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  • Un changement d’administration: une épreuve pour les serviteurs de Dieu
    Les témoins de Jéhovah dans les desseins divins
    • Chapitre 11

      Un changement d’administration: une épreuve pour les serviteurs de Dieu

      THOMAS: Est-​ce que J. F. Rutherford a immédiatement succédé au pasteur Russell comme président de la Société?

      JEAN: Non, pas tout de suite, Thomas. Pour permettre à l’œuvre de se poursuivre pendant les mois de novembre et de décembre 1916, on a d’abord institué un comité exécutif de trois membres. Cette administration transitoire, chargée de gérer les affaires de la Société, se composait du vice-président Ritchie, du secrétaire-trésorier Van Amburgh et du conseiller juridique Rutherforda.

      Cette façon d’agir traduisait bien l’incertitude qui régnait dans l’esprit même de ceux qui formaient alors le collège central des témoins de Jéhovah. Elle présageait en outre les années de crise que le peuple de Dieu allait traverser à cause de certains éléments hostiles et égoïstes qui, en provoquant des pressions au sein de l’organisation, amèneraient le jugement divin et la purification. C’est ainsi que Satan, qui se tient toujours aux aguets pour disloquer l’organisation du peuple de Dieu et pour entraver la proclamation de la bonne nouvelle du Royaume, s’est empressé de susciter un esprit de rébellion chez certains éléments travaillant au bureau central de l’organisation, à Brooklynb. Tous ces agissements étaient des preuves de la période critique de deuil et d’opprobre qui devait mettre en péril l’existence même de l’organisation. Les témoins de Jéhovah savaient qu’ils allaient au-devant d’un temps de détresse. Mais, dans sa miséricorde, Jéhovah leur a voilé les yeux quant à l’ampleur des tribulations que la maison de Dieu aurait à subir pendant ce temps critique de jugement.

      L’assemblée générale suivante de notre Société était fixée au 6 janvier 1917. Elle avait pour tâche d’élire, cette année-​là, son nouveau président en remplacement de C. T. Russell. Cette assemblée réunissait 600 personnes qui disposaient, elles-​mêmes ou par procuration, d’environ 150 000 voix.

      THOMAS: Que fallait-​il faire, Jean, pour se procurer le droit de voter à cette assemblée générale?

      JEAN: En ce temps-​là, il suffisait de verser dix dollars à la Société pour avoir droit à une voix. Si, jadis, le pasteur Russell avait pu disposer de 25 000 voix à la plupart des assemblées générales de la Société, c’est parce qu’il avait versé, de son vivant, environ 250 000 dollars. Mais, conformément à la loi, toutes ses voix se sont éteintes le jour de sa mort. Pour revenir aux 150 000 voix qui allaient être émises par l’assemblée générale de 1917, on peut dire que leurs détenteurs avaient, un jour ou l’autre, versé 1 500 000 dollars à la Société pour son œuvre de prédication. En 1944 cependant, lorsque cette façon de voter a été amendée, on a supprimé la possibilité d’acquérir des voix par des dons versés à la Sociétéc. À présent, chaque votant ne dispose plus que d’une seule voix.

      Or, à l’assemblée historique de 1917, J. F. Rutherford a été élu président à l’unanimité. W. E. Van Amburgh a été élu secrétaire-trésorier et A. N. Pierson, originaire du Connecticut, a été élu vice-présidentd. Le lendemain, un dimanche, le nouveau président a pris la parole devant 1 500 personnes venues assister, à Pittsburgh, à une réunion spéciale organisée pour la circonstance. Voilà comment Rutherford a commencé d’administrer notre Société dont il devait assumer la gestion pendant vingt-cinq ans.

      THOMAS: Pendant que nous y sommes, ne pourriez-​vous pas nous décrire un peu plus longuement la personne de Rutherford?

      LES ORIGINES DE J. F. RUTHERFORD

      JEAN: Mais certainement. Joseph Franklin Rutherforde est né de parents baptistes, le 8 novembre 1869, dans une ferme à Morgan County, dans le Missouri. Il avait seize ans quand son père a bien voulu le laisser entreprendre des études de droit, mais à condition qu’il subvienne à ses propres besoins. Étant agriculteur, son père n’avait pas les moyens de lui payer des études. Il lui a également demandé de trouver et de payer lui-​même quelqu’un qui ferait le travail à sa place. Son père pensait qu’il n’arriverait pas à se tirer d’affaire, et qu’il serait bel et bien obligé de devenir agriculteur à son tour. Décidé comme il l’était, le jeune Rutherford a cependant cherché à obtenir sur parole un prêt lui permettant de payer à la fois ses études et la personne qu’il avait engagée pour le remplacer à la ferme.

      Ainsi donc, Rutherford a réussi à payer toutes ses études lui-​même. Il a aussi appris la sténographie, dont il s’est servi jusqu’à sa mort avec une grande maîtrise. Vers la fin de sa vie, il notait rapidement en sténo les nombreuses pensées qui lui venaient à l’esprit pour La Tour de Garde et les transcrivait par la suite. En plus de ses études, il était déjà devenu sténographe près un tribunal. Cette occupation lui a permis de payer ses derniers cours. Tout en prenant les débats en sténo, il acquérait de l’expérience pratique et poursuivait ses études de droit.

      Celles-ci terminées, il a fait un stage de deux ans dans le cabinet du juge E. L. Edwards. Puis, à l’âge de vingt ans, il a été nommé rapporteur officiel près les tribunaux de la Quatorzième Circonscription judiciaire du Missouri. À vingt-deux ans, il a été admis au barreau du Missouri et a ouvert une étude d’avocat à Boonville, dans le Missouri. Il a été alors avocat plaidant de la Maison Draffen et Wright. Par la suite, il a rempli pendant quatre ans les fonctions de procureur général de Boonville, puis celles de juge spécial de cette même Quatorzième Circonscription judiciaire du Missouri. En cette qualité, il lui est arrivé de siéger comme juge suppléant dans nombre de procès en remplacement du juge régulier, lorsque celui-ci tombait maladef.

      Ainsi, le juge Rutherford a exercé le droit dans l’État du Missouri pendant quinze ans. Son étude d’avocat donnait satisfaction et il était même admis, comme avocat spécial, à plaider devant la Cour suprême des États-Unis, à Washington. En 1894, il est entré en contact avec des représentants de la Société Watch Tower.

      LOÏS [Elle l’interrompt]: Si mes souvenirs sont exacts, Marie nous a lu la lettre qu’il a écrite à la Sociétég.

      JEAN: C’est juste. Et douze ans plus tard, soit en 1906, Rutherford a voué sa vie à Jéhovah Dieu. Il devenait ainsi, en plus d’avocat, ministre chrétien ordonné.

      Nommé avocat de la Société Watch Tower en 1907, Rutherford allait désormais plaider les affaires du bureau central de Pittsburgh. Parallèlement, il parcourait le pays pour donner des conférences publiques comme n’importe quel frère pèlerin représentant la Sociétéh. En 1909, quand la Société a transféré son bureau central à New York, c’est lui qui a eu la tâche de négocier ce transfert; vous vous en souvenez certainement. À cet effet, il a postulé et obtenu son admission au barreau de l’État de New York. Le 24 mai de la même année, Rutherford a été admis, en cette nouvelle qualité, à plaider devant la Cour suprême des États-Unis.

      LE NOUVEAU PRÉSIDENT RELANCE L’ŒUVRE

      THOMAS: Une fois devenu président de votre Société, qu’est-​ce que Rutherford a entrepris pour relancer l’œuvre?

      JEAN: Rutherford était de ceux qui se mettent immédiatement à l’ouvrage. Il était pleinement d’accord avec Russell qui avait toujours préconisé que les témoins ne devaient jamais manquer de besogne et que l’œuvre de prédication formait la partie essentielle de leur activité chrétienne. C’est d’ailleurs pourquoi il a aussitôt réorganisé le bureau central de la Société Watch Tower, à Brooklyn, et qu’il s’est mis à réanimer l’œuvre du champ qui était en régressioni.

      Les changements qu’il y a apportés et les programmes qu’il a établis correspondaient tout à fait à ceux que Russell avait amorcés de son vivant. Le nombre des représentants itinérants de la Société, appelés “frères pèlerins”, est passé de 69 à 93. À l’époque, ceux-ci avaient pour tâche de visiter et d’affermir plus d’un millier de congrégations. Leur activité était d’autant plus nécessaire que les témoins de Jéhovah vivaient alors un temps de grandes épreuves et qu’il fallait les aider à garder un esprit optimiste pour reconnaître la valeur des occasions de service futures. Une autre possibilité d’exhorter les frères consistait à les encourager à distribuer gratuitement les tracts de la Société devant les églises certains dimanches, et par des visites régulières de maison en maison. Rien qu’en 1917, il a été distribué 28 665 000 exemplaires gratuits d’un nouveau journal mensuel de quatre pages, intitulé “L’Étudiant de la Bible” (The Bible Students Monthly).

      Une autre activité, entreprise par le pasteur Russell et appelée “l’œuvre pastorale”, avait aussi besoin d’être élargie et intensifiée. Du vivant de Russell, celle-ci se limitait à quelque 500 congrégations qui avaient élu Russell comme leur pasteur. Dans une circulaire adressée à ces groupements, il avait décrit cette activité comme une “œuvre importante permettant de rester en contact avec les personnes qui ont laissé leur adresse lors des conférences publiques et des représentations du Photo-Drame, ou qui figurent sur les listes dressées par les colporteurs, etc.”.

      Voici comment il fallait procéder: L’exécution de l’œuvre pastorale étant confiée spécialement aux sœurs, chaque congrégation devait élire démocratiquement un comité de deux membres, soit une présidente et une secrétaire-caissière. Il fallait partager la ville en parties de territoire et les attribuer à chaque sœur qui s’engageait à rendre visite aux personnes dont on avait relevé le nom. Le but de ces visites était de prêter des livres aux personnes qui montraient de l’intérêt, et qui désiraient les lire et les étudier. D’autres moyens encore permettaient d’encourager les gens à faire des progrès grâce à une meilleure connaissance de la vérité. On notait soigneusement sur les rapports l’intérêt rencontré, en spécifiant si la personne allait assister à l’une des conférences sur le Divin plan des âges, et d’autres renseignements. Pour aider les sœurs, on leur montrait diverses façons de se présenter aux portes. On leur donnait aussi des suggestions sur la manière de vaincre les préjugés et de se procurer les noms d’autres personnes encore qui pourraient s’intéresser au message. En concluant la visite, la sœur faisait savoir à son interlocuteur qu’une conférence sur le Divin plan des âges allait être donnée dans le quartier. On encourageait les personnes qui manifestaient de l’intérêt à venir écouter la conférence. Une fois qu’elles étaient venues, on les revisitait dans l’intention de commencer une étude dans le premier volume des Études des Écrituresj.

      THOMAS: Avant que vous passiez à autre chose, j’aimerais savoir ce qu’il faut entendre par “conférence sur le Divin plan des âges”. Vous avez mentionné cette expression à plusieurs reprises.

      JEAN: Il s’agissait d’une série de discours publics au cours desquels on expliquait un tableau élaboré par la Société. Celui-ci représentait graphiquement certains événements chronologiques et les “âges” ou grandes étapes du “plan de Dieu”, c’est-à-dire des desseins divins à l’égard de l’humanité. Les demi-cercles représentaient les “âges”, tandis que les lignes horizontales superposées indiquaient les degrés ou positions relatives que diverses classes occupent devant Jéhovah. On dressait ce tableau (ou “carte des âges”) devant le public, et l’orateur en expliquait les différents points, baguette en main. Même si la matière était ardue et quelque peu technique, la plupart des frères arrivaient fort bien à l’expliquer. Et, chose essentielle, ces discours contribuaient largement à intéresser les gens aux grands desseins de Jéhovah, tels que nous pouvions alors les comprendre.

      Tout à l’heure, j’ai eu l’occasion de vous dire que l’œuvre pastorale a été élargie et intensifiée après la mort de Russell. On encourageait désormais toutes les congrégations à prendre part à cette activiték. De plus, le nombre des colporteurs ou pionniers a été porté de 373 à 461. Pour seconder ces pionniers dans leur activité, la Société s’est mise, au début de 1917, à publier chaque mois des instructions de service tout spécialement à leur intention. Ces instructions, qui émanaient du bureau central, figuraient sur un double feuillet appelé “Le bulletinl”. Puis, dans le cadre de cette campagne de rajeunissement, on a tenu plusieurs réunions régionales qui devaient servir, elles aussi, à encourager les frères à poursuivre l’œuvre et à ne pas se lasser de faire le bien.

      THOMAS: On peut dire que Rutherford avait là un programme salutaire. Mais où en était le programme des réunions publiques sur lequel Russell avait insisté peu avant 1914?

      JEAN: Rutherford l’estimait indispensable pour l’organisation. Aussi a-​t-​il pris des dispositions pour que toujours plus d’orateurs qualifiés puissent représenter la Société devant le grand public. Ce résultat devait être atteint grâce à une disposition nouvelle: les questions VDM. Ces initiales viennent du latin Verbi Dei Minister et signifient “ministre de la Parole de Dieua”.

      Il s’agissait, en l’occurrence, d’un questionnaire accessible à tous les hommes faisant partie de la congrégation, que l’on voulait encourager et aider à mieux se qualifier dans le service grâce à la connaissance exacte des desseins divins. En répondant à ces questions imprimées, il fallait obtenir au moins 85 points sur 100 pour se qualifier comme orateur et être reconnu apte à prendre la parole sur les différentes matières. La Société autorisait les frères qui avaient réussi cet examen à la représenter, soit pour prononcer les conférences publiques sur le Divin plan des âges dans le cadre de la congrégation locale, soit pour s’adresser au grand public.

      Le questionnaire comportait vingt-deux questions bibliques pertinentes dont voici la première: “Quelle fut la première création de Dieu?” La question clé portait sur la rançon. Il était essentiel de savoir ce que le Christ accomplirait à la fin du règne millénaire. Ces questions donnaient un aperçu de toutes les doctrines révélées jusque-​là. Certaines se rapportaient au passé et à la conduite du candidat, à sa conversion, à son offrande, à son baptême et à l’étendue de ses connaissances acquises par l’étude de la Bible au moyen des écrits de la Société.

      ON DISCERNE LE SERVITEUR FIDÈLE

      THOMAS: Tout à l’heure, Jean, vous nous avez parlé de difficultés qui avaient surgi au bureau même de Brooklyn. D’après vous, elles présageaient que le peuple de Dieu allait connaître une grave période de jugement. Or, cette opposition interne se dressait-​elle surtout contre Rutherford ou plutôt contre le programme de service qu’il venait d’élaborer?

      JEAN: Il fallait plutôt en chercher la cause profonde dans le changement d’administration. Certains avaient beau dire que le désaccord provenait du choix des personnes, en réalité tout tournait autour de leur ambition. C’est que Rutherford était un homme tout autre que Russell. Certes Russell avait été énergique, positif et tourné vers le progrès; néanmoins il avait toujours été aimable, chaleureux et plein de tact dans ses relations avec tous ceux qui étaient dans l’organisation. Le juge Rutherford était d’une nature différente. Il était chaleureux et bon envers ses collaborateurs, mais il pouvait aussi être brusque et direct. Tout ce qui lui était arrivé dans sa jeunesse et sa carrière d’avocat et de juge avait fait de lui un homme qui s’attaquait immédiatement au fond du problème, ce qui n’a pas manqué de blesser certains frères qui avaient affaire avec lui. Nombreux étaient ceux qui avaient vu Russell jouer un rôle important dès le début de l’œuvre. Pour eux, il était plus que le simple représentant de l’organisation; ils l’admiraient en tant qu’homme. Cela n’avait pas échappé à Rutherford. Mais pour lui, le président de la Société ne devait être que l’instrument chargé d’assurer le maintien de l’organisation tout entière dans la position de serviteur de Dieu. D’après lui, il incombait au président de veiller à ce que ce serviteur soit équipé pour effectuer l’œuvre que Dieu lui a confiée.

      THOMAS: Quelle avait été l’opinion de Russell sur ce point?

      JEAN: Russell avait reconnu qu’une certaine responsabilité reposait sur tous les chrétiens qui disaient faire partie du corps du Christ et qui s’attendaient à rejoindre le Christ au ciel. Pour ce qui est de l’organisation elle-​même, en 1881 déjà Russell avait compris que le “serviteur” dont Dieu avait dit qu’il le choisirait pour lui confier l’œuvre à effectuer se composait du corps tout entier des disciples oints de Jésus-Christ. Voici ce qu’il a écrit dans La Tour de Garde de cette année-​là:

      Nous croyons que chaque membre de ce corps du Christ est engagé, soit directement ou indirectement, dans cette œuvre bénie qui consiste à donner la nourriture au temps convenable à la famille de la foi. “Quel est donc le serviteur fidèle et prudent, que son maître a établi sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable?” N’est-​ce pas ce “petit troupeau” de serviteurs consacrés qui accomplissent fidèlement leur vœu de consécration, — le corps du Christ, — et n’est-​ce pas tout le corps qui, individuellement et collectivement, dispense la nourriture au temps convenable à toute la maison de la foi, aux nombreux croyants?

      Heureux ce serviteur (tout le corps du Christ), que son maître, à son arrivée (grec, élthôn), trouvera faisant ainsi! “Je vous le dis en vérité, il l’établira sur tous ses biens.” Il héritera toutes ces chosesb.

      Avec le temps, cet enseignement s’est perdu et toute l’attention s’est portée, peu à peu, sur un seul hommec. La plupart des frères pensaient alors que le pasteur Russell était le “serviteur fidèle et prudent” dont parle Matthieu 24:45-47. Or cette idée allait susciter d’énormes difficultés pendant plusieurs années. Certains persistaient tellement à croire que Russell avait été ce “serviteur” que leur attitude tenait, au fond, du culte de la créature. À les entendre, toutes les vérités que Dieu désirait révéler à son peuple, il les avait révélées à Russell. Maintenant que ce “serviteur” était mort, il ne restait plus rien à révéler. En raison de cette attitude, Rutherford a été amené à extirper de l’organisation toute trace du culte de la personnalité. Voilà pourquoi, entre autres, il n’a pas cherché à obtenir la faveur des hommes; mais comme il avait observé quelle voie certains avaient choisie dans le passé, il se méfiait de ceux qui, à ses yeux, s’efforçaient de gagner ses bonnes grâces. C’est ce qui explique son attitude franche et directe dans tous ses contacts avec ses collaborateurs.

      Peu après l’élection de Rutherford comme président, il apparaissait que, dans l’organisation même, certains n’approuvaient pas ce choix. Quelques-uns estimaient, en effet, que ce poste aurait dû leur revenir à eux. Aussi ne se sont-​ils pas gênés pour chercher à évincer Rutherford, dans l’intention bien arrêtée de prendre en main les rênes de l’organisation. C’est au début de 1917, donc à peine quelques mois après l’élection de Rutherford, que cette idée a pris corps.

      LA GRAINE DE RÉBELLION EST SEMÉE

      THOMAS: S’agissait-​il d’une sorte de conspiration ou plutôt d’une controverse où chacun défendait ses propres intérêts?

      JEAN: D’abord, la semence de rébellion semblait germer chez un seul homme, mais elle s’est vite répandue et a fini par devenir une véritable conspiration. Voici de quelle façon tout a commencé.

      Quand la Première Guerre mondiale a éclaté, le pasteur Russell s’est rendu compte que la Société ferait bien d’envoyer en Angleterre un membre du bureau central pour y affermir les frères. Il avait eu l’intention d’y envoyer P. S. L. Johnson, d’origine juive, qui avait quitté le judaïsme pour se faire pasteur luthérien avant de connaître la vérité. Homme très capable, Johnson avait servi la Société en qualité d’orateur. Mais ses brillantes qualités devaient finalement provoquer sa chute.

      Du moment que Russell en avait émis le vœu, le comité transitoire qui gérait la Société avant l’élection de Rutherford a envoyé Johnson en Angleterre pour assumer la tâche prévue. Toutefois, dès son arrivée à Londres, celui-ci s’est arrogé des droits que la Société ne lui avait nullement conférés. Il s’est opposé à la ligne de conduite que suivait la Société, ainsi qu’au serviteur de filiale du bureau de Londres. Dans les discours qu’il prononçait devant les frères anglais, il se faisait passer pour le successeur du pasteur Russell et affirmait que le manteau du pasteur Russell était tombé sur lui, Johnson, tout comme le manteau du prophète Élie était tombé sur Élisée.

      Au cours des semaines qui ont suivi, il a tenté de faire passer sous son contrôle personnel toute l’œuvre en Grande-Bretagne et de s’imposer comme premier personnage parmi les frères du pays. Alors qu’il n’en avait nullement le droit, il a essayé de renvoyer certains membres de la famille du Béthel de Londres. La confusion était devenue si grande et l’œuvre se trouvait disloquée à tel point que le serviteur de la filiale s’est vu contraint de s’en plaindre à frère Rutherford, président de la Société. Celui-ci a immédiatement nommé une commission composée de plusieurs frères aînés domiciliés à Londres, mais qui ne faisaient pas partie du personnel du Béthel. Ces frères devaient entendre les faits et envoyer directement à Rutherford un rapport sur cette affaire. Cette commission s’est donc réunie. Après avoir dûment considéré les faits, elle a exprimé l’avis qu’il vaudrait mieux rappeler Johnson en Amérique, et cela pour le bien de l’œuvre en Angleterre.

      Tenant compte de cette suggestion, frère Rutherford a informé Johnson qu’il devait regagner les États-Unis. Or, Johnson a refusé tout net. Il s’est mis à écrire des lettres et à envoyer de coûteux câblogrammes dans lesquels il critiquait les frères de la commission et les accusait de parti pris au cours de leurs délibérations. Puis, par d’autres moyens encore, il a cherché à justifier la voie qu’il avait empruntée. Pour se rendre indispensable en Angleterre, il s’est servi de certains papiers que la Société lui avait fournis pour lui faciliter l’entrée en Angleterre. Enfin, il a fait bloquer les fonds de la Société, déposés dans une banque de Londres. Il a même fallu, par la suite, intenter un procès pour que la Société puisse de nouveau se servir de cet argent.

      Mais Johnson ne pouvait pas persister indéfiniment dans cette voie. Pour finir, il a dû regagner New York, où il a tout essayé pour persuader Rutherford de le renvoyer en Angleterre, car il espérait encore y reprendre ses fonctions avec de plus grandes attributions. Le jour où frère Rutherford a refusé, Johnson a cherché de l’appui auprès du conseil d’administration. Quatre membres ont finalement pris parti pour lui dans ce différend, en faisant passer frère Rutherford pour un homme qui n’avait pas l’étoffe pour être président de la Société. Or, comme le conseil d’administration ne comptait que sept membres, il fallait s’attendre à ce que la majorité du conseil s’oppose dès lors au président Rutherford, au vice-président Pierson et au secrétaire-trésorier Van Amburgh. Dans ce différend, il y avait donc d’un côté les membres du bureau de la Société, tandis que de l’autre côté s’étaient groupés les administrateurs qui cherchaient à évincer le président pour prendre en main les rênes de l’organisation.

      THOMAS: Comment pensaient-​ils arriver à leurs fins?

      JEAN: Leur intention était de subordonner le président au conseil d’administration, c’est-à-dire de faire de lui un personnage secondaire, réduit au rôle de simple conseiller. Pareille mesure ne pouvait être prise sans modifier certaines prescriptions internes, ni sans porter gravement atteinte aux statuts mêmes de la Société. Et dans ce cas, il fallait s’attendre à de graves ennuis.

      Tout au long de l’administration du pasteur Russell, le président et les autres membres du bureau étaient seuls à décider des nouvelles publications. Jamais on n’avait réuni le conseil d’administration pour le consulter à ce sujet. En assumant la nouvelle administration, frère Rutherford s’en est tenu à cette même ligne de conduite. Avec le temps, les trois membres du bureau ont donc décidé de publier le “septième volume” que l’on attendait depuis bien des années, et que Russell avait espéré écrire lui-​même avant sa mort. Ils ont pris les dispositions nécessaires pour que deux frères du bureau central, C. J. Woodworth et G. H. Fisher, puissent le compiler. La première partie de ce livre devait être un commentaire sur l’Apocalypse, tandis que la seconde serait un commentaire sur Ézéchiel. Les deux co-rédacteurs avaient pour tâche de rassembler, d’après les écrits laissés par Russell, tout ce qui avait été publié sur ces deux livres de la Bible. Le fruit de cette compilation devait paraître sous le titre “Le mystère accompli”, soit comme septième volume des Études des Écrituresd. Celui-ci contenait donc en grande partie les pensées et les commentaires que le pasteur Russell avait émis de son vivant.

      LA PARUTION DU “MYSTÈRE ACCOMPLI” PRODUIT L’EFFET D’UNE BOMBE

      C’est le 17 juillet 1917, à midi, que frère Rutherford a annoncé la parution de ce livre à toute la famille du Béthel, réunie dans la salle à manger. Respectant la coutume introduite par frère Russell, il a offert à chacun un exemplaire de ce nouveau livre. Celui-ci a produit l’effet d’une bombe. Complètement pris au dépourvu, les membres opposants du conseil d’administration ont immédiatement saisi cette occasion pour provoquer une controverse de cinq heures, portant sur la gestion des affaires de la Société.

      LOÏS: Mais que pouvaient-​ils bien objecter, puisque Russell avait espéré écrire lui-​même un septième volume? N’avez-​vous pas dit qu’il s’agissait d’une compilation faite d’après les écrits de Russell? Il me semble que leur argument n’avait guère de valeur.

      JEAN: En effet, ils n’avaient aucun motif valable pour s’y opposer, car Russell avait lui-​même déclaré: “Dès que j’en trouverai la clé, j’écrirai le septième volume; et si le Seigneur donne la clé à quelqu’un d’autre, que celui-là l’écrivee.” Si ces quatre membres s’opposaient à cette initiative, c’est parce qu’ils n’avaient pas été consultés. Mais maintenant le livre était là; il venait de paraître. Dans le débat de cinq heures qui s’en est suivi, les quatre administrateurs hostiles ont eu l’appui de Johnson. En présence de tout le personnel du Béthel, chacun s’est mis à exposer ouvertement ses griefs. Cette controverse a montré qu’un certain nombre de membres de la famille du Béthel éprouvaient de la sympathie pour ceux qui s’opposaient à l’administration de frère Rutherford. Si cette opposition persistait, elle risquait de paralyser le fonctionnement même du Béthel. Aussi frère Rutherford a-​t-​il pris les mesures qui s’imposaientf.

      L’apôtre Paul dit clairement qu’il faut prendre garde à ceux qui causent des divisions et les éviter. En vertu de ce principe biblique clair et net, Rutherford a jugé nécessaire de demander à ces membres mécontents de rentrer dans l’ordre, ou de s’en aller. Ceux-ci pensaient qu’il n’y aurait pas moyen de les remplacer. Toutefois, alors que Russell était encore en vie, Rutherford, en sa qualité de conseiller juridique, lui avait déjà fait remarquer que la nomination de ces membres du conseil ne répondait pas aux prescriptions légales. Il lui avait dit qu’il ne suffisait pas de désigner un nouveau frère au poste d’administrateur chaque fois qu’un membre du conseil d’administration mourait, mais que cette nomination, pour être valable d’après les statuts de la Société inscrite en Pennsylvanie, devait être approuvée et confirmée par un vote régulier émis par l’assemblée générale convoquée à Pittsburgh à la clôture de l’exercice annuel. Mais Russell avait omis de le faire. Cela revenait à dire que seuls les trois membres du bureau, élus régulièrement chaque année par l’assemblée générale à Pittsburgh, étaient des membres du conseil dûment constitué. Quant aux quatre opposants, ils étaient simplement des mandataires de Russell dont la nomination n’avait jamais été confirmée par une élection. Aux termes des statuts et de la loi, ceux-ci n’étaient donc pas membres du conseil.

      Ce point, Rutherford s’est gardé de le soulever immédiatement, car, tout au long de cette période de difficultés, il espérait que ces membres cesseraient leur opposition et finiraient par rentrer dans le rang. Dès qu’il est devenu évident que ceux-ci ne céderaient pas, Rutherford a jugé le moment venu de les destituer en faisant valoir les prescriptions légales. Furieux d’avoir été expulsés du conseil d’administration, les opposants ont demandé l’assistance juridique d’un avocat pour empêcher Rutherford de désigner quatre nouveaux membres du conseil. Toutefois, leur avocat n’a pu que confirmer le bien-fondé de la mesure prise par Rutherford en leur expliquant que, d’après la loi, ils n’avaient jamais été membres du conseil d’administration et que, de ce fait, Rutherford était entièrement dans son droit, comme président de la Société, en refusant de les considérer comme tels. De son côté, Rutherford a immédiatement confié à quatre autres frères les postes devenus vacants, en attendant que ces nominations soient entérinées par l’assemblée générale suivante, tenue en 1918.

      Néanmoins, frère Rutherford n’a pas congédié purement et simplement les membres destitués. Il leur a offert des postes importants comme frères pèlerins, mais ils ont refusé et ont quitté le Béthel de leur propre chef. Malheureusement, et il fallait s’y attendre, ce n’est pas en quittant leur service au bureau central qu’ils se sont réconciliés avec l’organisation de Jéhovah. Au contraire, ils se sont mis à faire connaître leur opposition en dehors du Béthel au moyen d’une vaste campagne de conférences et de lettres qui a couvert les États-Unis, le Canada et l’Europe. Le résultat, c’est que, dès l’été de 1917, il y avait dans le monde entier de nombreuses congrégations divisées en deux clans. Comme un grand nombre de frères avaient alors sombré dans l’assoupissement spirituel, ils devenaient la proie facile des paroles flatteuses de ces opposants. Ne voulant pas coopérer à la prédication de la bonne nouvelle du Royaume, ils ont refusé de se laisser réveiller par l’esprit nouveau qui émanait à cette époque-​là de l’œuvre réanimée. Les États-Unis d’Amérique venaient d’entrer dans la Première Guerre mondiale. L’opposition croissante du clergé et l’hostilité du public devaient encore aider les opposants, aux idées négatives, à se faire écouter par les frères qui ne discernaient pas clairement où se trouvait l’organisation de Dieu. Leur participation à l’œuvre se faisait de plus en plus rare et, pour finir, eux aussi prenaient rang parmi les adversairesg.

      UN DERNIER EFFORT DÉSESPÉRÉ EST TENTÉ POUR S’EMPARER DE LA DIRECTION

      Cependant, les clans des adversaires n’étaient pas endormis au point de s’abstenir de toute activité. Ils déployaient un zèle extrême en vue de s’emparer du contrôle des congrégations locales, dans l’intention d’évincer ceux qui cherchaient sincèrement à faire progresser la volonté divine en poursuivant l’activité de prédication. Comme il est prédit dans les Écritures, ceux-là ne prenaient pas intérêt à nourrir les brebis du Seigneur selon la nourriture servie à la table de Jéhovah, mais s’occupaient activement à battre et à calomnier leurs compagnons. Tout cela s’est produit au cours de l’été de 1917. Alors s’est creusé le fossé qui, désormais, allait nettement séparer les opposants de ceux qui, pour servir Jéhovah, se conformaient aux dispositions que frère Russell avait appliquées tout au long de son administration et que frère Rutherford renforçait à présent.

      Dès les premiers mois de 1917, la Société avait annoncé qu’une grande assemblée aurait lieu à Boston, en août de la même année. Les dissidents se figuraient qu’ils arriveraient à faire passer cette assemblée sous leur contrôle, mais frère Rutherford était décidé à ne pas se laisser faire. Pour prévenir, à cette occasion, toute initiative de leur part, Rutherford, en tant que président de la Société, a lui-​même assuré la présidence de cette grande assemblée, et cela en permanence. Pour lui, c’était là le meilleur moyen de contrôler chaque session. Quant aux opposants, ils n’étaient pas autorisés à prendre la parole. Ces précautions ont eu pour résultat que cette grande assemblée a été une entière réussite, toute à la louange de Jéhovah. Ceux qui avaient cherché à interrompre l’œuvre du Royaume venaient de subir un échec complet.

      Mais ces adversaires ambitieux pensaient déjà à leur prochaine tentative. Ils chercheraient à avoir la haute main sur l’assemblée générale ordinaire de la Société, convoquée pour le 5 janvier 1918 à Pittsburgh. Celle-ci serait appelée à confirmer, par un vote, la nomination des quatre nouveaux administrateurs que frère Rutherford avait désignés en remplacement des dissidents. Rutherford savait que cette assemblée générale était la toute dernière tentative désespérée qui restait aux dissidents pour mettre la main sur la Société. Il était à peu près certain que la majorité de cette assemblée n’approuverait pas une telle initiative. Cette élection étant du ressort de l’assemblée générale de la Watch Tower Bible and Tract Society, légalement constituée, seuls les membres ayant le droit de vote allaient pouvoir s’exprimer. Mais alors, la grande majorité des frères ne pourraient pas se prononcer sur cette affaire.

      Toutefois, pour permettre à tous les serviteurs voués de Jéhovah de se prononcer, La Tour de Garde (angl.) du 1er novembre 1917 suggérait qu’il faudrait procéder à un référendum dans chaque congrégation localeh. Le 15 décembre, le bureau central avait déjà reçu les résultats de 813 congrégations. Sur 11 421 voix, 10 869 confirmaient Rutherford dans sa fonction de président. Ce référendum ne laissait subsister aucun doute. L’immense majorité des frères actifs dans le champ soutenaient bel et bien frère Rutherford et son administration. De plus, cette consultation officieuse avait démontré que l’on préférait tous les membres fidèles du conseil d’administration, remanié en juillet 1917, aux cinq qui avaient fomenté la rébellioni.

      Dans l’ensemble, le vote des frères traduisait l’attitude que l’assemblée générale ordinaire allait adopter. Rutherford et les autres administrateurs ont tous été légalement réélus, tandis qu’aucun des opposants n’a réussi à entrer dans le conseil d’administrationj.

      À ce moment-​là, le désaccord était devenu si complet que la réconciliation n’était plus possible. À la suite de la défaite subie à l’assemblée générale ordinaire de la Société, en janvier 1918, les dissidents ont formé leur propre organisation dirigée par ce qu’ils appelaient le “Comité des septk”. Au moment de la Commémoration, le 26 mars 1918, la scission était vraiment achevée, car les dissidents ont préféré célébrer la mort du Christ en dehors des congrégations fidèles de la Société.

      LOÏS: Leur organisation a-​t-​elle atteint une certaine importance?

      JEAN: Bien au contraire. Ceux qui formaient l’opposition sont restés unis à peine quelques mois. Lors d’une assemblée tenue en été de 1918, d’autres divergences devaient amener une nouvelle scission dans leurs rangs. Johnson a alors emprunté une voie différente de celle des quatre autres dissidents. Mais chaque clan gardait ses adeptes. Pour organiser son propre groupe dissident, Johnson s’est établi à Philadelphie d’où il dirigeait son mouvement, jusqu’à sa mort, avec le titre de “souverain sacrificateur de la terre”. D’autres dissensions allaient dès lors amener encore des scissions. Pour finir, le groupe primitif qui s’était séparé de la Société en ce temps critique de jugement s’est désintégré à tel point qu’il a donné naissance à plusieurs sectes schismatiques.

      LOÏS: Étaient-​ils nombreux, ceux qui se sont alors séparés de la Société?

      JEAN: Il serait difficile de connaître leur nombre exact. On peut néanmoins s’en faire une idée grâce aux rapports partiels reçus par la Société. Autrefois, celle-ci publiait un rapport partiel de l’assistance dénombrée à la Commémoration dans le monde entier. Diverses congrégations envoyaient leur rapport au bureau. Or, en raison des difficultés qui avaient marqué l’année 1918, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation, les chiffres concernant l’assistance n’ont pas été recueillis. En 1917, le rapport partiel de la Commémoration, célébrée le 5 avril, mentionnait une assistance de 21 274 personnes, et c’était là le nombre de ceux qui avaient quelque lien avec la Société. Pour la Commémoration célébrée le 13 avril 1919, le rapport partiel, qui ne comprenait pas tous les pays étrangers, n’indiquait, en revanche, qu’une assistance de 17 961 personnes. Quoique incomplets, ces chiffres montrent clairement que le nombre de ceux qui avaient cessé de marcher de pair avec leurs fidèles compagnons était de loin inférieur à 4 000l.

      Quant à ceux qui remplissaient fidèlement leurs privilèges de service, ils ont reçu de l’ouvrage, et c’était là ce que Jésus avait prédit dans sa prophétie. Ainsi, fidèles à l’œuvre commencée par le pasteur Russell des dizaines d’années auparavant, ces serviteurs de Dieu avaient mis toute leur énergie à distribuer Le mystère accompli au cours des derniers mois de 1917 et au début de 1918. À peine sept mois après que la nouvelle administration avait commencé à fonctionner, la Société passait commande de 850 000 exemplaires de ce livre auprès des imprimeurs qui travaillaient pour elle. On pouvait lire dans La Tour de Garde de 1917: “La vente du septième volume n’a été égalée, pour le même laps de temps, par aucun autre livre connu, la Bible exceptéea.”

      Ce livre allait pourtant devenir une pomme de discorde. D’un côté, il y avait ceux qui, dans leur assoupissement spirituel, refusaient de coopérer à l’avancement de l’œuvre du Royaume et, de l’autre côté, se tenaient les faux chefs spirituels du peuple, c’est-à-dire le clergé de la chrétienté. Ce livre dévoilait de façon cinglante le rôle joué par ces faux bergers.

      La rébellion partie du sein même de l’organisation avait été douloureuse à supporter. Pourtant, elle n’était rien en comparaison de ce que l’organisation aurait encore à subir de la part des ennemis du dehors. La haine que Satan nourrissait, depuis de longs siècles, contre l’organisation divine, semblait à présent se déchaîner d’un seul coup. En quelques mois, par un effort résolu, le Diable croyait pouvoir faire disparaître de la terre toute trace rappelant le témoignage du Royaume. Sans la miséricorde et l’amour loyal de Jéhovah, les quelques mois qui vont suivre auraient pu porter un coup fatal à la Société Watch Tower.

  • Livrés à la captivité
    Les témoins de Jéhovah dans les desseins divins
    • Chapitre 12

      Livrés à la captivité

      THOMAS: La semaine dernière, Jean, vous avez fait mention d’un effort déployé par l’ensemble de vos ennemis pour annihiler l’œuvre des témoins de Jéhovah. Que s’est-​il passé?

      JEAN: L’œuvre fut pour ainsi dire stoppée, Thomas. Naturellement, certains témoins purent poursuivre leur activité de prédication, à titre individuel, au cours de cette époque critique; mais il y eut un moment d’inactivité sur le plan de l’organisation. Les événements qui précédèrent cette période devaient atteindre leur point culminant après la rébellion observée au siège de la Société, à Brooklyn, en été 1917.

      Pour parachever l’année 1917, le 30 décembre avait été choisi pour inaugurer, grâce au service volontaire du dimanche, la diffusion massive (10 000 000 d’exemplaires) d’un nouveau tract mensuel de quatre pages intitulé L’Étudiant de la Bible. Cette édition avait pour titre “La chute de Babylone — Pourquoi la chrétienté doit souffrir à présent — L’issue finalea”. Elle contenait des extraits du Mystère accompli faisant allusion au clergé d’une manière des plus directes. Le même jour, et sur le même sujet, aux fins de soutenir cette campagne, on prononça une conférence annoncée à grand renfort de publicitéb.

      Ce tract se révéla être l’une des éditions mensuelles les plus efficaces qui aient été répandues par millions depuis 1910. Il démontrait que les organisations religieuses, catholique et protestante, étaient unies pour former la Babylone moderne qui doit bientôt sombrer dans l’oubli. Au verso de ce tract figurait un croquis représentant un rempart ou muraille en train de s’écrouler. Les blocs tombaient, les uns après les autres; ils portaient les inscriptions suivantes: “Protestantisme”, “Croyances”, “Théorie des tourments éternels”, “Doctrine de la trinité”, “Le mal n’existe pas”, “Ni la douleur”, “Ni la mort”, “Ni le Diable”, “Succession apostolique”, “La fin justifie les moyens”, “Baptême des nouveau-nés”, “La confession”, “Le purgatoire”, “Vente des indulgences”, et bien d’autres encore. La chute de ces pierres représentait l’échec de ces fausses doctrines incapables de dispenser une nourriture spirituelle solide.

      THOMAS: Le clergé n’a pas dû accepter de bon gré pareil traitement!

      JEAN: En effet. Il fut tellement courroucé par cette dénonciation virulente qu’il s’empara de certaines déclarations parues dans Le mystère accompli, alors largement répandu, dans le but précis de mettre fin à la Société. On prétendit que ces déclarations étaient de nature à engendrer la sédition. Bien que le Canada et les autres pays fussent déjà en guerre depuis 1914, ce livre avait été rédigé et devait être diffusé avant même que les États-Unis ne soient entrés en guerre le 6 avril 1917. L’ouvrage en question parut en juillet 1917.

      Depuis l’automne de 1914, les témoins de Jéhovah prêchaient dans le deuil et l’opprobre, comme cela avait été prédit dans Révélation 11:3. L’opposition des chefs religieux avait été sévère, mais après la distribution du tract La chute de Babylone, elle était devenue violente. Non seulement ces dirigeants de la chrétienté voulaient faire disparaître la Société, mais encore, à l’exemple de la hiérarchie juive du temps de Jésus, ils désiraient que l’État accomplisse le côté sordide du travail à leur place. Le 12 février 1918 vit le déclenchement de la réaction gouvernementale contre la Société, le Canada étant en tête. À cette date, l’activité de la Société Watch Tower fut interdite. Une dépêche parue dans les journaux de l’époque disait entre autres:

      Le Secrétaire d’État, s’autorisant des prescriptions sur la censure, a publié des ordres interdisant la possession au Canada d’un certain nombre de publications, parmi lesquelles figure le livre publié par l’Association internationale des Étudiants de la Bible, intitulé “ÉTUDES DES ÉCRITURES — Le mystère accompli”, généralement reconnu comme la publication posthume du pasteur Russell. De même, la diffusion de l’Étudiant de la Bible, publié également par cette Association, est interdite au Canada. La possession de l’un quelconque de ces livres prohibés expose son possesseur à une amende n’excédant pas 5 000 dollars et à cinq ans de prisonc.

      Plus tard, la Tribune de Winnipeg (Canada), après avoir mentionné l’ordre d’interdiction rapporté ci-dessus, déclara:

      On accuse ces publications de contenir des déclarations séditieuses et contre la guerre. C’est le Rév. Charles G. Paterson, pasteur de l’Église St-Étienne, qui, il y a quelques semaines, dénonça, du haut de la chaire, des extraits de l’un des récents numéros de l’Étudiant de la Bible. Par la suite, le procureur général Johnson envoya chercher un exemplaire de la publication chez le Rév. Paterson. On croit que l’ordre de la censure en est le résultat directd.

      CONSPIRATION CONTRE LA VÉRITÉ SUSCITÉE PAR LE CLERGÉ

      THOMAS: Il semble bien que le clergé canadien ait été à l’origine de cette interdiction.

      JEAN: Cela ne laisse aucun doute. Une série de manœuvres inspirées par le clergé fut mise en branle. Elles avaient pour but de contraindre les gouvernements respectifs des États-Unis et du Canada à écraser la Société Watch Tower et ses collaborateurs.

      THOMAS: Que fit le gouvernement des États-Unis? Il n’interdit tout de même pas la Société à son tour, n’est-​ce pas?

      JEAN: Non, mais suite aux opérations entreprises au Canada, et toujours en ce mois de février, le commencement de la conspiration internationale devint manifeste. Le service du contre-espionnage de l’armée des États-Unis à New York perquisitionna au siège de la Société. On avait accusé celle-ci de sédition, la suspectant d’entretenir des relations avec l’ennemi allemand. C’était là un chef d’accusation très grave, puisque, à cette époque, les États-Unis étaient en guerre contre l’Allemagne et les Empires centraux. On avait formulé une déclaration mensongère, en rapportant au gouvernement des États-Unis que le Béthel de Brooklyn servait de centre de transmission pour les messages destinés au gouvernement allemand.

      LOÏS: Comment cela? Par un réseau international d’“espionnage”?

      JEAN: Non. L’accusation était bien plus ridicule. En 1918, voyez-​vous, quatre bonnes années avant les transmissions radiophoniques, les communications par fil et le service du télégraphe avaient été étendus au monde occidental dans sa totalité; or, dès avant 1915, on avait expérimenté les communications sans fil. Ce procédé ne s’était pas avéré efficace, les messages codés ne pouvant être transmis qu’à une faible distance. En 1915, frère Russell s’était vu offrir un petit récepteur sans fil. Bien que pour sa part il n’y ait trouvé guère d’intérêt, d’autres membres du Béthel, en revanche, avaient posé une petite antenne sur le toit de l’immeuble afin de capter des messages, sans grand succès toutefois. En 1918, cet appareil récepteur fut confiné dans un réduit. Aucun message n’avait jamais été émis à partir du Béthel. En 1918, lorsque deux membres du service de contre-espionnage vinrent inspecter le Béthel, on les conduisit sur le toit afin de leur faire voir l’ancien emplacement du récepteur sans fil. Puis les frères leur montrèrent l’instrument lui-​même, tout emballé. Ils permirent volontiers à ces hommes d’emporter le récepteur et d’ôter l’antenne. Il était bien évident que l’ensemble n’avait pas servi depuis longtempse.

      La phase suivante se produisit le dimanche 24 février 1918, lorsque frère Rutherford prononça pour la première fois le discours qui, par la suite, devait avoir pour titre “Des millions actuellement vivants ne mourront jamais”. Cela se passait à Los Angeles, en Californief. Le jeudi d’après, soit le 28 février, des agents du gouvernement firent irruption dans la grande salle de réunions et dans les locaux de la congrégation de Los Angeles et confisquèrent les publications de la Société. Suite à leur appel sous les drapeaux, plus de vingt témoins étaient déjà détenus dans certains camps et certaines prisons militairesg.

      CONTRE-ATTAQUE MENÉE PAR LES “NOUVELLES DU ROYAUME”

      LOÏS: La Société ne pouvait-​elle rien faire pour démasquer le véritable responsable de cet état de choses?

      JEAN: En fait, le 15 mars 1918, la Société décida de riposter à l’attaque du clergé en révélant la pression exercée par celui-ci, pression qui se faisait maintenant sentir de tous les côtés. On décida de publier un nouvel ouvrage intitulé Nouvelles du Royaume (No 1). L’Étudiant de la Bible ne paraissait plus; aussi proposa-​t-​on ce nouvel écrit adapté aux événements du moment pour susciter de l’indignation auprès du public, tant aux États-Unis qu’au Canada et en Angleterre.

      La diffusion de ce nouveau tract commença à New York le 15 mars 1918. Son en-tête faisait paraître, entre autres, le texte “Le Royaume des cieux s’est approché”, ainsi que la référence de Matthieu 3:2. Sur la partie gauche du tract figuraient dans un cadre les mots “Édité pour faire progresser la connaissance chrétienne” et “Enseignez toutes les nations”. À droite, on pouvait lire: “Consacré aux principes de la tolérance religieuse et à la liberté chrétienne”. Le titre s’étalait sur six colonnes; il s’intitulait “Intolérance religieuse — Les disciples du pasteur Russell persécutés parce qu’ils annoncent la vérité au peuple — La manière dont les Étudiants de la Bible sont traités rappelle l’‘âge des ténèbres’”. Un verset biblique venait ensuite, imprimé en caractères plus petits: “Un esclave n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi.” Puis étaient exposés les faits relatifs à la persécution et à l’interdiction de l’œuvre qui avaient commencé au Canada. Ce tract démasquait le clergé, déclaré responsable de vouloir détruire les témoins dans ce paysh. Il présentait également un rapport sur la persécution endurée par les témoins en Allemagne.

      LOÏS: Puisque les témoins étaient aussi persécutés en Allemagne, les gens auraient dû comprendre que vous n’étiez pas proallemands.

      JEAN: Beaucoup le savaient bien. Mais il faut vous souvenir, Loïs, que les sentiments s’exaltent vite, et que les témoins de Jéhovah constituaient une minorité impopulaire. Pourtant, à propos du service militaire aux États-Unis, les témoins avaient formulé la déclaration suivante:

      Nous reconnaissons, dans le gouvernement des États-Unis, une institution politique et économique qui, de par sa loi fondamentale, détient le pouvoir et l’autorité de déclarer la guerre et d’enrôler ses citoyens pour accomplir un service militaire. Nous ne sommes pas qualifiés pour faire obstacle à la conscription ou à la guerre de quelque manière que ce soit. Le fait que certains de nos membres aient cherché à tirer profit de la protection offerte par la loi a servi de prétexte à une autre vague de persécution.

      Le No 1 des Nouvelles du Royaume exposait également le point de vue des étudiants de la Bible vis-à-vis de la guerre. Il présentait en outre un compte rendu sur le récepteur que le gouvernement avait fait enlever du Béthel et sur les recherches infructueuses entreprises au siège de la Société. Cet imprimé donnait en conclusion un rapport sur le septième volume, Le mystère accompli, ainsi que sur l’opinion du clergé à son sujet. La quasi-totalité de la dernière page de ce tract était consacrée à une annonce qui encourageait les habitants de la ville de New York à assister à une conférence présentée le 24 mars. Cette annonce était ainsi rédigée: “‘Le monde a pris fin! Des millions d’hommes actuellement vivants peuvent ne jamais mourir!’ — Discours public de Me J. F. Rutherford, membre du barreau de l’État de New York.” Ce discours, celui-là même que frère Rutherford avait prononcé pour la première fois à Los Angeles au mois de février de la même année, attira une assistance de 3 000 personnesi. Il suscita un grand intérêt parmi le public et se révéla être le premier enseignement dispensé publiquement à une grande foule de personnes invitée à sortir de la Babylone moderne avec la perspective d’acquérir la vie éternelle. Nombreux furent ceux qui tinrent compte de cet avertissement à cette époque.

      Vous vous souvenez que la parution du Mystère accompli en juillet 1917 avait provoqué une scission parmi les membres du Béthel, scission qui s’était étendue à un grand nombre de congrégations. Malgré cela, les oints restés fidèles poursuivirent leur activité et, plus tard, Rutherford rapporta qu’au cours de l’année 1918, 7 000 témoins avaient pris part à la diffusion du Mystère accomplij. D’autres avaient distribué des tracts et des invitations à domicile et avaient rendu un témoignage verbal.

      LOÏS: Ces témoins devaient vraiment posséder une conviction profonde pour s’ériger ouvertement contre les systèmes religieux populaires, étant donné la vive opposition dont ils faisaient l’objet.

      JEAN: Il leur fallait du courage et la foi pour répandre ces Nouvelles du Royaume par tout le pays. La colère des chefs religieux s’était déjà exercée contre la Société Watch Tower; à présent, toute autre manifestation de la part des témoins devait obligatoirement attirer une intensification de la persécution du clergé. Mais les témoins comprenaient que les gens devaient connaître les faits pour assurer leur propre protection. Chacun avait son rôle à jouer dans le dessein de Dieu. Ainsi, même s’il était impossible de faire cesser les attaques du clergé contre la Société, il s’avérait nécessaire de le dénoncer.

      LA CONTRE-OFFENSIVE PREND DE L’AMPLEUR

      La célébration annuelle du repas du Seigneur pour 1918 était passée, et le 15 avril était arrivé. Le même jour a paru le tract Nouvelles du Royaume (No 2). Il contenait un message encore plus puissant contre la conspiration politico-religieuse qui avait pour but la destruction de la Société. L’audacieux en-tête disait: “Le mystère accompli et la raison de son interdiction. — Le clergé y est pour quelque chose.” Ce journal dévoilait l’action du clergé qui encourageait les instances gouvernementales à harceler la Société, à procéder à des arrestations, à s’élever contre Le mystère accompli et à pousser les frères à supprimer certaines pages du livre, ce qui constituait en réalité un compromis. Ce journal expliquait pourquoi le clergé s’opposait aux témoins avec une telle virulence et dépeignait la nature réelle de leur action: l’intolérance religieuse. Cette édition des Nouvelles du Royaume répétait ce qu’était la position adoptée par les témoins à propos de la guerre et expliquait leur croyance sur ce qui constituait à leurs yeux la vraie Église. Démontrant la portée internationale de cette conspiration, les Nouvelles du Royaume (No 2) publiaient la citation d’un journal de Copenhague, au Danemark, qui approuvait la persécution des témoins allemands par le clergé. On y lisait:

      Avertissement contre la secte du millénium. Le Consistoire de Kiel (Holstein, Allemagne) attire l’attention des prêtres (luthériens) sur l’activité déployée par la secte du millénium qui s’intitule “Watch Tower Bible and Tract Society” et aussi “Association des Étudiants de la Bible”. Le ministère de la Guerre de l’Empire nous a récemment demandé de surveiller étroitement les activités de cette secte, activités qui consistent à vendre les écrits de son fondateur décédé il y a peu de temps, le pasteur Russell de Brooklyn, en Amérique du Nord, au moyen d’une propagande incessante soutenue par l’argent américain. Le Consistoire attire donc l’attention des prêtres sur cette secte et leur demande d’agir contre elle et de rapporter au Consistoire leurs observations sur ses activités dangereuses.

      Cette fois, les frères sont allés encore plus loin dans leurs efforts pour neutraliser l’influence du clergé. En relation avec la distribution de ce numéro des Nouvelles du Royaume, ils firent circuler une pétition adressée à Wilson, président des États-Unis.

      Nous, les Américains soussignés, estimons que toute intervention du clergé dans l’étude biblique indépendante est un acte d’intolérance non chrétien et contraire à l’esprit de l’Amérique, et que toute tentative pour unir l’Église et l’État est une erreur fondamentale. Dans l’intérêt de la liberté religieuse et de la liberté tout court, nous protestons solennellement contre la suppression du Mystère accompli et prions le Gouvernement de lever toutes les restrictions concernant son utilisation, de sorte qu’il soit permis aux gens, sans molestation ou ingérence de la part de qui que ce soit, d’acheter, de vendre, de posséder et de lire ce guide bibliquek.

      Tandis que l’ennemi se préparait à frapper le coup décisif dans l’espoir de faire taire les témoins pour toujours, la Société publiait, le 1er mai 1918, le troisième numéro des Nouvelles du Royaume. Celui-ci portait cet en-tête significatif: “Deux grandes batailles font rage — Chute de l’autocratie certaine — La stratégie satanique vouée à l’échec — La naissance de l’antichrist”. Ce tract traitait surtout de la Postérité promise qui se dresse contre la postérité de Satan. Décrivant l’antichrist depuis sa naissance jusqu’aux agissements actuels des membres apostats du clergé tant protestant que catholique, ce tract révélait que ces agents du Diable étaient prêts à détruire le reste de la postérité du Christ, les oints qui suivaient les traces de Jésus.

      Dans un compte rendu qu’il rédigea des années plus tard, le juge Rutherford rapporta les déclarations que lui avait faites le général James Franklin Bell, commandant de Camp Upton, Long Island, New York. Bell parla à Rutherford d’une conférence d’ecclésiastiques qui s’était tenue en 1917 à Philadelphie, en Pennsylvanie. Ces ecclésiastiques avaient constitué un comité chargé de se rendre à Washington dans le but de proposer un amendement à la loi contre l’espionnage. Si celui-ci avait été entériné, toute infraction à ladite loi aurait fait l’objet d’une comparution devant un tribunal militaire avec, pour sentence, la peine de mort. Puis, d’un ton chargé de ressentiment, Bell dit à Rutherford: “Ce projet de loi n’est pas passé, car Wilson s’y est opposé, mais nous savons comment vous atteindre, et nous nous y emploieronsl!”

      ARRESTATION DES RESPONSABLES DE LA SOCIÉTÉ

      LOÏS: C’était là une menace ouverte, n’est-​ce pas?

      JEAN: Oui, et pas des moindres. Quelques jours seulement après la parution du troisième numéro des Nouvelles du Royaume, le tribunal du district est de New York lança des mandats d’arrêt contre les huit principaux serviteurs de la Société, au Béthel. Il s’agissait de J. F. Rutherford, de W. E. Van Amburgh, de A. H. Macmillan, de R. J. Martin, de C. J. Woodworth, de G. H. Fisher, de F. H. Robison et de G. DeCecca. Cela se passa le 7 mai 1918. Ce jour-​là prirent fin les quarante-deux mois ou 1 260 jours de Révélation 11:2, 3. Cette période au cours de laquelle le témoignage s’est pour ainsi dire poursuivi alors que les témoins étaient revêtus de “sacs”, symboles de deuil, a commencé au cours de la première quinzaine du mois de novembre 1914. Trois ans et demi après, l’œuvre de témoignage était tuée par la “bête sauvage” symbolique de Satan, prédite dans Révélation 11:7. Le lendemain, soit le 8 mai, les mandats furent signifiés aux accusés par un huissier nommé Power, puis les huit hommes furent traduits devant le tribunal fédéral que présidait le juge Garvin. Ils étaient accusésa

      de conspirer illégalement et traîtreusement, de se liguer, de comploter et de s’entendre avec diverses autres personnes, inconnues desdits membres du jury d’accusation, pour commettre un certain crime contre les États-Unis d’Amérique, à savoir: le crime d’avoir provoqué illégalement, traîtreusement et volontairement l’insubordination, la déloyauté et le refus d’obéissance aux forces navale et militaire des États-Unis d’Amérique quand ces derniers étaient en guerre (...) au moyen de sollicitations personnelles, de lettres, de discours publics, en distribuant et en faisant circuler parmi le public un certain livre appelé “Volume VII. Études des Écritures. Le mystère accompli”, et en distribuant et faisant circuler parmi le public dans tous les États-Unis certains articles imprimés dans des tracts appelés “L’Étudiant de la Bible”, “La Tour de Garde”, “Nouvelles du Royaume” et d’autre pamphlets non désignésb.

      Se faisant l’interprète des sentiments de tout le clergé devant la tournure qu’allaient prendre les événements, le périodique catholique de Brooklyn The Tablet a publié, le 11 mai, cette sinistre prophétie: “Nouvelles du Royaume répandu partout — Il se peut que certains aillent en prison.”

      THOMAS: Cette manchette donnait l’impression que la distribution des Nouvelles du Royaume les avait quelque peu indisposés.

      JEAN: L’article catholique poursuit ainsi:

      Joseph F. Rutherford et quelques-uns de ses collègues devront probablement passer leurs mois d’été dans une villa où ils seront à l’abri de la populace qui les insulte en leur demandant d’acheter des “liberty bonds” [obligations d’un emprunt de guerre]. (...) Il est très intéressant de noter que Rutherford, et tous ceux de son espèce qui se font un plaisir d’entrer dans des convulsions contre l’Église [catholique], sont toujours poursuivis par les agents du gouvernement. Il semble que l’anti-catholicisme et l’antiaméricanisme vont de pair.

      Quoi qu’il en soit, le procès était fixé au lundi 3 juin. Le juge Garvin, tout d’abord désigné pour s’occuper de l’affaire, était partial et demanda à être excusé. L’affaire fut automatiquement confiée au juge Chatfield qui fut lui aussi écarté. Finalement le gouvernement fit venir du Vermont le juge Harlan B. Howec. Le procès dura quinze jours, et l’on recueillit un grand nombre de témoignages. L’on démontra plus tard que le procès renfermait plus de 125 vices de forme, dont seulement quelques-uns auraient suffi à la Cour d’appel pour condamner toute la procédure comme étant arbitraired.

      CONDAMNÉS À QUATRE-VINGTS ANS

      Souvenez-​vous que c’étaient les années de guerre. Les fanfares jouaient et des soldats défilaient dans les rues près de Borough Hall, à Brooklyn. L’opinion publique accordait ses suffrages à tout ce qui soutenait l’effort de guerre. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le procès intenté contre les “Étudiants de la Bible”, taxés de sédition et objets de la controverse, ait fortement attiré l’attention. Finalement, le jeudi 20 juin, le jury rendit un verdict de culpabilité. Le 21 juin, tout au début de l’après-midi, sept d’entre les frères furent condamnés à une peine d’emprisonnement de quatre-vingts ans, vingt années pour quatre chefs d’accusation différents, avec confusion des peines. Les frères devaient purger leur peine au pénitencier fédéral d’Atlanta, en Georgie (États-Unis)e. Plus tard, Giovanni DeCecca fut condamné à dix ans pour les quatre mêmes chefs d’accusation.

      En condamnant les sept responsables de la Société, le juge qui prononça la sentence déclara:

      En temps normal, toute personne qui prêche une religion exerce une influence considérable, mais si elle est sincère, elle est d’autant plus efficace.

      Commentant ces événements, le New York Post du 21 juin 1918 dit dans son éditorial:

      Après avoir prononcé ces paroles, le juge H. B. Howe, du tribunal de district des États-Unis, à Brooklyn, condamna à vingt ans de prison chacun les membres de cette religion qui comparaissaient devant lui. Il déclara qu’il s’avérait nécessaire de faire un exemple de ces gens qui enseignaient sincèrement cette religion, lesquels, à l’instar des Mennonites, des Quakers et de nombreuses autres sectes, interdisent le port des armes. Ils s’étaient rendus coupables d’avoir poussé des hommes à suivre ce qu’ils pensaient être la doctrine du Seigneur et d’appliquer à la lettre le commandement qui stipule: “Tu ne tueras point.” Le jury n’avait donc d’autre alternative que de les reconnaître coupables d’avoir violé les statuts du pays, quelle que soit leur attitude, correcte ou non, vis-à-vis de la morale et de la loi religieuse. Nous avons la conviction que ceux qui se chargent d’enseigner une religion retiendront l’opinion de ce juge selon laquelle prôner une religion, exception faite de celle qui est en parfaite harmonie avec la loi, est un crime grave, encore aggravé si, tout en étant ministre de l’Évangile, il vous arrive en plus d’être sincère. Il ne fait pas de doute que les condamnations prononcées par le juge Howe ont été très sévères; elles le sont deux fois plus que celles infligées par le Kaiser aux socialistes qui ont tenté de renverser son régime inique, et sont trois fois plus fortes que toutes celles qu’ont encourues les régicidesf.

      Dans son compte rendu de leur condamnation, le New York Tribune du 22 juin 1918 rapporta ce qui suit:

      Joseph F. Rutherford et six autres “Russellistes”, convaincus d’avoir violé la loi sur l’espionnage, furent condamnés hier, par le juge Howe, à vingt ans d’emprisonnement au pénitencier d’Atlanta. “C’est le plus heureux jour de ma vie”, a déclaré M. Rutherford sur le chemin conduisant du tribunal à la prison; “subir un châtiment terrestre pour sa croyance religieuse est l’un des plus grands privilèges qu’un homme puisse avoir”. Les familles et les amis intimes des accusés se sont livrés à la plus étrange des démonstrations qu’on ait jamais vues au bureau du greffier du tribunal fédéral de Brooklyn, aussitôt après que les prisonniers eurent été amenés dans la salle du jury d’accusation. Tout le groupe fit résonner le vieux bâtiment des accents de “Béni soit le lien qui unit”. “C’est bien la volonté de Dieu”, se disaient-​ils, et leurs visages rayonnaient presque. “Un jour le monde connaîtra ce que tout cela signifie. En attendant, soyons reconnaissants envers Dieu pour sa grâce qui nous a soutenus à travers nos épreuves, et attendons avec joie le Grand Jour qui doit venir.”

      À deux reprises, les frères condamnés ont essayé d’obtenir leur mise en liberté provisoire sous caution; celle-ci leur a été refusée, d’abord par le juge Howe et, plus tard, par le juge Martin T. Manton. Pendant que ces démarches étaient faites, les frères étaient emprisonnés à Brooklyn. Le 3 juillet, la veille de leur transfert à la prison fédérale d’Atlanta, frère Rutherford a écrit une lettre aux frères chargés de la direction des affaires du Béthel. Ses paroles d’encouragement étaient complétées par l’avertissement suivant:

      On nous a fait connaître que sept personnes qui s’étaient opposées à la Société et à son œuvre au cours de l’année dernière assistaient au jugement, et qu’elles prêtèrent leur aide à nos persécuteurs. Nous vous mettons en garde, bien-aimés, contre les efforts subtils de certaines d’entre elles pour vous flatter servilement maintenant, afin d’essayer de mettre la main sur la sociétég.

      Un incident marquant du procès fut l’accusation du témoin William F. Hudgings, taxé d’outrage à magistrat. À la barre, Hudgings témoigna qu’en aucune occasion il n’avait surpris deux des défendeurs en train d’écrire, sur quoi la cour qualifia son témoignage de mensonger et le condamna à six mois de prison.

      THOMAS: Ce traitement me paraît nettement arbitraire!

      JEAN: N’est-​ce pas? Mais finalement, une ordonnance d’habeas corpus fut rendue par la Cour suprême des États-Unis et Hudgings fut libéré sous caution. En octroyant la demande de l’ordonnance d’habeas corpus, le premier président White, selon ce qu’en dit le New York Evening Sun, qualifia d’“outrageux” l’emprisonnement de William Hudgings. Ce journal déclarait:

      Aujourd’hui, à Brooklyn, sur ordre du premier président White de la Cour suprême des États-Unis, William F. Hudgings, secrétaire de la Watch Tower Bible Student’s Society, emprisonné pour outrage à la cour depuis le 11 juin, a été relâché sous caution. White qualifia l’incarcération de Hudgings d’“outrageuse, déloyale et injustifiée”.

      Ceci ne constitue qu’un exemple du tort causé par le juge de cette cour durant le procès, sans parler du parti pris dont il a fait montreh.

      ON CONTINUE À PERSÉCUTER LES CHRÉTIENS

      LOÏS: Cette période d’épreuve a dû être sévère pour les témoins de Jéhovah. Quel traitement ont-​ils subi dans le reste du pays?

      JEAN: La persécution était intense. Peu après les événements rapportés plus haut, au début de 1919, on publia un tract intitulé “L’affaire de l’Association internationale des Étudiants de la Bible”. Nous lui avons déjà emprunté plusieurs citations. Ce tract fournit un rapport détaillé de l’opposition manifestée tant par le clergé que par les laïcs: La fausse accusation de sédition lancée contre les frères, la campagne des Nouvelles du Royaume que nous venons de considérer et, pour finir, la persécution endurée par les témoins de Jéhovah dans tous les États-Unis. Un traitement analogue était réservé aux témoins au Canada, aussi bien qu’ailleurs, y compris en Allemagne. Voici le rapport de quelques atrocités qui ont été commises:

      Partout dans le pays, les Étudiants internationaux de la Bible ont souffert la persécution en raison de leur fidélité au Seigneur et de leur zèle à faire connaître les bénédictions que le Royaume doit dispenser à l’humanité. Dans une ville de l’État de l’Oregon, le maire et deux ecclésiastiques organisèrent un attroupement, chassèrent de la ville l’un des conférenciers de l’Association et le suivirent jusqu’à la ville voisine. Le conférencier parvint à s’échapper, mais les émeutiers s’emparèrent de son compagnon et l’enduisirent de graisse et de goudron.

      Dans l’État de Washington, un étudiant de la Bible fut condamné à trois ans d’emprisonnement pour avoir envoyé par la poste un exemplaire du MYSTÈRE ACCOMPLI. À Globe, dans l’Arizona, deux hommes furent chassés de la ville, finalement rattrapés et jetés en prison parce qu’ils possédaient des exemplaires du MYSTÈRE ACCOMPLI. À San Bernardino, en Californie, trois hommes et une femme (chargés de répandre ces livres) furent arrêtés et condamnés à trois ans de prison parce qu’ils vendaient LE MYSTÈRE ACCOMPLI, simple commentaire de la Bible, et ce après que les pages litigieuses avaient été enlevées. À Oklahoma City, des colporteurs furent enduits de goudron, couverts de plumes et battus à coups de gourdin. Dans l’Arkansas, une dame fut arrêtée et jetée dans une prison sordide où elle resta quelques jours. Dans ce même État, un homme et sa femme furent emprisonnés pendant des journées entières, sans même qu’aucune accusation ait été prononcée à leur encontre. Dans d’autres lieux, certains furent conduits de nuit à des cours d’eau, plongés dans l’eau glacée, et tout dans leur habitation fut détruit. Dans le Colorado, un homme portant l’uniforme d’un officier dispersa des gens réunis pour une étude paisible de la Bible. À Wheeling, en Virginie occidentale, des fonctionnaires menacèrent d’emprisonner des étudiants de la Bible s’ils ne leur remettaient pas tous leurs livres de la série ÉTUDES DES ÉCRITURES.

      À Los Angeles, des ecclésiastiques se vantèrent de faire arrêter les étudiants de la Bible et de les garder en captivité. Certains de ces membres du clergé rendirent visite aux propriétaires d’appartements, les incitant à expulser les locataires qui étaient membres de l’Association internationale des Étudiants de la Bible. Dans cette même ville, on s’en prit au siège des Étudiants de la Bible et l’on y saisit et enleva toutes leurs publications, y compris les Bibles et recueils de cantiques. Vingt-six étudiants furent arrêtés pour avoir détenu LE MYSTÈRE ACCOMPLI et les NOUVELLES DU ROYAUME; ils durent dépenser beaucoup d’argent et consacrer un temps considérable pour assurer leur défense devant le tribunal. Le procès amena le renvoi du jury et ces hommes sont encore en ce moment sous caution, dans l’attente d’un second jugement. À Portland, dans l’Oregon, un étudiant de la Bible fut arrêté et tenu captif pendant vingt-quatre heures. L’affaire fut rayée du rôle par le Commissaire des États-Unis en raison de son caractère manifestement outrageux.

      Un évangéliste de renom déclara: “Voilà trente ans que nous essayons d’avoir raison de ces Russellistes et, à présent, nous y sommes parvenus.”

      L’Institut biblique de Los Angeles, dirigé par le Dr Torrey, a persévéré dans la persécution des Étudiants internationaux de la Bible, tant du haut de la chaire que par l’usage de pamphletsi.

      Voici quelques autres cas extraits d’un rapport détaillé relatant la persécution sévère que les témoins endurèrent au cours de cette période:

      Le 30 avril 1918, à Mammoth Spring, dans l’Arkansas, la foule s’en prit à Madame Minna B. Franke, qui fut contrainte de solder des marchandises d’une valeur de 10 000 dollars en un seul jour, et de quitter la ville. À Garfield, dans l’État de Washington, Donald Main et Monsieur Ish furent mis en prison et menacés de mort. À Minerva, dans l’Ohio, S. H. Griffin fut d’abord emprisonné puis relâché; le ministre local lui fit ensuite un sermon d’un quart d’heure, après quoi les émeutiers le frappèrent à coups répétés, l’injurièrent, lui donnèrent des coups de pied, le piétinèrent, le menacèrent de le pendre et de le noyer, le chassèrent de la ville, lui crachèrent dessus, le firent tomber à plusieurs reprises, le piquèrent avec un parapluie, le suivirent sur la distance de neuf kilomètres les séparant de Malvern (Ohio), l’arrêtèrent de nouveau, l’emprisonnèrent à Carrollton et, pour finir, deux personnalités courageuses et fidèles, après avoir examiné ses publications, le ramenèrent chez lui en disant: “Nous ne trouvons pas de faute en cet homme.” (...)

      Le 14 mars 1918, à Pomona, en Californie, J. Eagleston fut confiné dans un cachot où il resta pendant quinze jours; durant quatre jours il n’eut ni lit ni matelas, et presque pas de couvertures ni de nourriture. Lorsque le jury désapprouva ce traitement, à cinq voix contre sept, le juge déclara en pleine audience: “S’il n’est pas de loi pour régler de tels cas, ce sera le peuple américain, s’il le faut, qui sera souverain en la matière.” Qu’est-​ce que ce juge voulait donc que fasse le peuple américain?

      Le 17 avril 1918, à Shawnee, dans l’Oklahoma, G. N. Fenn, George M. Brown, L. S. Rogers, W. F. Glass, E. T. Grier et J. T. Tull furent emprisonnés. Au cours du procès, l’avocat général déclara: “Je me moque de votre Bible; vous devriez aller en enfer, les reins brisés; vous devriez être pendus.” Lorsque G. F. Wilson, d’Oklahoma City, tenta d’intervenir pour défendre les accusés, il fut également arrêté. Chacun fut condamné à 55 dollars d’amende et aux dépens; le délit était d’avoir répandu des ouvrages protestants. Le juge incita les gens à fomenter une émeute après le procès, mais la tentative des agitateurs échoua. (...)

      En juin 1918, à Roanoke, en Virginie, C. W. Morris fut emprisonné pendant trois mois pour avoir “strictement adhéré à la secte du pasteur Russell” et on l’avertit que si, après sa libération, il prêchait sa doctrine, le traitement qu’il endurerait serait bien pis. Conformément à cette menace, Alex H. Macmillan fut arrêté par le maire dans la même ville, le 15 février 1920, sans justification ni accusation aucune, à l’heure prévue où il devait prononcer le discours public intitulé “La seconde venue du Christ est proche; des millions actuellement vivants ne mourront jamais”. (...)

      Le 30 avril 1918, à Brownstown, dans l’Indiana, Curtis Plummer fut menacé par des émeutiers comprenant le shérif du comté et certains hommes d’affaires. (...)

      Le 5 juin 1918, à Indianapolis, dans l’Indiana, William Darby, après trente-deux ans et demi de bons et loyaux services comme facteur, fut licencié par J. C. Koons, premier assistant du ministre des postes et télécommunications, pour le seul crime d’être chrétien; aucun autre détail ne lui fut fourni. À Fontanelle, dans l’Iowa, Etta Van Wagenen fut expulsée de force de la ville par un banquier et un anarchiste en chapeau haut de forme. Par voie de conséquence, des hommes portant l’uniforme d’officiers de l’armée des États-Unis s’efforcèrent, en vain, d’obliger son employeur à la licencier. À Fort Cobb, dans l’Oklahoma, A. L. Tucker fut chassé de sa ville, sans un sou vaillant, par un groupe de dix hommes, dont son propre banquier chez lequel il avait des fonds en dépôt. Il fut obligé de quitter le comté et de vendre sa propriété à perte.

      En mars 1918, à Shattuck, dans l’Oklahoma, J. B. Siebenlist, Américain de naissance, fut emprisonné sans motif pendant trois jours; il fut privé de nourriture, à l’exception de trois morceaux de pain de seigle avariés; la foule le tira de prison, lui ôta ses vêtements, l’enduisit de goudron chaud et le fouetta avec un fouet terminé par un fil de fer; voici son délit: s’être adressé au dépôt aux fins de retirer un paquet de publications protestantes. Le 22 avril 1918, à Wynnewood, dans l’Oklahoma, Claud Watson fut d’abord emprisonné puis relaxé à dessein entre les mains d’agitateurs composés de prédicateurs, d’hommes d’affaires et de quelques autres, qui le battirent, le firent fouetter par un Noir et, lorsqu’il eut en partie recouvré ses esprits, le fouettèrent de nouveau. Ensuite, ils l’enduisirent de goudron et le recouvrirent de plumes, lui frottant la tête et le crâne avec du goudron. Le 29 avril 1918, à Walnut Ridge, dans l’Arkansas, W. B. Duncan, âgé de 61 ans, Edward French, Charles Franke, un certain Monsieur Griffin et Madame D. Van Hoesen furent emprisonnés. La foule fit irruption dans la prison et, utilisant le langage le plus vil et le plus obscène qui soit, fouetta ces gens, les recouvrit de goudron puis de plumes et les chassa de la ville. Les émeutiers obligèrent Duncan à parcourir à pied les quarante-deux kilomètres qui le séparaient de son domicile, et il faillit en mourir. Griffin fut pratiquement rendu aveugle et, quelques mois plus tard, il devait mourir des suites de ces événementsj.

      LA CAPTIVITÉ BABYLONIENNE COMMENCE

      LOÏS: On a du mal à imaginer que des chrétiens ont été traités de la sorte à notre époque, et tout particulièrement aux États-Unis.

      JEAN: D’autres rapports consignés dans les fichiers du Béthel de New York révèlent que des frères furent traînés hors de la ville parce qu’ils refusaient d’acheter des obligations d’emprunt de guerre, et ils furent traités de façon honteuse. Certains furent harcelés dans les rues et on leur cracha dessus; d’autres furent enduits de goudron et recouverts de plumes, traités de toutes les manières possibles. Tous ces événements se sont produits au printemps et en été, en 1918. En vérité, on ‘leur fit la guerre’ par l’entremise de la pression politique pour les vaincre et pour les tuer.

      THOMAS: Le juge Rutherford et ses associés étant emprisonnés, qu’est-​il advenu du siège de la Société?

      JEAN: Un comité exécutif fut désigné pour diriger la Société. La tâche principale des cinq frères nommés consistait à servir de comité de rédaction, chargé de maintenir la parution de La Tour de Gardek, car les frères de partout avaient bien besoin de l’encouragement qu’elle pourrait dispenser pendant cette période d’opposition intense. Pendant tout ce temps, aucune édition de La Tour de Garde n’a manqué de paraître.

      Les frères devaient faire face à de nombreux problèmes, tels que la pénurie de papier et de charbon, indispensables à l’activité du bureau. Grande était l’animosité contre la Société à Brooklyn. Le patriotisme était exalté au plus haut point; tous les témoins étaient considérés comme des traîtres. Il apparaissait impossible de continuer à tout diriger à partir du Béthel de Brooklyn. Prenant toutes ces choses en considération, le comité de cinq membres décida, après avoir consulté les autres frères, de vendre le Tabernacle de Brooklyn et de fermer le Béthel. Une telle décision sous-entendait l’abandon du siège de Brooklyn en été 1918 et le retour à Pittsburgh, dans un bureau sis aux Federal et Reliance Streetsl.

      C’est ainsi qu’en été 1918, la voix jusque-​là ferme et forte des témoins de Jéhovah et de son Royaume fut réduite au silence. Leur œuvre fut tuée, figurément parlant, et une inactivité semblable à la mort fut le lot de ce groupe de chrétiens jadis si actifs. Exilés, comme ils l’étaient, du siège de Brooklyn depuis le 26 août 1918, ils étaient fermement tenus en esclavage par leurs vainqueurs babyloniens. Figurément parlant du moins, l’œuvre était morte.

      [Notes]

      a a w 1917, pp. 354, 374.

      b b w 1918, p. 18.

      c c w 1918, p. 77.

      d d Ibid.

      e e w 1918, p. 77; w 1919, p. 117; Nouvelles du Royaume (angl.), No 1.

      f f w 1924, p. 358.

      g g w 1918, p. 24.

      h h w 1918, p. 82.

      i i Ibid., p. 110.

      j j w 1919, p. 281.

      k k Nouvelles du Royaume (angl.), No 2, p. 2.

      l l Consolation (angl.) 23 août 1939, p. 5. Pour preuve que le procureur des États-Unis était décidé à poursuivre la Société en se servant de la législation, voir le Congressional Record (Vol. 56, 6e partie, sénat, 24 avril 1918, p. 5542; 4 mai 1918, pp. 6051, 6052.

      a m Tombant sous le coup de la loi sur l’espionnage, décrétée le 15 juin 1917; strictement mesure de guerre (w 1918, p. 171).

      b n Rutherford contre les États-Unis (angl.), 14 mai 1919, 258 F. 855, transcription du compte rendu, Vol. 1, p. 12.

      c o w 1918, p. 178.

      d p L’affaire de l’Association internationale des Étudiants de la Bible (angl.), p. 4.

      e q w 1918, p. 194.

      f r L’affaire de l’Association internationale des Étudiants de la Bible (angl.), p. 4.

      g s w 1919, p. 58.

      h t L’affaire de l’Association internationale des Étudiants de la Bible (angl.), p. 4.

      i u Ibid., p. 4.

      j v L’Âge d’Or (angl.), 1920, pp. 713-715.

      k w w 1918, pp. 242, 255.

      l x Ibid., p. 290.

      [Illustration, page 75]

      L’ÉTUDIANT DE LA BIBLE, VOL. 9, No 9, “LA CHUTE DE BABYLONE”, HAUT DE LA PAGE 4.

  • La délivrance de la captivité babylonienne
    Les témoins de Jéhovah dans les desseins divins
    • Chapitre 13

      La délivrance de la captivité babylonienne

      LOÏS: Durant toute cette semaine, j’ai songé aux persécutions qu’ont endurées les témoins en 1918. Ce dut être quelque chose de terrible, et qui a éprouvé la foi de ceux qui, à cette époque, étaient liés à la Société.

      JEAN: C’est vrai, mais comme le déclare Matthieu 24:13, “celui qui aura enduré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé”. Chaque fois que Jéhovah permet une épreuve, il pourvoit toujours au moyen d’en sortir. Beaucoup ont fait montre d’endurance. L’œuvre ne fut pas tuée définitivement et, pendant la période où les responsables de la Société étaient emprisonnés, la voix de La Tour de Garde se faisait encore entendre, quoique faiblement.

      On n’accomplit que peu de travail au cours de cet emprisonnement. On tint quelques petites assemblées, sans toutefois déployer d’effort spécial pour y inviter le public. Ces rassemblements tendaient principalement à fortifier ceux qui marchaient encore sur le sentier de la vérité et à maintenir l’œuvre au mieux des possibilités. Comme nous l’avons vu la semaine dernière, quelques colporteurs fidèles étaient encore actifs, bien que nombre d’entre eux aient été arrêtés.

      C’est alors que, brusquement, la Première Guerre mondiale prit fin, le 11 novembre 1918. La cessation des hostilités suscita un nouvel espoir chez les frères, bien que le juge Rutherford et ses associés fussent encore détenus au pénitencier d’Atlanta. Les frères avaient maintenant une très bonne raison pour commencer une campagne active tendant à les libérer. Vint janvier 1919 et, avec ce mois-​là, la réunion annuelle du conseil d’administration de la Société Watch Tower. Le 4 janvier, à Pittsburgh, fut organisée une assemblée ayant un double objectif: d’une part, examiner les dispositions qui pourraient être prises pour réveiller les frères sur le plan spirituel et, d’autre part, procéder à l’élection des responsables.

      THOMAS: Le juge Rutherford se trouvait alors en prison. Quelles mesures allaient donc pouvoir être prises pour tenir une réunion de ce genre?

      JEAN: Beaucoup avaient cette question présente à l’esprit, et en particulier frère Rutherford lui-​même. Tous les frères emprisonnés étaient restés actifs. Bien qu’on leur eût dit, dès leur entrée en prison, qu’ils ne pourraient pas prêcher, ils conduisaient régulièrement des études bibliques au bout de quelques mois, chaque frère dirigeant sa propre étude. Ces études avaient lieu le dimanche, et environ une centaine de détenus y assistaienta. Mais frère Rutherford était inquiet au sujet des résultats de la réunion du conseil d’administration. L’un de ses compagnons de captivité, frère A. H. Macmillan [qui vivait encore lorsque le présent ouvrage a été présenté en langue anglaise, en 1959] a souvent fait état de la crainte qu’avait frère Rutherford de voir, une fois les responsables de la Société emprisonnés, les adversaires de l’organisation parvenir, d’une façon ou d’une autre, à prendre le contrôle de l’œuvre et à réduire à néant les efforts déployés durant des années pour édifier la Société.

      UN SIGNE DE CONFIANCE

      LOÏS: Que s’est-​il passé à cette réunion?

      JEAN: Deux jours avant la réunion proprement dite, on tint une assemblée générale à laquelle assistèrent plus de 1 000 frères venus des États-Unis et du Canada. Le matin du 4 janvier, le vice-président C. H. Anderson prit la parole et présenta une résolution, laquelle fut adoptée à l’unanimité par tous les assistants. Cette résolution avait pour thème

      la confiance dans l’intégrité de ces huit défenseurs et dans leur loyauté envers le gouvernement et le peuple des États-Unis, aussi bien qu’envers le Seigneur, ainsi que notre entière confiance que le jugement sera infirmé et qu’ils seront totalement disculpés lorsque tous les faits auront été reconsidérés, avec impartialité, par la Cour d’appelb.

      En raison de l’absence du président et du secrétaire-trésorier de la Société, on posa quelques questions sur l’aspect légal de la situation. Certains étaient d’avis de surseoir à l’élection et d’attendre six mois. D’autres émettaient l’opinion qu’une telle attitude de la part des membres risquerait d’être interprétée par le public comme un désaveu des frères. Une longue discussion s’ensuivit, discussion au cours de laquelle un frère définit ce qui semblait être l’opinion de la majorité. Il déclara:

      Je crois que le plus grand plaisir que nous puissions faire à notre cher frère Rutherford serait de le réélire comme président de la Watch Tower Bible and Tract Society. Je ne pense pas qu’il subsiste le moindre doute dans l’esprit du public quant à la position que nous adoptons à cet égard. Si, sur le plan technique, nos frères ont violé la loi qu’ils ne comprenaient pas, nous savons que leurs motifs étaient bons. Et, devant le Dieu tout-puissant, ils n’ont pas davantage violé la loi divine que la loi humaine. Nous ferions preuve de la plus grande confiance en réélisant frère Rutherford comme président de l’Association. Je n’ai rien d’un juriste, mais lorsqu’on s’attache à l’aspect légal de la situation, je sais ce qu’est la loi de la loyauté. La loyauté, voilà ce que Dieu exige. Je ne puis imaginer plus grand témoignage de confiance que celui consistant à procéder à des élections aux fins de réélire frère Rutherford comme présidentc.

      Après une pause, on rejeta la motion qui tendait à reporter l’élection à six mois. Il paraissait évident que la grande majorité des assistants étaient partisans d’une élection, et il ne subsistait pas le moindre doute quant à la réélection de Rutherford à la fonction de président.

      L’élection eut donc lieu, et frère Rutherford fut élu président, frère C. A. Wise, vice-président, et W. E. Van Amburgh, secrétaire-trésorierd. Aucun de ceux qui avaient attaqué la Société en 1917 et 1918 n’obtinrent de voix dans les débats.

      Le mois suivant, certains journaux agitèrent l’opinion en faveur de la libération de Rutherford et de ses associése. Les témoins écrivirent des milliers de lettres aux journaux, éditeurs, membres du Congrès, sénateurs et gouverneurs, les priant instamment d’agir en faveur des responsables de la Société. Nombre de ceux qui avaient été sollicités se prononcèrent pour la libération et indiquèrent qu’ils feraient leur possible en ce sensf.

      L’effort suivant en faveur de ces frères consistait en une pétition à l’échelle nationale, pétition que l’on fit circuler en mars 1919. En peu de temps, on recueillit 700 000 signaturesg. Par son entremise, on demandait au gouvernement des États-Unis de rendre justice à ces hommes accusés faussement et emprisonnés. Cette manifestation publique constituait la preuve de la résurrection des témoins et de leur vitalité. En son temps, ce fut la plus grande pétition organisée jusque-​là, et, bien qu’elle n’ait jamais été présentée au gouvernement, elle servit à rendre un puissant témoignageh.

      LES RESPONSABLES DE LA SOCIÉTÉ SONT RELAXÉS ET JUSTIFIÉS

      THOMAS: Mais après tout le travail que représentait l’obtention de 700 000 signatures, comment s’expliquer le fait que la pétition n’ait pas été soumise au gouvernement?

      JEAN: Ce ne fut pas nécessaire. Le gouvernement avait déjà pris des mesures pour libérer les huit frères. À ce propos, il est intéressant de noter que Harlan B. Howe, juge du district fédéral, qui avait été le premier à refuser les cautions après la condamnation des frères, avait télégraphié au procureur général Gregory à Washington, le 2 mars 1919, “recommandant la commutation immédiate” des peines des huit hommes. Gregory avait envoyé un télégramme à Howe, l’invitant à faire lui-​même cette démarchei. Ils tentaient cette manœuvre parce que les frères avaient interjeté appel, et ni le procureur général ni Howe ne désiraient que cette affaire soit portée à l’attention des juridictions supérieures. Souvenez-​vous que les responsables de la Société étaient incarcérés alors qu’ils étaient en instance d’appel, et ce uniquement parce que Howe et Manton avaient refusé leur cautionnement. Cependant, cette manœuvre de Howe échoua et, le 21 marsj, Louis D. Brandeis, juge à la Cour suprême des États-Unis, ordonna la mise en liberté sous caution des huit frères, précisant que leur affaire viendrait en appel le 14 avril.

      Les frères étaient aussitôt élargis. Le mardi 25 mars, ils quittaient le centre pénitentiaire d’Atlanta et prenaient le train pour Brooklyn où ils devaient arriver le lendemain. C’est là que, le 26 mars 1919, les autorités fédérales les libérèrent contre une caution de 10 000 dollars chacun, sous réserve d’un jugement ultérieurk. Je vous laisse à penser la joie des frères de Brooklyn qui avaient été avisés de cette libération et qui étaient présents pour accueillir leurs frères de retour. Bien que le siège de la Société ait été transféré à Pittsburgh, les frères loyaux envers l’œuvre avaient prévu, à New York, un grand banquet qui eut lieu au Béthel. Certains de ceux qui y prirent part racontent qu’il n’y avait même pas de sièges en nombre suffisant, mais cet inconvénient ne refroidit pas pour autant les esprits ni n’amoindrit l’enthousiasme avec lequel furent écoutés les commentaires des frères libérés. Aussitôt après cette joyeuse rencontre, frère Rutherford et ses compagnons partirent pour Pittsburgh, où les frères du Béthel leur avaient préparé une réception tout aussi joyeuse.

      THOMAS: Puisque les frères étaient en liberté sous caution, cela signifie que leur affaire n’était pas encore classée. Qu’en est-​il résulté en définitive?

      JEAN: Leur affaire fut évoquée le 14 avril 1919, devant la Cour d’appel du deuxième district fédéral de New York. Le 14 mai 1919, cette juridiction cassait la décision rendue l’été précédent, décision qui reposait sur des convictions erronées. En renvoyant l’affaire pour un second jugement, le juge Ward déclara:

      Dans cette affaire, les défendeurs n’ont pas bénéficié du jugement modéré et impartial auquel ils auraient pu prétendre; c’est pour cette raison que le jugement précédent est cassél.

      Cela revenait à dire que les frères étaient libres, sous réserve que le gouvernement ne décide de reprendre les poursuites. Toutefois, la guerre était terminée et les frères savaient, preuves à l’appui, que leur condamnation s’avérait impossible. De fait, l’année suivante, le 5 mai 1920, les huit hommes furent définitivement disculpés du jugement illégal lorsque, sur l’ordre du procureur général, le procureur du gouvernement annonça, en audience publique à Brooklyn, l’abandon des poursuites. Les accusations furent retirées après motion de nolle prosequia.

      La presse prit bonne note de ce revirement. Le Brooklyn Eagle du 15 mai 1919 publia le compte rendu suivant:

      Le verdict prononcé contre les Russellistes annulé en appel; “Le jugement était injuste”. Les juges Ward, Rogers et Manton de la Cour d’appel pour le district fédéral de New York ont annulé aujourd’hui les condamnations des chefs du russellisme, qui furent déclarés coupables, en juin dernier, devant le juge Harlan B. Howe de Vermont, siégeant à Brooklyn, d’avoir comploté pour entraver la conscription, nuire à l’enrôlement et fomenter l’insurrection et l’insubordination parmi les forces armées de la nation.

      Le jugement considère que l’attitude du juge Howe fut injuste dans sa manière de traiter [trois] des témoins. (...) Puisque la décision soutient la légitimité des prétentions russellistes selon laquelle leur organisation, qui interdit à ses membres de tuer, leur confère le droit à l’exemption du service armé, il n’est guère probable que les responsables de ce mouvement passent de nouveau en jugement. (...)

      Le juge Martin T. Manton ne partagea pas l’opinion de la majorité, opinion que transcrivit le juge Henry G. Wardb.

      Le vote contraire du juge Manton n’était pas tellement surprenant car, le 1er juillet 1918, cet éminent catholique avait refusé la caution de Rutherford et de ses associés, sans raison apparente. C’est ce qui explique les neuf mois d’emprisonnement injustifié qu’ils durent subir, alors que leur appel était en suspens. Un tel refus de mise en liberté sous caution était

      en contradiction formelle avec un arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis, dont voici un extrait: “Les statuts des États-Unis sont fondés sur la théorie selon laquelle toute personne accusée d’un crime ne devra subir un emprisonnement ou une punition qu’après avoir été reconnue coupable par le tribunal qui juge en dernier ressort; elle pourra être autorisée à verser une caution, non seulement après son arrestation et avant le jugement, mais encore après condamnation et instance de recours pour cause d’erreur.” — Hudson contre Parker, 156 U.S. 277c.

      Bien que, par la suite, Manton ait été nommé “chevalier de l’Ordre de saint Grégoire le Grand” par le pape Pie XI, son mépris de la justice fut finalement rendu manifeste lorsque, le 3 juin 1939, il fut condamné à la peine maximum de deux ans de prison ainsi qu’au paiement d’une amende de 10 000 dollars, pour avoir mésusé honteusement de ses hautes fonctions de juge fédéral et s’être laissé corrompre en acceptant 186 000 dollars pour six jugementsd.

      THOMAS: L’annulation de leur décision voulait donc dire que le juge Rutherford était mis hors de cause ainsi que ses compagnons. Est-​ce bien cela? Il y a quelque temps, j’ai lu un ouvrage catholique qui traitait le juge Rutherford d’“ancien forçat”.

      JEAN: Pareille accusation est absolument fausse. Le verdict rendu par la cour le 14 mai 1919 établissait que Rutherford et ses associés avaient été emprisonnés suite à une condamnation illégale; mais il s’est avéré que Rutherford n’était pas un ancien forçat puisqu’il a plaidé plus tard devant la Cour suprême des États-Unis. Cela lui aurait été impossible s’il avait eu un casier judiciaire chargé. Ou bien ceux qui profèrent de telles accusations sont totalement ignorants des faits, ou bien ils s’efforcent de ruiner, de propos délibéré, la réputation de frère Rutherford.

      UNE ÉPREUVE CONCLUANTE RANIME L’ACTIVITÉ

      LOÏS: Que firent les frères après leur libération?

      JEAN: L’une des premières tâches qu’ils entreprirent consista à remettre en mouvement les rouages de l’organisation. Ce ne fut pas chose facile. L’œuvre était tombée pour ainsi dire au point mort. Le Tabernacle de Brooklyn avait été vendu, le Béthel de Brooklyn était en mauvais état et pratiquement dépourvu de mobilier; les frères de Pittsburgh ne disposaient que de peu d’argent, le siège était devenu trop petit pour permettre l’expansion de l’œuvre et les conditions n’étaient pas favorables à l’imprimerie, nombre de clichés servant à imprimer les livres ayant été détruits. Les perspectives étaient sombres. Mais les frères étaient animés d’un zèle nouveau. Ils étaient libres maintenant, et l’avenir présentait quelque espoir.

      Certes, frère Rutherford ignorait quelle ligne de conduite il lui convenait d’adopter. C’est la raison pour laquelle il décida de faire une tentative en Californie. Il s’était rendu dans l’ouest des États-Unis peu après sa sortie de prison, d’une part parce que sa famille s’y trouvait, et d’autre part pour raison de santé. Il avait contracté une affection pulmonaire au cours de son séjour en prison, et il devait en souffrir pour le restant de ses jours. Pour connaître l’ampleur de l’intérêt que le message du Royaume serait susceptible de provoquer, il organisa une réunion publique au Clune’s Auditorium de Los Angeles, le dimanche 4 mai 1919. Usant de la publicité intensive de la presse, il avait promis d’exposer les raisons pour lesquelles les responsables de la Société avaient fait l’objet d’une condamnation illégale. La réunion obtint un grand succès. Le discours intitulé “L’espoir pour l’humanité en détresse” fut accueilli avec enthousiasme.

      D’après la réaction de son auditoire, frère Rutherford acquit la conviction que l’œuvre n’était pas terminée et qu’il y avait encore beaucoup à faire. Il prit aussitôt des dispositions pour qu’une assemblée ait lieu à Cedar Point (Ohio) en automne. Il envisagea également la possibilité de rétablir à Brooklyn, New York, le siège de la Société.

      Voici un incident digne d’intérêt que relata plus tard C. A. Wise, le vice-président. Frère Rutherford lui avait donné pour instruction de se rendre à Brooklyn pour tenter d’y louer un local destiné à l’imprimerie et d’examiner les mesures à prendre pour rouvrir le Béthel. Frère Rutherford lui avait dit: “Va voir si la volonté du Seigneur est que nous retournions à Brooklyn.” Frère Wise lui dit: “Comment saurai-​je si la volonté du Seigneur est que nous y retournions ou non?” Et frère Rutherford de répondre: “C’est la pénurie de charbon qui, en 1918, nous a contraints de quitter Brooklyn pour Pittsburgh. Que le charbon serve d’épreuve! Va passer commande.” N’ignorant pas que le charbon était encore rationné à New York à la fin de la guerre, frère Wise ajouta: “À ton avis, combien de tonnes dois-​je en commander pour la tentative que nous faisons?” “Eh bien, dit Rutherford, pour que l’épreuve soit concluante, commandes-​en cinq cents tonnes.”

      Rempli de doutes, en raison du manque de charbon, frère Wise se rendit à New York, formula sa demande auprès des autorités et, à son vif étonnement, reçut un bon lui permettant d’obtenir cinq cents tonnes de charbon. Il téléphona aussitôt la nouvelle à frère Rutherford. Cet élément garantissait le fonctionnement de la Société pendant un certain nombre d’années. Un problème se posait cependant: où entreposer le charbon? Il s’avéra nécessaire de convertir une grande partie des sous-sols en soute à charbon. Pour les frères, il ne faisait aucun doute que le temps était venu de retourner à Brooklyn et d’y remettre l’œuvre en mouvement. C’est ce qu’ils firent le 1er octobre 1919e.

      LOÏS: L’idée de tenir une assemblée à Cedar Point, dans l’Ohio, fut-​elle aussi heureuse que celle de retourner à Brooklyn?

      JOYEUSE RÉUNION À CEDAR POINT

      JEAN: Certes, ce devait être une occasion particulièrement heureuse! Il est évident que des doutes subsistaient quant aux résultats de cette assemblée, du moins en ce qui concernait l’assistance, car les frères avaient perdu tout contact avec les témoins dispersés en Amérique. Nous pouvons sans peine imaginer ce que fut leur joie lorsqu’ils virent plus de 6 000 frères venus du Canada et des États-Unis. En fait, cette réunion rassemblait les membres du reste qui avaient subi la persécution rigoureuse de l’époque, et qui s’étaient trouvés dispersés. Leur foi était ferme, et certains avaient dépensé jusqu’à leur dernier centime pour assister à cette assemblée inoubliable de Cedar Point, du 1er au 7 septembre 1919. Mais ils n’étaient pas seuls à faire montre de zèle, puisque 200 nouvelles recrues pour la guerre du vrai culte symbolisèrent le don de leur personne par l’immersion dans l’eau. Il y avait une assistance de 7 500 personnes au discours publicf.

      Nombreux furent les témoignages de gratitude envers Jéhovah, qui avait fortifié son peuple au cours de la période de crise qu’il venait de vivre. On eut aussi la preuve que les frères avaient conscience de la responsabilité qui leur incombait: prêcher à la face du monde la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. Dans un discours qui parut dans La Tour de Garde sous le titre “Annoncez le Royaume”, frère Rutherford souligna cette responsabilité. Voici un extrait de sa déclaration:

      Obéissant au commandement de notre Maître et reconnaissant notre privilège et notre devoir consistant à faire la guerre aux bastions de l’erreur qui tiennent depuis si longtemps les peuples en esclavage, notre vocation était, et est encore, l’annonce de la venue du glorieux Royaume messianique. Alors que nous nous efforcions de remplir fidèlement notre alliance, soudain une tempête terrible s’est déchaînée sur nos têtes et, comme des brebis, le peuple du Seigneur s’est vu, soit dispersé, soit refoulé. Les attaques venant de l’ennemi furent à tel point sans pitié que nombre de brebis du Seigneur en furent comme stupéfaites et restèrent dans l’expectative, attendant et priant que le Seigneur leur fasse connaître sa volonté. En raison de leur fidélité au Seigneur, les étudiants de la Bible ont enduré des tribulations de toutes parts, et l’intensité de celles-ci fut telle que, pour un temps, leur sentiment se fit l’écho de celui du prophète Jérémie qui déclara: “Je suis chaque jour un objet de risée; tous se moquent de moi. Car chaque fois que je parle, j’ai à crier, j’annonce violence et dévastation, et la parole de Yahweh finit par me couvrir de honte et de moqueries, chaque jour. Je disais: ‘Je ne ferai plus mention de lui, je ne parlerai plus en son nomg.’” Mais en dépit de leur découragement momentané, les disciples fidèles du Maître avaient le désir ardent de proclamer le message du Royaume et, à l’exemple de Jérémie, ils disaient: “Il y a dans mon cœur comme un feu dévorant qui est renfermé dans mes os. Je m’efforce de le contenir, et je ne le puis. Car j’apprends les mauvais propos de plusieurs, l’épouvante qui règne à l’entourh.”

      Lorsqu’il raisonne sérieusement, le chrétien se pose naturellement la question: Pourquoi suis-​je sur terre? Et la réponse qui s’impose est la suivante: Dans sa bonté, le Seigneur a fait de moi son

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