Une pelote d’épingles ambulante
PERMETTEZ que je me présente. Je suis une des pelotes d’épingles ambulantes de la création. Sans doute avez-vous déjà entendu parler de Marco Polo, ce grand voyageur du treizième siècle. Eh bien, tandis qu’il voyageait en Asie méridionale, Polo rencontra quelques-uns d’entre nous, et voici ce qu’il en dit : “Ici on trouve des porcs-épics, qui se roulent en boule quand les chasseurs envoient leurs chiens contre eux. Avec grande furie, ils lancent les piquants dont leur peau est garnie, blessant hommes et chiens.”
Cinq siècles plus tard, cette opinion prévalait encore. En 1744, un homme du nom de Churchill déclara à notre sujet : ‘S’ils sont dérangés, ils peuvent, en se contractant, lancer leurs piquants avec une telle force qu’ils tuent hommes ou bêtes.’
Pensez-vous vraiment que nous sommes capables d’une chose pareille ? Pouvons-nous lancer nos piquants ? Au fait, que savez-vous de nous ?
D’abord une leçon d’anatomie
Disons pour commencer que nous sommes des mammifères appelés rongeurs et que nos incisives sont bien adaptées à notre état.
Vous autres, humains, vous nous avez classés en porcs-épics de l’Ancien Monde et porcs-épics du Nouveau Monde. Mes parents de l’Ancien Monde vivent au sud-est de l’Europe, en Afrique et au sud de l’Asie. La plupart d’entre eux ont environ quatre-vingt-dix centimètres de long, y compris la queue. Certains pèsent jusqu’à trente kilos. On les appelle porcs-épics à crête parce qu’ils ont une crête de longues soies sur la tête, le cou et le dos.
Les porcs-épics du Nouveau Monde, comme moi, résident en Amérique du Nord et du Sud. Je suis un Nord-Américain (ou si vous préférez un Canadien), je mesure à peu près quatre-vingt-dix centimètres, queue incluse, et je pèse une dizaine de kilos. Certains d’entre nous pèsent jusqu’à vingt kilos. On nous nomme également porcs-épics arboricoles parce que nous vivons surtout dans les arbres. Nos pattes de derrière sont garnies de griffes qui nous permettent d’y grimper.
Je ferais bien aussi de mentionner ma couleur. Ma fourrure est d’un noir brunâtre. Quant à mes effrayants piquants, ils sont blancs jaunâtre. J’ai entendu dire qu’une image vaut mieux que dix mille mots, c’est pourquoi mon portrait, peint par un artiste renommé, est reproduit ici à votre intention.
Un mot sur nos piquants
À l’origine, le nom “porc-épic” signifiait “porc avec épines”. Naturellement, nous ne sommes pas des porcs. Mais nous avons des épines ou piquants, comme vous le savez. Des milliers de ces piquants garnissent notre queue, notre dos et nos flancs. En réalité, les piquants sont des poils qui ont poussé ensemble et se sont réunis. Certains des miens ont de cinq à huit centimètres de long et sont très acérés. C’est une bonne chose — pour moi. Ils me permettent de me défendre.
Quelques-uns d’entre nous ont des piquants garnis de barbillons dirigés vers l’arrière. Dès que les piquants sont entrés dans la chair de l’assaillant, ils gonflent, ce qui fait saillir les barbillons. Il est presque impossible de retirer ces douloureuses épines parce que, justement, les barbillons restent accrochés dans la chair. En outre, comme ces petits dards sont plantés en oblique, plus la victime bouge, plus le piquant s’enfonce.
Logement et nourriture
Où vivons-nous et que mangeons-nous ? En fait, nos goûts varient. En tant que Nord-Américain je vis dans les arbres, bien que certains de mes parents préfèrent habiter parmi les rochers ou dans les trous du sol. Mes cousins de l’Ancien Monde ne grimpent pas aux arbres. Plusieurs d’entre eux vivent parfois dans un seul terrier ayant peut-être une demi-douzaine d’entrées.
Je n’aime pas trop voyager. Aussi, pour toute une saison, mon domaine se réduit à trois ou quatre arbres. Il me suffit de m’installer confortablement dans un arbre et d’en mâcher l’écorce.
Cela nous amène à la question de la nourriture. Mon cousin, le porc-épic à crête de l’Ancien Monde, se glisse dehors la nuit (et quelquefois le jour) pour se nourrir d’écorces, de racines et de fruits tombés. Je dois admettre qu’il peut faire du tort aux récoltes, car il se régale de choses aussi délicieuses que des patates douces.
Au printemps, le porc-épic arboricole du Canada, comme moi-même, se nourrit d’épis de fleurs minuscules qu’on trouve sur les peupliers ou d’autres arbres. Plus tard, des feuilles de tremble ou autres font parfaitement l’affaire. Nous aimons différentes plantes, mais en hiver notre menu consiste surtout en écorces.
Quand je décide de partir en expédition à la recherche de nourriture, je choisis de préférence la nuit. Et vous me trouverez peut-être en des endroits tout à fait inattendus. Si vous avez une cabane dans les bois, mettez donc un peu de beurre salé dehors, à ma portée. J’adore ça et je n’en laisserai pas une miette. Et si j’arrive jusqu’à la salière et que je parvienne à renverser son contenu, quel bonheur ! Je suis terriblement friand de sel. Il m’arrive de mâchonner le manche d’une hache à cause des traces de transpiration salée qui s’y trouvent !
Durant notre repas nocturne, vous entendrez peut-être des bruits bizarres. C’est un de mes parents qui essaie de ronger une bouteille. Et que vous le croyiez ou non, il y en a qui ont mangé des cartouches de dynamite. J’imagine que cela risque de leur causer une belle indigestion.
Le cycle de vie
Malgré un régime parfois douteux, nous arrivons à survivre. Normalement je vis de six à dix ans. En captivité, les porcs-épics à crête vivent jusqu’à vingt ans. Nous autres, pelotes d’épingles ambulantes, on nous connaît depuis longtemps. On parle même de nous dans le livre le plus vieux de la terre : la Bible. Il y est prédit que les porcs-épics prendraient possession de Babylone, d’Édom et de Ninive après leur désolation. Et c’est bien vrai. Quelqu’un qui visita les ruines de Babylone y trouva des “quantités de piquants de porcs-épics”. — És. 14:23 ; 34:11 ; Soph. 2:14.
Nous ne sommes pas particulièrement prolifiques. Les porcs-épics du Nouveau Monde ont un petit par an, au printemps. Le porc-épic à crête de l’Ancien Monde en a deux ou trois. Cela vous semblera, sans doute bizarre, mais nos petits naissent avec des piquants. Est-ce dangereux ? Non, car les épines sont souples, au début. En ce qui concerne le porc-épic à crête, elles durcissent au bout de dix jours.
Quand Bébé apparaît dans un foyer de porcs-épics du Nouveau Monde, souvent il a près de 28 centimètres de long. Il est plus grand qu’un ours noir nouveau-né. Imaginez une femelle porc-épic de soixante-quinze centimètres qui donne le jour à un bébé tout hérissé mesurant 28 centimètres ! Parmi les mammifères, c’est nous qui, proportionnellement, avons les nouveau-nés les plus grands. Pensez donc, si un bébé humain était relativement aussi grand à sa naissance, il pèserait trente-six kilos !
Une existence paisible
Certaines personnes pensent que les porcs-épics sont agressifs, toujours prêts à se battre. Ce n’est pas exact. Regardez-moi. Je me déplace d’un pas tranquille et je me parle à moi-même en poussant de petits cris aigus, en grognant et en reniflant. À propos de flair, j’ai un nez très sensible. Nous qui avons une armure si redoutable, on peut nous tuer en nous frappant sur cette partie délicate de notre anatomie.
Quand je ne suis pas en train de flâner çà et là, vous me trouverez peut-être sur un arbre, me reposant tranquillement. Ne suis-je pas vraiment l’image de la placidité ? Qui pourrait penser que je suis un guerrier dangereux ? Naturellement, tout d’un coup, je peux me mettre à pousser un cri aigu. Et je reste parfois là à gémir pendant une heure. Vous autres, humains, vous vous demandez pourquoi je fais cela. Je préfère taire mes raisons et laisser le mystère entier.
Prêt au combat
D’autre part, si je suis sur le sol et qu’un chat sauvage ou un autre assaillant s’approche pour m’attaquer, je peux parfaitement me mesurer avec lui. Je cache ma tête et mon nez si délicat sous un tronçon de bois ; puis je prends une position solide, les pieds serrés l’un contre l’autre, et je m’assure que le dessous de mon corps est protégé. Ensuite, j’agite les piquants de ma queue. C’est un signal et il résonne pour avertir l’assaillant, comme le fait le serpent à sonnettes.
À présent, mes piquants sont dressés et je parais deux fois plus gros que je ne le suis. Il est temps d’agiter ma queue furieusement ; je la balance d’avant en arrière. Maintenant, regardez bien.
Si mon assaillant est assez sot pour persister dans ses mauvaises intentions, je retire mon nez de sa cachette et je le dissimule sous moi du mieux possible. Puis, la queue en bataille, je livre combat. Certes, on ne peut guère appeler cela une attaque de front, mais en tous cas, c’est efficace. Si l’agresseur a un grain de bon sens, il cédera assez de terrain pour me donner le temps de grimper à un arbre.
Quand j’ai affaire à un chat sauvage stupide, il risque d’attraper une vingtaine de mes piquants. Cependant, j’en ai une quantité suffisante, quelque 30 000, et ceux que j’ai perdus dans la bataille repoussent en quelques mois. Certains animaux sont morts parce qu’un de nos piquants, pénétrant toujours plus avant dans leur corps, a perforé un organe vital. Il arrive aussi qu’une épine se plante dans la mâchoire d’un adversaire et la maintienne fermée. Incapable de manger, le malheureux finit par mourir de faim. Les microbes qui sont sur nos piquants peuvent également causer des infections mortelles.
Même des lions des montagnes et des ours ont été tués par nos piquants, mais quiconque garde ses distances n’a rien à craindre. Contrairement à la remarque de Marco Polo, nous ne lançons pas nos épines. Naturellement, si vous m’effrayez et que ma queue commence à se balancer, elle peut fort bien frapper quelque chose et alors des piquants se détachent. Mais tranquillisez-vous, je ne les lance pas à distance.
Parfois une martre, qui est un animal parent des belettes, arrive à nous renverser et à planter ses dents dans le dessous de notre corps, non protégé. Ou bien ce “monstre” se faufile sous la neige et nous frappe mortellement par en-dessous. Généralement, cependant, nous sortons victorieux d’une telle rencontre.
De temps à autre, un porc-épic nord-américain finit sa carrière sur la table des humains. Mais la plupart des gens ne pensent pas que nous avons assez bon goût ou peut-être ne veulent-ils pas se donner la peine d’extraire leur plat de viande d’une forteresse aussi bien défendue.
Voilà donc mon histoire. Peut-être nous rencontrerons-nous un jour. Le cas échéant, pourquoi ne pas m’admirer de loin ? Sans doute ai-je l’air d’une pelote d’épingles, mais je ne suis pas une pelote ordinaire, car, du moins pour vous, les “épingles” sont pointées dans le mauvais sens.