Une promenade au printemps m’a conduit au service du Béthel
raconté par Jules Feller
QUAND, il y a quarante et un ans, j’entendis parler pour la première fois du message concernant le dessein de Jéhovah vis-à-vis de la terre, je ne me doutais guère qu’en 1963 je me trouverais à Brooklyn, New York, à l’École biblique de Galaad !
Pourtant, me voici, avec la 38e classe, participant à un cours de dix mois destiné à former des ministres à des responsabilités supplémentaires. Pourrais-je m’astreindre à une étude quotidienne ? Pourrais-je surmonter les difficultés créées par la différence de langue et marcher du même pas que mes compagnons d’étude ? Ces questions et d’autres, nombreuses, agitaient mon esprit tandis que je me rendais à Brooklyn et j’étais fort inquiet, je l’avoue. Toutefois, je n’oubliais pas les promesses de Dieu consignées dans sa Parole, et je pris courage. Mais, comment en étais-je venu à me trouver ici ? Quels pas m’avaient conduit jusqu’à l’École de Galaad ?
UN MAGNIFIQUE JOUR DE PRINTEMPS
On était en 1922, au printemps. Mon frère et moi venions de rentrer à Berne après un long séjour en Suisse française quand un de nos oncles nous invita à faire une promenade avec lui. Nous acceptâmes avec plaisir, impatients de voir arriver cet après-midi divertissant.
C’était par une belle et chaude journée. La nature s’était parée tout spécialement, semblait-il, pour notre excursion. Ce radieux temps de printemps devint le thème de notre conversation, et notre oncle attira notre attention sur des choses qui nous parurent toutes nouvelles. Choisissant le moment convenable au cours de notre promenade, il tira de sa poche un livre qui portait, gravés en relief et en lettres d’or très attrayantes, les mots “La Sainte Bible”. Cette magnifique journée avec son atmosphère paisible lui rappelait une situation toute pareille et merveilleuse, nous dit-il, en tournant les pages du livre. La Bible nous apprend, continua-t-il, que nous approchons d’un temps qui, par sa beauté, ressembleras au paradis, et sera aussi agréable, et même plus beau, que cette journée, parce qu’il ne sera pas d’aussi courte durée. En effet, il durera toujours.
Après ces quelques mots d’introduction, notre oncle nous fit la description d’une terre où il n’y aurait plus ni soucis ni souffrances, ni méchanceté ni guerres, et d’où seraient bannies définitivement la maladie et la mort. Il y aurait même une résurrection des morts.
Quel ne fut pas notre bonheur d’entendre cette bonne nouvelle car nous pensions à nos parents, morts trop tôt tous les deux ! Et ce temps merveilleux n’était pas très éloigné, ajouta notre oncle, avec force et conviction. À l’entendre parler de ces belles choses, nous en oubliions où nous étions et avions l’impression de vivre déjà à cette époque glorieuse. Une chose encore nous étonnait, c’était qu’il pût nous lire un passage de la Bible à l’appui de chacune de ses déclarations ; par exemple, il nous cita Apocalypse 21:4. La bonne semence que mon oncle répandit ce jour-là tomba dans la bonne terre de notre cœur (Mat. 13:8). De quelle façon, direz-vous ? Pour que vous puissiez mieux comprendre, il faut que je vous ramène au temps de mon enfance.
UN DRAME
Nous formions une famille heureuse de six personnes : mes parents, deux garçons et deux filles. Toutefois, ma mère mourut alors que j’avais sept ans. Dès lors, notre heureuse vie de famille prit fin. Mon père souffrit beaucoup de la perte de ma mère et ne se remit jamais vraiment de ce chagrin. Il mourut à son tour, quelques années plus tard ; dès lors, notre famille fut complètement déchirée.
Puis vinrent les années douloureuses de la Première Guerre mondiale. J’avais la chance d’être jeune et d’habiter un pays neutre, la Suisse. Je me souviens très bien des trains bondés d’enfants qu’on avait évacués de Belgique et de France, de ces trains qui faisaient une courte halte à Berne avant de repartir pour l’intérieur de notre pays, plus sûr. De nombreux trains remplis de blessés de guerre arrivaient aussi chez nous. Ce spectacle fit sur mon jeune esprit une impression ineffaçable. Maintes et maintes fois je me disais : Pourquoi cela ? Pourquoi faut-il que les hommes connaissent une telle affliction ? Pourquoi Français et Allemands s’entretuent-ils ? La vue de cette misère, de ces chagrins, de ces souffrances et de ces pertes me faisait soupirer après des conditions meilleures.
Ces événements eurent pour résultat de me préparer à écouter avec intérêt les réponses exactes aux questions que je me posais. Mon oncle me les donna, en cette belle journée de printemps. Quel privilège de l’écouter pendant toute notre promenade d’après-midi, tandis qu’il posait le fondement qui me permettrait, plus tard, d’arrêter ma décision de servir au Béthel ! Dès lors, je me mis à étudier assidûment la Bible et les publications de la Société Watch Tower. Bien entendu, j’assistai aux réunions à Berne, où je reçus un chaleureux accueil.
JE SERS AU BÉTHEL
En 1924 — je n’avais pas encore vingt-trois ans — j’appris qu’on recherchait des jeunes gens pour le travail à l’imprimerie de la Société Watch Tower, à Berne. C’est à mon oncle que je dois d’être entré en contact avec le Béthel. Je fus invité à visiter l’imprimerie et la maison du Béthel pour me rendre compte de l’activité qui y régnait. Quelle fut ma surprise d’apprendre que tous ceux qui y travaillaient le faisaient bénévolement ! Je fus surpris également de leur bonté et de leur cordialité. La visite terminée, je fus présenté au responsable du Béthel qui me demanda s’il me plairait de m’engager dans ce service. Je répondis affirmativement car tout ce que j’avais vu et entendu avait fait sur moi une profonde impression. J’éprouvais une gratitude infinie pour la connaissance de la vérité biblique que j’avais acquise et désirais servir le Dieu Tout-Puissant de tout mon cœur.
Savez-vous quel fut mon premier travail au Béthel ? Les premières semaines, mon temps se passait à mettre en balles les papiers de rebut puis à lier de cordes ces paquets. C’était une besogne poussiéreuse et fatigante ; néanmoins, j’étais très heureux de participer au travail qui se faisait au Béthel et de savoir que je servais Dieu. Puis, je fus occupé pendant plusieurs semaines à l’atelier de reliure où j’appris à faire des livres. Plus tard, de l’atelier de reliure je fus envoyé à la salle des presses.
Une rotative est capable d’inspirer un profond respect au novice que j’étais alors. Je me revois, saisi d’une crainte respectueuse, devant cette énorme machine. Je l’observai attentivement, cette mangeuse de papier qui dévorait en quarante minutes un volumineux rouleau qu’elle digérait tout aussi vite pour le rejeter sous la forme de périodiques. Mais on ne m’avait pas mis à cette machine uniquement pour la regarder ! Il fallut que j’apprenne à poser les rouleaux, à aligner le papier continu, à contrôler la plieuse et la brocheuse et à surveiller une douzaine d’autres opérations.
Au bout de neuf mois, je dus quitter ce service, non sans une excellente raison : l’arrivée de deux nouvelles linotypes. Deux ouvriers durent en apprendre le fonctionnement. On me choisit et j’eus un Polonais pour compagnon de travail. Comme nous transpirions au cours de nos premières leçons, quand un Témoin, dont c’était la profession, nous apprenait à composer ! Il était venu d’Alsace (en France) pour nous enseigner l’art de composer des caractères d’imprimerie. Nous fîmes preuve d’une sérieuse application et ce travail n’eut bientôt plus de secret pour nous.
Lorsque je m’assis devant la machine, le premier jour, je ne m’imaginais nullement que je ferais ce travail, sans interruption, pendant vingt-deux ans ! Encore aujourd’hui, la pensée d’avoir composé sur cette machine en dix-neuf langues me remplit d’un grand bonheur ! Quand un manuscrit en langue étrangère était posé devant moi, j’essayais de me représenter le pays où l’on parlait cette langue. J’avais l’impression de suivre un cours de géographie très intéressant. Ce pays prenait forme dans mon esprit et j’évoquais les principales occupations de ses habitants. Une page manuscrite n’était pas une simple feuille de papier avec des lettres et des mots dactylographiés que je ne comprenais pas, mais elle devenait quelque chose de vivant qui prenait de la valeur. La pensée que, dans ce pays, un livre, une brochure ou un périodique expliquant la Bible, serait placé entre les mains de milliers de gens qui obtiendraient ainsi la connaissance vivifiante, était pour moi un stimulant continuel.
Puis je fus occupé au service des clichés pendant quelques mois seulement car on m’employa au bout de ce temps au bureau de l’imprimerie. Jusqu’alors, mes activités étaient purement manuelles mais cette fois, il me fallut apprendre à faire du travail de bureau, à taper à la machine. On me chargea ensuite d’organiser le travail de l’imprimerie et j’appris à faire les achats de papier et autres fournitures pour l’imprimerie.
OPPOSITION
Mes trente-huit années de service au Béthel n’ont pas toujours été ensoleillées ; elles furent assombries parfois. Il nous fallut résister à diverses tempêtes qui nous affligèrent beaucoup. Je pense surtout à l’année 1925 au cours de laquelle la foi d’un grand nombre fut mise à l’épreuve. Dans certaines congrégations, le nombre des membres diminua de moitié, davantage même. Mais ceux qui avaient mis leur confiance en Jéhovah restèrent fermes et poursuivirent leur activité dans la prédication.
En 1940, une autre tempête balaya notre pays, une tempête dont notre Béthel ressentit les effets. C’était le temps de la Seconde Guerre mondiale alors que les armées hitlériennes avançaient de victoire en victoire autour des frontières suisses, occupant de nombreux pays. Notre pays fut encore préservé de la guerre proprement dite mais l’esprit totalitaire traversa nos frontières. Des perquisitions eurent lieu dans les maisons. Lors d’une attaque, exécutée à l’improviste, des soldats suisses s’installèrent à des points stratégiques autour du Béthel et occupèrent ce dernier pendant quelques heures. On nous imposa de nouvelles restrictions. Par exemple, toutes nos publications tombèrent sous le coup de la censure. La publication de La Tour de Garde fut interdite. Les communications avec nos frères du siège de Brooklyn furent interrompues. Mais, malgré ces circonstances défavorables, la nourriture spirituelle nous parvenait et nous la dispensions aux Témoins, dans tout le pays, et même à nos frères chrétiens d’Allemagne et d’ailleurs.
Ces conditions fâcheuses prirent fin à leur tour. Nous fûmes transportés de joie lorsque la guerre cessa et que nos relations avec le bureau de Brooklyn furent rétablies. En 1945, le président de la Société Watch Tower, N. H. Knorr, accompagné de son secrétaire, M. G. Henschel, nous rendit visite. Nous en fûmes profondément reconnaissants à Jéhovah. Tout reprit vie dans notre imprimerie. L’édition du périodique La Tour de Garde fut de nouveau possible, en allemand et en français, et diffusée sans entrave au-delà de nos frontières, parmi nos frères, affamés de nourriture spirituelle.
PRIVILÈGES ACCRUS
En 1950, en même temps que soixante-dix autres frères de Suisse, j’eus l’occasion d’assister à ma première grande assemblée de témoins de Jéhovah à New York. Quel événement ! Jamais auparavant je n’avais eu la joie de voir réunis tant de gens du même avis. Je fus vivement impressionné aussi par ma visite au bureau principal, au Béthel et à l’imprimerie de Brooklyn.
Puis vint 1953. J’eus le privilège d’assister, à New York, à une assemblée encore plus grande que la première. Cette fois, je profitai davantage des discours car je comprenais et parlais l’anglais avec plus de facilité. Puis, à ma grande joie, je fus invité à faire partie de la 22e classe de Galaad dont les cours allaient commencer en septembre 1953. À ma sortie de Galaad, je fus désigné pour servir de nouveau au Béthel de Berne, ce qui me rendit très heureux.
Au cours de l’été de 1957, je fus nommé serviteur de filiale pour la Suisse et le petit pays de Liechtenstein. Je suis très reconnaissant à Jéhovah de ce privilège. Quel plaisir de travailler avec les frères et d’observer l’accroissement à la fin de chaque année !
En 1958, j’assistai à l’un des plus grands de tous les festins spirituels, à savoir, l’assemblée internationale des témoins de Jéhovah, dans la ville de New York. J’y représentais notre pays avec un bon rapport, à la joie de tous les assistants.
En 1963, en tant qu’étudiant de la nouvelle École de Galaad, j’eus le plaisir d’assister à l’assemblée de “La bonne nouvelle éternelle” qui se tint du 7 au 14 juillet, au Yankee Stadium, à New York, et d’être parmi les 107 483 personnes heureuses qui se pressaient en foule dans le stade. Je pris part aussi à la visite des lieux de l’assemblée, organisée pour tous les étudiants de l’École de Galaad, visite incluse dans le programme d’étude, et je pus ainsi voir fonctionner les différents services de l’assemblée.
Maintenant, le cours d’étude, d’une durée de dix mois, est presque terminé, et je constate qu’il m’a été possible jusqu’alors de bien suivre le programme. Je sais que Jéhovah m’a aidé à poursuivre avec succès ma formation à Galaad. Mon inquiétude du début s’est dissipée peu à peu. Je remercie Jéhovah de m’avoir donné cette merveilleuse occasion de m’instruire.
Quand, après tant d’années, on s’arrête un instant, revoit la route suivie et constate à quel point l’œuvre de Jéhovah s’est étendue sur toute la terre, on se sent vraiment heureux d’avoir participé à cet accroissement en qualité de ministre à plein temps, servant dans un Béthel. Comme Jéhovah a richement béni le travail de son peuple ! Il nous a conduits aux portes mêmes du monde nouveau, nous laissant entrevoir les choses merveilleuses qu’il a encore en réserve pour nous. Puissions-nous donc lui témoigner sans cesse notre reconnaissance, être toujours prêts à chanter ses louanges, à honorer son nom et à le faire connaître !
[Illustration, page 377]
Étudiant dans la bibliothèque de l’École de Galaad.