Sainte-Lucie, l’île aux deux pitons
De notre correspondant à Sainte-Lucie
SAINTE-LUCIE, une des plus belles îles des Antilles, est un massif montagneux qui tombe à pic dans la mer et dont les sommets sont noyés dans la brume. C’est la plus montagneuse des îles du Vent et elle est bien connue pour ses deux pitons, deux gigantesques rochers en forme de pyramide dont les pentes raides se dressent au-dessus de la mer. Couverts de végétation, ces pics jumeaux atteignent près de 800 mètres et sont complètement séparés des montagnes voisines. Ils ont longtemps servi de point de repère aux marins se dirigeant vers cette île qui, pendant plus de deux siècles, a été le théâtre de nombreuses batailles entre Français et Anglais.
Sainte-Lucie a changé de mains au moins quatorze fois. Depuis 1803, elle était sous domination britannique. En mars 1967, elle est devenue un État autonome associé à la Grande-Bretagne. Mais l’influence française y est toujours présente. Le visiteur le remarque tout de suite dans la langue et les noms de lieu, qui mêlent le français à l’anglais. Par exemple, Londonderry est un village dans la colline derrière l’Anse de la Rivière dorée, et les pitons sont appelés le Gros Piton et le Petit Piton.
Quoique l’anglais soit la langue officielle, dans la conversation courante on emploie fréquemment un dialecte français plein de couleur. Ce n’est pas une langue écrite ; aussi est-il surprenant de voir comment ce dialecte a pu survivre. Bien que certaines personnes manifestent une légère répugnance à l’égard de ce patois, craignant qu’il ne corrompe l’anglais des enfants, il n’y a guère de gens qui ne le parlent pas.
Quand un visiteur arrive dans la capitale, Castries, il remarque immédiatement que les toits de toutes les maisons sont recouverts de tôle galvanisée et que beaucoup sont peints en rouge. Cela fait un contraste frappant avec le vert du feuillage qui entoure la plupart des demeures. Dans le lointain, un orchestre martèle de joyeuses mélodies sur des instruments faits à partir de vieux bidons de pétrole.
Il fut un temps où l’île vivait surtout de la canne à sucre, mais à présent c’est la banane qui est la source principale de revenus. Il faut de neuf mois à un an pour qu’un bananier parvienne à maturité et produise une récolte de bananes. On coupe alors l’arbre, mais on prend soin de ne pas détruire le jet, car, en son temps, il produira une nouvelle récolte de bananes.
Beaucoup d’insulaires sont bien informés des événements extérieurs, mais certaines personnes ne connaissent que le petit univers dans lequel elles vivent. Elles sont séparées du reste du monde non seulement par la mer, mais aussi par les coutumes et les traditions. Tandis que certains connaissent tous les détails de l’histoire récente, d’autres n’ont jamais entendu parler de la Seconde Guerre mondiale ou ne savent pas qui étaient les belligérants. En divers endroits, on pratique la sorcellerie et la magie ; on prétend même qu’on peut faire un pacte avec le Diable pour obtenir des avantages personnels.
Pour beaucoup de gens, la journée commence à cinq heures du matin. Ils s’en vont à leurs affaires d’un air pressé avant le lever du soleil, un fardeau sur la tête, les pieds nus et une machette à la main. La lame, longue de 45 centimètres, sert à tous les usages possibles. On l’emploie aussi bien pour sarcler le jardin que pour couper le poisson. Malgré ce lever matinal, la vie dans cette belle île n’est pas aussi trépidante que dans beaucoup de grands centres. En règle générale, les foyers sont meublés simplement, et les repas sont composés de riz, des fruits de l’arbre à pain, de bananes, de fèves et de thon.
L’île aux deux pitons, avec son épaisse végétation tropicale et ses vallées profondes bien cultivées, est vraiment un délice pour les yeux. Beaucoup de gens y vivent heureux en se contentant des choses indispensables à la vie.