaincants” montraient que ce dernier se livrait sur elle à des abus sexuels. Cependant, les tribunaux ont jugé l’accusation non prouvée et ils ont confirmé le droit de visite sans exiger, qui plus est, la présence d’un tiers. Refusant d’obtempérer, la mère d’Hilary, le docteur Elizabeth Morgan, a caché sa fille. Ces enlèvements motivés par un souci de protection ont toute la sympathie du public.
Reste qu’Elizabeth Morgan a perdu son travail de chirurgien, passé plus de deux ans en prison et accumulé pour plus de 1,5 million de dollars de dettes en frais médicaux et judiciaires. “Selon les spécialistes, a-t-elle expliqué à U.S.News & World Report, si je ne l’avais pas soustraite aux sévices, aujourd’hui mon enfant aurait définitivement perdu la raison. (...) Il fallait que je fasse ce que le tribunal a refusé de faire: sauver mon enfant.”
À propos des enlèvements commis par des parents, les chercheurs Geoffrey Greif et Rebecca Hegar ont fait cette remarque pertinente: “Ces affaires sont extrêmement complexes. Elles ressemblent à ces trous d’eau profonds qui présentent de légères différences selon l’angle où l’on se place; chaque fois qu’on plonge ses regards dedans, on voit quelque chose de nouveau.” — Parents kidnappeurs: derrière les manchettes, des familles (angl.).
Outre ceux qui sont enlevés par leur père, leur mère ou un inconnu, des millions d’enfants sont mis à la porte de chez eux ou fuient d’eux-mêmes le foyer. Qui sont-ils et qu’advient-il d’eux?
[Note]
a Le nom a été changé.