Coup d’œil sur le monde
La religion et la crise économique
Comment les économistes considèrent-ils l’incidence des croyances religieuses sur la situation économique et démographique dans le monde ? Lors d’un congrès d’économistes organisé cette année à Hong-Kong sur le thème “La population et l’économie politique”, Derek Davies, rédacteur en chef du périodique Far Eastern Economic Review, a évoqué le “droit” des musulmans d’avoir quatre femmes et leur refus de manger du porc, la vénération des hindouistes pour les “vaches sacrées” et la position de l’Église catholique sur la régulation des naissances. Puis il a ajouté : “Il y a des années que des gouvernements civils (...) auraient dû commencer à passer outre aux lois archaïques et aux systèmes de morale des grandes religions du monde. (...) Dans cette guerre que nous ne pouvons nous permettre de perdre, il nous faut utiliser tous les outils disponibles, sans être gênés par des lois religieuses archaïques et par des théologies créées par des célibataires.”
Crises de gouvernement en série
Les neuf présidents et premiers ministres des États membres du Marché commun ont tous changé au moins une fois au cours des dix-huit mois écoulés. Pendant cette même période, il y a eu des crises de gouvernement au Canada, en Australie, au Japon, en Inde, en Israël, au Portugal, en Islande, en Éthiopie et au Niger. Dans un éditorial, le Washington Star-News a écrit : “L’effondrement de tant de gouvernements appelle une explication rationnelle. Jusqu’à présent, cependant, il n’existe aucune théorie commode permettant d’expliquer ces bouleversements politiques sans précédent.”
“Une société d’irresponsables”
Un économiste européen a affirmé : “Les temps sont révolus en Europe où les ouvriers dociles acceptaient une certaine mesure d’autodiscipline et de modération, afin de hâter le rétablissement de l’économie de leur pays.” Un expert allemand a parlé de la naissance d’une “société d’irresponsables” dont les exigences peuvent de moins en moins être satisfaites par les gouvernements. De son côté, un sociologue a émis l’opinion que “tous ces problèmes pourraient soudain s’unir pour pousser les nations occidentales vers des régimes autoritaires”. Il a ajouté que “le sentiment de responsabilité et l’esprit civique qui ont assuré la réussite de la démocratie et de la libre entreprise après la Seconde Guerre mondiale sont en train de se perdre”.
Un “vrai fléau”
La revue économique Vision a qualifié l’absentéisme de “vrai fléau de l’industrie européenne”. Pour 1975 les économistes suédois prévoient 400 000 absentéistes par jour, soit quatre fois le nombre enregistré en 1960. En Allemagne fédérale, le nombre des ouvriers “malades” a presque triplé, entre 1966 et 1972, atteignant le chiffre de 11 pour cent du total. En Italie, le nombre des absentéistes s’élève à 15 pour cent des travailleurs. D’après le périodique Vision, “il est curieux qu’un pourcentage si élevé des ‘malades’ soient atteints d’affections ‘bénignes”’, qui ne les empêchent pas “d’assister à un match de football, de pique-niquer, de courir les magasins ou de jouer aux courses”.
“Pas une seule idée concrète”
Dans une interview accordée à la revue américaine Newsweek, M. Gianni Agnelli, président de la société Fiat, a déclaré : “Les pays d’Europe vivent encore dans l’illusion. Je ne vois pas un seul homme d’État en Europe qui soit à même de nous faire comprendre les vrais impératifs de notre survie. Pourtant des réformes radicales de notre société sont inévitables, et urgentes, car, sinon, ce sera tout simplement le chaos. (...) J’ai été dans d’innombrables séminaires et rencontres de responsables ; j’y ai trouvé un trop-plein d’analyses brillantes sur les maux de notre société, mais, franchement, pas une seule idée concrète sur les remèdes par lesquels commencer.”
“Deux hémorragies essentielles”
Dans un article intitulé “La survie”, où il a cité ces paroles de M. Agnelli, M. Jean-Jacques Servan-Schreiber a écrit dans l’hebdomadaire français L’Express : “Je dirais, en ayant bien conscience d’être sommaire, que les deux hémorragies essentielles qui, progressivement, vident le pouvoir politique de toute substance, de toute capacité, et qui constituent des menaces mortelles pour nos sociétés, sont : 1. L’accumulation galopante de subventions de l’État aux sociétés industrielles en difficulté, ou en faillite. Ce détournement de l’argent public se traduit, obligatoirement, par un assèchement des moyens financiers qui devraient aller à la sécurité des hommes et à l’équipement des collectivités. (...) À la limite, le pouvoir public n’a plus aucune volonté politique qu’il puisse exprimer, aucun dessein de société qu’il soit en état de bâtir. Car il n’est plus que le tiroir-caisse, où viennent puiser les maîtres de l’industrie, sous le prétexte commode et fallacieux, mais tabou, du ‘plein emploi’. Après quoi, cette transfusion de sang n’étant pas sans limite (il s’agit bien de l’argent des contribuables), interviendra tout de même, après le déluge inflationniste ainsi entretenu, le chaos redouté, c’est-à-dire la solution de force. De type national-socialiste.”
“Ce colossal gaspillage de ressources”
Pour M. Servan-Schreiber, la deuxième hémorragie essentielle est la suivante : “L’aggravation, et la sophistication croissante, de la course aux armements. Elle a deux aspects : les ventes d’armes, qui se multiplient de manière effrayante (et que personne n’ose même plus critiquer publiquement depuis que la crise du pétrole fait de l’exportation de n’importe quoi une sorte d’impératif national) ; et, d’autre part, l’approfondissement et la diffusion des systèmes nucléaires. (...) L’an dernier, les dépenses militaires dans le monde se sont élevées à un volume sans précédent de mille milliards de Francs. Soit environ cinq fois le Budget national total d’un pays de bonne taille comme la France. L’Institut national de recherche de Stockholm attire l’attention de tous les gouvernements, qui sont aux prises avec l’inflation que l’on sait, sur ‘ce colossal gaspillage de ressources’. Mais l’aventure nucléaire est plus grave encore. Non seulement en raison des dangers réels de conflit atomique qu’elle prépare pour nos enfants, (...) mais, plus immédiatement, parce qu’elle engouffre, au delà de l’argent, des ressources humaines, des savants, des chercheurs, des ingénieurs, et qu’elle tisse peu à peu un système lié d’intérêts industriels, scientifiques et financiers qui crée dans chaque pays dit ‘nucléaire’ un pouvoir clandestin d’une force redoutable qui ronge la substance même du pouvoir politique et lui impose progressivement sa loi. (...) L’intérêt des uns et des autres à engouffrer de pareilles fortunes entièrement stérilisées, et inflationnistes, dans des développements qui n’ont aucune justification rationnelle, chacun des deux pays [États-Unis et URSS] pouvant déjà, dans l’état actuel des choses, écraser l’autre sous le feu nucléaire trois ou quatre fois, cet intérêt est indéchiffrable. Cette descente aux enfers ne s’explique que par le climat général d’aveuglement quasi religieux (...).”
“Demeure de l’homme”
Écrivant dans le mensuel Information juive, G.-A. Ribière a écrit : “Chaque jour qui passe nous enlise toujours un peu plus dans l’économique et le technique : il n’est plus question que de cela, comme si le propre de l’homme était d’être au service de l’économique et du technique. (...) Et pourtant, nombreux sont les hommes et les femmes d’âge mûr, de plus jeune âge, et les adolescents, habités par un profond désarroi ; ils ne savent plus où ils sont, dans quoi ils sont, qui ils sont, vers quoi ils vont. Ce sont des désorientés dans le temps et même dans l’espace ; ils vivent un peu comme des somnambules. (...) La demeure de l’Homme, l’espace humain, c’est pour l’Homme d’être devant Dieu, et c’est seulement dans la référence à cette présence et à la fidélité du dialogue qu’elle implique que l’Homme sait qui il est, où il va. Et lorsqu’il quitte cette demeure, lorsque pour assouvir sa volonté de puissance, il l’oublie ou s’efforce de l’oublier, alors ses chemins ne peuvent être que folie, démesure : ce sont les rivalités de puissance, la violence, la guerre et finalement l’idolâtrie. (...) Je sais que tenir le langage que je tiens dans le monde d’aujourd’hui est folie ; qui peut l’entendre ? Mais je n’en crois pas moins que c’est le seul qu’il faut tenir, et la vérité qu’il nous faut vivre. Il n’y a qu’une seule manière de réintégrer l’Homme dans l’Homme, de lui faire redécouvrir qui il est, où il va ; c’est de lui faire retrouver son juste rapport avec Dieu. Car c’est Dieu qui est la ‘clé’ de l’Homme, et non l’homme lui-même.”
“Une civilisation de drogués”
Écrivant dans le quotidien français Le Figaro, Pierre Emmanuel, de l’Académie française, a déclaré sous ce titre : “La société se défend contre certaines drogues, celles que prennent les drogués parce qu’ils la refusent et, à tout prix, cherchent à la fuir. Comme cette fuite mène souvent à leur déchéance, la société se sent bonne conscience dans sa lutte contre un fléau qui, pourtant, tient largement à ce qu’elle est. (...) Que, tel Gribouille, ils se noient dans le rêve pour préserver leur intériorité est évidemment absurde et tragique. Mais c’est aussi un signe et un avertissement. (...) Au spectacle fourni sans bouger de votre chaise par le petit écran s’ajoute celui fourni au volant par l’automobile. (...) Un nombre considérable d’adeptes de l’automobile ne s’en servent nullement pour voir du pays mais pour ‘manger des kilomètres’. Le spectacle est dans la jouissance d’un rythme mécanique apprécié grâce au déplacement à travers un décor. N’est-ce pas là un effet typique de la drogue ? Mais suggérer aux multitudes d’automobilistes qu’ils sont des drogués qui s’ignorent, c’est oser s’attaquer à l’une des intoxications majeures de l’époque.”