Petits soins pour géants des airs
“ MESDAMES et messieurs, bienvenue à l’aéroport international John Kennedy de New York. ” Alors que les passagers débarquent et entendent cette annonce, une intense activité a déjà commencé à l’intérieur et autour de l’avion. Vous êtes-vous jamais demandé ce que devient l’appareil que vous avez quitté ?
Un avion commercial ne rapporte de l’argent qu’en transportant des passagers ou du fret, pas en restant stationné au sol. Les compagnies aériennes recherchent donc une fréquence de rotations journalières maximale pour leurs flottes. Pendant que les passagers attendent leurs bagages, l’appareil est rapidement préparé pour le vol suivant. Les mécaniciens entrent en action en analysant le compte rendu où figure tout problème technique constaté par l’équipage lors du dernier vol. Tout incident qui remet en cause la sécurité de l’avion (“ panne sans tolérance ”) donne obligatoirement lieu à une réparation immédiate.
On vérifie l’état des roues, des pneus et des freins, ainsi que les niveaux d’huile des moteurs. Des équipes s’activent au nettoyage de la cabine. Les modules de cuisine, ou offices, sont approvisionnés en nourriture et en boissons. On remplit de carburant les réservoirs, situés principalement dans les ailes. Avant que l’avion soit à nouveau prêt pour prendre l’air, l’équipage effectue une visite d’inspection extérieure pour déceler toute anomalie susceptible de nuire à la sécurité.
L’avitaillement en escale des avions et leur maintenance immédiate sont accomplies chaque jour sur des milliers d’appareils. Mais cela ne représente qu’une infime partie des opérations nécessaires pour garantir la sécurité de ces géants des airs. Tout comme une voiture doit faire l’objet de visites d’entretien périodiques, ainsi un avion doit régulièrement être soumis à une série de contrôles détaillés et très coûteux. Qui s’occupe de la maintenance des avions ? En quoi consiste-t-elle ?
Comment l’on garantit la navigabilité
L’association américaine des transporteurs aériens estime que ses compagnies membres transportent plus de 95 % des passagers et du fret aérien sur le territoire des États-Unis. En 1997, ces compagnies employaient quelque 65 500 mécaniciens pour la maintenance des appareils. En collaboration avec les bureaux techniques et le personnel des ateliers, les mécaniciens assurent la mission de garantir la navigabilité des avions et le confort des passagers. Il leur faut pour cela inspecter, réparer et réviser la multitude d’appareils qui permettent à l’avion de fonctionner en vola. Ce programme de surveillance englobe les moindres détails, depuis la révision des réacteurs pesant plus de quatre tonnes jusqu’au remplacement de la moquette en cabine.
La plupart des problèmes mécaniques sont réglés sur-le-champ. Cependant, le programme de visites d’un avion prévoit d’autres opérations de maintenance sur la base du nombre de mois de service de l’appareil ou du nombre de cyclesb accomplis et du nombre d’heures de vol, et non pas en fonction des kilomètres parcourus. Le programme commence par les opérations d’entretien que le constructeur recommande à la compagnie exploitante, opérations qui sont soumises à la vérification des autorités de l’aviation civile. Chaque type d’appareil possède un programme sur mesure, qui comprend divers niveaux de visites, allant des visites journalières ou périodiques de petit entretien à la révision générale. Ces visites sont désignées par des lettres, par exemple A, B, C, D, L ou Q.
En huit ans de carrière, un Boeing 747-200 avait accumulé près de 36 000 heures de vol. Arrivé à ce stade, il lui fallait se soumettre à une grande visite, parfois appelée la visite D. Commentant cette révision complexe et fort longue, une revue spécialisée (Overhaul & Maintenance) déclare : “ Elle a pour objectif de remettre l’appareil entièrement à neuf autant que possible. [...] Une visite D exige entre 15 000 et 35 000 heures de travail, et nécessite l’immobilisation de l’avion pendant 15 à 30 jours, si ce n’est plus. Coût de l’opération : entre un et deux millions de dollars. ” Selon Hal Chrisman, qui travaille pour The Canaan Group, un consultant en maintenance aérospatiale, “ le prix d’une visite D se répartit en général de la manière suivante : 70 % de main-d’œuvre et 30 % de fournitures ”. Une partie de ces frais est naturellement comprise dans le prix de votre billet d’avion.
Détail d’une visite de type D
Une fois l’avion garé dans le hangar de service — un énorme complexe comportant plusieurs zones de travail, des ateliers annexes et des magasins de pièces détachées — l’équipe de visite se met à l’ouvrage. Des tables de travail, des plateformes et des échafaudages roulants sont installés ; ils permettront de travailler même sur les parties de la machine les moins accessibles. Les sièges, les planchers, les cloisons, les caissons de plafond, les offices, les toilettes et d’autres équipements encore sont démontés ou sortis de la carlingue pour une inspection soigneuse. L’appareil est pour ainsi dire entièrement déshabillé. Suivant des instructions détaillées point par point, des techniciens examinent l’avion à la recherche de fissures (“ criques ”) ou de signes de corrosion du métal. Il arrive que des sections entières du train d’atterrissage, des circuits hydrauliques ou des moteurs soient remplacés lors de la visite. La visite D met en œuvre les compétences des techniciens, des rédacteurs techniques, des contrôleurs de qualité, des techniciens en avioniquec, des chaudronniers, et des mécaniciens cellule et moteurs, dont la plupart sont accrédités par l’autorité civiled. Si on leur ajoute les mécaniciens en équipement de cabine, les peintres et les équipes de nettoyage, le personnel de visite dépasse largement les 100 personnes dans une journée. Des dizaines d’autres opérateurs assurent de précieux services dans le domaine des équipements, des pièces de rechange et de la logistique.
Avec le temps, les vibrations en vol, les cycles de pressurisation du fuselage et les chocs accumulés lors des milliers de décollages et d’atterrissages provoquent des fissures dans la structure métallique de l’appareil. Pour traquer ces phénomènes, l’aviation emploie des principes de diagnostic proches de ceux de la médecine. Ces deux disciplines ont en effet recours entre autres procédés à la radiologie, aux ultrasons et à l’endoscopie pour déceler ce que l’œil ne peut voir.
Quand un patient subit une radiographie, il est placé entre une feuille de film et un canon à rayons X. Les contrôleurs de maintenance se servent pour leur part de méthodes semblables pour radiographier les trains d’atterrissage, les ailes et les moteurs. Un morceau de film sensible aux rayons X est placé à l’extérieur du réacteur sur la partie à inspecter. Puis un long tube de métal est introduit dans l’arbre creux du moteur. Enfin, une pastille d’iridium 192 radioactif (un puissant isotope), à peine de la taille de ces gommes montées au bout des crayons, est introduite dans le tube pour irradier le film. Celui-ci permet, après développement, de déceler les fissures ou autres défauts qui conduiront selon le cas à la réparation ou au remplacement du réacteur.
Durant une visite D, des prélèvements de carburant et de fluide hydraulique sont envoyés en laboratoire pour analyse. Si l’on découvre des micro-organismes dans l’échantillon de kérosène, il faudra prescrire des antibiotiques. Pour neutraliser les parasites du carburant (champignons et bactéries qui s’introduisent dans les réservoirs par l’air, l’eau ou le carburant lui-même), les réservoirs sont traités avec un biocide, une espèce d’antibiotique. Cette opération est importante, car les substances produites par la prolifération microbienne peuvent corroder le revêtement protecteur des réservoirs. Les jauges peuvent elles aussi être attaquées, ce qui risque de fausser lors d’un vol la mesure de la quantité de carburant disponible.
Le vieillissement normal, les vibrations et l’usure des joints peuvent provoquer des fuites sur les réservoirs. Un contremaître s’adresse à l’ensemble de l’équipe et demande : “ Qui veut jouer à l’homme-grenouille ? ” Aujourd’hui, c’est John qui hérite de cette mission pénible, mais essentielle. Revêtu d’une combinaison spéciale en coton et portant un respirateur, il a tout d’un plongeur, à l’exception des palmes ! Il se munit de son outillage, d’un imperméabilisant et d’une lampe de mineur. Par une petite ouverture située en dessous de l’aile, il se faufile dans le réservoir vide, repère la brèche et la colmate.
Les réservoirs aménagés dans les ailes d’un 747 sont un dédale de compartiments reliés entre eux par de petites ouvertures. Claustrophobes s’abstenir ! Un 747-400 peut emporter plus de 200 000 litres de kérosène. De quoi effectuer de très longs vols, par exemple San Francisco-Sydney, 12 000 kilomètres sans escale.
À huit mètres au-dessus du sol, dans la cabine de pilotage, un technicien en avionique observe le déroulement d’une procédure de test intégré sur l’écran du radar météo. Les pilotes se fient à cet instrument pour détecter et éviter les orages et les turbulences qui se présentent parfois à 500 kilomètres en avant sur leur route. Quand donc le pilote allume le signal “ Attachez votre ceinture ”, c’est peut-être parce qu’il a repéré un risque de turbulences sur l’écran de ce radar. À noter que pour prévenir les accidents, de nombreuses compagnies recommandent à leurs passagers, tant qu’ils sont assis, de garder la ceinture durant toute la durée du vol, même quand le commandant de bord éteint le signal. Certaines variations atmosphériques, les turbulences en ciel clair, secouent souvent la carlingue avant que le pilote ait eu le temps d’en avertir les passagers.
Durant la visite D, les équipements de sécurité, comme les gilets de sauvetage ou l’éclairage de secours, sont vérifiés ou remplacés. Au moment où l’on contrôle les circuits d’oxygène de subsistance, les masques pendillent comme des oranges à leurs branches. Les avions à réaction volent couramment à des altitudes comprises entre 6 000 et 11 000 mètres, un environnement dans lequel la teneur en oxygène et la pression atmosphérique ne suffisent plus à l’être humain. Comment pallier la difficulté ? Le système de pressurisation de l’appareil récupère l’air du dehors et le comprime. Cet air est ensuite envoyé dans l’habitacle à la bonne température. Si la pression de l’air en cabine chute au-dessous des niveaux de sécurité, les masques à oxygène se présentent automatiquement au-dessus de la tête des passagers. Ceux-ci peuvent alors respirer de l’oxygène jusqu’à ce que l’avion soit redescendu à une altitude où les masques ne sont plus nécessaires. Dans certains avions, les masques à oxygène sont logés à l’arrière des sièges et non pas dans des compartiments en hauteur. Voilà pourquoi il est important de prêter attention aux consignes de sécurité données avant le vol ; elles précisent l’emplacement des masques dans l’appareil.
Une visite générale est également l’occasion de remplacer les parois murales et les caissons de plafond, la moquette, les rideaux et les housses de sièges. Le matériel de l’office est démonté, nettoyé et désinfecté.
Prêt à reprendre du service
Après 56 jours d’inspections, de révisions, de réparations et de remises à neuf, l’avion est prêt à quitter le hangar et à reprendre à son bord des passagers ou du fret. Nous n’avons donné dans ces lignes qu’un très bref aperçu des opérations de maintenance effectuées. D’autre part, avant tout service commercial, l’avion va subir un vol d’essai mené par un équipage spécialisé qui s’assurera du bon fonctionnement de tous les systèmes. Sans doute êtes-vous rassuré d’avoir considéré brièvement les qualifications et les techniques pointues mises en œuvre pour préserver la bonne santé mécanique de l’avion que vous allez emprunter.
Pourtant, certains vous diront que l’outil le plus précieux de la maintenance aéronautique reste l’élément humain : des yeux exercés et un esprit vif. Un personnel bien formé attache beaucoup de sérieux à son travail ; il sait qu’un entretien bâclé peut avoir des conséquences dramatiques. Son objectif est de garantir la fiabilité de ces bolides qui vous emporteront à destination confortablement et en toute sécurité. — D’un inspecteur de l’aviation civile américaine.
[Notes]
a Un Boeing 747-400 comporte six millions de pièces, dont la moitié sont des fixations (rivets et boulons), ainsi que 275 kilomètres de câbles électriques.
b Un cycle équivaut à un décollage et un atterrissage.
c Le mot “ avionique ” vient de avion et (électro)nique.
d L’agrément cellule et moteurs permet l’approbation pour la remise en service à l’issue des travaux sur la structure, les circuits et systèmes et les propulseurs.
[Crédits photographiques, page 12]
Avec l’aimable autorisation de la Pan Am Historical Foundation
Archives and Special Collections, University of Miami Library
[Crédits photographiques, page 13]
Avec l’aimable autorisation d’United Airlines
Avec l’aimable autorisation d’United Airlines
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